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Neuropsicologia Latinoamericana

versión On-line ISSN 2075-9479

Neuropsicologia Latinoamericana vol.2 no.3 Calle  2010

 

 

Optimiser le fonctionnement cognitif au cours du vieillissement: facteurs de réserve, stimulation cognitive et plasticité cérébrale

 

Optimizar el funcionamiento cognitivo durante el envejecimiento: factores de reserva, estimulación cognitiva y plasticidad cerebral

 

Otimizar o funcionamento cognitivo durante o envelhecimento: fatores de reserva, estimulação cognitiva e plasticidade cerebral

 

Optimizing cognition in aging : brain reserve, cognitive stimulation and cerebral plasticity

 

 

Bianca Bier; Sylvie Belleville

Université de Montréal, Canada

 

 


RESUMEN

Las preocupaciones relativas a la integridad intelectual y cognitiva cobran un lugar importante entre los adultos mayores y están frecuentemente vinculadas al posible desarrollo de la enfermedad de Alzheimer. El deterioro de la memoria y de las capacidades cognitivas genera inquietud en la población que envejece y se relaciona con una visión negativa del envejecimiento cognitivo. El objetivo de este artículo es aportar distintos argumentos empíricos que pongan en cuestión esta visión estrictamente negativa, mostrando que el envejecimiento cognitivo es múltiple, que puede adaptarse y que es altamente plástico. Este artículo presenta la noción de reserva cognitiva, los diferentes modos de optimización del envejecimiento cognitivo y los modelos de plasticidad cerebral durante el envejecimiento.

Palabras-claves:Envejecimiento, Reserva cognitiva, Plasticidad cerebral, Entrenamiento cognitivo, Intervención cognitiva.


RESUMÈ

Les préoccupations relatives à l'intégrité intellectuelle et cognitive prennent une place importante chez les aînés et celles-ci sont souvent reliées à l'éventualité de développer la maladie d'Alzheimer. Le déclin de la mémoire et des capacités cognitives suscitent de l'inquiétude chez la population vieillissante et dépeignent une vision négative du vieillissement cognitif. Le but de cet article est d'apporter divers arguments empiriques qui remettent en cause cette vision strictement négative en montrant que le vieillissement cognitif est multiple, qu'il peut être adapté et également hautement plastique. Cet article porte sur la notion de réserve cognitive, sur différents modes d'optimisation du vieillissement cognitif et sur les différents modèles de plasticité cérébrale au cours du vieillissement.

Mots-clés:Vieillissement, Réserve cognitive, Plasticité cérébrale, Entraînement cognitif, Intervention cognitive.


RESUMO

As preocupações quanto à integridade intelectual e cognitiva são importantes nos adultos idosos e estão frequentemente associadas ao possível início da Doença de Alzheimer. O envelhecimento caracterizado por declínio da memória e de habilidades cognitivas preocupa a população idosa e está relacionada a uma visão negativa da cognição na terceira idade. O objetivo deste artigo é abordar diferentes argumentos empíricos que questionem esta visão estritamente negativa, mostrando que o envelhecimento cognitivo é múltiplo, que pode se adaptar e que é altamente plástico. Este artigo apresenta a noção de reserva cognitiva, os diferentes modos de otimização do envelhecimento cognitivo e os modelos de plasticidade cerebral durante o envelhecimento.

Palavras-chave:Envelhecimento, Reserva cognitiva, Plasticidade cerebral, Treinamento cognitivo, Intervenção cognitiva.


ABSTRACT

In the elderly, the concerns relative to the intellectual and cognitive integrity are important and often related with the eventuality of suffering from Alzheimer's disease. Aging characterized by progressive loss and decline of memory and cognitive capacities leads to a negative vision of cognitive aging. The goal of this article is to question this negative vision by presenting empirical arguments to establish that cognitive aging is extremely variable among individuals, that it can be adapted and also highly plastic. This article concerns the notion of cognitive reserve, various modes of optimization of cognitive aging and models of plasticity.

Keywords:Aging, Cognitive reserve, Plasticity, Cognitive training, Cognitive intervention.


 

 

Dans une étude sondant les besoins des femmes canadiennes en termes de soins de santé, les participantes indiquaient que la cognition – et plus particulièrement la mémoire – correspondait à leur priorité en matière de santé (Tannenbaum, Mayo, & Ducharme, 2005). Les résultats de cette étude illustrent l'importance de la santé cognitive pour les personnes âgées et indiquent que l'accent mis dans notre société sur la santé physique, bien que souhaitable et nécessaire, ne doit pas avoir préséance sur les préoccupations relatives à l'intégrité intellectuelle et cognitive. Ces résultats sont à mettre en lien avec l'inquiétude que suscite chez les aînés l'éventualité de souffrir de la maladie d'Alzheimer (MA). La perte de la mémoire et des capacités cognitives est perçue comme une menace pour la dignité et à l'identité personnelle. Qu'en est-il des changements cognitifs qui sont rapportés au cours du vieillissement dit normal? Contribuent-ils à une vision négative et pessimiste du vieillissement? L'importance de la vitalité cognitive pour les aînés et le fait qu'ils la placent au sommet de leur priorité de santé doivent-ils être interprétés comme une confirmation subjective d'un vieillissement cognitif négatif, monolithique et inexorable?

Au contraire, nous montrerons dans cet article que le vieillissement cognitif est multiple, qu'il peut être favorable et adapté et qu'il est également hautement lastique. Le but de cet article est donc de mettre au défi une vision strictement déficitaire du vieillissement cognitif et d'apporter divers arguments empiriques qui remettent en cause une vision strictement négative du vieillissement cognitif. Nous aborderons d'abord la notion de réserve cognitive. Ensuite, nous présenterons des données qui indiquent différents modes d'optimisation du vieillissement cognitif. Enfin, nous présenterons et discuterons les modèles de plasticité cérébrale au cours du vieillissement.

La notion de réserve cognitive

La notion de réserve cognitive a été proposée pour rendre compte des différences interindividuelles observées dans l'effet clinique des lésions cérébrales. L'hypothèse de la réserve postule que certaines caractéristiques individuelles sont associées à une plus grande réserve cérébrale et permettent de résister aux conséquences nocives des changements cérébraux accompagnant le vieillissement normal, aux lésions cérébrales abruptes ou aux lésions progressives causées par les maladies neurodégénératives. Des différences individuelles dans le style de vie, la scolarité ou le type de hobby et des différences d'ordre génétique, comme le fonctionnement intellectuel, ont été associées à la réserve et ont donc été fréquemment utilisées comme des mesures de réserve.

Ainsi, les études épidémiologiques ont montré qu'un fonctionnement intellectuel élevé, un nombre plus important d'années de scolarité formelle ou le fait d'avoir mené un travail intellectuel stimulant, réduisent le risque de déclin cognitif associé au vieillissement ou le risque de démence (pour revue voir Stern, 2009; Villeneuve & Belleville, 2010). Par exemple, l'équipe de Stern et al. (1994) a recruté 593 individus volontaires non déments âgés de 60 ans ou plus. De ces 593 participants, 106 ont reçu un diagnostic de démence lors d'un suivi réalisé un an après le début de l'étude. Les auteurs indiquent que le risque de démence était environ deux fois plus élevé lorsque le niveau d'éducation (RR, 2.02) ou le niveau de réalisation professionnelle (RR, 2.25) était plus faible. De plus, le risque était près de trois fois plus élevé (RR, 2.87) lorsque les participants avaient à la fois un faible niveau d'éducation et d'accomplissement professionnel indiquant un effet cumulatif de facteurs de réserve. Stern et al. (1994) suggèrent qu'un niveau d'éducation et d'accomplissement professionnel élevé réduit le risque de développer la MA en permettant, par l'entremise d'une réserve, de retarder l'apparition de manifestations cliniques.

Les mécanismes neurocognitifs et neurobiologiques sous-tendant la réserve sont encore mal connus. Deux types de mécanismes neurobiologiques ont été proposés (Stern, 2002, 2009). La réserve pourrait dépendre de différences interindividuelles au niveau de la structure du cerveau, comme sa taille, l'épaisseur corticale ou le nombre de neurones et de synapses. Il s'agirait de la « réserve passive ». Ces différences structurales modifieraient le seuil de dommage cérébral suffisant pour produire un déficit cognitif observable. Par ailleurs, la réserve pourrait dépendre de différences dans la capacité qu'ont les individus à recruter de nouveaux réseaux neuronaux lorsqu'ils doivent réaliser des tâches complexes ou lorsqu'ils souffrent d'atteintes cérébrales. On réfère ici à la notion de « réserve active ». Les différences de réserve prédiraient des différences dans l'efficacité et la flexibilité avec lesquelles un individu sain utilise les réseaux neuronaux pour réaliser une tâche cognitive.

De très nombreuses études ont utilisé les variables classiquement associées à la réserve pour évaluer si ces facteurs modéraient l'importance et la rapidité du déclin cognitif chez la personne âgée normale et chez celle souffrant d'une maladie neurodégénérative (Stern, Alexander, Prohovnik, & Mayeux, 1992; Stern, Tang, Denaro, & Mayeux, 1995). Ces études montrent que les marqueurs de réserve classiques comme l'éducation modifient la relation entre l'atteinte cérébrale mesurée par des techniques de neuroimagerie et la sévérité de l'atteinte cognitive ou clinique. Par exemple, les études portant sur la démence ont comparé des groupes de patients équivalents sur le plan de la sévérité du dysfonctionnement clinique, mais qui varient sur le plan de leur scolarité. Toutes ces études rapportent que les patients ayant un plus haut niveau de scolarité souffrent de dommages cérébraux plus importants que ceux ayant un plus bas niveau de scolarité même si leur atteinte cognitive et clinique est équivalente (Garibotto et al., 2008; Perneczky et al., 2006; Stern, et al., 1992). Ainsi, Stern et al. (1992) ont mesuré le débit sanguin cérébral (rCMRglc) dans le cortex temporo-pariétal – normalement diminué dans cette région – chez 58 patients avec la MA. Ils montrent que la réduction du rCMRglc est plus importante chez les patients ayant un niveau d'éducation plus élevé. Cet effet en apparence contre-intuitif est extrêmement robuste et a également été rapporté chez des patients souffrant de démence de type Parkinson (Perneczky et al., 2007a) et de démence fronto-temporale (Borroni et al., 2009; Perneczky, Diehl-Schmid, Drzezga, & Kurz, 2007b). Il s'expliquerait par le fait que les personnes plus scolarisées sont en mesure de maintenir un fonctionnement clinique équivalent à celui de personnes moins scolarisées en dépit d'une plus grande altération neuronale (reflétée par la diminution du débit sanguin temporo-pariétal).

Les modes d'optimisation du vieillissement cognitif

Plusieurs études mettent en évidence différents phénomènes de plasticité cérébrale chez les personnes âgées, comme nous le verrons dans cette section. D'abord, des améliorations du fonctionnement cognitif ont été montrées à la suite de la participation à des programmes d'intervention non pharmacologique. L'entraînement cognitif a comme but principal d'améliorer les capacités cognitives, telles que la mémoire, l'attention ou la résolution de problèmes. Il prend généralement la forme d'un programme d'amélioration des fonctions cognitives dans lequel une ou des stratégies sont enseignées, ou dans lequel une consigne particulière, une rétroaction ou des conditions propres à la tâche permettent de maximiser la performance des participants. Il peut se faire sous forme d'exercices informatisés réalisés individuellement ou sous forme d'un enseignement structuré offert individuellement ou à un petit groupe de participants. L'entraînement implique souvent la pratique supervisée de stratégies et/ou d'habiletés permettant de cibler des difficultés cognitives (Belleville, 2008; Mowszowski, Batchelor, & Naismith, 2010). Stizer et al. (2006) proposent deux catégories d'entraînement cognitif. D'abord, les méthodes compensatoires ont pour but de contourner les déficits cognitifs en enseignant de nouvelles stratégies pour réaliser la tâche. Celles-ci peuvent être internes (p. ex. : catégoriser ou visualiser l'information à apprendre) ou externes (p. ex. : écrire l'information à retenir dans un carnet ou un calendrier). Les méthodes restauratrices, elles, visent l'amélioration du domaine cognitif altéré. Par exemple, les techniques qui consistent à répéter l'exécution de tâches d'attention ou de détection de cibles visuelles sont des méthodes restauratrices puisqu'elles visent l'amélioration de la fonction atteinte en favorisant une stimulation élevée de la fonction visée.

Les entraînements cognitifs peuvent aussi avoir différents objectifs. Ainsi, ils peuvent viser une optimisation des capacités cognitives afin de favoriser l'adaptation aux activités quotidiennes exigeantes sur le plan cognitif. Cette optimisation cognitive pourrait également réduire le stress et la frustration associés au sentiment de ne pas être optimal sur le plan cognitif et, par le fait même, favoriser le bien-être et la qualité de vie des aînés. Par ailleurs, certains auteurs ont proposé de faire appel à l'entraînement cognitif comme technique préventive, c'est-à-dire comme technique visant à réduire le déclin cognitif et à diminuer le risque de démence (Mahncke, Bronstone, & Merzenich, 2006a; Willis et al., 2006). Par exemple, Mowszowski et al. (2010) ont évalué plusieurs études afin de clarifier le potentiel préventif de l'entraînement cognitif et ils suggèrent que l'utilisation d'un entraînement cognitif à titre préventif pourrait être prometteuse chez une population à risque. Belleville (2008) rappelle qu'un entraînement cognitif peut améliorer les capacités cognitives des personnes atteintes de trouble cognitif léger (MCI, mild cognitive impairment) et pourrait contribuer à prévenir et à ralentir le déclin cognitif chez cette population considérée comme étant à très fort risque de développer la MA. Bien que ces deux objectifs ne soient pas incompatibles, ils sont loin de s'équivaloir quand vient le temps de mettre en place des études visant à les évaluer. Les recherches souhaitant évaluer l'utilité d'un entraînement cognitif comme mode d'optimisation de la mémoire devront avoir recours à des mesures de transfert qui font état de son impact sur le fonctionnement cognitif quotidien de la personne âgée. En revanche, démontrer qu'une intervention cognitive a un impact préventif nécessite que les patients soient suivis suffisamment longtemps pour qu'une proportion importante d'entre eux ait développé une démence ou un déclin cognitif.

Études empiriques impliquant un entraînement cognitif chez les personnes âgées

Dans cette section, nous rapportons les résultats obtenus par les études ayant évalué l'efficacité à court terme d'une intervention cognitive chez les aînés dans une perspective d'optimisation. Celles-ci sont très nombreuses. Dans une méta-analyse de la littérature, Verhaeghen et al. (1992) se sont penchés sur l'efficacité d'un entraînement cognitif en analysant les résultats de 33 études ayant porté sur la mémoire. Leur analyse portait sur un échantillon global de 1539 personnes dont l'âge moyen était de 69.1 ans. Les auteurs ont examiné les données selon que les participants faisaient partie (a) d'un groupe qui avait suivi un entraînement spécifique de la mémoire; (b) d'un groupe placebo dont l'entraînement ne portait pas sur la mémoire; ou (c) d'un groupe contrôle qui ne recevait aucun entraînement. La méta-analyse indique que ceux ayant suivi un entraînement de la mémoire avaient une amélioration au post-test (0.73 SD, k=49) significativement supérieure à celle observée chez le groupe contrôle (0.38 SD, k=10) ou chez le groupe placebo (0.37 SD, k=8). L'effet de l'entraînement était supérieur lorsqu'il était offert en groupe, lorsque les séances étaient courtes et lorsque les participants bénéficiaient d'un pré-entraînement (par exemple, un entraînement préalable portant sur l'imagerie mentale, le jugement ou sur la façon de réduire le stress). Ces résultats indiquent qu'un entraînement cognitif peut améliorer les capacités de mémoire chez la personne âgée et que ces capacités demeurent plastiques avec l'âge.

Certaines études suggèrent que des interventions cognitives peuvent améliorer les capacités d'attention divisée chez les personnes âgées normales. Dans l'une e ces études, Kramer et al. (1995) ont comparé les effets d'un entraînement à priorité fixe, dans lequel le participant devait combiner deux tâches, une tâche de monitoring où il devait surveiller et remettre à jour une jauge et une tâche d'équation alphanumérique de type G – 1= ?, à un entraînement à priorité variable, dans lequel le participant devait combiner les deux tâches tout en variant le niveau d'attention alloué à chacune. Kramer et al. (1995) rapportent une amélioration de l'attention divisée chez les personnes ayant suivi l'entraînement à priorité variable et cette amélioration surpassait celle des personnes ayant suivi l'entraînement à priorité fixe. Ces résultats indiquent que les personnes âgées peuvent améliorer leur capacité de contrôle attentionnel, mais que certains types d'entraînement pourraient être plus efficaces que d'autres.

Bherer et al. (2005) ont confirmé l'efficacité d'un entraînement attentionnel chez les personnes âgées. Dans cette étude plus récente, les entraînements étaient structurés de la même façon que ceux de Kramer et al. (1995), mais les auteurs y combinaient une tâche de discrimination sonore (i.e., déterminer si le son est aigu ou grave) et une tâche de discrimination visuelle (i.e., déterminer si la lettre présentée à l'écran est un B ou un C). Les résultats de l'étude font état d'une amélioration de la capacité d'attention divisée après les interventions, mais l'effet ne variait pas ici en fonction des conditions d'entraînement. Cette différence pourrait provenir de ce que le protocole utilisé ici demandait moins de capacité de coordination.

Des entraînements similaires ont été menés dans notre laboratoire (de Boysson, Bier, Demonet, & Belleville, en préparation; Gagnon & Belleville, en préparation). Une de ces études visait à déterminer les substrats neuronaux associés à l'entraînement du contrôle attentionnel chez des participants âgés qui recevaient (1) un entraînement à priorité variable; (2) un entraînement en attention focalisée dans lequel le participant pratiquait chaque tâche en attention focalisée; ou (3) un entraînement à priorité fixe. Les résultats montrent que le groupe ayant bénéficié de l'entraînement à priorité variable augmente davantage sa capacité à moduler son contrôle attentionnel que les deux autres groupes entraînés. De plus, ces participants montrent des augmentations d'activation dans les régions du cortex fronto-médian qui sont typiquement impliquées dans l'attention (Belleville, Bier, de Boysson, Mellah, & Demonet, 2010). Une autre étude (Gagnon & Belleville, en préparation) visait à évaluer l'efficacité d'une intervention cognitive ciblant le contrôle attentionnel chez une population MCI avec déficits exécutifs. Les participants recevaient un entraînement à priorité variable ou un entraînement à priorité fixe. Les résultats indiquent une amélioration de l'attention divisée chez les participants ayant suivi l'entraînement à priorité variable mais pas chez le groupe entraîné en priorité fixe.

Les études que nous avons rapportées plus haut visaient une optimisation de la mémoire ou de l'attention, puisqu'elles n'évaluaient pas si l'entraînement retardait le déclin cognitif ou l'apparition d'une démence. D'autres études ont tenté d'évaluer la valeur préventive de ces interventions en intégrant un suivi longitudinal des participants entraînés ou en examinant des populations à risque de démence.

L'étude ACTIVE (Advanced Cognitive Training for Independant and Vital Elderly) est un essai randomisé contrôle à simple aveugle dont l'objectif était de tester si trois entraînements cognitifs pouvaient améliorer les capacités cognitives et le fonctionnement quotidien et pouvaient réduire le déclin fonctionnel des aînés. L'étude a recruté 2832 personnes âgées de 65 à 94 ans sans troubles cognitifs. Les participants bénéficiaient pendant 5 à 6 semaines d'un entraînement cognitif portant sur la mémoire épisodique, le raisonnement inductif ou l'attention visuelle. Le type d'entraînement reçu était déterminé aléatoirement. Les résultats de l'étude indiquent que chacun des trois types d'entraînement est associé à une amélioration des performances sur les tests mesurant la fonction entraînée, mais pas sur les tests mesurant les fonctions non entrainées (Ball et al., 2002). Les auteurs rapportent que l'amélioration des performances correspond à une réduction de 7 à 14 ans des effets du vieillissement. Ils ne notent toutefois pas d'effet à court-terme sur l'autonomie fonctionnelle des participants. Les effets positifs des interventions sur les tests cognitifs sont maintenus lors d'un suivi réalisé cinq ans plus tard (Willis et al., 2006). Les auteurs rapportent également qu'après cinq ans, les groupes entraînés rapportent moins de difficulté à réaliser des activités quotidiennes complexes que le groupe non entraîné. Le suivi à longterme indique donc que ce type d'intervention cognitive peut réduire le déclin cognitif associé au vieillissement et retarder le déclin fonctionnel.

Récemment, des études ont évalué l'efficacité d'interventions cognitives chez des personnes à risque de développer une démence, le plus souvent des personnes répondant aux critères de trouble cognitif léger (ou mild cognitive impairment-MCI; pour une revue voir Belleville (2008) ; Mowszowski et al. (2010). Plusieurs études ont fait appel à des programmes informatisés qui visaient un ensemble de fonctions cognitives. Günter et al. (2003) ont été parmi les premiers à faire appel à un entraînement informatisé auprès de personnes répondant aux critères de MCI. Leur étude comportait 19 participants MCI. Le programme d'entraînement durait 14 semaines et ses effets étaient mesurés immédiatement au terme de la dernière séance et 5 mois plus tard. Les résultats de l'étude montrent un effet positif de l'entraînement sur des mesures de mémoire épisodique et sur des mesures de mémoire de travail. De plus, l'effet positif est maintenu lors du suivi 5 mois plus tard. Günter et al. (2003) suggèrent qu'un programme d'entraînement cognitif informatisé pourrait être utilisé par une population âgée à titre préventif. Toutefois, les résultats de cette étude sont limités puisque les auteurs n'ont pas inclus une condition sans entraînement, qui aurait permis de contrôler pour l'effet de la répétition des mesures.

D'autres études (Cipriani, Bianchetti, & Trabucchi, 2006; Rozzini et al., 2007; Talassi et al., 2007) ont évalué l'effet d'un programme d'entraînement informatisé multifactoriel chez des participants satisfaisant les critères de MCI. Le programme d'entraînement visait un ensemble de fonctions cognitives dont la mémoire, l'attention, le langage, le raisonnement abstrait et les habiletés visuo-spatiales. Il était réparti sur trois blocs de 20 sessions d'environ une heure. Dans une étude randomisée (Rozzini, et al., 2007) évaluant l'efficacité de ce programme, les auteurs ont montré un maintien des effets de l'intervention après un an chez 59 personnes avec MCI. Les participants recevaient l'entraînement cognitif plus un traitement pharmacologique (ChEIs), un traitement pharmacologique seulement ou aucun traitement. Les participants ayant reçu le traitement pharmacologique et cognitif ont amélioré leurs performances aux tests de mémoire et aux tests de résolution de problème, et montraient une réduction de la dépression, de l'anxiété et de l'apathie telles que mesurées par l'inventaire neuropsychiatrique (Cummings et al., 1994). Les auteurs suggèrent qu'un entraînement cognitif pourrait potentialiser les effets bénéfiques d'un traitement pharmacologique tant au niveau cognitif que comportemental.

Des résultats similaires ont été rapportés par Olzaran et al. (2004) dans une étude qui incluait des personnes avec MCI et des patients avec une MA avérée. Tous les participants de cette étude suivaient un traitement pharmacologique (ChEIs). Le programme d'intervention durait un an et comprenait 103 sessions réalisées en petits groupes. Les sessions étaient relativement longues (environ 3 h 30) et comportaient des exercices cognitifs, des activités d'interaction sociale et des exercices psychomoteurs. Le groupe recevant l'intervention cognitive était comparé à un groupe à qui on offrait des activités d'interaction sociale non structurées. L'étude rapporte une augmentation du fonctionnement cognitif, une diminution des symptômes d'agitation et d'irritabilité (NPI), une meilleure relation avec autrui et une diminution des perturbations du comportement (ADRQL) chez les participants du groupe ayant suivi l'intervention. Toutefois, il faut noter ici que l'étude ne distingue pas les résultats obtenus pour les personnes démentes et les personnes MCI. Il faut aussi souligner que ni l'étude d'Olazaran et al. (2004) ni celle de Rozzini et al. (2007) ne faisaient appel à un design complètement croisé et qu'elles ne comportaient pas de groupe recevant un traitement cognitif sans traitement pharmacologique. Il reste donc à déterminer si les deux traitements ont des effets additifs ou s'ils se potentialisent.

Certaines études ont évalué l'effet de programmes d'enseignements structurés menés en petits groupes et visant le plus souvent la mémoire chez des personnes à risque de démence. Dans l'étude de Rapp et al. (2002), des personnes avec MCI assistaient à six séances qui visaient l'apprentissage de stratégies mnémotechniques (catégorisation, chunking) à l'aide d'exercices réalisés de façon individuelle ou en groupe. L'efficacité du traitement était évaluée en utilisant des mesures objectives et subjectives de la mémoire. À la suite de l'entraînement, les personnes entraînées montraient une meilleure perception de leurs habiletés de mémoire que celles n'ayant pas suivi d'entraînement. Aucun effet n'était trouvé sur les mesures objectives de la mémoire. Toutefois, le programme utilisé dans cette étude pourrait ne pas avoir été optimal parce qu'il comportait relativement peu d'exercices de généralisation et qu'il ne comportait pas d'activités de pré-entraînement.

Belleville et al. (2006) ont développé un programme d'intervention multifactoriel conçu pour être adapté au MCI (Méthode d'Entraînement pour une Mémoire Optimale (MEMO), Gilbert, Fontaine, Belleville, Gagnon & Ménard, 2008). Le programme vise l'amélioration de la mémoire épisodique, la composante la plus altérée chez cette population. Il comprend l'apprentissage de différentes stratégies visant à promouvoir un encodage riche et élaboré. Les stratégies enseignées reposent sur l'imagerie interactive, les connaissances sémantiques et l'organisation verbale. Le programme propose également d'inclure un préentraînement visant l'amélioration du contrôle de l'attention en utilisant une technique similaire à celle proposée par Kramer et al. (1995) et Gagnon & Belleville (en préparation), un pré-entraînement portant sur la vitesse de traitement cognitif et un préentraînement visant l'amélioration de l'imagerie mentale. Le programme comprend également des conseils sur la gestion du stress, la familiarisation à des techniques de relaxation et des informations sur le vieillissement cognitif. Les participants complètent plusieurs exercices à la maison pour leur permettre de développer une expertise et pour favoriser la généralisation (Gilbert, Fontaine, Belleville, Gagnon & Ménard, 2008; Belleville et al., 2006). Le programme est offert au cours de huit rencontres hebdomadaires en petits groupes de 4 ou 5 participants. L'étude menée par Belleville et al. (2006) incluait 29 participants avec MCI (21 qui prenaient part à l'intervention et 8 qui ne recevaient aucun traitement). Les auteurs ont aussi inclus des participants âgés sains afin d'évaluer si l'intervention avait le même effet chez les personnes sans trouble cognitif. Belleville et al. (2006) rapportent un effet positif de l'intervention sur des mesures objectives de la mémoire épisodique (rappel différéd'une liste de mots, associations nom-visage) chez les MCI et chez les âgés sains. Ils rapportent aussi un effet positif sur des mesures reflétant l'impact dans les activités de tous les jours (questionnaire d'autoévaluation de la mémoire et sur le bien-être). La sévéritédu déficit de mémoire chez les MCI (mesuré par le rappel d'histoire) et le déficit global de la cognition (mesuré par l'échelle MMSE et la Mattis Dementia Rating Scale) n'étaient pas reliés à l'effet de l'entraînement. Toutefois, l'éducation était corrélée aux effets de l'intervention puisque les personnes plus éduquées, donc celles ayant une plus grande réserve, tiraient davantage profit du programme d'entraînement cognitif. Il est intéressant de souligner que l'effet de l'intervention était de même ampleur chez les personnes âgées sans trouble cognitif et chez les personnes avec MCI, ce qui suggère que les processus compensatoires sont toujours présents et demeurent mobilisables, même dans les phases très précoces de la maladie d'Alzheimer.

Les modèles de plasticité cérébrale et études empiriques en neuro-imagerie

La plasticité cérébrale renvoie aux modifications cérébrales qui font suite à des stimulations de l'environnement ou à des activités endogènes. Les phénomènes de plasticité pourraient avoir cours tout au long de la vie et sous-tendre les processus de réserve active. Ils peuvent aussi être stimulés par des interventions de courte durée comme celles décrites dans le chapitre précédent. L'imagerie cérébrale est une technique particulièrement intéressante pour évaluer les phénomènes de plasticité, car elle permet d'identifier et de caractériser les mécanismes cérébraux et cognitifs qui les sous-tendent.

Plusieurs études montrent que les activations cérébrales associées aux activités cognitives se modifient avec l'âge et que des mécanismes compensatoires déterminent certaines différences interindividuelles reliées à l'âge (Reuter-Lorenz & Lustig, 2005; Reuter-Lorenz, Stanczak, & Miller, 1999). Des modèles ont été proposés pour rendre compte de ces changements (Cabeza, 2002; Reuter-Lorenz & Lustig, 2005; Reuter-Lorenz, et al., 1999). Comme nous le verrons plus loin, ces modèles favorisent des processus de plasticité négative, des processus de plasticité positive, ou encore une combinaison des deux types de plasticité.

Le modèle de HAROLD (Hemispheric Asymmetry Reduction in Older Adults) vise à expliquer pourquoi l'activation du cortex préfrontal (CPF) est généralement moins latéralisée chez les âgés que chez les jeunes (Cabeza, 2002). Un certain nombre de données révèlent en effet que plusieurs tâches ne recrutant qu'un seul hémisphère chez les jeunes mobilisent les deux hémisphères chez les personnes âgées. Deux hypothèses pourraient expliquer cette diminution de l'asymétrie fonctionnelle avec l'âge (Cabeza, 2002; Reuter-Lorenz & Lustig, 2005). Selon l'hypothèse de la compensation, la diminution de l'asymétrie fonctionnelle s'expliquerait par un recrutement accru des régions controlatérales dans le but de pallier la diminution d'efficacité de la région spécialisée et de soutenir ainsi la réalisation de la tâche. En revanche, l'hypothèse de la dédifférenciation propose que la réduction de l'asymétrie reflète une réduction dans la qualité du signal qui réduit la capacité à recruter des régions cérébrales spécialisées et n'a donc pas d'action compensatoire (Li & Lindenberger, 1999). Cabeza et al. (1997) favorisent l'hypothèse de la compensation pour expliquer la diminution de l'asymétrie fonctionnelle parce qu'ils ont observé que les âgés les plus performants sur le plan de la mémoire sont aussi ceux chez qui la réduction de l'asymétrie est la plus importante.

Le modèle de CRUNCH (Compensation Related Utilization of Neural Circuits Hypothesis) proposé par Reuter-Lorenz & Lustig (2005) propose quant à lui que les personnes âgées auraient besoin de plus de ressources neuronales que les jeunes pour la réalisation d'une même tâche. Cela se manifesterait par des niveaux d'activation plus importants chez les âgés que chez les jeunes. De plus, les âgés disposant de moins de ressources, leur niveau maximal de ressources serait plus rapidement atteint, ce qui se manifesterait par des activations moins grandes pour les tâches plus complexes ou plus difficiles. Reuter-Lorenz & Lustig (2005) proposent donc deux formes de compensation. La première forme consiste à employer davantage les aires spécifiques à l'exécution d'une tâche et surviendrait quand les tâches n'ont pas atteint le seuil maximal de ressource. La deuxième forme consiste à employer des stratégies alternatives pour pallier les déficits en recrutant des régions cérébrales qui ne sont pas habituellement recrutées par la tâche, ce qui surviendrait lorsque le fonctionnement des régions spécialisées dans la réalisation de la tâche est compromis ou diminué (Reuter-Lorenz & Cappell, 2008).

En revanche, Mahncke et ses collègues proposent que le déclin cognitif relié à l'âge est causé par des processus de plasticité négative et que l'utilisation d'un entraînement favorisant la plasticité permettrait de renverser les effets de la plasticité négative (Mahncke, Bronstone & Merzenich, 2006a; Mahncke et al., 2006b). Mahncke et al. (2006b) ont testé l'hypothèse voulant que les déficits reliés à l'âge pouvaient être partiellement renversés à l'aide d'un programme d'entraînement ciblé. Ce programme visait à engager les structures neuromodulatoires du cerveau en entraînant de façon intensive certaines fonctions associées à la réception du langage. Le programme incluait 182 participants âgés sains (62 qui prenaient part à l'entraînement, 61 qui prenaient part à une activité « contrôle » sur le même programme informatisé et 59 qui ne suivaient aucun entraînement et aucune activité). Les participants réalisaient des exercices sensoriels et cognitifs nécessitant l'identification et la discrimination de stimuli auditifs (i.e., des sons de différentes fréquences, des pseudo-syllabes [e.g., ba], des mots [bad, dad], etc.). Les résultats de l'étude suggèrent une amélioration du fonctionnement aux tâches entraînées et sa généralisation à une mesure (un score de mémoire auditif global) chez le groupe ayant suivi l'entraînement. Cependant, la taille d'effet (d = 0,25) est modeste et les effets ne se maintiennent que sur une tâche de mémoire à court-terme (empan de chiffre). De plus, l'étude postule que le programme favorise la plasticité cérébrale, mais elle ne la mesure pas directement avec de l'imagerie structurale ou fonctionnelle. L'utilisation de la neuro-imagerie cérébrale en association avec les entraînements cognitifs pourrait permettre de vérifier la nature des effets induits par ces entraînements et contribuer aux modèles de plasticité cérébrale du vieillissement. Les quelques rares études ayant combiné les entraînements à des marqueurs cérébraux sont présentées dans la prochaine section.

L'étude de Nyberg et al. (2003) est l'une des premières à avoir examiné chez les âgés les changements dans l'activité cérébrale reliés à un bref entraînement de la mémoire. À l'intérieur d'une même séance de TEP scan, les participants (jeunes et âgés) devaient effectuer un rappel sériel de quatre listes randomisées de 18 mots. Entre les deux rappels, les participants apprenaient à mettre en pratique la méthode des lieux, un procédé mnémotechnique qui fait appel à l'imagerie mentale. Les résultats de l'étude montrent que les participants jeunes et âgés ayant amélioré leur performance au post-test présentaient une augmentation significative de l'activation au niveau du cortex pariétooccipital. Selon les auteurs, ce résultat indique que l'apprentissage réussi de la méthode des lieux estassocié à une augmentation de l'activation dans cette région. Les activations observées sont cohérentes avec le moyen mnémotechnique appris, puisqu'elles sont présentes dans des régions jouant un rôle dans l'imagerie mentale. Ainsi, ces données suggèrent que l'utilisation de stratégies nouvelles pourrait dépendre du recrutement de régions cérébrales alternatives. Les auteurs montrent aussi que l'entraînement amène de nouvelles activations dans les régions préfrontales chez les jeunes mais pas chez les âgés (Nyberg et al., 2003). L'absence de changement dans les régions préfrontales pourrait s'expliquer par une diminution dans les capacités de traitement ou par une incapacité à recruter des régions qui sont plus sensibles au vieillissement.

Une étude IRMf récente (Braver, Paxton, Locke, & Barch, 2009) a utilisé un bref entraînement de la mémoire de travail chez des jeunes et des âgés. L'étude montre qu'une seule session d'entraînement sur une tâche de mémoire de travail AX-CPT (Continuous Performance Test) modifie les processus utilisés par les âgés en les rendant plus proactifs lors de la réalisation de la tâche. L'intervention prenait la forme d'une brève (30 min) période d'apprentissage de stratégies proactives (i.e., utiliser les indices afin de guider la stratégie à employer lors de la présentation subséquente de la cible). Les participants étaient évalués selon une tâche qui consistait à détecter une cible avec ou sans indice contextuel préalable. Braver et al. (2009) montrent qu'avant l'entraînement, l'activation des âgés au niveau préfrontal était moins élevée lors de la présentation des indices contextuels que lors de la présentation de la cible. Le patron inverse était observé chez les jeunes, puisqu'ils montraient plus d'activation associée aux indices qu'aux cibles. Après l'entraînement, cependant, les âgés montraient un patron similaire à celui des jeunes, soit une activation préfrontale plus importante lors de la présentation des indices que des cibles. Selon les auteurs, l'entraînement aurait amené les âgés à adopter un comportement plus proactif, ce qui se traduirait par des changements d'activation dans les régions préfrontales (Braver et al., 2009).

Erickson et al. (2007) ont étudié l'effet d'un entraînement attentionnel soutenu sur l'activité cérébrale en IRMf. Ils ont évalué l'effet d'un entraînement en attention divisée chez des âgés et des jeunes. Chez les participants âgés, les auteurs rapportent une amélioration des performances après l'entraînement, qui est corrélée à une augmentation des activations au niveau du cortex préfrontal ventral (CPFV) gauche. Les jeunes ne présentent pas de modification de l'activation dans ces régions après l'entraînement. Les auteurs montrent également une diminution de l'activation dans le CPFV droit après l'entraînement tant chez les jeunes que chez les âgés. Cette combinaison particulière d'augmentation d'activation à gauche et de diminution d'activation à droite fait en sorte qu'on retrouve une plus grande asymétrie hémisphérique pour le CPFV avant qu'après l'intervention. Selon Erickson et al. (2007), l'augmentation de l'asymétrie dans ces régions après l'intervention est en contradiction avec le modèle HAROLD (Cabeza, 2002) puisque ce modèle propose au contraire que la réduction de l'asymétrie hémisphérique a un rôle compensatoire et permet une meilleure performance.

Le potentiel de plasticité cérébrale chez les âgés sains a aussi été montré dans l'étude de de Boysson et al. (en préparation) et dans celle de Belleville et al. (2010) qui évaluent l'effet d'un entraînement à priorité variable, à priorité fixe et en attention focalisée sur les potentiels évoqués cognitifs et sur les activations fonctionnelles mesurées par l'IRM. Celles-ci rapportent un effet positif de l'entraînement attentionnel sur les capacités d'attention divisée et de contrôle de l'attention. Ainsi, de Boysson et al. (en préparation) rapportent une augmentation de l'amplitude de la N200, une onde qui a été suggérée comme marqueur électrophysiologique de plasticité cérébrale (Rueda, Rothbart, McCandliss, Saccomanno, & Posner, 2005). En IRMf, Belleville et al. (2010) ont rapporté des augmentations d'activation cérébrale dans les régions préfrontales qui sont typiquement associées à l'attention. La nature des changements d'activation était toutefois grandement modulée par le type d'intervention.

Belleville et al. (en préparation) ont aussi utilisé l'IRMf afin de mesurer l'effet d'un entraînement de la mémoire chez une population à risque de maladie d'Alzheimer. Le programme d'intervention (MEMO, Gilbert, Fontaine, Belleville, Gagnon & Ménard, 2008) était axé sur l'apprentissage de stratégies basées sur l'imagerie mentale et l'encodage sémantique. L'étude évaluait si un tel entraînement pouvait renverser les changements cérébraux associés au MCI. Cette étude comprenait 30 participants : 15 personnes avec MCI et 15 personnes saines prenaient part à une séance d'IRMf six semaines avant l'entraînement (Préentraînement1), une semaine avant l'entraînement (Pré-entraînement 2) et une semaine après l'entraînement (Postentraînement). Les résultats chez les personnes MCI indiquent une augmentation de l'activation dans plusieurs régions cérébrales à la suite de l'intervention. Les auteurs notent que certaines zones déjà activées avant l'intervention le sont davantage après l'intervention (p. ex., lobe pariétal gauche). Toutefois, certaines zones non activées au préalable sont activées après l'intervention (p. ex., le lobule pariétal inférieur droit lors de l'encodage et le gyrus temporal supérieur lors de la récupération). Ainsi, les auteurs proposent que chez les personnes avec MCI, l'entraînement a pour effet d'augmenter l'activation tant de régions spécialisées pour la tâche que de régions alternatives, c'est-à-dire qui n'étaient pas recrutées lors de la tâche de mémoire effectuée en pré-entraînement. Belleville et al. (en préparation) montrent également que l'activation dans le lobule pariétal inférieur droit, une région impliquée dans la mémoire visuo-spatiale, corrèle avec la performance après l'intervention et pourrait donc soutenir la compensation cognitive. Les auteurs concluent qu'un entraînement de la mémoire peut produire des changements cérébraux significatifs qui sont mesurables à l'aide de l'IRMf et que le cerveau des individus présentant un MCI demeure hautement plastique.

 

Conclusion

L'objectif de cet article était de présenter les données appuyant la présence de réserve et de plasticité cérébrale dans le vieillissement et d'apporter ainsi des arguments remettant en cause une vision strictement déficitaire du vieillissement cognitif. Bien que certaines études suggèrent une vision strictement négative du vieillissement, nous voulions montrer que le vieillissement cognitif était modifiable et hautement plastique.

Nous avons vu que la notion de réserve cognitive fait référence à la capacité qu'ont certains individus à résister aux dommages cérébraux. Ainsi, l'effet protecteur de l'éducation, du type d'emploi et du style de vie sur le vieillissement cognitif a été appuyé par de nombreuses études, et ces facteurs ont été souvent utilisés comme reflétant ou mesurant la réserve. Bien que la notion de réserve soit fort intéressante et heuristiquement forte, elle suscite toujours de nombreuses questions (Villeneuve & Belleville, 2010). D'une part, on connaît encore mal les mécanismes neurobiologiques sous-tendant la réserve et il est probable que tant la réserve « dite » passive que la réserve « dite » active sous-tendent la résistance aux lésions et les phénomènes de compensation. De plus, des caractéristiques personnelles comme l'éducation et le style de vie ont été associées à la réserve, mais on connaît mal leur relation de causalité avec la réserve. Ainsi, on ne sait pas si ces caractéristiques causent la réserve, si elles en sont la conséquence ou si elles sont reliées à une même variable causale encore inconnue. Par exemple, une activité intellectuelle variée tout au long de la vie pourrait favoriser la création et la consolidation de réseaux cérébraux alternatifs qui permettront ensuite une plus grande résistance aux lésions cérébrales. On pourrait toutefois à l'inverse dire que les individus qui sont dotés de réseaux cérébraux riches et flexibles, soit de par leur bagage génétique, soit pour des raisons reliées à l'environnement physique précoce (par exemple, leur nutrition), seront plus à même de poursuivre une scolarité plus élevée. Il est également possible que des facteurs physiques ou génétiques facilitent tout à la fois la réalisation d'activités complexes et un recrutement flexible de circuits alternatifs sans qu'il n'existe de lien direct entre les deux derniers facteurs. Les études d'intervention pourraient être utiles à cet égard puisqu'elles permettent de reproduire les conditions enrichies censées soustendre les facteurs environnementaux, comme l'éducation ou l'activité professionnelle, en faisant appel à la méthode expérimentale plutôt qu'à l'analyse corrélationnelle. La réserve cognitive est une notion complexe et ses mécanismes tant dans le vieillissement normal que dans les maladies neurodégénératives se doivent d'être davantage explorés.

Aussi, nous avons vu qu'il est possible d'améliorer les capacités cognitives chez une population vieillissante à la suite de la participation à des programmes d'intervention cognitive. Cette amélioration se traduit par des modifications cérébrales, un phénomène reflétant des processus de neuroplasticité chez les âgés. Un nombre grandissant d'études rapporte que les programmes d'intervention cognitive peuvent aussi contribuer à optimiser le fonctionnement cognitif chez une population MCI. Bien que ces résultats soient prometteurs, certaines incertitudes demeurent en raison du manque d'essais randomisés contrôlés et du faible nombre de participants, particulièrement pour les études chez les MCI. La généralisation des effets observés à des mesures subjectives, rapportée dans certaines études, rend compte d'une certaine validité écologique. Cependant, l'évaluation de la généralisation des effets dans le quotidien n'est pas fréquente et doit donc être mieux documentée. Le maintien des effets des interventions a été largement documenté par les études impliquant des âgés sains. Toutefois, cet effet n'a pas été mesuré chez une population MCI et il devient nécessaire de montrer que ces interventions ont un effet durable et d'examiner s'ils ont un impact sur la conversion des MCI vers la démence. Il est possible, comme le proposent Belleville (2008), que des séances de rappel (booster) soient nécessaires pour favoriser le maintien de l'effet positif de l'entraînement, particulièrement chez les personnes souffrant de troubles cognitifs.

Enfin, nous avons décrit les modèles de plasticité cérébrale qui font appel aux résultats produits par les techniques de neuro-imagerie et avons examiné les données empiriques qui pourraient appuyer de tels modèles. À ce jour, très peu d'études ont évalué les substrats neuronaux des entraînements cognitifs à l'aide de la neuro-imagerie. Toutefois, les quelques études sur ce sujet indiquent que le cerveau des personnes âgées saines peut recruter de nouveaux réseaux neuronaux après un entraînement cognitif, ce qui indique qu'il conserve un important potentiel de plasticité. À notre connaissance, une seule étude a tenté de vérifier si des effets similaires pouvaient être observés chez des individus répondant aux critères de MCI en utilisant une technique d'IRMf (Belleville et al., en révision). Il s'agit d'une avancée importante dans le domaine puisque l'étude montre qu'un entraînement de la mémoire peut produire des changements cérébraux significatifs et mesurables chez ces personnes qui sont à un stade très précoce de la maladie d'Alzheimer et que leur cerveau demeure donc hautement plastique.

Somme toute, l'ensemble de ces observations permet de montrer que le vieillissement n'est pas homogène et qu'il ne peut être décrit comme caractérisé par un déclin global et inexorable des fonctions cognitives. Au contraire, nous avons montré que certaines caractéristiques personnelles peuvent retarder le déclin cognitif et compenser pour les modifications cérébrales accompagnant le vieillissement normal ou pathologique. Nous avons aussi montré que le cerveau âgé peut apprendre et demeurer plastique. Les recherches futures réalisées dans ce domaine devront tenter de mieux comprendre les mécanismes qui soustendent ces phénomènes de réserve et de plasticité afin d'identifier des méthodes efficaces – qu'elles soient pharmacologiques ou non pharmacologiques – qui pourraient en accroître les effets et afin de prédire qui sont les individus les plus susceptibles de répondre à des interventions qui ciblent ces phénomènes.

 

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Endereço para correspondência: sylvie.belleville@umontreal.ca

Article reçu: 27/11/2010; Article revisé: 14/12/2010; Article accepté: 21/12/2010.

 

Remerciements : S. Belleville reçoit des subventions de recherche des Instituts de Recherche en Santé du Canada et du Conseil de la Recherche en Sciences Naturelles et en Génie. B. Bier reçoit une bourse des Instituts de Recherche en Santé du Canada. Nous aimerions remercier Madame Maryse Froment-Lebeau pour son support éditorial.

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