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Psicologia Clínica
versão impressa ISSN 0103-5665versão On-line ISSN 1980-5438
Psicol. clin. vol.26 no.2 Rio de Janeiro dez. 2014
SEÇÃO LIVRE
Enjeux d'une discussion entre psychanalyse et neurosciences à propos de l'imagerie cérébrale
Challenges of a debate between psychoanalysis and neurosciences about brain imaging
Desafíos de un debate entre psicoanálisis y neurociencias a propósito de imágenes cerebrales
Rémy Potier
Université Paris Diderot, Paris, France
RÉSUMÉ
Cette contribution propose d'interroger, à partir de la psychanalyse, quelques interactions possibles avec les neurosciences. Il s'agit de spécifier la particularité de l'investigation psychanalytique de la technique, notamment de l'imagerie cérébrale, pour en questionner les présupposés. Ce que révèle la prise en compte de toutes les dimension du dispositif, c'est qu'une méthodologie interdisciplinaire permet de circonscrire les limites de ce qui est observé. Ce dialogue veut garder la singularité de chaque position épistémologique. La méthode biologique ne peut pas expliciter ce qui est inconscient. En effet, les chercheurs en neurosciences semble confondre les processus inconscients et préconscient. Le risque pourrait être de perdre la spécificité de ce que la psychanalyse peut apporter dans le débat interdisciplinaire Par exemple, l'hypothèse du nouvel inconscient telle que la développe Lionel Naccache (2001 e 2002) est discutée à cette occasion et mise à l'épreuve de ce qu'enseigne la clinique. L'argumentation de cet article propose l'idée que le dialogue entre psychanalyse et neurosciences apparaît particulièrement fécond si la délimitation des champs et des méthodes se cherche et se précise, sans ambiguïté.
Mots-clés: imagerie médicale; neurosciences; psychanalyse; interdisciplinaire; pulsion scopique.
ABSTRACT
This contribution examines some possible interactions between the neurosciences and psychoanalysis. The goal is to specify the particularities of psychoanalytic investigation of technology, specifically regarding brain imaging, and question its basic assumptions. Taking into account all the aspects of this medical procedure, we find that interdisciplinary approach enables us to define the boundaries of the field of observation. This dialogue wants to keep the singularity of each epistemological position. The biological methodology can't explicate what is unconscious. In fact researchers in Neuroscience seem confuse unconscious and preconscious processes. The risk could be to lose the specificity of what psychoanalysis can bring in interdisciplinary debate. The hypothesis of a new unconscious, as developed by Lionel Naccache, is also discussed and tested by clinical experience. The author argues that a dialogue between psychoanalysis and the neurosciences appears especially fruitful if we seek to unambiguously delimit and precise its exact field and methods.
Keywords: medical imaging; neurosciences; psychoanalysis; interdisciplinary; drive scopique.
RESUMEN
Esta contribución analiza algunos posibles interacciones entre las neurociencias y el psicoanálisis. El objetivo es especificar las particularidades de la investigación psicoanalítica de la tecnología, específicamente en relación con las imágenes del cerebro, y cuestionar sus supuestos básicos. Teniendo en cuenta todos los aspectos de este procedimiento médico, encontramos que el enfoque interdisciplinar permite definir los límites del campo de observación. Este diálogo quiere mantener la singularidad de cada posición epistemológica. La metodología biológica no puede explicar lo que es inconsciente. De hecho los investigadores en Neurociencias parecen confundir los procesos inconscientes y preconscientes. El riesgo podría ser perder la especificidad de lo que el psicoanálisis puede aportar en el debate interdisciplinar. La hipótesis de un nuevo inconsciente, desarrollado por Lionel Naccache, también se discute y probado por la experiencia clínica. El autor sostiene que el diálogo entre el psicoanálisis y las neurociencias aparece especialmente fructífera si buscamos para delimitar de forma inequívoca y precisa su ámbito exacto y métodos.
Palabras clave: imágenes médicas; neurociencias; psicoanálisis; interdisciplinaridad; pulsión escopofílica.
RESUMO
Esta contribuição examina possíveis interações entre as neurociências e a psicanálise. O objetivo é especificar as particularidades da investigação psicanalítica sobre a tecnologia, especificamente a respeito de imagens do cérebro, e questionar suas premissas básicas. Levando-se em conta todos os aspectos deste procedimento médico, descobrimos que uma abordagem interdisciplinar nos permite definir os limites do campo de observação. Este diálogo quer manter a singularidade de cada posição epistemológica. A metodologia biológica não pode explicar o que é inconsciente. Na verdade, os pesquisadores em neurociência parecem confundir os processos inconscientes e pré-conscientes. O risco pode ser perder a especificidade do que a psicanálise pode trazer para o debate interdisciplinar. A hipótese de um novo inconsciente, desenvolvida por Lionel Naccache, também é discutida e testada pela experiência clínica. O autor argumenta que um diálogo entre a psicanálise e as neurociências parece especialmente frutífero se procurarmos delimitar de forma inequívoca e precisa seu campo e seus métodos exatos.
Palavras-chave: imagem médica; neurociências; psicanálise; interdisciplinaridade; pulsão escopofílica.
Avec l'imagerie fonctionnelle du cerveau, les appareils mesurent désormais les différentes réflexions ainsi que les éloignements des différentes parties de l'organe du sujet pour en reconstituer l'image tridimensionnelle et animée: il s'agit d'une reconstitution. Mais de quelle image s'agit-il? La puissance informatique y est bien ici pour quelque chose. Elle a mis en œuvre les traitements du signal établis par les recherches en mathématiques: la reconstitution d'un volume à partir de ses tranches, opération lourde en calcul. Les informaticiens, physiciens, chimistes et biologistes sont à l'ouvrage dans ce domaine, rejoints par les astrophysiciens, qui contribuent à l'examen de l'œil par leur technique d'observation qui élimine les perturbations. Une telle armada de compétences scientifiques et techniques peut faire rêver, néanmoins la probité requiert d'interroger la dimension qui échappe aux examens, soit ce que produit cette modélisation de l'intimité du cerveau sur le sujet, ainsi que les limites de la méthodologie en vigueur. Riche de tous les possibles que les techniques liées au virtuel permettent, la réalité augmentée rencontre les difficultés relevées et révélées par les nouvelles technologies dans le champ social. Il apparaît important de poser le problème posé par le primat du visuel pour envisager les retombées épistémologiques de la discussion que la psychanalyse peut tenir avec les neurosciences.
Pour déployer mon argumentation, je voudrais me laisser guider par ce double questionnement: Quel est le statut des phénomènes mis au jour dans ce principe d'exhaustivité visuel? Quelles en sont enfin les conséquences épistémologiques?
L'imagerie fonctionnelle doit être envisagée comme un dispositif, notamment pour saisir la portée du discours produit à travers la méthode qui en résulte. La vision n'est pas le regard, ce qui a, comme nous le verrons, des conséquences épistémologiques dans l'appréhension du sujet qui se prête à l'expérimentation.
Les phénomènes observés par les neurosciences sont à saisir à partir de leur point de butée, tant pour éviter les confusions d'interprétation, que pour mettre au jour ce que la technique ne peut saisir.
L'imagerie cérébrale, comme dispositif, induit une nouvelle représentation du corps et de l'image de soi.
L'imagerie fonctionnelle, médiation technique productrice d'images lisibles par le spécialiste, doit être saisie dans son paysage. Son procédé est lié aux développements récents indexés aux productions des technosciences, caractéristiques de notre époque. L'imagerie fonctionnelle s'inscrit dans un réseau complexe qui peut être éclairé par ce que Michel Foucault conceptualise avec la notion de dispositif. Le philosophe met à jour l'idée d'un ensemble hétérogène comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des propositions philosophiques, morales et philanthropiques. Les éléments d'un dispositif sont tout autant caractérisés par ce qui apparaît au grand jour que par ce qui demeure dans le non-dit. L'originalité de cet apport de Foucault est qu'il invite à considérer le dispositif comme étant le réseau qu'on établit entre ces éléments, si bien qu'il offre l'occasion de repérer les différentes stratégies qui y sont mobilisées. Le dispositif est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir et d'influence de savoir: "C'est ça le dispositif: des stratégies de rapports de force supportant des types de savoir, et supportés par eux" (Foucault, 2001, p. 38).
Foucault propose d'enquêter sur les modes concrets par lesquels les dispositifs agissent à l'intérieur des relations, dans les mécanismes et les jeux de pouvoir. Suivre les liens qui constituent le réseau du dispositif d'imagerie cérébrale permet d'abord de prendre la mesure du refoulement dont il procède dans le champ social, ce qui autorise à se laisser interpeller par le non-dit qui recouvre ces pratiques. Pour Giorgio Agamben, le projet de Foucault éclaire le lien qui renvoie à un ensemble de praxis, de savoirs, de mesures, d'institutions dont le but est de gérer, de gouverner, de contrôler et d'orienter de façon utile les comportements, les gestes et les pensées de l'homme. Il traduit le concept de Foucault comme "tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler, d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants" (Agamben, 2007, p. 31). La portée est donc large et la dimension critique doit alors se justifier précisément par rapport à tout ce que permet l'imagerie. En effet, nous pouvons être plus qu'interpellé et intéressé par les possibilités de recherches ouvertes par ces techniques. La psychanalyse peut en attendre elle-même beaucoup sur le plan de son développement, à l'instar de ce que propose Erik Kandel, dans son désormais célèbre article "La biologie et le futur de la psychanalyse: un nouveau cadre conceptuel de travail pour une psychiatrie revisitée" (Kandel, 2002). De nombreuses contributions vont désormais et de façon heureuse dans les sillons ouverts par le programme proposé par Kandel1. La contribution que je souhaite apporter se décale sans nier l'heuristique de cette démarche. Il faut alors noter que nous ne pouvons plus aujourd'hui parler de notre corps et de son fonctionnement sans recourir au vocabulaire médical, scientifique et technique. Le corps est pour nous un ensemble d'organes sièges de processus physiologiques et biochimiques. Ainsi, nous désignons et localisons notre corps selon une géographie et une terminologie de type médical, scientifique ou technique, même si celles-ci ne recoupent pas forcément la nomenclature officielle. Le savoir nourrit bien la langue et les représentations mais reste hermétique à la plupart des non spécialistes, malgré la vulgarisation scientifique qui occupe une place importante dans les médias.
Aujourd'hui, l'imagerie fonctionnelle se donne comme objectif de rendre visible des anomalies du corps, avant même que le corps ne livre le moindre signe. L'en deçà de la clinique s'institue comme idéal. Le progrès fonde un nouveau réel toujours plus efficace, sans penser que la médecine change l'homme. Le progrès technoscientifique est à démystifier et à replacer dans des projets précis qui sachent entendre les demandes qui leur sont adressées. L'implication des nouvelles technologies tient une place dans la vie des sujets contemporains de façon telle que la représentation du corps témoigne d'une virtualisation de plus en plus invasive. L'idéologie peut parfois tenir ferme l'idée d'un gain à cette numérisation du corps dont les artistes se sont saisis, à partir de l'imagerie médicale (Potier, 2007, 2009, 2011 e 2012).
Le malaise dans la culture, est aujourd'hui étroitement lié à ces immersions dans l'image dont l'accès et les pratiques sont de plus en plus répandus. C'est ainsi que l'art du XXe siècle montre du corps ce que les techniques de visualisation ont permis de voir les unes après les autres, s'insinuant dans la culture, au point de modifier le rapport au corps et à ses images. Les rayons X, les photographies en gros plan, la macrophotographie vont être enrôlés au service de l'art. Les manuels de pose pour la radiographie médicale, les documents photographiques sur les maladies de la peau, de la face et de la bouche, sur les monstruosités et malformations, sont aussi utilisés par les artistes.
Cette transformation du corps est motivée par la recherche d'un corps parfait et idéal. Quelles que soient les finalités, thérapeutiques, esthétiques ou ludiques, ces transformations corporelles poursuivent un corps idéal, un corps de rêve qui par l'intervention de la science doit devenir corps réel. L'imagerie fonctionnelle se doit d'être pensée dans ce contexte et replacer dans les imaginaires qui l'entoure.
Méthodes
Il faut surtout repérer que la vision s'impose comme le mode privilégié de l'investigation des techniques d'observation comme l'imagerie fonctionnelle au point de fonder les résultats sur son seul appui. L'idéal et la force de persuasion dans les communautés scientifiques trouvent des alliés dans le développement des technosciences grâce auxquelles se déploie une technologie du regard des plus sophistiquées. Paul-Laurent Assoun fait remarquer que désormais "c'est le dedans de l'organe qui doit être soumis à cet impératif de visibilité, au point de s'imposer comme photographie du symptôme" (Assoun, 2009, p. 79). Il y a donc un mouvement qu'il est utile de repérer pour constater et prendre acte de ce que l'imagerie cérébrale ne peut précisément pas voir.
Il faut bien comprendre que s'accomplit le regard clinique dans toute son ampleur, ce que Foucault annonçait en écrivant que "le regard s'accomplira dans sa vérité propre et aura accès à la vérité des choses, s'il se pose en silence sur elles; si tout se tait autour de ce qu'il voit" (Foucault, 1988, p. 108).
Face au dispositif que propose l'imagerie, c'est la question du regard posé sur l'icône qui doit être décryptée. Penser ce qu'implique les techniques d'observation telle que l'imagerie fonctionnelle, c'est reconnaître que son impératif n'est que scopique. Le regard comme tel n'est pas interrogé comme geste dans la mesure même où il se trouve pleinement impliqué dans le mode d'observation propre à la science. Nous sommes là proches d'une leçon qui se déduit pleinement des découvertes de la physique quantique. En effet, l'une des conclusions fondamentales qui peut être tirée de l'aventure de la physique quantique consiste à réaliser qu'il est impossible de dissocier l'objet observé - la particule dans le cas de la physique quantique, le cerveau dans ce qui nous occupe - de l'instrument de mesure qui l'appréhende. Aussi, sans remettre en question l'importance des découvertes et des méthodes liées à l'imagerie cérébrale, l'expérience de la physique quantique offre l'occasion d'une véritable réflexion épistémologique. Les découvertes sont en effet intrinsèquement dépendantes des langages théoriques qui soutiennent l'expérimentation, ce qui révèle l'incomplétude théorique du modèle expérimental en tant que tel et de ce fait encourage à un complément auquel la psychanalyse peut légitimement participer, sans souci d'exhaustivité. La psychanalyse peut s'avérer épistémologiquement très opératoire, grâce à la posture même de Freud et de ce qu'il propose comme ligne méthodologique permettant de mettre à jour ce qui se joue au cœur même du regard. Or, une telle posture ne se déduit que de la clinique, elle est même, pourrait-on dire, convoquée par elle. Aussi, chez Freud le visuel témoigne de l'articulation entre le sexuel et le sensoriel, ce qui requiert pour être compris de lever le refoulement, que le regard posé sur l'image, fusse-t-elle scientifique, induit de façon différente chez le béotien et l'initié, seul à médiatiser son regard à partir de son savoir.
Pour mieux en saisir la portée, il s'avère nécessaire de rappeler le champ qu'a ouvert la psychanalyse, depuis Freud, concernant cette épineuse question, afin de penser ce qui se joue immanquablement dans le dispositif imagier. Le dispositif d'imagerie médicale, en engageant pleinement le regard jusque dans son processus technique, s'allie les procédés de l'optique pour permettre à l'objet de la science et du médecin de trouver son mode d'exploration optimum. Le pas de côté qu'opère la psychanalyse dans la science produit une avancée conséquente pour la compréhension de l'implication de l'inconscient dans la maladie certes, mais aussi dans tout processus de sublimation et de constitution d'un savoir. C'est par ce décalage que la psychanalyse peut apparaître heuristique dans son dialogue avec les sciences, non pour s'y opposer - ce qui n'a pas de sens - mais pour en repérer certains effets et participer du décryptage que les imaginaires scientifiques induisent, tant du côté du scientifique que du champ social. Or, l'impression optique, nous dit Freud dans les Trois essais, reste le chemin par lequel l'excitation libidinale est le plus fréquemment éveillée. Il convient donc d'avancer dans l'élucidation des spécificités du regard, et ainsi tenir bon la question du plaisir lié à la vision, seule façon de rendre compte de façon précise du Réel2, qui ne manque pas de se manifester à cette occasion.
Que se passe-t-il au niveau de l'imagerie fonctionnelle? Que vient-il se mêler à cette présentation de l'invisible du corps? De quel désir procède le regard qui en scrute l'image? Quid de celui qu'elle percute, fascine ou même indiffère?
Le pas de côté opéré par Lacan inscrit le regard au cœur de l'élucidation. Pour Lacan, "tel qu'il est constitué par la voie de la vision, le regard dévoile, quelque chose qui glisse, passe, se transmet, pour y être toujours éludé" (Lacan, 1992, p. 85). Ce regard, il s'agit de ne pas le perdre de vue. Lacan en propose une écriture, comme contenant en lui-même l'objet a de l'algèbre lacanienne où le sujet vient à choir. C'est ce qui spécifie le champ scopique, et engendre la satisfaction qui lui est propre, c'est que là, la chute du sujet reste toujours inaperçue, car "elle se réduit à zéro" nous dit Lacan (1992, p. 85). Dans la mesure où le regard, en tant qu'objet a, peut venir à symboliser le manque central exprimé dans le phénomène de la castration, il laisse le sujet dans l'ignorance de ce qu'il y a au-delà de l'apparence. C'est aussi à partir de ces considérations qu'il est possible d'interroger la rencontre avec l'image technoscientifique, rencontre dont l'apparence vient masquer ce qui gît dans le regard posé sur l'image.
L'expérience induite par l'image peut être pensée avec profit à partir de ce que Lacan propose autour du stade du miroir et qui permet de dégager l'enjeu spéculaire qui constitue une épreuve centrale du dispositif d'imagerie fonctionnelle. Lacan y précise que "la seule vue de la forme totale du corps humain donne au sujet une maîtrise imaginaire de son corps, prématurée par rapport à la maîtrise réelle, il s'agit d'un moment fondateur qui structure toute la vie fantasmatique des humains" (Lacan, 1975, p. 93). Et c'est précisément ce qui se repère dans la clinique et qui implique d'être prise en compte pour permettre au patient de retrouver une parole, seule apte à restituer le regard dans l'écart nécessaire que le dispositif de l'imagerie vient mettre à mal. En effet, de nombreux patients dans le cadre hospitalier redoutent, selon la pathologie qui les anime, ce que révèlent ces images du cerveau. Sont-elles porteuses d'une anomalie, d'une dégénérescence en marche? Que dire alors quand elles ne montrent rien du mal ressenti par le sujet? C'est souvent le cas par exemple dans la clinique de l'acouphène qui peut selon les cas ne pas être identifiable à l'image.
Il en résulte une conséquence. La présentation d'un corps morcelé, représentant de l'intérieur du corps, vient mettre à l'épreuve l'intégrité de l'unité de l'image de soi, précisément parce qu'elle n'est pas saisissable. Le regard comme tel n'est pas assimilable par la technique. L'objet de la technique c'est le visuel, dont le sujet est absent. A partir de ce point de vue, qu'en résulte-t-il pour le dialogue avec les neurosciences, qui appuient leur théorie sur les observations issues de l'imagerie anatomo-fonctionnelle?
Discussion
L'imagerie fonctionnelle connaît une application privilégiée dans l'étude du cerveau, ce que l'on comprend aisément, tant sa méconnaissance était grande, à partir de la simple méthode d'autopsie. Ce que rend possible, de fait, l'imagerie anatomo-fonctionnelle, c'est bien cette possibilité de voir le cerveau vivant, c'est-à-dire de prendre sur le vif les zones d'activité cérébrale activées à l'occasion de telle ou telle opération. Il s'agit donc de comprendre comment fonctionne le cerveau à partir de la représentation en images de son activité.
Ces dernières décennies, les neurosciences ont pu tirer profit de nouvelles méthodes d'investigation permettant d'observer le fonctionnement du cerveau au sein de la totalité organique. Le cerveau se révèle communiquer avec le reste de l'organisme par les substances nutritives et les signaux qu'il reçoit et émet. D'emblée les observations recueillies le sont à partir des paradigmes des théories de l'information et de la communication. Ainsi, constate-t-on que le fonctionnement du cerveau génère des signaux électriques, les potentiels d'action qui se propagent le long des neurones et aboutissent aux organes. De telles observations sont précieuses et témoignent de ce qui est rendu possible par le biais des techniques d'imagerie. La grande nouveauté, c'est qu'il est désormais possible "de réaliser des investigations du cerveau sans qu'il y ait danger pour le patient ou le volontaire sain et sans ouvrir la boîte crânienne" (Pautrat, 2007, p. 58). Ces techniques d'investigations offrent des informations à la fois morphologiques en restituant le cerveau d'un particulier dans toutes ses stratifications, et fonctionnelles, c'est-à-dire qu'elles révèlent les fonctions cognitives à partir desquelles s'active le cerveau pour effectuer diverses tâches. Dans son livre L'imagerie cérébrale fonctionnelle, Bernard Mazoyer propose le modèle selon lequel "l'activité cognitive peut être vue comme un ensemble organisé dans le temps et dans l'espace d'activités neuronales" (Mazoyer, 2001, p. 98).
Ce qui intéresse précisément les neurosciences c'est de rendre compte des opérations cognitives, saisir le fonctionnement cérébral, ce qui est en soi heuristique, mais nécessite des balises que certains projets semblent ne même pas concevoir. En outre, pourquoi considérer que cet axe serait le dernier mot de l'expérimentation?
Que se passe-t-il et quelle est l'utilité de la visibilité du symptôme psychiatrique via l'imagerie cérébrale? L'imagerie médicale incite les neuropsychiatres à vouloir voir le psychotique qui délire. L'IRM détecte les régions d'activité neurale en enregistrant les changements des niveaux d'oxygénation sanguine. Lorsque l'activité neurale augmente, le débit de sang oxygéné augmente aussi dans une région donnée. Excès dans la quantité de sang oxygéné par rapport au sang non oxygéné. Le signal de résonance magnétique vient signaler l'activité fonctionnelle. C'est donc ce qui se passe dans le corps qui intéresse, sans autre questionnement que celui consistant à prendre en flagrant délit un corps en activité. Le problème est bien qu'en cherchant à localiser le délire, le regard en vient à voir ce qu'il veut voir dans l'image, à porter son interprétation au-delà de la rencontre et de la logique que s'est frayé le symptôme dans l'histoire du sujet.
Dans un article du New York Times, "Can brain scans see depression" écrit par Benedict Carey le 18 octobre 2005, on peut lire les déceptions des chercheurs en imagerie de la santé mentale, tâtonnant et constatant d'années en années avoir investi des dépenses colossales pour des études en psychiatrie qui se révèleront infécondes. Orienter les recherches demande donc aussi du discernement et de reconnaître les points de butées qui sont corrélatives des conséquences de certaines épistémologies trop scientistes. Dans le même journal, Ethan Watters montre en 2010 que la psychiatrie américaine tend justement à imposer au reste du monde sa conception étroitement neurobiologique des maladies mentales.
François Gonon (2011) dans un article récent pose une question essentielle à ce propos: la psychiatrie biologique serait-elle une bulle spéculative? Il répond à partir d'une fine analyse du modèle américain et de l'idéologie que la biologie psychiatrique impose comme représentation dans le social. Notons que François Gonon est neuroscientifique et qu'en sa qualité de chercheur, il ne conçoit pas que l'avancée des connaissances actuelles en neurosciences puisse légitimer la psychiatrie à s'en revendiquer pour affirmer quoi que ce soit sur les maladies mentales. Il conclut son article par un vœu auquel mon propos ne peut que souscrire: "Je plaide donc pour une recherche en neurosciences dont la créativité ne serait pas bridée par des objectifs thérapeutiques à court terme, pour une pratique psychiatrique nourrie par la recherche clinique et pour une démédicalisation de la souffrance psychique" (Gonon, 2011, p. 73).
Dans un autre contexte, le psychiatre Edouard Zarifian mettait en avant l'idée selon laquelle, face à l'image, les biais méthodologiques sont nombreux et rendent difficile l'interprétation de ce que l'on croit mesurer. Or, c'est bien lorsque l'imagerie vise le cerveau qu'elle ouvre aux interprétations les plus discutables. L'image cérébrale serait ainsi le paradigme même du scotome du réel par la méthodologie scientifique. Là où un organe annexe peut être pris sur le vif, en flagrant délit de jouissance, la possibilité d'y déceler une origine organique stricte est certes possible, mais n'épuise pas pour autant la question de la relation qu'entretient le sujet avec sa maladie et donc son corps. Voir où ça jouit n'épuise pas toute question étiologique, mais au contraire finit par vider toute question. Pour autant, si l'on suit Edouard Zarifian, la clinique s'enrichit d'une approche cognitiviste. Ce psychiatre s'intéressait aux recherches sur les fonctions du cerveau qui nous mettent en relation avec l'environnement, qui permettent de donner un sens à ce qui se passe, d'élaborer un programme d'action pour agir sur l'environnement en question. Les fonctions cognitives sont les traitements de l'information par le cerveau. Pour lui, réécouter et observer un malade déprimé ou un malade délirant en ayant présent à l'esprit ces différentes étapes du traitement de l'information permet de recueillir des données qui ne sont pas accessibles par l'observation clinique classique. Cette approche est un bel exemple de croisement des modèles sans tentative d'hybridation du savoir.
La scientificité de la psychanalyse a depuis toujours était remise en cause. Freud pourtant reprend ses cas et les retravaille. Il peut se corriger, dire qu'il s'est trompé et pose les limites de ce qu'il avance au moment des connaissances auquel est parvenu l'investigation psychanalytique. Quand on critique la psychanalyse, on lui oppose le mot science au singulier, ce qui pose problème. Or, Gaston Bachelard a théorisé la pluralité des raisons, ce qui est l'argument majeur contre toute forme de positivisme, qui impose un seul modèle de scientificité.
Une des confusions fondamentales consiste à confondre l'organe et ce qui passe par l'organe. L'inconscient est inobservable en tant que tel, c'est un concept, qui permet de mettre en rapport des phénomènes qui sont repérables mais qui ne sont pas l'inconscient, mais en sont des effets. Un certain pan des neurosciences n'accepte pas l'idée qu'il y ait de l'inobservable dans les comportements humains. Les formations de l'inconscient ne seraient pas de l'inconscient pour la conception neuroscientifique. On ne peut pas réduire la question du sens à ce que les neurosciences observent. Il y a une part qui échappe aux neurosciences et ce reste est sans doute ce qu'investit la psychanalyse. Il y a une part du phénomène qui est radicalement inobservable et réduire l'objet à ce qui est observable est un problème épistémologique.
Selon Kassirer (1992), l'image qu'on lit n'est qu'un modèle de la réalité, aussi les tomographies d'une tumeur ne sont que des représentations de celle-ci; les représentations en ultrason d'une anomalie donnée sont des ondes sonores converties en images vidéo, et non la propre anomalie. Les technologies par l'image sont marquées par des discussions permanentes sur l'autorité et l'inscription culturelle, visant à déterminer qui aura l'autorité pour définir le rôle et la signification de ces technologies et comment elles seront institutionnalisées.
Le corps et ses images, pris dans des dispositifs dont la nouveauté est tout entière à mesurer, demeurent encore peu pensés dans les termes d'une pluridisciplinarité féconde dont ce texte souhaite être l'une des contributions.
Notes
1 Citons à titre d'exemple ces quelques contributions auxquelles nous renvoyons le lecteur: Georgieff, N. (2005). Pour un échange entre psychanalyse et sciences de l'esprit. L'Evolution Psychiatrique, 70(1), 63-85. Georgieff, N. (2008). L'empathie aujourd'hui: au croisement des neurosciences, de la psychopathologie et de la psychanalyse. La Psychiatrie de L'enfant, 51(2), 357. Dimitriadis, Y. (2009). Existe-t-il des affections psychosomatiques du cerveau? Recherches en Psychanalyse, 1, 9-24.
2 Le réel selon la terminologie lacanienne ne se confond pas avec la réalité. Lacan proposera la formule selon laquelle le Réel c'est l'impossible. En d'autres termes, ce qui nous est accessible, c'est la réalité c'est à dire le discours qui décrit et crée une vision du monde pour tous ceux qui y participent, le monde tel que nous le percevons avec nos sens et notre intelligence. En revanche le réel se définit comme limite du savoir, limite à partir de laquelle il ne peut être appréhendé mais plutôt cerné et déduit; le réel dans sa globalité et sa complexité c'est l'impossible comme impossible à dire.
Références
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Recebido em 11 de julho de 2014
Aceito para publicação em 28 de setembro de 2014