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Winnicott e-prints

On-line version ISSN 1679-432X

Winnicott e-prints vol.6 no.1 São Paulo  2011

 

Artigos

 

Survivre, dit-elle

 

Survive, she says

 

Sobreviver, disse ela

 

 

Laura Dethiville

Société de Psychanalyse Freudienne, Paris (Society of Freudian Psycho-analysis)
e-mail: laura.dethiville@wanadoo.fr

 

 


Résumé

Le titre du livre de Marguerite Duras que j'utilise ici en le transformant est en fait Détruire, dit elle. Survivre…, détruire…, survivre à la destructivité que le patient doit pouvoir expérimenter dans un environnement professionnellement fiable, c'est-à-dire, comme le souligne Winnicott, "qui protège de l'imprévisible ", voilà la tâche de l'analyste. Rester vivant, être là et être fiable, c'est la tâche que Winnicott assigne à l'analyste ! Il s'agit d'aller à la rencontre des besoins, et ce sans utiliser le patient pour des fins érotiques ou narcissiques. The theme is reliability meeting dependence. Par contre, le patient doit pouvoir utiliser l'analyste, l'user jusqu'à la corde, et que celui-ci survive, c'est-à-dire demeure le même, puisque tout cela se joue sur une "autre scène ", selon la belle expression d'Octave Mannoni. Demeurer le même, survivre au sens winnicottien du terme, c'est ce qui est requis de nous. Toute autre position serait de l'ordre d'un "laisser tomber " qui rejouerait une catastrophe inaugurale. S'engager dans le "care cure ", c'est s'engager dans cette éthique, être celui qui ne "laissera pas tomber ".

Mot-clés: Winnicott, détruire, survivre, confiance, éthique


Abstract

The title of the book by Marguerite Duras that I'm adapting here is in fact Destroy, she says. Survive, destroy, surviving the destructivity that the patient must be able to experiment within a professionally reliable environment, which, as Winnicott states, "protects from the unforseeable, that is the task of the analyst ". Staying alive, being there, and being reliable, is the task Winnicott lays out for the analyst . It is about meeting the needs, and while avoiding using the patients to erotic or narcissistic aims. The theme is reliability meeting dependence. On the other hand, the patient should be able to use the analyst, to wear him down, and, for the analyst, to survive, in the sense of staying the same, as everything is playing out on "another stage ", to quote Octave Mannoni's beautiful phrase. Staying the same, surviving in the Winnicottian sense of the word, that is what is required from us. All other stance would be along the lines of a "let down", which would act out the original catastrophy. To engage in "care cure " is to embrace this ethic, to be the one who will "not let down".

Key-words: Winnicott, destruction, survival, reliability, ethics


Resumo

O título do livro de Marguerite Duras, que utilizo aqui, transformando-o, na realidade é Destruir, diz ela. Sobreviver..., destruir..., sobreviver à destruição que o paciente deve poder experimentar em um meio profissionalmente confiável, ou seja, como salienta Winnicott, "que protege do imprevisível", essa é a tarefa do analista. Ficar vivo, estar presente e ser confiável, é a tarefa que Winnicott designa ao analista! Trata-se de ir ao encontro das necessidades, e isso sem utilizar o paciente para fins eróticos ou narcísicos. The theme is reliability meeting dependence. Por outro lado, o paciente deve poder utilizar o analista, consumi-lo inteiramente, e que este sobreviva, ou seja, continue o mesmo, visto que tudo isso acontece num "outro palco", segundo a bela expressão de Octave Mannoni. Continuar o mesmo, sobreviver no sentido winnicottiano do termo, é o que nos é requisitado. Qualquer outra posição seria da ordem de um "abandono" que repetiria uma catástrofe inaugural. Engajar-se na "care cure", é engajar-se nessa ética, ser aquele que não "abandonará"

Palavras–chave: Winnicott, destruição, sobrevivência, confiança, ética.


 

 

Le thème "Ethics of care ", m'a tout d'abord déconcertée et ce d'autant plus que le terme de care est devenu en France assez controversé depuis que les politiques s'en sont emparés, ce qui a suscité bien des polémiques. Nous parlons, nous, Français, de la cure analytique et la notion de care, de soin, de prendre soin, a été carrément discréditée dans la mouvance d'une perspective lacanienne, qui privilégiait le travail sur le signifiant.

Winnicott raconte que c'est une de ses patientes qui avait inventé l'expression de care-taker self (dont il fit plus tard le faux self), le self qui prend soin. Le care taker self lui avait permis d'être adaptée socialement et, sinon de vivre, au moins de survivre. Il lui fallut d'ailleurs un certain temps pour déléguer ce soin d'elle-même à son analyste. Et encore, comme l'écrit Winnicott, "le faux self reprenait sa place chaque fois que l'analyste défaillait ou prenait des vacances " (Winnicott, 1966d[1964]/1969).

À la lecture de l'œuvre de Winnicott, on voit bien que le souci du soin l'a habité dès le début de sa pratique, ce qui paraît une évidence si l'on considère l'importance, dans sa théorie, du rôle de l'environnement.

Rappelons aussi que, malgré une "mécompréhension " très fréquente, pour Winnicott il ne s'agit nullement d'être la mère dans le transfert, mais d'occuper une fonction, cel le de l'environnement facilitant.

C'est en 1970, dans une causerie donnée devant un public de médecins et d'auxiliaires médicaux que Winnicott a le plus tenté de préciser de sa notion de care et il va créer l'expression care cure.

Il affirme tout d'abord que, dans la langue anglaise, initialement, cure signifiait care et que c'est vers 1700 que le terme a commencé à se modifier en désignant le traitement médical, the remedy. Un siècle plus tard s'y ajoutait la fin heureuse, la notion de guérison. Et l'on est passé du care, le soin qui englobait tous les aspects du rapport au malade, au cure, au sens de l'utilisation des remèdes. "C'est ce passage de care à remedy qui m'occupe ici", a-t-il écrit. (Winnicott, 1986f[1970]/1988, p. 124)

Je voudrais faire un aparté pour montrer comment, bien sûr, sa position découle aussi de l'idée qu'il se faisait de la santé et de la maladie psychosomatique pour laquelle son point de vue est un allié extrêmement précieux. Elle découle surtout de sa conception d'un être humain habitant son corps, d'un sujet somato-psychique.

Dans sa façon de voir, il n'y a pas un organisme qui réagit plus ou moins à des remèdes censés réparer telle ou telle fonction défaillante, mais un être somato-psychique, pour qui l'interrelation est donnée comme un préalable. La spécialisation de plus en plus grande de la médecine (à laquelle il faisait allusion dans son texte de 1970 déjà – que dirait-il aujourd'hui ?), sa technicité toujours accrue, traitant le malade comme un mécanisme qu'il faut réparer et dont il faut changer des pièces déficientes, s'inscrit, on le voit bien, dans le sens opposé de son idée de care.

Il ne s'agit pas, bien sûr, de ne pas se réjouir des extraordinaires progrès médicaux de ces dernières années, il s'agit bien plutôt de s'inquiéter de la tendance à ne tenir compte que des aspects purement organiques de la maladie, du dysfonctionnement somatique. Même si on entend souvent que le premier médicament est le médecin lui-même, ce principe devient de plus en plus difficile à mettre en œuvre dans une médecine où les impératifs économiques et de temps prennent de plus en plus le pas sur le désir de soigner au sens de care.

Ainsi assiste-t-on à un partage : au médecin les remèdes et la technicité, à l'environnement, quand cela est possible, le care, le prendre soin physiquement et psychiquement. Et quand cet entourage suffisamment bon ne peut être créé, alors malgré l'extrême sophistication des moyens actuels, la guérison peut ne pas être au rendez -vous. L'impact psychique déstructurant de l'irruption de la maladie est susceptible de délier les pulsions destructrices, de les désintriquer des pulsions de vie (je pense au nombre de malades qui refusent ou abandonnent des traitements chimio-thérapeutiques lourds et violemment attaquants).

En bien des cas, la maladie réveille des terreurs anciennes, des agonies primitives ; elle marque un retour à un vécu archaïque de grande dépendance et d'attaques persécutives violentes qui n'ont pas pu, à l'époque, être passées au filtre d'une préoccupation maternelle primaire efficiente.

C'est là qu'intervient le care, le take care, quand il est possible – qu'il s'agisse de celui d'une équipe soignante suffisamment à l'écoute ou de celui d'un autre à côté qui puisse être attaqué et survivre. Mais la dépendance à l'égard de l'objet va susciter inévitablement de la haine. La relation pourra-t-elle survivre?

Pour Winnicott, le care, c'est la rencontre "de la fiabilité avec la dépendance. " (Winnicott, 1986f[1970]/1988, p. 125) C'est d'ailleurs le titre qu'il pensait initialement donner à sa causerie, "Fiability meeting Dependancy".

À la fin de ce même texte, l'auteur précise que le care cure est une extension du concept de holding et que le praticien a énormément à apprendre de ceux qui sont spécialisés dans le care plutôt que dans les traitements destinés à éradiquer les agents pernicieux. Il indique également que le care cure est peut-être encore plus important que la "cure remède", que tous les diagnostics et les préventions qu'implique ce qu'on appelle habituellement l'approche médicale scientifique.

"Est-ce trop demander au clinicien que de faire du care cure?", demande Winnicott. (Winnicott, 1986f[1970]/1988, p. 132)

Cette idée, révolutionnaire quant à la position de l'analyste, met à mal la notion d'une analyse qui consisterait essentiellement à interpréter l'inconscient refoulé et à travailler les résistances dans le cadre de la névrose de transfert. Pour Winnicott, il s'agit tout d'abord de fournir le contenant adéquat dans lequel un tel travail pourra être possible. "Ce que l'on attend de nous, écrit-il, est qu'il soit possible de dépendre de nous". "En étant des personnes professionnellement fiables, nous protégeons nos patients de l'imprévisible. Nous acceptons leur haine et leur amour en étant touché par eux, mais sans les provoquer". (Winnicott, 1988, p. 128)

Il s'agit ainsi de permettre aux malades une régression à un état de dépendance massive, alors que, comme il l'écrivit sous plusieurs formes, il est très douloureux d'être dépendant alors même que l'on n'est plus un nourrisson. Mais cette dépendance se paye d'un certain prix qui porte le nom de gratitude, du moins celle qui est excessive, vue comme d'un acte propitiatoire : "il y a là, écrit-il, des forces latentes vengeresses et il vaut mieux les apaiser ". (Winnicott, 1986f[1970]/1988, p. 130)

C'est un point à garder en tête quand il est question de l'éthique du soin. Permettre au patient de dépendre sans danger, voilà ce que l'analyste doit offrir à ses patients. Mais cette reliability réside surtout dans sa capacité à survivre à la destructivité et, du coup, à pouvoir être utilisé.

Dans Détruire, dit-elle (Duras, 1969, p. 34), le roman de Marguerite Duras qui est plutôt un texte destiné à être mis en scène (théâtre cinéma), la phrase "Détruire, dit-elle " apparaît tout d'un coup au milieu de nulle part, prononcée par l'héroïne, Alissa, au milieu d'un échange avec les autres protagonistes. Cette phrase, qui arrive ainsi sans aucun rapport apparent avec ce qui est en train de se dire, sonne comme une alarme, une mise en garde, ou un constat par anticipation.

On comprend peu à peu qu'entre les quatre personnes dont nous faisons connaissance et qui sont réunies par hasard dans un hôtel dont on ne saura rien (un de ces lieux à la Marguerite Duras), pourraient naître, sont en train de naître, des sentiments qui ressembleraient à de l'amour.

Ainsi Alissa les met-elle en garde, se met elle-même en garde.

Rien n'aura lieu et, entre deux des personnages, l'amour sera remplacé par une sexualité sans parole, rencontre de deux corps sans que les sujets y soient.

Puis chacun repartira vers son histoire, rien ne se sera passé, rien n'aura pu se modifier.

Ce que Marguerite Duras décrit là pourrait être lu comme l'exact inverse de ce que nous pouvons souhaiter pour nos analysants : qu'ils puissent engager leur destructivité face à quelqu'un qui sera capable de survivre, et ce afin de pouvoir un jour accéder à l'amour. "Détruire", dit-elle – "survivre, dirions-nous.

Car, selon Winnicott, l'amour est hors d'atteinte si l'on n'a pas pu aller jusqu'au maximum de destructivité. Mais, pour cela, il faut, d'une part, que l'objet survive et, d'autre part, qu'il accepte le don.

C'est dans son article "La haine dans le contre-transfert" que Winnicott décrit le processus qui se déroule à l'intérieur de la relation analytique.

Il y précise très vite que, "si l'analyste montre de l'amour, il tuera sûrement le patient du même coup". (Winnicott, 1949f[1947]/1969, p. 74)

Cela suppose que, en effet, tout comme la mère doit être capable de reconnaître et de penser ses sentiments négatifs à l'égard de son enfant, l'analyste soit au clair avec les sentiments de haine que le comportement objectif du patient peut déclencher en lui. "Une tâche majeure de l'analyste de n'importe quel malade, écrit-il, c'est de rester objectif à l'égard de tout ce que le patient apporte, et le besoin de l'analyste de pouvoir haïr son malade objectivement en est un cas particulier". (Winnicott, 1949f[1947]1969, p. 74)

Il faut ainsi que l'analyste reconnaisse cette haine afin qu'elle soit, dans l'interrelation, à sa juste place et permette un travail de structuration plutôt que de déliaison mortifère.

"Il est nécessaire que l'analyste ne se dérobe pas, qu'il ne nie pas la haine qui est en lui". (Winnicott, 1949f[1947]1969, p. 74)

Sinon cette haine réapparaîtra par de multiples signaux ténus.

L'analyste mettra en place de manière inconsciente des formations réactionnelles qui enverront des messages faussés. Nous connaissons le plus fréquent, qui est une extrême froideur mise en place de neutralité. Ferenczi dénonçait déjà cette froideur comme une forme de sadisme qui réactive le trauma originaire.

Winnicott, quant à lui, rappelle que, dans l'analyse des patients névrosés, l'analyste n'a généralement pas de difficultés à manier sa propre haine. Cette haine reste latente ou est compensée par d'autres avantages de la situation. L'analyste est payé, il est en formation, il découvre des choses, il obtient des satisfactions immédiates par identification au patient, etc. Comme analyste, il a bien des façons d'exprimer de la haine. Par exemple, sa haine s'exprime par le fait que chaque séance a une fin.

To meet the needs, aller à la rencontre des besoins, c'est également cela. On a souvent donné de Winnicott l'image d'un psychanalyste maternant, attaché à réparer les faillites de l'environnement premier. C'est une image d'Epinal. On a oublié, sans doute à cause de la traduction de "good enough" mother, que la tâche de l'environnement premier (au-delà des bons soins et avec eux), consiste dans la capacité à recevoir sans être affecté (c'est-à-dire sans que la relation en soit modifiée) le mouvement spontané de l'enfant vers l'extérieur (ce que j'appelle "impulsion modifiante"), mouvement qui peut être interprété comme agressif. N'oublions pas qu'à ce moment-là l'enfant est ruthless, sans égard, sans merci au sens ancien, parce que l'autre n'est pas encore constitué comme tel.

Winnicott offrait à Margaret Little du thé et des petits gâteaux parfois en fin de séance – autres temps ! –, ou bien était capable d'intervenir dans le réel en la faisant hospitaliser quand il s'éloignait pour des vacances. Je pense que cela faisait partie de sa conception de la cure en tant que cure care. Il s'offrait comme remède et offrait le cadre analytique comme contenant. N'oublions pas non plus qu'il disait qu'il n'y a rien de mieux à souhaiter pour un analyste que de pouvoir être utilisé.

C'est parce que ce contenant était efficient qu'il a pu dire à Margaret Little (selon ce qu'elle raconte) : "Votre mère, je la hais ". (Little, 1992)

Que disait-il en disant cela ? Il ne disait pas : "Votre mère est haïssable", ce qui aurait été une intervention inconcevable dans le cadre d'une analyse. Il dit : "Votre mère, je la hais" – chaque mot est important. C'est-à-dire : moi, votre analyste, je prends sur moi cette haine qui circule entre vous et votre mère depuis l'enfance. Je la prends sur moi pour que vous puissiez, vous, en être déchargée.

En effet, Margaret Little agissait cette haine qui pesait sur elle dans des actes agressifs, dans un comportement autodestructeur - tous symptômes qu'on aurait pu rassembler aisément sous le qualificatif de "pulsion de mort". Car les patients cherchent à rejouer dans le transfert ce qu'ils ont vécu, sans pouvoir toujours lui donner sens. N'est-ce d'ailleurs pas ce qu'on appelle "réaction thérapeutique négative", qu'on met généralement trop facilement du côté de la répétition et de la pulsion de mort? Ne s'agit-il pas plutôt de l'impossibilité, pour l'analyste, de supporter sa propre haine du patient, haine que celui-ci recherche et essaie de déclencher ? Pareille impossibilité de l'analyste empêche le patient d'expérimenter enfin que l'on peut éprouver ce sentiment sans être disloqué par la violence pulsionnelle et que l 'autre sujet peut prendre en lui cette violence et ne pas en être détruit.

C'est le sens d'une phrase comme: "je ne vous laisserai pas tomber". Ce n'est pas seulement : "je serai là", ce qui, au fond, est relativement facile. Cela peut même durer des 10 années sans que rien ne se passe. C'est : "je serai là, vivant", c'est-à-dire sans altération de la relation, à la juste place.

Bien sûr, cette façon d'être fait associer sur un autre aspect possible de la destructivité : la séduction. Se laisser prendre par la séduction et passer à l'acte, sont autant d'autres manières de ne pas survivre. Et si on évoque la question de la "survivance" de l'analyste quand l'envie et la destructivité se déchaînent, on perd souvent de vue qu'il s'agit tout aussi bien de survivre au transfert dit positif, au transfert amoureux, au transfert idéalisant. C'est dans ces moments-là qu'il est essentiel de ne pas s'identifier aux objets du transfert. Il ne s'agit donc pas seulement de maintenir le cadre mais, au -delà du schéma formel qu'on peut transformer, pour se donner bonne conscience, en carcan rigide, de se maintenir dans une position analytique. Car la destructivité n'existe, rappelons-le, que dans la non-survivance, dans le non-maintien de l'objet.

Janvier 1960. Marylin Monroe commence un nouveau traitement avec Ralph Greenson, un nouvel analyste. C'est le troisième, si on excepte quelques séances avec Anna Freud à Londres durant le tournage du film Le Prince et la danseuse. Pour surmonter les troubles, les inhibitions et les angoisses qui la paralysent durant les tournages, elle a commencé sa première cure cinq ans auparavant à New York. Elle a eu comme analystes précédents Margaret Hohenberg et Marianne Kris. Cette fois encore, ce sont les difficultés qu'elle rencontre sur un plateau de tournage qui la conduisent chez un analyste. Elle ne parvient ni à retenir son texte ni à le dire. Il lui faut des heures pour se décider à paraître sur le plateau, quand, encore, elle paraît! Les tournages prennent du retard. Le studio qui l'a sous contrat est tout prêt de s'en débarrasser. Sa vie professionnelle est en grand danger, même si sa renommée est extraordinaire.

Sa vie personnelle et affective n'est guère plus brillante. Pour le monde entier, elle est le symbole de la séduction. Mais sa vie sexuelle ne lui procure aucun plaisir. Elle se laisse masochiquement utiliser et a une prédilection pour les relations destructrices (voir le rôle que joue Frank Sinatra, qui est un autre patient du même analyste). Elle abuse de l'alcool, des barbituriques et des amphétamines. C'est une naufragée de la vie. Elle se nomme elle-même "la désaxée d'Hollywood". (Schneider, 2006, p. 150)

La petite Norma Jean Backer, abandonnée à l'âge de quelques semaines par une mère psychotique très déprimée qui fut internée à de nombreuses reprises, passa son enfance entre orphelinats et familles d'accueil successives.

Il semble également qu'elle ait été abusée sexuellement par le mari d'une de ses nourrices. Elle ne sut jamais qui était son père, disparu de la vie de sa mère avant sa naissance. Elle eut des problèmes d'identité sa vie durant. "De quoi ai-je peur ? demandait-elle. Ne pas être effrayée, ce serait ne pas être du tout". (Schneider, 2006, p. 102) "Je me suis toujours sentie une non-personne et ma seule manière d'être quelqu'un a probablement été d'être quelqu'un d'autre. C'est pour cela que j'ai voulu jouer et être actrice". (Schneider, 2006, p. 97)

Dans le miroir, elle ne se reconnaît d'ailleurs pas, et, quand on lui demande pourquoi elle passe tant de temps à se regarder, elle répond : "je la regarde ". (Schneider, 2006, p. 312) Seul l'objectif de l'appareil photo ou celui de la caméra semblent lui donner une image d'elle qui lui permet de se rassembler. Moments ô combien fugitifs!

Greenson instaure d'emblée avec elle une relation particulière. Sa position thérapeutique consiste à être le père qui lui a fait défaut. Il est persuadé qu'il faut lui donner dans le réel ce qu'elle n'a pas eu étant enfant. Il la reçoit chez lui lors des grandes soirées mondaines qu'il donne et également dans sa vie familiale. Elle devient même l'amie de ses enfants et de sa femme. Il écrit à Marianne Kris : "J'étais son thérapeute, le bon père qui ne la décevrait pas1 ". Il la reçoit quasiment tous les jours à son cabinet ou chez lui. Elle peut également l'appeler longuement au téléphone. Quand il le faut, il se rend chez elle pour lui injecter des barbituriques ou des tranquillisants, car elle est totalement "accro" aux drogues. Il tente de renoncer à ces injections "trop phalliques", mais y revient à la demande de sa patiente. En parallèle, il est recruté comme conseiller technique par le studio qui l'a sous contrat afin de garantir sa "bonne conduite ", sa "docilité".

C'est l'époque d'or des relations entre Hollywood et la psychanalyse. Peu à peu la relation transférentielle devient une relation d'emprise mutuelle. Il exerce ou tente d'exercer un contrôle absolu sur sa vie et sur ses relations : ainsi il tente de l'éloigner de personnages dont il considère que, même si leur fréquentation la narcissise, ils sont en fait destructeurs pour elle (par exemple, Sinatra, Kennedy). Et elle, tout aussi bien, s'impose dans son environnement familial chaque fois qu'elle en ressent le besoin. Elle se vit (et le dit) comme un autre enfant de l'analyste et aurait voulu qu'à la fin de la cure il l'adopte. Il semble que la femme et les enfants de Greenson aient eu une vraie affection pour elle.

En mai 1962, Greenson projette de passer des vacances en Europe. Il l'annonce à sa patiente qui s'effondre. Avant de partir, il lui prescrit un antidépresseur et un sédatif, expliquant que "lui donner des pilules, c'était lui donner à avaler quelque chose de moi, quelque chose qu'elle prendrait à l'intérieur, afin qu'elle puisse surmonter le sentiment de vide terrible qui la déprimait et la rendait folle". (Schneider, 2006, p. 309)

Marylin Monroe, qui avait commencé un tournage pour lequel il s'était porté garant de sa présence, accumule les retards et les absences, puis fait un passage à l'acte. Greenson revient en urgence, rappelé par le studio pour remettre Marylin Monroe en état de tourner. Il la retrouve chez elle dans un état comateux, il la sauve, et décide de reprendre en main les choix artistiques pour le reste du tournage. Mais le studio annule son contrat. Greenson ressent son échec (à elle) comme un affront personnel. "J'ai tout lâché, dit-il, de mes objectifs et de mes intérêts, et elle, elle est ravie de s'être débarrassée du film qui l'ennuyait. Elle va très bien! Maintenant c'est moi qui suis déprimé et me sens seul et abandonné". (Schneider, 2006, p. 355)

En août 1962, on la retrouve morte. Un mystère plane sur la mort de Marylin : suicide, overdose accidentelle, assassinat?

Ralph Greenson a manifestement cru pouvoir réparer dans la réalité les dommages subis par sa patiente. Il pensait être le seul à pouvoir la sauver en lui offrant la chaleur et l'affection d'une famille heureuse. Il avait une technique qui reposait sur le traitement par l'amour de transfert auquel s'ajoutait l'intégration dans une vie de famille, intégration vue comme réparatrice.

Toutefois, un seul manque a vraiment focalisé l'attention de Greenson : l'absence de père, manque qu'il s'est efforcé de combler.

Dans le transfert, il veut donc incarner – ce sont ses propres mots – "une image paternelle positive qui ne la décevrait pas". (Schneider, 2006, p. 287)

Il ne remit jamais en cause cette option. En 1971, dans une interview, il déclara : "Plus que tout elle avait besoin de cette chaleur affectueuse que notre famille lui donnait. Quelque chose qu'elle n'avait jamais connu et ne pourrait plus connaître à cause de sa célébrité". (Schneider, 2006, p. 502)

Il illustra son enseignement à l'UCLA de nombreux exemples tirés de la cure de Marilyn Monroe, ne remettant jamais en cause le bien-fondé de ses choix techniques. Il n'a apparemment jamais compris que la réparation dans la réalité était un leurre. Dans un livre récent, André Green parle de l'analyse de Marylin Monroe avec Greenson en faisant l'hypothèse que celui-ci ne disposait pas des outils adéquats, en particulier ceux élaborés par Winnicott pour prendre en charge ce type de patiente (dont Greenson parlait en l'appelant "ma schizophrène préférée"). (Schneider, 2006, p. 355)

En particulier, il semble qu'il n'ait pas pu (ou su) estimer les ravages que peut causer le transfert haineux et destructeur quand il n'est ni repéré ni analysé. Apparemment, il n'a même jamais pu penser cette partie haineuse. Il avait le fantasme qu'il offrait à sa patiente le père qu'elle n'avait pas eu et ne pouvait voir qu'il s'agissait, pour elle, d'un transfert maternel archaïque qui rejouait une absence néantisante. "J'étais devenu la personne la plus importante de sa vie" (Schneider, 2006, p. 461), déclara-t-il, sans mettre en question l'aspect mortifère de cette dépendance.

En face, en exigeant de lui qu'il soit disponible jour et nuit, elle portait une dure atteinte à sa vie privée, par envie. Ce n'est qu'en 1978 qu'il fit allusion à ces patients "séducteurs insatiables (…) qui ont besoin 24 heures sur 24 de leur thérapeute. Ils sont aussi capables de vous planter là complètement… Vous êtes à leur service et vous pouvez être renvoyé à tout moment!" (Schneider, 2006, p. 486)

Comment ne pas faire le parallèle avec ce que dit Winnicott dans son article "La haine dans le contre-transfert", quand il énumère les raisons pour lesquelles la mère hait l'enfant bien avant que l'enfant ne puisse haïr la mère. Il parle de l'amour de l'enfant comme d'"un amour de garde-manger " (Winnicott, 1949f[1947]/1969, p. 80), dit qu'il traite sa mère comme "une servante sans gage", "comme une crotte", et qu'il la jette quand il n'a plus besoin d'elle.

Marylin, quant à elle, imaginait qu'il avait ce qu'elle-même n'avait jamais eu, ni réussi à construire : une vie de famille heureuse. Marylin Monroe, rappelons-le, n'avait jamais pu être mère, ce qui n'est pas pour nous étonner, compte tenu de son histoire.

Ainsi parce qu'elle n'a pas pu les analyser dans le transfert, elle retournait contre elle haine et destructivité.

Greenson ne semble pas non plus avoir eu conscience de sa propre haine dans le contre-transfert et, après avoir mis en place des contre-investissements majeurs en en "faisant trop ", il n'a pu trouver une respiration que dans la fuite en Europe. Avant de partir, il ne p rit pas le soin (care) d'élaborer quoi que ce soit de cette séparation. Bien au contraire, il crut combler le vide de son absence en lui procurant des pilules.

Prenons la peine de remarquer que, dans une situation semblable à plein d'égards, Winnicott avait pris soin de faire hospitaliser sa patiente, Margaret Little, avant son départ pour la France.

Du coup, cette séparation n'a pu que devenir pour Marylin Monroe une répétition des traumas premiers, et ce dans un moment où elle était entrée dans une phase de régression importante.

"Je suis le dernier homme qui a laissé tomber cette femme bizarre et malheureuse", finit par reconnaître Greenson2.

La partition qu'il avait voulu jouer, celle "d'un transfert en père majeur" (Schneider, 2006, p. 462), avait basculé insensiblement vers les détresses archaïques qui avaient fait ressortir l'importance de tous les liquides et autres productions qui entraient et sortaient de son corps (sang des règles, importance des lavements, etc.), tel un nourrisson qui se souille, et il n'avait alors pas été capable de "survivre" au sens de Winnicott.

On ne saurait dire qu'il est "responsable" de la mort de sa patiente, mais en tout cas, de ce que nous en savo

ns, elle allait à ce moment-là extrêmement mal.

Referências

Baffoy, M.C. Intervention aux Journées de la Société de Psychanalyse Freudienne. Inédit.         [ Links ]

Duras, M. (1969). Détruire, dit-elle. Paris: Editions de Minuit.         [ Links ]

Schneider, M. (2006). Marilyn, dernières séances. Paris: Grasset.         [ Links ]

Little, M. (1992). Des états limites. Paris: Editions des femmes.         [ Links ]

Winnicott, D. W. (1969). L'esprit dans ses rapports avec le psyché-soma. In D. W. Winnicott (1969/1958a), De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot. (Trabalho original publicado em 1954[1949]; respeitando-se a classificação Huljmand, temos 1966a[1949]         [ Links ])

Winnicott, D. W. (1969). La haine dans le contre-transfert. In D. W. Winnicott (1969/1958a), De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris: Payot. (Trabalho original publicado em 1949[1947]; respeitando-se a classificação Huljmand, temos 1949f[1947]         [ Links ])

Winnicott, D. W. (1988). Cure. In D. W. Winnicott (1988/1986b), Conversations ordinaires. Paris: Gallimard. (Trabalho original publicado em 1986[1970]; respeitando-se a classificação Huljmand, temos 1986f[1970]         [ Links ]).

 

 

1 Lettre à Marianne Kris in Schneider, 2006, p. 461.
2 Lettre à Anna Freud in Schneider, 2006, p. 487.