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Arquivos Brasileiros de Psicologia
On-line version ISSN 1809-5267
Arq. bras. psicol. vol.59 no.2 Rio de Janeiro Dec. 2007
SEÇÃO ABERTA
Objets étranges, objets immatériels: pourquoi lacan inclut la voix et le regard dans la série des objets freudiens?1
Marie-Hélène Brousse2
Paris VIII
Je dois vous dire que je suis très honorée d’être parmi vous et vous dire également comment j’ai conçu ce dont je vais vous parler aujourd’hui. On m’a demandé de parler du regard et de la voix. Je trouve, quant à moi, que c’est un sujet très difficile. Donc, le travail que je vais vous présenter aujourd’hui est un travail où je m’enseigne à moi même, en m’adressant à vous. Et donc c’est un travail, comment vous dire, minutieux et précis de lecture de quelques morceaux du Séminaire X, de morceaux consacrés au regard et à la voix.
Je commence en introduisant de façon générale le problème. Ce que la psychanalyse appelle des objets, ou l’objet et depuis Freud, n’a que peu de choses à voir avec ce qui dans le discours courant est ainsi appellé.
Dans la psychanalyse, l’objet apparaît dans des expressions qui tout de suite nous montrent qu’il s’agit de quelque chose, disons, d’inédit. Par exemple, l’expression choix d’objet, qui est un des deux versants de l’Oedipe freudien. Par exemple, l’expression relation d’objet. Donc, déjà c’est des objets avec lesquels on a des relations, ce qui implique qu’on ne soit pas dans le champ de l’utilité.
Sur la notion de relation d’objet Lacan a fait porter, pendant des années, une critique assidue. Essentiellement sur toute ambition présente dans la psychanalyse, d’envisager l’objet comme un tout, sa position est donc que tout objet est partiel, tout objet est une partie. Et que c’est pas en les mettant tous ensemble qu’on obtient un objet complet et idéal. Ce qui était un peu la position des tenants de la relation d’objet, parce qu’ils avaient comme ambition de démontrer que l’objet d’amour en jeu dans la relation génitale, on peut dire, résumait et étaient construit comme la coordination de tous les objets partiels.
Une autre expression qui permet de penser ce qu’est un objet dans la pychanalyse, c’est l’expression freudienne fondamentale, l’objet perdu. Disons, tout de suite, que c’est le paradigme de l’objet psychanalytique. Dans la psychanalyse quand on parle d’objet on parle d’un objet perdu. Et, donc, dans ce Séminaire (Séminaire X), Lacan oppose l’objectivité avec un autre terme qu’il invente, l’objectalité. L’objectivité du côté des objets externes, des objets qui sont dans l’espace et l’objectalité pour définir ces drôles d’objets qui sont d’abord perdus. Et donc auquels nous n’avons accès que par des répresentations ou des traces.
Bon, Freud avait dressé une première liste de ces objets, une liste de trois plus deux: le sein, l’excrément, le phallus à quoi il avait ajouté aussi, comme sous-catégorie, l’argent et l’enfant, correspondant à cinq bornes de pertes, cinq objets pulsionnels. Cette liste était développée et historisée avec K. Abraham, qui avait fait correspondre chacun de ces objets perdus à un stade du développement. Les objets étaient, donc, liés, à un développement pulsionnel, supposé terminé par la pulsion génitale. C’était une manière de civiliser le pervers polymorphe de Freud, l’enfant pervers polymorphe.
Alors, Lacan reprend la liste freudienne et il en ajoute deux autres, encore plus bizarres que les objets freudiens, et des choses qu’on a jamais apellées objets avant Lacan: la voix et le regard. Il part vraiment en décalage par rapport a ce que nous appelons des objets. Et il prend donc comme fil directeur que plus bizarres sont ces objets plus ils manifestent la spécificité des objets lacaniens. Lacan rajoute aussi quelques autres objets à ces cinqs, dans ce Séminaire, par exemple il rajoute, le placenta, il rajoute les membranes, les membranes embryonnaires, on va voir ce qu’il en fait.
Donc, on va, premièrement définir l’objet lacanien comme tel, deuxièment, préciser les caractéristiques du regard et de la voix en tant qu’objet libidinal et je donnerai quelques exemples cliniques du repérage de ces objets dans les analyses.
Le fait qu’on les mette en liste, implique qu’ils ont quand même un point en commun et ce point en commun Lacan va l’expliquer comme étant leur fonction. Il construit l’idée qu’il existe pour un sujet parlant une fonction objet. C’est une fonction que désigne le terme qu’il a crée: objet petit a. L’objet petit a est une fonction. Je vais vous lire page 102 (page 98 dans l’éditon brésiliènne): “Cet objet”, dit Lacan, “nous le désignons par une lettre. Cette notation algébrique a sa fonction. Elle est comme un fil destiné a nous permettre de reconnaître l’identité de l’objet sous les diverses incidences où il nous apparaît” .
Or, vous voyez déjà que l’objet nous apparaît sous des incidences différentes. Donc, c’est la même fonction mais qui apparaît sous des formes phénoménalement différentes. “La notation algébrique a justement pour fin de nous donner un repérage pur de l’identité, ayant déjà été posé par nous que le repérage par un mot est toujours métaphorique...” Je m’arrête là, en vous précisant qu’il utilise la notation algébrique petit a pour éviter les signifiants et le flot des signifiés qu’ils véhiculent puisqu’un mot a toujours un sens métaphorique, c’est-à-dire a toujours un sens propre et un sens figuré. Prenez l’exemple du sein. Bon, le sein ça veut dire la mamelle, mais ça veut dire le coeur, un espace privilegié, ça veut dire la nourriture, ça veut dire plein de choses, donc, appeler ça petit a c’est pour en finir avec la métaphore. La même chose pour l’excrément, on a, je sais pas si en portugais on le dit, on utilise beaucoup la merde, mais en français il y a toutes une série de derivées qui permettent de métaphoriser la merde. Quant au phallus, n’importe quoi peut prendre le sens phallique. Par exemple, cette bouteille érigée il suffit que je la métaphorise pour qu’elle devienne un phallus. Donc, vous comprennez pourquoi Lacan a decidé d’appeler ça objet petit a. Une machine à lutter contre les métaphores et les significations. Alors, il n’en reste pas moins que dans ce Séminaire, l’objet pour être une fonction n’en est pas moin une substance. Et c’est donc le Séminaire de Lacan le plus appuyé sur la biologie. Il y a énormément des références à la biologie dans ce Séminaire, qui montrent que l’objet pour être une fonction est une fonction qui implique le fonctionnement biologique, c’est l’articulation de la pulsion avec le biologique.
L’autre thèse de ce Séminaire, sur laquelle je ne vais pas m’attarder, mais qui est fondamentale, est que ces objets, ces objets a on y a accès seulement indirectement et que la voie d´accès la plus sûre c’est l’angoisse. Il y a une telle clinique dans ce Séminaire! A chaque fois que vous êtes angoissé, je ne dis pas quand vous avez peur, quand vous avez peur vous savez de quoi vous avez peur, quand vous êtes angoissés, c’est-à-dire quand vous savez pas dire qu’est-ce qui vous angoisse, eh bien, à chaque fois, il y a un objet a derrière.Voilà une notation clinique: quand vous êtes angoissés, cherchez l’objet. Et vous verrez, ça tombe.
Bien, venons maintenant à une définition lacanienne de cet objet. Peut être que le point le plus important c’est l’idée que cet objet est une partie de notre chair, un bout de corps, un bout de notre corps, pas un bout du corps de l’Autre, que c’est un morceau, donc c’est une partie, ça ne sera jamais un ensemble, que c´est un objet caché, separé, inerte et si on dit sacrifié c’est déjà lui donner une signification. Et Lacan le defini de la façon suivante: c’est ce qui survie à la division au champ de l’Autre par la présence du sujet. Quand vous naîssez, vous n’êtes pas encore un sujet parlant, vous êtes un individu, vous êtes un organisme et vous êtes un corps, mais vous n’êtes pas encore un sujet parlant. Vous commencez a être un sujet parlant quand vous avez une parole. C’est-à-dire, quand vous vous saisissez des mots et des signifiants pour les renvoyer à l’Autre. Mais, naturellement, ces signifiants ils vous viennent d’abord de l’Autre. Eh bien! quand ce processus se met en place ou quand vous entrez en relation avec les Autres du langage, que vous vous mettez en place comme sujet parlant c’est à ce moment-là que vous perdez un petit morceau, un petit morceau de corps, un petit morceau de satisfaction, et c’est ça l’objet.
Je vais vous donner des exemples cliniques de l’objet a prélevé sur le corps. Deux petits exemples, un de la psychopathologie de la vie quotidienne et l’autre du cinéma. Quand vous faites votre toilette dans le lavabo, particulièrement, moi qui suis une femme, particulièrement les femmes, on se peigne; et vos cheveux sont relativement importants dans votre image, on les aime on les aime pas, on veut les changer, on le fait teindre, on les fait couper, on les fait friser, on les fait défriser, on s’en occupe, ils vous plaisent ou pas, mais enfin, bon, on s’en occupe. Mais, en fait, quand vous vous coiffez, les cheveux qui tombent dans le lavabo, alors là, franchement, ils ne vous plaisent pas. Je trouve ça dégoûtant, ça va dans la bonde du lavabo, ça devient tout gluant. Bien, l’objet a c’est ça, c’est le cheveu une fois qu’il n’est plus sur votre tête. Soit il est dégoûtant dans le tuyau du lavabo, ça c’est le reste, soit il est coupé et fait postiche, le truc que vous ajouter quand, par exemple, j’ai vu des photos de mariés, quand vous vous mariez vous voulez avoir plein de cheveux, alors on peut se permettre un postiche et là c’est plutôt algamatique. Sauf que vous notez bien, quand on l’enlève ça c’est déjà pas terrible, c’est pas un bon moment. Donc, l’objet a c’est ça, le bout qui s’en va.
Moi, j’aime beaucoup les filmes de guerre. Il y a un qui est incroyable, “Il faut trouver le soldat Ryan”. C´est la première scène qui est exceptionnelle, qui est la scène du débarquement, c´est une scène de morcellement des corps, inouïe. A un moment donné on voit un soldat tombé par terre regarder à côté de lui et il voit un bras et c’est le sien, sauf que c’est le sien qui tient plus à son corps. C’est le sien qu’il peut prendre avec son autre main.Voilà l’objet a. L’objet a c’est le bout de vous à l’exterieur. Vous comprenez pourquoi c’est le fondement de l’angoisse. Ce morceau-là il est perdu, même si on vous met un bras artificiel, ce sera jamais comme avant. sauf dans la Guerre des Étoiles. Comme vous le savez, il y a une scène où le héros perd la main, comme par hasard c’est son père que la lui a coupée, et on lui en rebricole une exactement comme elle était avant. Dans la Guerre des Étoiles il y a énormement de scènes qui sont articulées à la question de l’objet a.
Le personage de Dark Vador dans le troisième est réduit à quelques morceaux. Vous avez vu ça, quand ils sont dans une espèce de flotte et feu et qu’il reste un morceau sanglant sur le rivage, sur le rivage de feu. A la fin on lui bricole cet espèce d’armure noire qui cache à jamais son corps, ce qui fait que dans tous les autres films son corps fonctionne comme l’ objet a caché. Avec l’idée “mon dieu, qu’ils enlèvent ça, ça doit être horrible” Et ce qui reste, qu’est-ce que c’est?.
Je vous pose une question qui a trait a mon sujet. Allez, il y a des gens ici qui sont nés avec La Guerre des Étoiles. Vous connaissez tous Dark Vador. Qui ne connaît pas l’…. Aaahhh… C’est ça qui reste, il reste aaahhh (un souffle) quand il parle, il reste... très caractéristique, c’est-à-dire que dès qu’il apparaît à l’image, avant même qu’on le voit, dans la bande son, on entend aaahhhh...alors là on sait que c’est le méchant, on a peur, on s’approche de l’objet voix.
Maintenant, venons-en à ses deux visages d’objet, le regard et la voix. C’est moins simple que la Guerre des Étoiles, Lacan c’est moins simples. Il va falloir que je vous dise quand même une chose, deux choses un peu difficiles. La première, la thèse de Lacan est que la fonction de la cause chez l’être humain est liée à la catégorie de l’objet. Parce que Lacan considère que dans le discours de la science, ce dont on se débarrasse c’est précisement de la notion de cause. A la place de la cause, la science met des connexions signifiantes, des relations, des lois et des équations. La fonction de la cause est une fonction qui a toute son ampleur dans la connaissance, je dois dire, la connaissance spontanée, la connaissance dans le langage commun. Parce que la cause c’est ce qui vient à la place du trou, de la béance, qui est la caractéristique même du désir. Quand vous désirer quelque chose, vous ne le désirez que si vous ne l’avez pas. Une fois que vous l’avez vous le désirez plus. Ou alors, vous le désirez encore une fois mais c’est pas tout à fait la même chose. Donc, il y a un statut fondamentalement non-effectué du désir. Donc, un trou. La cause c’est le nom que nous donnons à ça au niveau de la conscience, c’est comme ça que nous appelons ce trou: à cause de. Et ça vient pour rendre compte de l’écart qu’il y a entre les mots et le réel: la cause. Et d’ailleurs, on a tendance à penser que les signifiants sont la cause du réel. Je vais vous donner un exemple politique, très drôle. Vous avez entendu parler de notre président de la République (en France)? Il s’appelle Sarkozy. Il est très agité. Et il a dit récemment, “la croissance sera de quatre pour cent”. Et les gens lui ont demandé: pourquoi? “Parce que je l’ai dit”. C’est ça l’idée de la cause: le signifiant cause le réel. Donc, la cause est liée au désir. Il n’y a de cause que du désir. Et monsieur Sarkozy désire une croissance de quatre pour cent. Voilà, il pense que son désir est une cause… On verra!.
Je vous cite un petit bout de Lacan: “Du fait que l’homme parle il croît saisir le réel par le signfiant, il croît que le signifiant commande au réel selon sa propre causation interne.” Sa propre causation interne c’est son désir.
Alors, venons-en au regard et à la voix. Ce sont les deux objets qui déploient le plus clairement la fonction de la cause. Ils le font différemment, mais Lacan élabore toujours l’un en s’appuyant sur l’autre et réciproquement. Alors, premièrement voyons le regard. Écoutez, le regard ce n’est pas l’oeil, ce n’est pas la vision, ce n’est pas l’image. Voyez, c’est déjà quand même un drôle d’objet! .
Par quoi Lacan commence ce qu’il dit sur le regard? Il commence en parlant de l’oeil. Il dit, c’est bizarre, vous vous êtes aperçu que l’oeil au niveau de l’organe est toujours double? C’est un organe qui lie deux parties symétriques du corps. Donc, il y a un lien entre l’oeil et la symétrie. Deuxième point, l’oeil est lié aux mirages, c’est le premier fonctionnement de l’oeil. Pourquoi dit-il cela? Parce qu’il dit que la première utilisation de l’oeil c’est un miroir. Notre premier miroir c’est notre oeil. C’est la première fois qu’on voit l’image. Donc, l’oeil est déjà un miroir. Et c’est un miroir particulier parce qu’il peut se voir dans le miroir. Donc, nous voyons notre miroir interne dans le miroir externe. Alors, il a un trait particulier, c’est que dans sa première fonction de miroir &Allez, voilà, je vous regarde- la particularité est que je m’élide de moi même. Je vous vois à condition de ne pas me voir. Donc, l’oeil, le fonctionnement de l’oeil, fabrique cette chose particulière que tout notre rapport visuel est conditionné par le fait que nous nous faisons disparaître de la scène. Et la question donc est quelles sont les traces de cette première fonction miroir cachée, disparue. On vient tout de suite à la voix, en relation.
C’est pareil, quand je parle, je ne m’entend pas. Exactement comme quand je vois, je vois quelque chose à condition de ne pas me voir. Donc, ce sont deux degrés qui reposent sur une neutralisation du corps.
Lacan considère ce lien particulier au regard avec la notion de fascination. Quand vous êtes fasciné par quelque chose, c’est précisement vous qui disparaissez. Vous disparaissez dans ce que vous regardez, carrément hypnotisé. Lacan dit, la fonction du regard c’est que toute subsistance subjective semble se taire. Et, donc, il définit le regard comme un point zéro. Il en fait d’ailleurs sa valeur libidinale. Parce que, d´un côté le regard annule la disjonction entre l’objet a et le manque dans l’Autre. Ça veut dire que quand je suis fasciné, quand je ne suis que regard, je neutralise mon propre manque, complètement remplie parce que je vois et je neutralise le manque de l’Autre aussi. Quand vous êtes fasciné ce n’est pas le moment où vous voyez le défaut chez l’Autre. Précisement, quand vous êtes fasciné c’est le moment où vous ne voyez aucun défaut chez l’Autre. Quand vous commencez a vous rendre compte que l’Autre, il a un petit bouton sur la joue, qu’il a le nez de travers, vous êtes beaucoup moins fascinés et c’est même le signe que vous commencer à ne plus l’être.
Le regard a cette caractéristique de neutraliser le manque, chez vous et chez l’Autre. C’est pourquoi c’est un objet particulièrement agalmatique. Et qui nous mène à la contemplation, à l’apaisement, qui nous libère de la castration. Donc, c’est ça l’objet regard: je ne peux pas voir pas ce que je perds et je ne vois pas ce que l’Autre perds non plus. Ce qui met en évidence d’une manière justement un peu angoissante, qui fait que le regard n’est pas un voile, (comme) ce qui cache et donc qui fait apparaître le regard comme objet. Cette fois, Lacan prend comme exemple la tâche.
La tâche concrétise ce que c’est l’objet regard. Elle le met à l’extérieur de vous. Il y a l’interprétation du regard en tant qu’il vous protège, vous êtes dans une espèce de communication fusionnelle avec le monde, dans la contemplation, mais l’objet a regard n’apparaît pas, l’objet regard comme extérieur à vous même ne vous n’apparaît pas. Il apparaît dans l’angoisse. Et l’exemple qu’il prends c’est donc la question de la tâche. Quand la tâche vous regarde et vous n’arrivez pas à interpréter ce que vous voyez, que cette chose que vous n’arrivez pas à réduire au sens, que ce sens soit un signifiant ou que ce sens soit une belle image, quand cet objet-là il résiste, alors c’est ça l’objet regard. C’est la part de vous mise à l’extérieur qui vous regarde; et qui devient réel, qui n’est pas imaginarisée, pas symbolisée. Je ne sais pas quel exemple prendre, exemple de tâche.
Ah, il y a le fameux exemple chez Lacan, un exemple très bizarre qui est une anecdote qu’il raconte de sa jeunesse c´est l’histoire de la boîte de sardines. Il est sur un bâteau quand il a dix-huit ans avec des pêcheurs bretons, des vrais travailleurs, et lui c’est un petit bourgeois bien astiqué qui est sur le bateau avec eux. Si vous voulez, inutile de dire qu’il ne fait pas partie du groupe. On se fiche un peu de lui; et à un moment donné un pêcheur lui dit, après que Lacan ait repéré sur l’eau un point qui brille, et il a dû demander au pêcheur “qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est?” Le pêcheur lui réponds: “c’est une boîte de sardines, tu la vois mais elle, elle te regarde pas”. Étonnement de Lacan! Ça l’a suffisament frappé pour que trente, quarante, cinquante ans après il en parle encore. D’abord, vous noterez que c’est pas tout à fait normal de trouver dans la mer une boîte de sardines. En géneral, c’est plutôt des sardines vivantes qu’on y trouve. Là il y a déjà quelque chose d’un objet bizarre qui apparaît là où il doit pas apparaître. Et, au fond, toute l´interprétation de cela indique que la tâche c’est Lacan lui-même.
Nous-mêmes nous avons toujours une expérience comme ça de grande gêne quand on s’apparaît, on se voit apparaître dans l’Autre comme une tâche. C’est l’objet regard qui nous apparaît là. Quelque chose nous regarde pas mais, nous nous voyons vu. Nous nous voyons vu comme une tâche. D’ailleurs, quand on dit en français que quelqu’un est une tâche, c’est pour caractériser quelqu’un qui n’est pas tout à fait à sa place. Donc, quelqu’un qui échappe au spectacle du monde. Alors, terminons avec la voix.
La voix, Lacan l’introduit par un rituel, un rituel juif, le rituel du shophar, qui est une corne de bélier dans laquelle on souffle en certaines occasions et qui produit un son inédit. Je vais un peu vite. Lacan s’appuie sur des travaux d’autres analystes pour faire sa démonstration. Il en viendra à la conclusion que c’est la voix de Dieu, détachée des phonèmes. Détachée. Détachée des phonèmes et que, donc, symbole, le shophar, présente la voix sous une forme exemplaire, séparée du signifiant, séparée de toute parole. Donc, c’est ça, c’est la voix séparée de l’utilisatin qu’en ont fait dans la parole. Il considère que c’est le beuglement du taureau mort et la clameur de la culpabilité. La voix sous sa forme séparable, c’est le shophar ou l’exemple que moi, je vous ai donné, qui est un peu moins solennel, c’est le “aaahhh”. C’est-à-dire, c’est la voix séparée de la parole, qui indique quelque chose du côté du vivant, perdu, perdu à partir du moment où on parle. C’est la voix, donc, détachée de tout support. Et c´est ce qui fait, pour terminer, que le regard et la voix, se situent chacun à un extrême des objets a.
Le regard vient au début parce que justement il annule la séparation de l’objet a parfaitement bien. Et c’est le point zéro de la distance entre mon manque et l’Autre. Tandis que la voix c’est, au contraire, le point d’infini, d’infinitude, qui accroît la distance entre mon manque et l’Autre et qui s’interprète par la culpabilité. Je voudrais vous donner deux exemples, un exemple de l’utilisation de la voix dans la clinique et un exemple de l’utilisation du regard et je m’arrêterai là-dessus.
Il s’agit d’une patiente qui est dans le domaine psy, elle est psychanalyste déjà, psychologue, et elle est très engagée dans le travail de la communauté analytique. Elle doit faire ce jour-là un exposé, un exposé sur le circuit de la demande. Et c’est un moment donné assez particulier de son analyse. En allant à cette conférence, elle met la radio et au cours d’une émission elle entend la voix de Lacan, elle reconnaît la voix de Lacan, juste un tout petit bout. Elle arrive pour faire son exposé et, à un certain moment, d’une façon inédite, elle entend sa propre voix. Elle s’entend parler pendant son exposé. Et là elle disparaît complètement. Elle pense plus à rien, elle continue à lire, elle se trompe dans schèma qu’elle a mis au tableau et elle n’arrive pas à répondre aux questions. A la fin de la conférence, il avait deux personnes qui parlaient, elle et une autre, la personne qui a organisé la conférence félicite l’autre personne et à elle ne lui dit rien. Elle est très mal! Elle ne peut pas dormir, commence à travailler, à travailler aux associations et il y en a deux qui sont centrales. Son grand-père paternel était chanteur d’opéra. Il avait fait la guerre, la Deuxième Guerre Mondiale, et il avait cassé sa voix à la guerre. Quand il est revenu d’être prisonnier, il ne pouvait plus chanter l’opéra, il avait la voix cassée. Mais, elle se souvient qu’aux repas de famille il esayait encore de chanter. Et elle se souvient aussi qu’avant de partir à la guerre, il avait enregistré des disques microsillons qui avaient une marque. Ils avaient la marque EMI, “La voix de son maître”, il y avait un chien qui écoutait un gramophone. L’autre association c’est son père, qu’elle caractérise comme quelqu’un qui joue sans cesse sur les mots, de manière un peu maniaque, mais qui fondamentalement ne dit rien et donc une voix vide. On voit très bien ce qui s’est passé pour elle, quand-même. Lacan à la radio, la voix de son maître et elle devient le chien qui écoute. Qu’est-ce que le chien entend pendant la conférence? Sa propre voix. Vraiment, l’objet perdu par excellence, inscrit dans la ligne de la castration parternel. La voix perdu du grand-père dont elle continue a écouter les disques et la voix absente de son père. Bon, ça a pour elle un effet considérable, puisque des inhibitions majeures qui la gênaient beaucoup, c’était d’avoir la plus grande difficulté à prendre la parole en public. Ce qui tombe, en partie, avec cette découverte: pour elle, parler c’est la voix de son maître.
Alors, du côté des yeux. Bon, c’est une patiente qui toute son enfance a été célébrée par ses parents, ses grand-parents, pour la beauté de ses yeux bleus. Elle était les yeux! Magnifique, c’est la première chose qui lui a dit l’homme avec qui elle s’est mariée. Bon, elle fait un rêve qui est un bouillon. En français quand il y a de la graisse dans le bouillon on dit qu’ ‘il y a des yeux dans le bouillon’. Donc, elle rêve qu’elle se prépare une tasse de bouillon et au lieu que ce soit au sens métaphorique c’est au sens propre. Son rêve, c’est vraiment des yeux. Elle se réveille. Vous comprennez que la question est (celle) de l’espace entre l’oeil et le regard. Et qu’il s’agit pour elle de donner toute sa place au regard, ce qui implique de perdre cette identification à l’oeil qui est là. Alors, dans le train, elle lit Lacan. Et elle voie une dame en face d’elle, vieille et qui se prépare à descendre au prochain arrêt. Et elle voit, que cette dame qui faisait un travail d’aiguille, a laissé tomber ces ciseaux sous son fauteuil. Elle lui dit: “Vous avez perdu vos ciseaux. Attention”. La dame est vieille et ne l’entend pas. Donc, elle se lève et là dans la gêne elle fait tomber tout le contenu de son sac, mais elle ramasse les ciseaux pour la dame et les lui donne. Et la dame la regarde, bien dans les yeux, et lui dit: “Vous avez l’oeil. Et vous lisez Lacan.” Ça la cloue sur place. La dame lui a fait une interprétation, une interprétation sauvage. Mais, elle témoigne que cette interprétation a imédiatement un effet. Du côté de l’avoir, elle se dit, “Mais oui, je l’ai. J’ai l’oeil.” Ce qui veut dire qu’elle n’en est pas un! Autrement dit, la fétichisation d’elle même comme oeil, bel oeil, qui l’empêchait de voir, elle le récupère comme avoir. Mais, avoir l’oeil ça suppose qu’on peut ne pas l´avoir. Que comme la dame on peut perdre ses ciseaux. Naturellement, ça ne lui a pas échappé, que c’étaient des ciseaux, des choses avec lesquelles on fait des trous.
Donc, je voudrais vous donner ces deux exemples-là pour vous montrer que même si c’est parfois extrêmement abstrait dans le texte de Lacan. En fait, dans la clinique c’est un repère fondamental. Grosso modo, ce que Lacan appelle l’objet a, les objets a, c’est nos modes de jouissance. Et ça s’appuie sur une perte.
RÉFÉRENCE
LACAN, J. Le Séminaire. Livre X. L’angoisse. Paris: Seuil, 2004.
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Aprovado em:
1A pesquisa, em sua integralidade, pode ser encontrada em Pinheiro (2003).
2Marie-Hélène Brousse é Professora de Paris VIII, AME, Membro da ECF, EOL e NLS.