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Natureza humana
versión impresa ISSN 1517-2430
Nat. hum. vol.12 no.1 São Paulo 2010
ARTIGOS
Principes de sémantique freudienne
Principles of Freudian semantics
Mauricio José d'Escragnolle Cardoso
Mestre em Teoria Psicanalítica - Universidade Federal Do Rio De Janeiro Docteur en Sciences du Langage - Université Paris X/CAPES Chercheur attaché au laboratoire MoDyCo/Université Paris X Pós-doutorando Ges-Usp - Conselho Nacional De Desenvolvimento Científico e Tecnológico
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Resumé
À partir de l'analyse des rapports entre l'appareil psychique, le langage et la pulsion, l'article vise à explorer les principes de base d'une théorie sémantique freudienne. Nous chercherons à démontrer de quelle façon cette sémantique freudienne exclue toute interprétation réaliste en ce qui concerne le problème de la référence. C'est précisément à propos du problème de la désignation de la référence que cette conception sémantique démontre toute sa fécondité heuristique. Nous y trouverons finalement une manière de comprendre certains concepts lacaniens comme, surtout, celui de Réel. Un concept, selon notre perspective, qui doit éminemment être compris de manière sémantique.
Mots-Clé: Freud, Lacan, Sémantique, Pulsion, Jugement, Chose, Réel.
ABSTRACT
From the analysis of the relationship between notions of psychic apparatus, of language and drive, the article aims to explore the basic principles of freudian semantics theory. We seek to demonstrate how this freudian semantic excludes all realistic interpretation that deals with the reference problem. It is precisely about the reference's designation problem that this semantic conception demonstrates its heuristic fertility. Finally, we will find a way to understand some lacanian notions, specially the concept of Real. A concept, in our perspective, that should be eminently understood in a semantic way.
Key-words: Freud, Lacan, Semantics, Drive, Judgement, Thing, Real.
Resumo:
A partir da análise das relações existentes entre as noções de aparelho psíquico, de linguagem e de pulsão, o artigo visa a explorar os princípios de base de uma teoria semântica freudiana. Nós buscaremos demonstrar de que maneira a presença de uma semântica freudiana exclui toda interpretação realista acerca do problema da referência. É precisamente a propósito do problema da designação da referência que essa concepção semântica demonstrará toda a sua fecundidade heurística. Ela nos permitirá finalmente compreender certos conceitos lacanianos e, sobretudo, aquele de Real. Trata-se de um conceito, segundo a perspectiva que buscaremos explicitar, que deve ser compreendido de maneira eminentemente semântica.
Palavras-chave: Freud, Lacan, Semântica, Pulsão, Julgamento, Coisa, Real.
À partir de l'analyse des rapports entre les notions d'appareil psychique, de langage et de pulsion, l'article vise à explorer les principes de base d'une théorie sémantique freudienne. Nous chercherons à démontrer aussi de quelle façon cette sémantique freudienne exclue toute interprétation réaliste en ce qui concerne le problème de la référence. Il sera justement à propos du problème sémantique fondamental de la référence que cette conception démontrera toute sa fécondité heuristique. Nous y trouverons finalement une manière de comprendre certains concepts lacaniens comme, surtout, celui de Réel. Un concept, selon notre perspective, qui doit être compris de manière sémantique.
Notre travail commencera par les formulations freudiennes de l'Esquisse d'une psychologie scientifique, à propos de l'appareil neuronal, de la dynamique impliquée par le traitement de l'excitation et du jugement comme principe de constitution de la réalité. Le traitement de la question du jugement nous permettra situer l'équivalence entre l'extériorisation d'un obstacle interne à l'appareil et la constitution de la Chose comme présupposé sémantique. A partir des considérations sur l'au-delà duprincipe du plaisir, nous verrons comment la question du jugement s'articule avec le processus primaire, du double point de vue de la satisfaction pulsionnelle et de la fixation à l'objet.
Enfin, nous essayerons de montrer de quelle manière la théorie freudienne conçoit l'existence d'un paralogisme inhérent au langage que nous amène à subjectiver de manière réifiée une inconsistance inhérente à l'ordre symbolique sous la forme de la substance référée par le discours. Cette forme de lire Freud nous aidera à situer le concept lacanien de réel dans ses fondements freudiens, en cherchant à démontrer le rapport entre l'inconsistance sémantique et le phénomène de l'ontologie spontanée du langage.
1. Le jugement et la Chose: les formulations et concepts de base de l'analyse freudienne
Freud, dans son texte Esquisse d'une psychologie scientifique (1895/ 1956), introduit deux thèses qu'il considère comme fondamentales pour la compréhension du psychisme. Ces thèses resteront les principes théoriques de base jusqu'à la fin de son oeuvre, même si elles subiront des changements au fur et à mesure de l'évolution de la théorie psychanalytique.
La première thèse fondamentale de l'Esquisse est la soi-disant conception quantitative de l'appareil psychique. Plus précisément, l'appareil psychique aurait pour principe basique la fonction réflexe de recevoir et de décharger des quantités d'excitation dont l'accumulation générerait du déplaisir. Ainsi, Freud appelle "principe d'inertie" cette fonction primaire du psychisme de défense contre toute augmentation de l'excitation selon le modèle de l'arc réflexe. La deuxième thèse fondamentale de l'Esquisse est la théorie du neurone investi. La deuxième thèse met en rapport la conception quantitative de la stimulation de l'appareil avec la notion desystème de neurones. Freud définit ces neurones comme des éléments discrets, concrets et homogènes qui forment un système régulé par le principe du plaisir, dont la finalité est d'éviter toute augmentation de la tension.
Si par rapport à la source des excitations externes un comportement de fuite de la part de l'organisme semble possible, ce n'est pas le cas des excitations endogènes. La fuite de l'origine endogène des excitations étant impossible, il devient nécessaire d'agir autrement. C'est ce que Freud appelle l'action spécifique, c'est-à-dire l'action motrice capable de décharger l'excès d'excitation. De plus, Freud appelle Désir l'état d'urgence apparut en fonction de l'augmentation de la tension psychique, et la cessation de cet état, conséquence de l'action spécifique, une expérience de satisfaction.
L'appareil psychique est aussi un appareil de mémoire. Il enregistre l'état d'urgence du désir, l'action spécifique employée comme réponse au déplaisir, et l'expérience de satisfaction pour elle produite. Autrement dit, l'appareil psychique enregistre les neurones impliqués dans l'expérience de satisfaction sous la forme de traits mnémoniques qui sont prêts à être réinvestis dès que l'état d'urgence se manifestera. Cette forme basique de facilitation (Bahnung) de la conduction de l'excitation entre neurones vers le registre mnémonique établit des chemins associatifs qui forment la mémoire et qui, en principe, prédisposent le psychisme à chercher la satisfaction hallucinatoire. Cet essai d'obtenir la satisfaction par la répétition de l'investissement aux représentations impliquées dans une expérience passée de satisfaction, ne peut pas réussir à réduire l'état d'urgence et doit être alors abandonné. Il devient alors nécessaire au psychisme d'être capable de faire la distinction entre une représentation mnémonique et une perception actuelle de l'objet visé par l'action spécifique.
Mais, quel est le critère qui rend possible la distinction entre perception et représentation? Le texte de l'Esquisse suggère l'existence d'un signe (ou épreuve de réalité) qui sert justement d'indice de la présenceeffective de l'objet. Mais le souvenir de l'objet de la satisfaction et la perception actuelle de l'objet peuvent ne pas coïncider entièrement. Dans ce cas, cette épreuve de réalité prendra la forme d'un jugement d'existence.
Voyons l'analyse freudienne: "Supposons que l'investissement par le désir soit, d'une façon générale, lié à un neurone a + un neurone b tandis que l'investissement perceptif est attaché à un neurone a + un neurone c" (Freud, 1895/1956, p. 346). L'appareil psychique cherche alors l'identité entre les deux complexes perceptifs (dans la mesure oùi le complexe mnémonique, cible primaire de l'investissement par le désir, forme aussi une perception, d'oùi sa capacité à constituer une hallucination). Ainsi, le psychisme procède en décomposant les deux complexes dans ses parties constantes et variables.
En comparant le complexe W à d'autres complexes W, nous sommes capables de le diviser en deux fractions: un neurone a qui demeure généralement semblable à lui-même et un autre neurone b, qui, la plus part du temps, est variable. C'est à ce processus d'analyse que le langage va plus tard donner le nom de "jugement". Il découvrira aussi la ressemblance existant entre le noyau du Moi et l'élément constant du complexe perceptuel d'un part et, d'autre part, entre les investissements changeants dans le pallium et l'élément inconstant du complexe perceptif; le langage décrit le neurone a comme une "chose" et le neurone b comme l'activité ou la propriété de cette chose; bref comme son "attribut". Le jugement consiste donc un processus ø qui seule une inhibition venue du moi rend possible. Il est provoqué par une différence entre l'investissement du souvenir empreint de désir et un investissement perceptuel qui lui ressemble. (Freud, 1895/1956, p. 346)
Le processus responsable de "l'épreuve de réalité" implique cette inhibition [de la décharge] exercée par le Moi sous la forme de l'activité de la pensée, le jugement. Autrement dit, du point de vue des processus secondaires, le jugement est l'activité de la pensée corrélative au retardement de la décharge de la part du Moi dont la finalité est de déterminer le degré d'identité entre un complexe mnémonique et une perception.
Pourtant, le jugement ne peut pas être réduit uniquement à une fonction moïïque. En fait, Freud propose l'existence de deux types de jugement: un jugement primaire et un jugement secondaire. Le processus secondaire ou jugement secondaire est, selon Freud, un moyen de (re)connaissance d'un objet qui peut avoir une utilité pratique. Le jugement responsable de l'épreuve de réalité est alors le jugement secondaire, qui constitue un jugement d'existence dont la fonction est de garantir la satisfaction d'un état d'urgence par la reconnaissance de l'objet. Le jugement primaire, pour sa part, présuppose, selon Freud, une certaine indépendance de la pensée à l'égard du Moi. La psychanalyse redéfinit ainsi la notion de jugement dans la mesure oùil est déjà situé dans le registre du processus primaire, le seul processus psychique possédant une telle indépendance. Du point de vue du processus primaire, l'activité du jugement est définie par l'établissement d'associations sans aucun souci en rapport à la réalité. Comme dit Freud, ces formulations psychanalytiques sur le fonctionnement de l'esprit "nos présentent le processus primaire actant dans le jugement". Le jugement primaire est ainsi la production d'associations entre les investissements provenant de l'intérieur du corps et ceux de l'extérieur, sans pourtant avoir l'intention de déterminer un existant objectif.
Remarquons qu'entre le jugement primaire et le jugement secondaire d'existence, il n'y a pas seulement un changement du type d'action - c'est le Moi lui-même qui a changé. Dans le cas du jugement primaire, il s'agit d'un Moi-Plaisir, un moi encore primitif, caractérisé surtout par le narcissisme primaire autoérotique; dans le cas du jugement secondaire, il s'agit d'un Moi-Réalité, déjà pleinement formé, qu'exerce la fonction de médiation entre les exigences de la pulsion, la conservation et le principe du plaisir, et l'indifférence de la réalité.
Trente ans plus tard et après la découverte de l'au-delà du principe du plaisir, la théorie du jugement a subi une nouvelle évaluation. Dans son article La Négation (1925/1998), les thèses freudiennes concernantles deux types de jugement ont reçu une version plus élaborée. Le jugement primaire, c'est-à-dire propre aux processus primaires, est appelé maintenant par Freud "jugement d'attribution". Le jugement d'existence, quant à lui responsable de l'épreuve de réalité, est le jugement propre au processus secondaire.
Le jugement d'attribution, plus indépendant par rapport au Moi que le jugement secondaire, concernait auparavant seulement le jeu des investissements du système d'impressions selon le fonctionnement du processus primaire. Il faut désormais concevoir ce jugement primaire d'attribution comme un moment logique antérieur et préparatoire au jugement d'existence, de même que le processus secondaire est un redoublement du processus primaire. Il devient caractérisé par l'action, selon Freud, d'attribuer ou nier à une chose une qualité (Freud, 1925/ 1998, p. 136). Or, cet acte d'attribution, effectué par le Moi-Plaisir (Lust- Ich), reçoit désormais une fonction plus primordiale dans la constitution de la réalité que celle considérée au moment de l'Esquisse. Il ne s'agit plus seulement ni d'une autonomie des associations selon les principes du processus primaire ni d'une réduction du jugement à la perception des qualités. Le rôle du jugement d'attribution est désormais celui de permettre, selon Freud, la constitution même d'une première inscription de l'extériorité. Même plus, le jugement d'attribution répond de la constitution du dehors et qui ensuite formera la réalité traitée par le jugement d'existence.
La propriété dont il doit être décidé pourrait être originellement avoir été bonne ou mauvaise, utile ou nuisible. Exprimé dans le langage des motions pulsionnelles le plus anciennes, les pulsions orales: cela je veux le manger ou bien je le veux le cracher, et en poussant plus avant le transfert [de sens]: cela je veux l'introduire en moi, et cela je l'exclure hors de moi. Donc, ça doit être en moi ou bien en dehors de moi. Le moi-plaisir originel, comme je l'ai exposé ailleurs, veut s'introjecter tout le bon et jeter hors de lui tout le mauvais. Le mauvais, l'étranger au moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui d'abord identique. (Freud, 1925/ 1998, p. 137)
Au nom du principe de plaisir, ce Moi primitif réalise un acte d'expulsion de ce qui est perçu comme mauvais et opère ainsi l'ouverture même du psychisme au dehors. Selon notre interprétation, cet acte d'expulsion de l'étranger au moi réalise en fait un acte d'extériorisation d'un obstacle immanente à la structure symbolique de l'appareil lui-même. Nous considérons que cet obstacle inhérent au psychisme, prototype de ce qui est "mauvais", est l'excitation pulsionnelle endogène elle-même qui forme un dehors déjà à l'intérieur du propre psychisme. Cette extériorisation est celle alors du dehors lui-même.
Pour comprendre cela, il faut reconnaitre qu'une excitation est une pure affectation et, en tant que telle, elle n'est pas de nature différente d'un acte psychique, dans la mesure oùi les deux échappent à la représentabilité. De cette manière, il est licite de considérer que ce qui est expulsé, extériorisé par le jugement d'attribution, est justement la Chose, cette "partie constante et incomprise" qui forme "une portion inassimilable" du complexe perceptif. Comme nous avons déjà remarqué, cette Chose est posée par Freud comme un corrélat, d'une part, du noyau du Moi lui-même et, d'autre part, de ce qui dans le semblable échappe à la détermination (c'est-à-dire, à la représentabilité). Nous pouvons dire alors que ce qui échappe ainsi à la représentation, c'est le fait même de l'affectation opérante au coeur du sujet, du semblable et de la réalité. C'est pour cela que nous avons suggéré que le dehors est, à l'origine, à l'intérieur même de la structure du psychisme, sous la forme de l'excitation ellemême. L'excitation et le défaut (ou limite) de la représentation sont ainsi formellement équivalents.
2. Extériorisation, réification et croyance: la Chose comme fondement et présupposée sémantique
Soulignons le fait que le neurone a, support des attributs, ne peut ni être objet de la perception ni vraiment compris. Comme signaleFreud, "les complexes de perception se divisent en une fraction constante incomprise, l'objet, et une autre fraction changeante compréhensible - les attributs ou les mouvements de cet objet" (Freud, 1895/1956, p. 392).
Mettons aussi en exergue l'importance fondamentale de cette formulation freudienne pour toute considération sémantique sur la fonction référentielle de cet objet. Ce que Freud appelle le neurone a possède trois caractéristiques fondamentales: a) premièrement, il constitue une partie constante et immuable du complexe représentationnel ; b) deuxièmement, cette partie, malgré le fait d'appartenir à cet complexe de représentations, ne peut pas être représentée ; et c) troisièmement, c'est partie constante et incompréhensible d'un complexe quelconque de représentations est définie comme étant l'objet, le substrat des attributs.
En d'autres termes, dans tout complexe associatif, il existe toujours un composant, fondamental pour le jeu des représentations, mais qui reste lui-même irreprésentable. Ce qui est ainsi visée par l'action spécifique et donc par l'investissement de désir, dans la motion pulsionnelle, est, à chaque fois, ce même objet identique, mais néanmoins incompréhensible. C'est cette mêmeté qu'à chaque fois insiste comme le référent fondamental de la pulsion.
Nous pouvons alors faire encore un pas supplémentaire. Nous considérons que cette partie constante du complexe perceptif doit être entendue comme étant de l'ordre d'un X uniquement symbolique: elle constitue un excédent uniquement formel nécessaire pour la transformation des sensations dans l'identité d'un objet. Cet objet n'est pas à être interprété comme une substance empirique, mais, au contraire, comme la limitation intrinsèque et immanente au propre domaine de la représentation.
Encore plus, ce X est, du côté de la réalité, le corrélat direct, extériorisé, de l'activité symbolique synthétique du propre psychisme. Ce n'est donc pas par hasard que Freud le pose comme corrélat du Moi,car il est, en effet, vide du point de vue de la substance (rappelons-nous la métaphore de l'oignon si chère à Freud). L'activité psychique constitue une pure activité synthétique, entièrement assisse sur l'indétermination de ce fondement des attributs dont nous a parlé Freud (dans la mesure oùi ceux-ci sont les seuls éléments qui peuvent être compris ou perçus1). Ainsi, de même que les sensations-attributs deviennent l'indice d'une existence objective en fonction de l'activité psychique, "les représentations acquièrent un statut 'objectif' via la synthèse transcendantale qui les transforme en objets de l'expérience" (Zizek 1999, p. 156). Le fondement de l'existence objective n'est pas alors à chercher uniquement dans les perceptions concrètes (c'est-à-dire, dans un fondement empirique), mais surtout dans une fonction symbolique inhérente à l'activité psychique en fonction de sa détermination par le langage. Comme le dit Zizek à propos du le statut de l'objet transcendantal dans la section De la synthèse de la récognition dans le concept de la Critique de la Raison Pure (Kant, 1987, p. 645):
[...] Pour obtenir sa notion, il faut extraire de l'objet sensible tout son contenu sensible, toutes les sensations par lesquelles la Ding affect le sujet. Le X qui reste alors est le pur effet-corrélat objectif de l'activité synthétique spontanée autonome du sujet. Pour l'exprimer sous forme de paradoxe: l'objet transcendantal est "l'ensoi" dans la mesure oùi il est pour le sujet, posé par lui - il est le pur "posé" d'un X indéterminé. Ce "geste synthétique vide" - qui n'ajoute rien de positif à la chose, aucun trait sensible et cependant, dans sa capacité même de geste vide, la constitue, en fait un objet - est l'acte de symbolisation sous sa forme la plus élémentaire, à son niveau zéro. Ce X, cet excédent irreprésentable qui vient s'ajouter aux traits sensibles est précisément la "chose-de-pensée" (gedankending): il témoigne du fait que l'unité de l'objet ne réside pas en lui mais dans le résultat de l'activité synthétique du sujet (Zizek 1999, pp. 154-155).
L'important est de remarquer que, appliquée à notre cas d'une possible sémantique freudienne, cette partie constante d'un complexe perceptif - corrélative au noyau du Moi et base de l'activité de la pensée - ne peut pas être objet de la perception, dans la mesure oùi "ce que nous qualifions d'objets est fait de reliquats échappant au jugement" (Freud, 1895/1956, p. 351). Il est effectivement homologue à ce qui Kant luimême appelle "l'objet non empirique, c'est-à-dire transcendantal = X" et "qui en réalité dans toutes nos connaissances est toujours identiquement = X" (Kant, 1987, p. 649).
N'étant pas représenté, ce résidu est pourtant extériorisé et substantialisé. Plus précisément, l'activité synthétique du sujet extériorise ce composant symbolique irreprésentable sous la forme réifiée de la présupposition de la Chose. Ici, il y a une identité entre l'acte de jugement et la chose extériorisée, car ils ne peuvent pas être l'objet de la perception sans l'intermède d'un nouvel acte que les poseraient comme objet et, ainsi, continuellement: l'acte en tant que tel échappe toujours à la représentabilité.2 Ainsi, si du côté de l'objet il y a un X qui reste sans représentation parce qu'il est ce qui dans l'objet appartient à l'acte symbolique constituant et à la faille symbolique immanente au registre de la représentation; du côté du sujet, il reste le vide du manque de l'objet comme moteur de son acte.
Nous voyons ainsi établit par Freud lui-même cette identité entre la partie constante et incomprise du complexe de représentations (l'objet du complexe), le noyau vide du Moi (c'est-à-dire, le concept même de sujet de l'inconscient), et la source symbolique des pulsions, c'est-à-dire cette exigence continue de travail psychique.
Nous avons vu avec Freud que la finalité de tous les processus cognitifs est "l'instauration d'un état d'identité" (Freud, 1895/1956, p. 349) entre un complexe perceptif et un complexe mnémonique. Ce jugement secondaire d'existence, qui sert de fondement à l'épreuve de réalité, est le mécanisme métapsychologique dont la manifestation nous est connue sous la forme de la croyance3.
Rappelons-nous que l'état d'identité concerne la partie variable des complexes, c'est à dire le "complexe attributif " ou "complexe prédicatif ". Néanmoins, la croyance dépasse la seule identité attributive des qualités d'objet et doit concerner fondamentalement la Chose comme substrat excitatif. La Chose est l'objet de la croyance dans la mesure oùi elle doit être toujours présupposée dans tout rapport avec la réalité (ou dans le rapport à l'autrui). Ainsi, la croyance est l'effet subjectif tant de cette activité du Moi que du vide de la représentation, et inséparable de la présupposition de la Chose comme substance-fondement.
Nous nous trouvons ainsi devant une sorte de théorie freudienne de la réification, capable alors d'expliciter le mécanisme de traduction/ extériorisation d'une limite symbolique de la représentation dans une présupposition d'une substance externe à l'appareil psychique.
Nous voyons que cette espèce de théorie freudienne de la réification est assisse sur tout ce qui caractérise la dimension économique libidinale de l'expérience psychique. Le sens ultime de cette construction théorique ne se manifestera qu'à partir de la révision de la théorie des pulsions, mais nous pouvons déjà le voir qu'elle constitue le coeur même de la sémantique freudienne, car elle s'oppose à toute forme de réalisme sémantique.
3. La question de la fixation dans la détermination de l'objet audelà du principe du plaisir
Jusqu'à la publication d'Au-delà du principe du plaisir (1920/ 2002), nous avions les trois définitions qui formaient la conception canonique de la pulsion tel que présentées par l'article Pulsion et destins des pulsions (1915b/1968). Cette conception canonique de la pulsion donnait le fondement explicatif de ce que l'Esquisse appelait le principe d'inertie: la tendance de l'appareil psychique à suivre le principe du plaisir et à éviter toute augmentation de l'excitation psychique au même temps qu'il cherche toujours la satisfaction provenant de la décharge. A partir des années 20, cette définition canonique sera pourtant réinterprétée à partir de la postulation de la nouvelle dimension du fonctionnement de l'apparat psychique au-delà du principe du plaisir.
La notion d'inertie psychique obtient ainsi une nouvelle signification. Au lieu d'être équivalente au principe du plaisir, c'est-àdire à la tendance à la décharge de la tension psychique selon le modèle de l'arc réflexe, elle est désormais définie en fonction d'un type de satisfaction paradoxalement liée à la source d'excitation. Selon Freud, "cette 'inertie psychique' spécialisée n'est qu'une autre expression, à peine meilleur, pour ce qu'en psychanalyse nous sommes habitués à appeler une fixation" (Freud, 1915/1992, p. 218). Cette incidence de la source pulsionnelle dans le fonctionnement psychique se trouve aussi à la racine de la notion de compulsion à répétition, entendue comme l'insistance d'une satisfaction au-delà des exigences de la réalité et du Moi. La fixation pulsionnelle dans l'objet et la compulsion à la répétition se retrouvent donc intimement associées.
La définition canonique de la pulsion, de 1915, doit alors être réinterprétée par le nouveau principe de 1920: la pulsion est maintenant définie comme le représentant psychique d'un effort de reproduction ou de conservation d'un état antérieur que le sujet a été obligé d'abandonner.
La pulsion devient synonyme de fixation à l'objet prégénital, qui exerce la fonction de zone érogène, modèle empirique de la source de la pulsion. De plus, Freud remarque que le prototype de la fixation est aussi celle relative au trauma, c'est-à-dire que la fixation à cette source d'excitation qui n'est pas acceptée par le Moi. De cette façon, Freud établit une homologie structurale entre ces trois formulations conceptuelles: l'insistance de la mêmeté, la fixation à l'objet et le trauma. Autrement dit, l'inertie de la mêmeté, l'objet pulsionnel et le trauma ont la même matrice, cette limite de la représentation au coeur du représentable.
De cette façon, et selon notre interprétation sémantique, ce nouveau concept d'inertie psychique va justement privilégier cette forme de fixation libidinale dans la propre extériorisation réifié de la limite de la figurabilité/représentabilité. Plus que jamais, Freud signale que la fixation est inséparable d'une extériorisation de tout ce qui a été jugé mauvais sous la forme du dehors et de l'étranger. Cette expulsion est celle présentée, comme nous l'avons déjà dit, dans le texte sur la négation (Freud, 1925/ 1998), sous la forme du jugement d'attribution. En dernière instance, ce jugement est alors l'opération selon laquelle Freud explique comment le psychisme s'est retrouvé fixé à la chose, à cette partie des complexes, rappelons-nous, que forme un résidu inerte, constant et incompris. Ce jugement primaire d'attribution est alors le nom freudien de cette fonction sémantique fondamentale de constitution du référent et que peut ainsi être définie comme fixation de la mêmeté de la faille symbolique comme objet. Cette faille objectale est plusque jamais, et en dernière instance, das Ding, la Chose pulsionnelle elle-même, la source de l'augmentation de l'excitation et donc un type d'objet que contredit le principe du plaisir. La Chose est ainsi une pure fonction sémantique, car elle constitue la référence symbolique de toute l'activité psychique, en désignant donc simplement la substantialisation/réification d'une limite langagière immanente auquel l'activité de la pensée reste fixée.
Mais, Freud ne reste pas là. Il considère que la raison de la fixation est le "gain de plaisir" (Lustgewinn), un plus-de-plaisir antinomique au principe du plaisir (Lustprinzip). Si le principe de plaisir est à la base un principe de modération, l'au-delà du principe du plaisir ne peut être alors qu'un au-delà de la mesure que le plaisir exige. Nous devons cependant nous garder d'entendre cet au-delà de la mesure comme une simple question de quantité de satisfaction, car le >Lustgewinn n'est pas un vouloirplus, mais un court-circuit entre le trajet et le but d'une motion pulsionnelle.
Cette expression conceptuelle désigne, chez Freud, toute forme de satisfaction substitutive oùi il existe un type de court-circuit entre la satisfaction visée par l'action spécifique et le fondement primaire que conditionne le circuit des facilitations (Bahnung). Dans ce court-circuit l'action spécifique est remplacée par la source d'excitation elle-même et, au lieu de permettre la réduction de la tension à l'intérieur de l'appareil, passe à impliquer un renouvellement continu de l'exigence de travail psychique. Remarquons d'ailleurs dans quelle mesure le modèle de l'arc réflexe doit être désormais relativisé comme principe explicatif de la théorie des pulsions, une fois postulé l'au-delà du principe du plaisir.
Nous voudrions cependant remarquer que la postulation de l'audelà du principe du plaisir n'implique point une rupture totale des formulations freudienne jusqu'alors développées dans la première topique, car cette forme de satisfaction paradoxale avait été déjà thématisé par Freud auparavant, par exemple, dans ses Trois essais de 1905.
Ce gain de plaisir (de l'au-delà du principe du plaisir) est donc la version tardive de ce que Freud appelait jadis, au temps des Trois essais (1905/1987), le danger du plaisir préliminaire, c'est-à-dire de la satisfaction paradoxale dans l'excitation même.4 Ce que change alors est la distribution des concepts et donc de celui qui passe à occuper la place de principe debase du fonctionnement psychique. Ainsi, la fixation pulsionnelle et le Lustgewinn, jadis considérés comme des accidents pathogènes dans l'histoire libidinale du sujet, passent désormais à être considérés comme fonctions psychiques essentielles. Autrement dit, de la logique reflexe, de l'arc reflexe, Freud passe à ce que nous pourrions appeler une logique réflexive, oùi les paradoxes ne sont pas des accidents mais la règle elle-même du fonctionnement mental. La réflexivité logique dont nous parlons concerne cette forme paradoxale de concevoir ce court-circuit pulsionnelle, car la notion de fixation implique considérer que la source de la pulsion et l'objet pulsionnelle se trouvent indifférenciés. Ou, autrement dit, le chemin associatif vers l'objet devient l'objet pulsionnel lui-même et, de cette façon, le circuit pulsionnel, au lieu d'être un arc reflexe avec un début et une fin, devient bouclé en cercle, infinitisé. Il est cette structure conceptuelle, laquelle associe une forme logique réflexive au circuit pulsionnel de la satisfaction, que sera mise par Lacan au centre de la question du signifiant et donc du problème du sens et de la signification.
4. Morphologie du signifiant et sémantique pulsionnelle
Il ne nous reste donc que vérifier la pertinence de notre enquête préliminaire sur les fondements métapsychologiques d'une sémantique freudienne dans la propre caractérisation des constituants symboliques de l'inconscient. Autrement dit, nous allons voir de quelle manière notre lecture de l'économie pulsionnelle conditionne les propres éléments matériels de l'inconscient, c'est-à-dire, dans des termes lacaniens, les signifiants. Nous allons pour cela faire l'usage justement des quelques considérations faites par le psychanalyste français qui peuvent être utiles à notre démonstration.
Rappelons simplement d'abord que le signifiant n'est pas équivalent à la face signifiante d'un signe linguistique. La définition lacanienne, plus souple, comprend alors "depuis le couple d'oppositionphonématique jusqu'aux locutions composées" (Lacan, 1955/1966, p. 414), et même davantage. En effet, comme le remarque C. Soler:
Peut être dit signifiant, en effet, tout élément discret, isolable et combinable à d'autres éléments également discrets et isolables, susceptible de prendre sens. [â¦], ça peut être aussi bien une image, voire un geste. Une gifle, par exemple, Lacan l'évoque, peut être un signifiant dès lors qu'elle entre dans une structure combinatoire de représentations, un élément dit somatique également. (Soler, 2004, p. 53)
Ainsi, moins que la langue proprement dite, ce qui importe pour la définition du signifiant, c'est la définition d'un "système synchronique des couplages différentiels" (Lacan, 1957/1966, p. 501) dont la nature de l'élément demeure indifférente. Autrement dit, pour pouvoir définir l'essence des unités signifiantes, il suffit de postuler qu'elles sont soumises "à la double condition de se réduire à des éléments différentiels derniers et de les composer selon les lois d'un ordre fermé" (Lacan, 1957/1966, p. 501).
Mais, une structure ainsi définie doit aussi exclure toute théorie nominaliste ou représentationaliste du langage et donc toute référence à des objets extralinguistiques primitifs,5 car une représentation n'est pas quelque chose de l'ordre de l' "indice naturel" (Lacan, 1957/1966, p. 418). Comme le souligne Lacan, "le système du langage, à quelque point que vous le saisissiez, n'aboutit jamais à un index directement dirigé sur un point de la réalité, c'est toute la réalité qui est recouverte par l'ensemble du réseau du langage" (Lacan, 1955-1956, p. 61). Cettesubsumption totale de la réalité par le langage implique "l'absolue nonéquivalence du discours avec aucune indication. Si réduit que vous supposiez l'élément dernier du discours. Jamais vous n'y pourrez vous y substituer, ni substituer simplement l'index" (Lacan, 1955-1956, p. 61).
Mais pour comprendre la spécificité de la morphologie de l'élément signifiant dans la psychanalyse, il vaut mieux de reprendre, avec l'aide de Lacan, la référence à l'oeuvre freudienne. Comme nous avons privilégié la question du jugement perceptif dans la mise en relief des aspects sémantiques de la théorie freudienne, nous pouvons commencer l'analyse morphologique des représentations signifiantes avec ceux qui caractérisent la forme même de la perception: les Wahrnehmungszeichen.
Les signes de perception (Wahrnehmungszeichen), dont Freud nous parle dans la Lettre 52 (1896b/1969), ensemble synchronique des traits, sont au même temps de l'ordre des traits mnésiques, car ils sont déjà des traits appartenant à la mémoire. C'est à partir de la retranscription des traits mnésiques (découlant de la perception) dans le système préconscient/ conscient sous la forme de représentations-mot que l'activité consciente déviant possible. La retranscription est ici indissociable, nous affirme Freud, d'une traduction des éléments d'un système appartenant à un régime symbolique vers un autre système régi par une organisation logique différente. Ces strates correspondent à maintes et différentes formes de traits et d'organisation logique de ces traits et la première couche de traits mnésiques est justement celle en provenance de la perception dans son ensemble synchronique. Pour Lacan, cette couche renvoie déjà à sa définition du système signifiant.
L'étape "warhnehmung" qui est la véritable étape primaire purement hypothétique, elle est là pour marquer qu'il faut supposer quelque chose de simple à l'origine de ce dont il s'agit, c'est-à-dire de cette conception de la mémoire comme étant essentiellement faite d'une pluralité de registres. C'est donc la première registration des perceptions tout à fait inaccessibles à la conscience elle aussi, et qui est ordonnée par des associations de simultanéité. (Lacan, 1959- 1960, p. 333)
Lacan associe donc cet ordre synchronique des traits mnésiques que forme la mémoire inconsciente au registre du signifiant. Ainsi, le refoulement, par exemple, devrait-il être lu comme le refus de la traduction/transcription d'un ensemble de traits mnésiques d'un système à un autre. Dans ce cas, "la traduction en signes de la nouvelle phase semble être gênée" (Freud, 1896b/1969, p. 157). Ce défaut de traduction est du à l'excitation pulsionnel qui n'arrive pas à être symbolisée et ce fait avait déjà été signalé par Freud, lorsqu'il remarque que la présence d'un "reste intraduit" entre les différents systèmes inconscients, concerne toujours un "excédent sexuel" (Freud, 1896a/1969, p. 145).
Mais, Lacan procède aussi à l'affirmation de l'équivalence entre le signifiant et le représentant-représentation, c'est-à-dire le concept freudien de Vorstellungsrepräsentanz (1915c/1968). Il nous semble donc important de marquer, ici, les différences entre les termes freudiens de représentant représentation, représentation-chose et de représentation-mot.
Le représentant-représentation (Vorstellungsrepräsentanz) désigne toute manifestation de la pulsion dans le psychisme. Il désigne également l'unité matérielle de l'inconscient en tant que complexe associatif de traits investis par la libido. De ce point de vue, le représentant-représentation se scinde, en réalité, en deux types différents de composant psychique. Cette unité du trait et de la libido peut être disjointe dans ces composants (ce qui est évident dans le refoulement): d'une part, la représentation proprement dite, la Vorstellung, et de l'autre, l'affect. La représentation (Vorstellungen) se subdivise, pour sa part, en deux autres types de représentation (1915a/1968): les représentations-chose (Sachvorstellun-gen), appartenant à l'inconscient, et les représentations-mot (Wortvorstellungen), relevant du système préconscientconscient.
Rappelons-nous ici ce qui nous avons présenté sur le fait qu'un complexe quelconque est perçu par le psychisme comme constitué de deux parties distinctes: l'une, la partie constante et incomprise que Freud appelle l'objet et, l'autre, la composante variable et compréhensible desattributs. Le représentant-représentation est précisément ce complexe lui-même formé par un ensemble de traits capables d'inscription symbolique plus un reste incompris, un excédent qui, en tant que tel, est la pure quantité d'excitation investie sur le trait. Ainsi, le représentant-représentation est-il ce trait mnésique (ou complexe de traits) qui comporte comme un composant inhérent à soi-même, c'est-à-dire du fait même d'être un trait, une portion constante qui échappe à la représentation.
Cela nous permet ainsi de comprendre la morphologie des représentations comme une association entre le trait-représentatif et le non-représentable, cette association étant une propriété du trait lui-même et participe ainsi de son propre concept. Le Vorstellungsrepräsentanz est ainsi le signifiant en tant que tel, indissociable du quota d'indétermination qu'indique la Chose: nous y avons justement cette association entre l'élément signifiant et l'excitation pulsionnelle formant un concept entièrement réflexif.
Pour valider la fécondité de notre interprétation de la théorie du signifiant, nous pouvons la tester sur le modèle de la duplicité des chaînes du texte freudien sur les aphasies (Freud, 1891/1983). Voyons cet exemple de plus près.
Freud - à l'inverse de la théorie des localisations (de Broca, Lichtheim et Wernicke) qui postule une origine anatomique des troubles aphasiques - considère que les aphasies sont des troubles fonctionnels relatifs à l'appareil de langage. Contrairement aux thèses de la théorie des localisations, celle des centres corticaux et de l'élémentarisme des représentations, Freud propose celle du procès (l'élément est déjà une association) et de l'appareil (le psychisme est une totalité structurée).
Le modèle de l'association est fourni par le schéma du lien entre l'association d'objet et la représentation-mot tel que présenté dans son écrit sur les aphasies.
Freud, dans le chapitre VI des Aphasies, rappelle que "pour la psychologie, le 'mot' est l'unité de base de la fonction de langage, qui s'avère être une représentation complexe, composée d'éléments acoustiques, visuels et kinesthésiques" (Freud, 1891/1983, p. 123).
Dans ce schéma, les deux systèmes (des représentations-mot et des associations d'objet) sont caractérisés par la présence d'une association complexe de traits différentiels (non-représentatifs). Remarquons ainsi que nous ne nous inscrivons plus dans le domaine de simples impressions sensibles mais dans celui de l'ordre symbolique: dans les deux systèmes, il s'agit toujours d'un ensemble de traits dans une association, formant une invariance en rapport avec un autre système. Mais, alors, quels sont les critères que nous permettent de distinguer une représentation-mot d'une association d'objet?
Tandis que le schéma de la représentation-mot présente un caractère fermé dans son complexe associatif, les associations d'objet, elles, décrivent un complexe associatif ouvert. De quoi est-il question dans cette distinction entre les caractères ouvert et fermé des deux types de complexe d'associations?
Les représentations-mot ne peuvent constituer leur système qu'à partir d'une exclusion. C'est pour cette raison qu'ils forment un systèmefermé, un système qui se limite par rapport à une extériorité en opposition à lui. En revanche, le système d'associations d'objet ne s'oppose à rien, il implique une subsomption généralisée et forme ainsi un réseau ouvert. Du système d'associations d'objet à celui de représentations-mot, nous passons d'un ordre de différences (et, qui ne connaít donc pas l'extériorité comme un dehors de soi-même) à celui d'oppositions (lequel se définit par opposition à ce type de dehors). Autrement dit, dans le cas du système d'associations d'objet l'extériorité est interne à son propre complexe, tandis que le passage au réseau de représentations-mot implique la constitution d'un dehors.
Nous pouvons en établir une analogie d'avec la distinction kantienne, dans ce cas, entre l'entendement et la raison tel que suggérée aussi par Zizek, et qui, appliquée à notre cas, instaure une équivalence entre la raison et le système des associations d'objet, d'une part, et, une autre, entre l'entendement et les représentations-mot, de l'autre:
La raison n'est point quelque chose "en plus" par rapport à l'entendement, un mouvement, un processus vivant qui échapperait au squelette mort des catégories de l'entendement - la raison est l'entendement lui-même en tant que rien ne lui manque, en tant que qu'il n'y a rien au-delà de lui: c'est la forme absolue en dehors de laquelle ne persiste aucun contenu. On reste au niveau de l'entendement aussi longtemps qu'on pense qu'il y a "au-delà" de lui quelque chose qui lui échappe, une force hors-entendement, une inconnue inaccessible au "schématisme rigide" des catégories de l'entendement. En accomplissant le pas vers la raison, on n'ajoute rien à l'entendement, on lui soustrait plutôt quelque chose (le fantôme de l'objet persistant au-delà de sa forme), c'est-à-dire on le réduit à son procédé formel: on "surpasse" l'entendement quand on s'aperçoit que l'entendement est déjà en lui-même ce mouvement vivant de l'automédiation qu'on cherchait dans son au-delà. (Zizek, 1998, p. 15)
Zizek fait référence au schématisme transcendantal des catégories de l'entendement (les concepts purs de l'entendement). Rappelons seulement qu'il s'appliquerait au matériel provenant de la sensibilité pour former la totalité de l'expérience possible (Kant, 1987). Ainsi, l'entendement, en sa propre définition, présuppose un au-delà descatégories vides du schématisme, qui peut être la matière sensible ou l'impulsion humaine envers l'absolu (les intérêts de la Raison, selon Kant). La Raison, depuis Kant, et à l'inverse de l'entendement, serait le siège d'une pulsion envers cet inconditionné (ces intérêts de la Raison) qui, en dépassant son usage phénoménal légitime du point de vue de la connaissance, force le passage alors du théorique vers le pratique, en impliquant du même coup le surgissement des antinomies et de paralogismes.
Or, tout comme dans le modèle transcendantal, le domaine des représentations-mot indique que nous nous inscrivons dans le registre de l'entendement, à partir duquel l'existence d'une donné sensible primaire existant au-delà de l'activité symbolique est posée. Cependant, ce domaine des représentations-mot/entendement est impliqué déjà, dans le fonctionnement qui est le sien et par le caractère ,fermé de son système, dans la structure basique du processus primaire des associations d'objet (ou des représentations-chose dans l'élaboration ultérieure de Freud).
Ainsi, pour saisir le véritable statut de cet au-delà du système symbolique du psychisme, nous n'avons a aucun besoin, finalement, de "franchir" aucune limite d'un domaine vers un autre, mais, en fait, de le soustraire quelque chose: précisément de son caractère fermé, qui se soutient de la relation "dualiste oppositive" sur lequel il se fonde. Autrement dit, pour passer du système de représentations-mot à celui des associations d'objet, nous devons simplement réaliser un mouvement dé-réification et dé-fétichisation des présupposés impliqués par le système lui-même.
Le rapport entre les caractères fermé et ouvert est ainsi clarifié: il s'agit de la relation entre un ensemble ouvert sans extériorité, d'une part, caractéristique des associations d'objet, dont l'ouverture est cette partie constante et incomprise qui forme la Chose; et, d'autre part, le registre des représentations-mot, qui n'existe qu'à partir du moment oùi il a été expulsé au moins un élément (comme tout ensemble normal, dans des termes plus russelliens). Le passage d'un systèmesymbolique (inconscient) à l'autre (préconscient/conscient) est donc corrélatif au passage d'un ensemble inconsistant, ouvert, à celui d'un système autre, fermé, et donc consistant. Plus précisément, ce passage (entre les deux systèmes) est constitué par l'extériorisation de l'ouverture interne au système ouvert-inconsistant-inconscient (et, donc, qui ne s'oppose à rien) vers l'opposition système fermé/dehors.
La particularité du psychisme, dans la théorie freudienne, c'est justement de considérer le fonctionnement en parallèle de ces deux dimensions symboliques. Autrement dit, par le fonctionnement de ces strates selon un seul et même modèle topologique.
Ainsi, si, ordinairement ou intuitivement, nous croyons que les mots appellent toujours quelque chose d'externe pour pouvoir signifier - ce qui n'est autre chose que la base d'une théorie réaliste de la référence -, du point de vue d'un système inconsistant et sui-référentiel, cette extériorité ne serait que l'ouverture même qui caractérise le fondement des associations d'objet.
Les représentations-mot se différencient alors des ,associations d'objet d'un point de vue presque uniquement fonctionnel. Ce qui change est alors la nature de la chose (externe ou interne en dépendant du système) qui sert comme limite au réseau associatif. Or, si le propre de l'appareil du langage, ainsi constitué, est d'avoir subsumé entièrement la réalité, le seul élément déclinant une nature autre que les éléments matériels du langage est l'inconsistance symbolique elle-même. Autrement dit, dans l'appareil psychique, c'est l'ouverture du système qui vient à la place du référent.
De cette manière, dès que nous revenons en arrière et passons ainsi du registre des représentations-mot, à celui des associations d'objet, nous passons en fait d'un registre qui se définit dans son opposition à quelque chose d'autre qui n'est pas lui - vers un autre registre qui ne s'oppose plus à rien, et oùi l'extériorité doit être ,intérieure à lui-même. Ce qui nous soustrayions, enfin, c'est la logique même de la représentation (que conditionne la perception symbolique à se déployer sur un élément externe d'une nature différente à celle de ces composants). Revenir en arrière(évidemment, d'un point de vue uniquement logique) et passer ainsi de l'entendement/représentation-mot à la Raison/association d'objet c'est, alors, aller du domaine de l'opposition positiviste-dualiste du formel/empirique à la dualité métapsychologique-topologique du formel/inconsistance.
5. Conclusion
Nous avons essayé de montrer comment, depuis l'origine du projet psychanalytique, toute considération à propos d'une Chose est faite à partir d'un paralogisme sémantique inhérent au langage et qui nous conditionne à poser le présupposé d'une substance, en effet la forme réifiée d'une inconsistance symbolique centrale. La réification du référent discursif a été considérée ainsi comme un présupposé sémantique immanent à l'activité psychique. Ce processus de réification de la référence permettrait ainsi le passage d'une structure signifiante inconsistante et auto-référente vers les oppositions du type sujet-objet, dedans-dehors, intérieur-extérieur, tout à fait nécessaires pour le discours concret.
En d'autres termes, nous avons essayé de montrer que la place de la substance doit être déjà posée par le système symbolique lui-même pour qu'elle soit opérante dans la parole. D'un point de vue metapsychologique, cela signifie que l'activité langagière doit être soutenue par le fait que la substance soit, en même temps, le vide du manque de prédication, i.e., ce point même oùi le sujet et la chose se confondent.
Nous nous apercevons, ainsi, finalement, de la différence minimale entre les notions de ,réalité et de réel, car celui-ci serait le concept du sous-produit inhérent à la nature intrinsèquement paradoxale de la symbolisation qui sert, au même temps, comme référent sémantique fondamentale du psychisme. Dans sa version la plus simple, il désignerait le fait que l'extériorité, ce présupposée sémantique du discours, est, en fait, posée par le processus lui-même de symbolisation. C'est, en effet, ce processus que constitue le champ de la Chose.
D'oùi sort cette notion? Cette perspective du champ que je vous appelle le champ de la Chose? Ce champ oùi se projette quelque chose au-delà, à l'origine de la chaîne signifiante, ce lieu oùi est mis en cause tout ce qui peut être, ce lieu de l'être oùi se produit ce que nous avons appelé le lieu élu de la sublimation, dont Freud, au maximum, nous présente l'exemple le plus massif? (Lacan, 1959-1960, p. 359)
Le champ de la Chose est ainsi, pour Lacan, le ,réel de la "projection d'un au-delà", l'un des principes de base du fonctionnement du système symbolique. Nous voyons que la théorie lacanienne du signifiant n'est donc point une théorie representationaliste. Elle est le contraire même de toute forme de réalisme sémantique, car l'ordre symbolique ne se réduit pas à un ensemble d'étiquettes collées sur des objets extralinguistiques préalablement existants à la nommination. Au contraire, elle introduit, dans la constitution de l'homme, un certain type d'objet qui, même s'il n'est pas empirique, arbore une matérialité qui lui est propre, et constituant la seule fonction sémantique possible d'un système sui-référenciel. Nous nous trouvons de cette façon effectivement confrontés à la face sémantique de la notion lacanienne de "chose réel": l'objet-résidu de l'opération signifiante, au même temps substance présupposée et représentation impossible.
Nous souhaitons, ainsi, avoir rendu plus inteligible un aspect fondamental de la dualité de la structure symbolique, en explicitant deux formes complementaires de penser cette région de "l'au-delà": au même temps, un espace d'ouverture autour duquel tourne le système symbolique et, également, la projection de cette béance symbolique dans son opposé, c'est-à-dire dans l'idée d'une substance située "au-delà" du symbole, caractéristique fundamental de l'ontologie spontanée du langage. Nous voyons ainsi finalement que le pulsionnel n'est autre chose que ce circuit symbolique d'excitation qui s'établit entre ces deux pôles de la dimension sémantique du psychisme.
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Endereço para correspondência
E-mail: descragnolle@yahoo.fr
Enviado em 21/4/2009
Aprovado em 16/12/2009
1 Cette question se manifeste aussi dans le rapport du sujet à un autre individu, ce que Freud appelle le complexe du Nebenmensch, c'est-à-dire le complexe de l'autrui. "Le complexe d'autrui se divise donc en deux parties, l'une donnant une impression de structure permanente et restant un tout cohérent, tandis que l'autre peut être comprise grâce à une activité mnémonique, c'est-à-dire attribuée à une annonce que le corps propre du sujet lui fait parvenir" (Freud, 1895/1956, p. 349).
2 Nous y avons en effet un argument déjà célèbre contre la théorie de la perception interne de la psychologie classique, répété maintes fois, d'August Comte à Franz Brentano et, comme nous le voyons, jusqu'à Freud.
3 "Quand, après la fin de l'acte cogitatif, l'indice de réalité vient à atteindre la perception, alors une appréciation de la réalité, la croyance, ont pu se réaliser et le but de toute cette activité est atteint" (Freud, 1895, p. 350).
4 Dans ce cas, semblable à un court-circuit, "l'action préparatoire en cause prend la place du but sexuel normal" (Freud, 1905/1987, p. 150).
5 Lacan était bien averti de sa propre position sur cette question. En citant Lacan: "S'il est clair que, s'il y a quelque chose que je suis, c'est que je ne suis pas nominaliste, je veux dire que je ne pars pas de ceci que le nom, c'est quelque chose qui se plaque comme ça, sur du réel. [...], de sorte qu'en somme la tradition nominaliste, qui est à proprement parler le seul danger d'idéalisme qui peut se produire ici dans un discours tel que le mien, est très évi-demment écartée" (Lacan, 1971, p. 25).