Serviços Personalizados
Journal
artigo
Indicadores
Compartilhar
CliniCAPS
versão On-line ISSN 1983-6007
CliniCAPS v.2 n.4 Belo Horizonte abr. 2008
ARTIGOS
Le spectre de la chronicite1
Alfredo Zenoni*
Association Mondiale de Psychanalyse (AMP)
RÉSUMÉ
L´auteur propose de discuter les dégâts résultants de l´assimilation hâtive des troubles mentaux au cadre du discours médical, lorsqu´il s´agit de la prise en charge des patients dits chroniques, à partir d´une mise en question du concept médical de chronicité. Ce faisant, il souligne l´importance de se passer de l´échelle hiérarchique des traitements, dans laquelle le patient chronique se retrouve mis dans le plus bas dégrée, pour démontrer qu´au lieu de leur imposer des idéaux thérapeutiques, on doit faire des services psychiatriques un instrument dont ces patients peuvent se servir selon leurs propres références.
Mots-clefs: Chronicité, Idéaux thérapeutiques, Discours médical, Instrument
La chronicité est une notion fréquemment évoquée dans les discussions et les projets de reforme relatifs à la clinique et à la thérapeutique psychiatriques. Cependant, elle est dabord un concept proprement médical. « Chronique » désigne, par opposition à aigu, une affection dont lévolution est lente et longue, mais aussi, avec un accent moins optimiste, un état de laffection désormais inaccessible à ce que le médecin est censé prodiguer, à savoir la guérison.
Transposé dans le domaine psychiatrique, la notion de chronicité évoque surtout cette deuxième signification et se charge dès lors dautres connotations, celle qui associe à létat de la maladie lidée dune occupation indue, injustifiée, dune place de soigné, soit encore celle dune réduction de la vie sociale à une vie définie par le statut dassisté. Cest à cet effet, dit « iatrogène », de la prise en charge thérapeutique quon se réfère principalement, lorsquon se penche sur le phénomène de la « chronicité » dans le champ psychiatrique. Aussi, transposée dans ce champ, la notion de chronicité est presque toujours conçue comme la conséquence collatérale, mais invalidante sur le plan social et existentiel, de linstance qui est censée assurer lamélioration ou la disparition de la maladie. Le « chronique » est celui qui sincruste dans une structure de prise en charge thérapeutique. Et linstitution ou le thérapeute qui persistent à le garder en traitement sont qualifiés de « chronifiants ».
Critique dun présupposé
Lidée selon laquelle, passé un certain seuil, lefficacité du traitement est inversement proportionnelle à sa durée est tributaire dun présupposé quon ne peut que questionner si lon veut éviter les conséquences pratiques parfois dramatiques que cette idée entraîne. Ce présupposé est celui qui commande de penser les problèmes de la santé mentale sur le modèle des problèmes de la santé physique. Or, tant quon naura pas admis une spécificité de la psychiatrie au regard de la médecine, on ne sortira pás des impasses quentraîne la pure et simple assimilation de lune à lautre. La psychiatrie ne constitue pas un sous-ensemble de lensemble médecine, pour le dire dans les termes de la théorie des ensembles, mais constitue un ensemble distinct comportant une zone dintersection avec lensemble médecine.
La pathologie psychiatrique ne peut être pensée comme lalignement dune série de troubles isolés, comme peuvent lêtre les troubles physiques, où à chaque organe ou à chaque fonction correspondent une pathologie et une thérapeutique propres. En psychiatrie, les racines du dit « trouble » (disorder) dépassent largement les limites de la fonction concernée, elles renvoient à une configuration clinique globale, quil sagit de reconstituer, et dont le trouble est un symptôme. Prenons ce patient qui a le sentiment pénible que sa pensée se décompose, surtout lorsquil doit lexprimer, cest-à-dire parler. Il a alors limpression que son cerveau étouffe. Eh bien, ce jeune homme dit aussi que son drame est davoir échoué à se faire aimer par une femme. « Je narrive pás à saisir à quel moment précis la femme veut de moi », dit-il. Vers lâge de dix-huit ans il avait pu enfin réaliser lidée qui lobsédait : aller voir un film porno. Les quelques séquences quil avait pu regarder avaient déclenché un état de panique qui lavait fait se précipiter chez son père pour lui annoncer quil était foutu. Il avait la certitude que as mort allait être imminente. Il avait été hospitalisé. Comment concevoir que ces éléments cliniques peuvent être isolés comme autant de « troubles » distincts, trouvant dans le DSM leur code correspondant, alors quils sont manifestement les signes dune configuration subjective globale ?
Le contexte inter-humain du trouble psychiatrique
Or, réferer le trouble à cette configuration subjective globale comporte de concevoir le rapport de la thérapeutique au temps dune manière différente de celle que suppose lisolation du trouble. Dans ce second cas, cest-à-dire dans le cas où lon conçoit lissue de la thérapeutique comme équivalent à la disparition du trouble, la pratique ne peut se concevoir que sur le modèle dun acte technique spécifique, dont lapplication comporte des phases successives et une durée limitée. Au regard de quoi tout autre aspect de la prise en charge apparaît comme une superfluité quil sagirait de réduire le plus possible dans son extension et dans sa durée, sous peine dentraîner la fameuse chronification du patient.
Par contre, si lon conçoit le trouble psychiatrique comme la manifestation dune structure qui dépasse de loin les limites de la fonction troublée, la belle linéarité de la progression thérapeutique et de ses phases se défait et laisse la place à un parcours dont les moments ne sont pas ordonnés selon un schéma standard, mais reflètent plutôt lês vicissitudes relationnelles et existentielles de la personne qui souffre de ce troublen. Un symptôme psychiatrique nest pas de lordre dun « observable » à un instant t . Il est indissociable de lhistoire du sujet, de sa relation à lAutre, de ce que le patient luimême en dit. Le contexte inter-humain du symptôme fait partie du symptôme tout comme le contexte inter-humain du traitement fait partie du traitement. Ce qui na rien à voir avec une prétendue corrélation entre les pathologies psychiatriques et la classe sociale. Ce qui a à voir plutôt, dune part, avec ce que ces pathologies ont en commun avec les autres manifestations de la condition humaine, qui les met en continuité avec ce quont déjà en soi de fou la recherche de la satisfaction et le fonctionnement de lesprit chez lêtre humain. Ce qui a à voir aussi, dautre part, avec lincidence que la relation au thérapeute a sur le traitement lui-même. Cette relation a peu de chose en commun avec le conseil ou le soutien pour « maintenir un style de vie sain » que le patient qui souffre de diabète ou de troubles cardio-vasculaires peut trouver dans lentourage, en quoi consisterait la psychothérapie, daprès la célèbre biologiste des maladies mentales Nancy Andreasen1. Non, le contexte daccueil et daccompagnement fait partie du traitement au sens où il doit constituer un contexte spécifique, réalisant un style de présence et de parole qui répond à ce qui cause la difficulté sur le plan de la présence et de la parole chez le patient.
Lagressivité, linterprétation délirante, lerrance, la fuite de la pensée, la perspective du suicide, langoisse, la consommation de drogue ou dalcool, qui se sont atténuées, voire ont disparu dans le contexte dune hospitalisation, peuvent se remanifester hors du contexte hospitalier, malgré la médication, à la suite dune mauvaise rencontre, de la rupture dun lien, de la mort dun grand parent, de la grossesse de la belle-sur, dun propos moqueur ou énigmatique, dun choix à faire, voire simplement de la reprise des relations familiales. Du même coup, lapproche des troubles psychiatriques comme maladies de la condition humaine, - condition qui inclut immédiatement la relation à lAutre comme composante constitutive autant de la pathologie que de son traitement - cette approche modifie profondément la perception de la temporalité du processus.
Lidée est moins celle de la suppression de quelque chose que de la transformation ou du changement de régime de quelque chose qui reste le même : la personnalité, léconomie libidinale de base, la structure clinique ou comme on voudra lappeller. Dès lors, lamélioration ou la stabilisation thérapeutique aparaîssent moins être le fait dun acte technique, ou de plusieurs actes techniques, que le fait dum processus où le contexte intersubjectif daccompagnement ou dhébergement joue um rôle essentiel.
Dune manière ou dune autre, la notion dun lien social où se nouent la singularité du désir et la référence à une réalité commune na pas pu sinscrire ou sintérioriser suffisamment pour les sujets dont nous nous occupons. Elle exige donc le plus souvent dêtre réalisée, physiquement si je puis dire, par un lien social de suppléance, par un autre genre dAutre que celui auquel le sujet est en butte. Dès lors, le contexte de la prise en charge ou de laccueil nest pas seulement le cadre dans lequel se déroule le traitement, mais fait partie intégrante du traitement. Et inversement, quelque chose du traitement se poursuit ou doit se poursuivre dans la conception et dans la pratique de laccompagnement social. Dune part, il ne sagit pas de méconnaître dans le projet de lhôpital, et de ses équivalents plus légers, le rôle thérapeutique indépendamment même de la médication que peut y jouer sa fonction dasile, de refuge, de mise à distance. Fonction qui permet dès lors de nuancer fortement la pertinence thérapeutique de la célèbre formule appliquée à lhôpital : « Ici, ce nest pás un hôtel », car sil sagit bien dun hôtel - un hôtel pas comme les autres, certes mais un hôtel tout de même, car il est bien aussi un lieu dhabitation, de vie en commun, dhospitalité. Dautre part, il ne sagit pas daccompagner et dassister le sujet dans le registre du social comme si la dimension clinique ne devait plus y être prise en compte. On peut même aller jusquà dire que cest justement lorsque le social entre en jeu que la difficulté clinique se fait plus aiguë, ou de nouveau plus aiguë.
Se passer de léchelle des traitements
Dès lors, nous pouvons déduire de cette étroite liaison entre le trouble et lê contexte de son déclenchement comme de son traitement, une autre configuration dês diverses formes de prise en charge que celle de leur disposition sur une échelle dintensité thérapeutique décroissante qui aboutirait à labsence de cure. Cette notion dune échelle risque toujours de faire appréhender le recours à une forme de thérapeutique comme inapproprié, soit parce que le patient nest plus assez malade pour une institution située sur tel point de léchelle soit parce quil est encore trop malade pour telle autre institution soi disant plus évoluée. La perspective dune succession ordonnée des formes de traitement tend toujours à faire apparaître la forme qui est em cause comme régressive ou comme chronifiante au regard du point de son évolution que le sujet devrait avoir atteint sil y avait mis un peu plus de bonne volonté. Cest une perspective qui risque toujours dentraîner des décisions de sortie ou de refus dentrée qui peuvent avoir des conséquences dramatiques pour le patient et/ou pour son entourage. Croire que la suppression de lhôpital psychiatrique ou la réduction dês durées de séjour constituent en elles-mêmes un facteur de dé-chronification revient à croire à la nature purement médico-biologique de la maladie mentale et méconnaître as texture relationnelle, cest-à-dire transférentielle, libidinale, sociale. Vivre seul dans um appartement, parce que cela ressemble à une forme de vie plus proche de celle de tout le monde, nentraîne pas ipso facto une amélioration du soubassement clinique du patient, pas plus que le fait de résider dans une communauté thérapeutique ne signifie pas une « régression » clinique.
Ne nous laissons pas suggestionner par les idéaux de dé-thérapeutisation hérités de lanti-psychiatrie. Plaçons nous du point de vue du patient et considérons cette succession plutôt comme une multiplicité sans hiérarchie et sans progression entre elles des formes de traitement qui soffrent au sujet. La dimension inséparablement sociale et individuelle de la clinique commande également linséparabilité du traitement et de son contexte relationnel, sans quon puisse codifier la forme qui convient en ce moment au sujet : habitation protégée, hôpital, centre de santé mentale, centre de jour, consultation privée. Essayons de faire dépendre le type et la durée du traitement de lusage que le sujet peut en faire en ce moment ( par exemple de cette courte hospitalisation quil demande) et non dun schéma a priori qui en définirait ladéquation. A partir du moment où la dimension sociale de la prise en charge apparaît faire partie du traitement et la dimension deffet thérapeutique apparaît faire partir de laccueil social, lidée dune séquence temporelle séchelonnant du traitement à sa disparition perd de son évidence, et avec elle lidée dun traitement qui serait anachronique ou superflu. Ce nest pas parce que le patient napporte rien de nouveau dans les entretiens, ne met pas en pratique les projets dont il avait parlé, voire na aucun projet, que la prise en charge ou laccompagnement ne jouent pas un rôle dans la pacification de son expérience et dans la stabilisation de son rapport à lenvironnement. La question nest pas de savoir si telle prise en charge constitue un progrès ou une régression, mais si le sujet va pouvoir sen servir maintenant pour faire face à une angoisse, à un sentiment suicidaire de vide, à limminence de sa violence, à une solitude insupportable.
Au lieu de considérer comme un phénomène de « sédimentation » de malades « chroniques » le fait que des patients psychotiques consultent encore après 10 ans um centre ambulatoire, pour reprendre les termes dune enquête2, nous considérons, au contraire, que cest un signe de la fonction damarrage et de référence que ce centre a pu réaliser pour eux et qui a probablement permis leur maintien dans le contexte du lien social de tout le monde le fait quils aient pu sen servir pendant des longues années.
Adopter une perspective psychiatrique, et non une perspective médicobiologique, sur la maladie mentale, nous libère du spectre de la chronicité spectre qui est plus une menace pour lidentification professionnelle du thérapeute que pour lévolution du patient. Cela nous rend plus disponible à un usage moins crispé, plus souple, plus adapté à chaque style de patient, de la réponse thérapeutique. Ce ne sont pas le petit nombre de traitements ou leur courte durée qui sont en soi garants de la stabilité des effets thérapeutiques obtenus. Cest plutôt la façon dont nous permettons au sujet de sen servir au lieu de lui imposer nos critères qui va lui permettre détablir une adresse qui, du fait même de pouvoir être permanente, peut aussi se réduire à peu de chose, à quelque forme minimaliste de la prise en charge ou de lhospitalisation. Du moment quelle reste un recours toujours possible, au lieu dêtre vécue comme une « régression », la référence à lAutre thérapeutique peut à elle seule déjà avoir un effet thérapeutique.
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE
SCHEIDER, P.-B.; CARRON, R. (1980) Quelques problèmes de la chronicité du malade ambulatoire, Archives Suisses de Neurologie, Neurochirurgie et de Psychiatrie, vol. 126, 2, p. 291-302 [ Links ]
ANDREASEN, N. C. (2004) Brave new brain, Vaincre les maladies mentales à lère du genome, De Boeck Université, Bruxelles, 2004 , p. 50 [ Links ]
1 N. C. ANDREASEN, Brave new brain, Vaincre les maladies mentales à lère du genome, De Boeck Université, Bruxelles, 2004 , p. 50.
2 P.-B. SCHEIDER et R. CARRON, Quelques problèmes de la chronicité du malade ambulatoire, Archives Suisses de Neurologie, Neurochirurgie et de Psychiatrie, vol. 126 (1980), 2, p. 291-302.
* Membre de l'Association Mondiale de Psychanalyse (AMP)