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Revista Psicologia e Saúde

versão On-line ISSN 2177-093X

Rev. Psicol. Saúde vol.6 no.1 Campo Grande jun. 2014

 

SUPLEMENTO ESPECIAL: INTIMITÉS ET VIOLENCES

 

Glamour, marketing et bistouri: le concours de Miss Venezuela

 

Glamour, marketing and scalpel: competition of Miss Venezuela

 

Glamour, marketing e bisturi: o concurso de Miss Venezuela

 

 

Dominique Gay-Sylvestre

FLSH FRED/ALEC Université de Limoges, France

 

 


RÉSUMÉ

Le phénomène de masse produit par le concours de Miss Venezuela, s'est transformé en obsession nationale. Orgueil de tout un peuple, il enflamme les passions et illumine les rêves les plus fous des Vénézuéliennes. Pour les sélectionnées, c'est le début de sacrifices et de transformations sans nom, sous l'œil vigilant et intraitable du Président du Concours, Osmel Souza. Façonnés selon les critères esthétiques dictés par le dessinateur et créateur, le corps et le mental des jeunes filles sont mis à rude épreuve. Mais, la couronne de Miss Venezuela et, plus tard celles de Miss Univers et Miss Monde sont à ce prix : les lumières, la gloire, le luxe leur feront oublier, pour un temps, un monde où le concept, perverti, de la beauté plastique fait fi de l'humain.

Mots-clés: Concours; Miss Venezuela; Corps; Mode; Beauté.


ABSTRACT

The mass phenomenon produced by the Miss Venezuela, was transformed into a national obsession. Pride of a people, which inflame the passions and illuminate the dreams of Venezuelans. To the those who wore selected, this is the beginning of sacrifices and unnamed transformations, under the watchful eye of President of intractable procedure, Osmel Souza. Shaped according to aesthetic criteria dictated by fashion designer and creator, the girl's body and mind are put to the test. But the crown of Miss Venezuela and later the Miss Universe and Miss World are at stake: the lights, fame, luxury will make them forget, for a moment, a world where the concept, pervert, plastic beauty ignores the Beings humans.

Key-words: Competition; Miss Venezuela; Body; Fashion; Beauty.


RESUMO

O fenômeno de massa produzido pelo concurso de Miss Venezuela, foi transformada em uma obsessão nacional. Orgulho de um povo, que inflama as paixões e ilumina os sonhos de venezuelanos. Para as selecionadas, este é o começo de sacrifícios e transformações sem nome, sob o olhar atento do Presidente do Concurso intratável, Osmel Souza. Moldada de acordo com critérios estéticos ditados pelo estilista e criador, o corpo e a mente meninas são postas à prova. Mas a coroa de Miss Venezuela e mais tarde as de Miss Universo e Miss Mundo estão em jogo: as luzes, fama, luxo vai fazê-las esquecer, por um momento, um mundo onde o conceito, pervertido, da beleza plástica ignora os seres humanos.

Palavras-chave: Concurso; Miss Venezuela; Corpo; Moda; Beleza.


 

 

J'ai l'impression d'être le gérant d'une usine de conditionnement de tomates ou un truc dans le genre et qui doit maintenir à tout prix, une ligne de produits très importante, pour le pays ou pour l'extérieur1.

L'auteur de ces propos, le « tsar de la beauté », Osmel Sousa, est président du concours Miss Venezuela. Cerveau d'une institution prestigieuse, celle du concours de Miss Venezuela, à Caracas, les termes qu'il utilise pour évoquer le monde qui l'entoure, les miss en particulier, d'une grande trivialité, ne laissent pas de surprendre.

Ces Miss qu'il fabrique - ce sont ses propos - seraient-elles comparables à des tomates ? Rondes, comme elles, juteuses, fermes, savoureuses, d'un rouge chaud et éclatant, signe d'un produit sain, naturel et de qualité, elles sont, par la suite, palpées, soupesées, happées, écrasées, par la mécanique impitoyable de la production sélective et la recréation d'un mythe de la beauté corporelle, implacable, érigé en vertu.

Au fil des années, il est vrai, le phénomène de masse produit par le concours de Miss Venezuela, s'est transformé en obsession nationale. Orgueil de tout un peuple « qu'aucune crise économique ou mauvais gouvernement n'a pu mettre à mal » (Rodríguez, 2005, p. 7), il enflamme les passions et illumine les rêves les plus fous des petites filles et des jeunes femmes de 18 à 25 ans.

Rituel savamment orchestré par les media, par la chaine de télévision Venevisión, adapté aux besoins, réels ou créés, de la société, la plastique des reines de beauté, « revisitée », y est savamment exposée.

Prisonnières consentantes d'une organisation qui les manipule et les transforme en produit mercantile, issues des concours régionaux qui pullulent tout au long de l'année, elles deviennent rapidement de purs symboles iconographiques, stéréotypes d'une image artificielle qui les amène parfois au bord de la rupture.

Au Venezuela, c'est en 1944 que l'on assiste, pour la première fois, à un concours de beauté d'une ampleur nationale. La délégation vénézuélienne qui accompagne les joueurs qui participent à la VII Série Mondiale de baseball n'a pas de reine de beauté. Une élection est alors organisée à l'échelle de la nation, suivant un programme très rigoureux : deux candidates sont en lice : Oly Clemente, favorite des gens « bien » et Yolanda Leal, qui a la préférence du « peuple ». La victoire, écrasante, reviendra à cette dernière.

Dès lors, l'engouement populaire pour les concours de beauté ne se démentira pas. En 1952 la Panamerican Airways (PANAM), installée au Venezuela, décide, pour des motifs publicitaires, d'envoyer une représentante vénézuélienne au concours de Miss Univers qui se déroule, la même année, à Long Beach (Californie). La sélection de Miss Venezuela, à peine troublée par les protestations scandalisées des organisations religieuses de la capitale qui s'offusquent des défilés en bikinis, se déroule simplement : le maquillage et les vêtements utilisés lors des défilés appartiennent aux candidates qui ne reçoivent aucun entraînement spécial.

En 1955, la PANAM cède les droits du concours au journaliste et musicologue Reinaldo Espinoza Hernández. La même année, la vénézuélienne Susan Duijm triomphe au Concours de Miss Monde. Mais les attaques répétées de l'église catholique, le désintérêt de la presse et une nouvelle interruption du concours en 1959 pèsent sur un concours dont l'organisation n'est pas aboutie. En 1962, R. Espinoza Hernández vend les droits de Miss Venezuela à l'entrepreneur cubain Ignacio Font Coll.

Dès lors, un Comité vénézuélien de la Beauté prend les choses en mains. Font Coll fait appel à des publicitaires professionnels et, pour la première fois, le concours, payant pour les spectateurs, est retransmis par Radio Caracas Televisión. La machine à fabriquer des Miss n'est pas encore bien huilée, mais la transformation est notable. Très rapidement, le concours devient un négoce très lucratif pour son nouveau propriétaire et une nouvelle vitrine pour le Venezuela.

Dès 1964, l'organisation, de type militaire, mise en place par Font Coll porte ses fruits avec le premier couronnement d'une vénézuélienne au concours de Miss Beauty Form. En 1967, la candidate vénézuélienne arrive première finaliste au concours de Miss Univers. En 1968, le concours de Miss Tourisme d'Amérique Centrale et des Caraïbes est ravi par l'une des finalistes du concours Miss Venezuela, tandis qu'une autre obtient la troisième place au concours de Miss Univers.

Le nom d'Osmel Sousa, cubain d'origine, dont la famille a émigré au Venezuela en 1959, apparaît pour la première fois parmi les collaborateurs de Font Coll. Il est désormais le dessinateur attitré des robes que porteront les candidates au titre de Miss Venezuela. Rôle qui révèle ses talents de styliste et de créateur et lui permet de réaliser ce qu'enfant, à Cuba, il concevait en cachette de ses parents. « Tout jeune » raconte-t-il,

je créais déjà mes propres concours de beauté. Je m'amusais à dessiner de petites poupées ; à cette époque, je les décalquais et elles étaient vraiment jolies. J'en dessinais une, deux, trois, jusqu'à 10 parfois ... Mon travail était minutieux et mes poupées vraiment jolies. J'organisais le vote moi-même. Trois ou quatre jours plus tard, après les avoir bien étudiées, et bien réfléchi, j'organisais une élection. Je lui dessinais une couronne et une écharpe sur laquelle j'inscrivais le nom d'un pays pour celle que j'avais choisie. Puis je redessinais d'autres poupées et sur les dix, j'en élisais à nouveau une et lui dessinais une couronne et une écharpe. Je constituais ainsi un petit groupe. Cela m'occupait des jours entiers. Par la suite, je ne me contentais pas de les dessiner ; je les découpais et essayais de les faire tenir debout en fixant un bout de carton derrière... jusqu'au jour où ma mère découvrit la boîte dans laquelle je les rangeais et me donna une bonne correction parce qu'à ses yeux, je jouais à la poupée (Rodríguez, 2005, p. 27).

Osmel Sousa peut désormais jouer sans crainte. Les jeunes femmes dont il modèle les parures ne sont guère éloignées de ses anciennes créations. Elles deviendront ses nouvelles poupées. Tout aussi dociles et passives que celles qui constituaient son univers d'enfant, elles se livrent sans restriction à celui dont l'esprit créatif et habile, va les faire triompher et les transformer en reines de beauté.

En secret, comme il le faisait autrefois avec ses poupées, Osmel sélectionne une candidate dont il évalue le potentiel et la prépare pour la victoire. Son flair le trompe rarement ; aussi, lorsqu'on lui présente Maritza Savalero, voit-il, derrière un visage au nez disgracieux et aux cheveux rares, « quelque chose d'autre derrière ce désastre2». Il lui demande de se dévêtir et, raconte-t-il, « ...je découvris une femme superbe ». Maritza subit une opération du nez, la première dans l'histoire du Concours de Miss Venezuela, mais pas la dernière, et lui fait porter une perruque.

Le succès est au rendez-vous : en 1979, Maritza Savalero, gagne le concours de Miss Univers. Retransmis, pour la première fois, en couleur, par la télévision vénézuélienne, la consécration de Miss Venezuela signale le triomphe d'une véritable armada.

Cette reconnaissance internationale qui englobe dans une même symbolique la beauté naturelle de la femme vénézuélienne et la beauté géographique de la nation vénézuélienne assure du même coup la gratitude du peuple vénézuélien envers les auteurs d'un succès interplanétaire et construit une véritable identité nationale autour du Concours des Miss.

Peu après le décès de Font Coll, en 1981, les droits du Concours des Miss sont rachetés par le Président de l'Organisation Cisneros, Gustavo Cisneros, dont l'entreprise Venevisión assurait déjà, en exclusivité, la retransmission télévisée du Concours. Osmel Sousa est nommé Président de l'Organisation Miss Venezuela. Il va enfin pouvoir préparer, façonner, en pleine lumière cette fois, des jeunes filles, dont le corps doit devenir un objet de pure contemplation esthétique, un corps idéal pour des poupées de chair, idéalisées, exhibées, commercialisées et, qui, en aucun cas, ne doivent provoquer de désir sexuel chez celui qui les contemple.

Eternelle poupée, Miss Venezuela doit exhiber une beauté intemporelle et immuable à la fois. Elle est la garantie de la longévité du concours et se veut la représentation d'une héroïne des temps modernes, capable même d'occuper un espace clé au sein de la vie politique et sociale.

Toutefois, avant de devenir des « belles de laboratoire », les aspirantes à l'école de Miss Venezuela doivent fournir un certain nombre de garanties : appartenir à une famille de classe moyenne ou de la bourgeoisie, distinguée, « non pas par préjugés sociaux, mais parce qu'elles ont une autre préparation », se défend Osmel Souza (Finol, 1999, p. 106), être accompagnées de leurs parents lors de leur admission afin de se prémunir contre tout recours ultérieur, « ne pas avoir de fiancé jaloux » (Rodríguez, 2005, p. 22) et poursuivre des études (peu importe la discipline).

Vient, ensuite, un entraînement draconien, d'une durée minimum de dix mois, à raison de 10 heures par jour, à l'Institut Hermann où, pour la « modique » somme de 15000 Bolivars - ce qui expliquerait a posteriori pourquoi elles doivent appartenir à une famille des classes moyenne ou de la bourgeoisie - (Rodriguez, 2003, p.11) on leur enseigne à parler, à marcher, à se maquiller et à se vêtir afin de devenir de parfaites dames de société.

Il m'arrive de « tomber » sur une jeune fille dont je pense qu'elle peut correspondre aux critères d'Osmel, commente Gisselle Reyes, ancien mannequin et professeur de mannequinat au sein de l'institut et de l'Organisation du Concours Miss Venezuela. Je la prépare, « lui fais teindre les cheveux et l'envoie dans un gymnase pour qu'elle maigrisse » (conformément aux critères internationaux sur le poids des modèles et des miss), « bref », ajoute- t-elle, « je fais en sorte qu'elle puisse plaire à Osmel »3.

Mais ce n'est pas suffisant, car l'œil du maître est incroyablement exigeant. Le « contrôle de qualité » qu'il exerce ne peut se satisfaire de cette première phase, surtout lorsqu'il détecte un certain potentiel chez une candidate. Le verdict est sans appel. Et, surtout, il leur faut maigrir...

Maigrir, maigrir à tout prix, quels que soient les sacrifices imposés d'autant qu'Osmel Sousa, de son propre aveu, déteste les grosses. Alicia Machado, Miss Venezuela 1996, 1,64m, en sait quelque chose, qui, parce qu'elle grossit de 4 kilos alors qu'elle doit se présenter au concours de Miss Monde, est disqualifiée. « J'aime les voir s'exprimer avec grâce », commente Osmel au journaliste de la revue People venu l'interviewer, « qu'elles soient belles, qu'elles aient un joli corps, harmonieux, mais je déteste les grosses ; une Miss ne peut tout simplement pas être grosse » répète-t-il.

Vous avez des mamans qui ne cessent de répéter, à longueur de journées, à leurs petites filles 'Tu es belle, tu es belle, tu es belle »' alors qu'elles ne sont pas belles. Il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui leur dise un jour et de manière forte : ' Eh bien, non, tu n'es pas belle !' .

Une fois la future miss repérée par Osmel, sa carrière démarre car il ne la lâchera plus... ; il ne s'agit pas seulement de participer au concours mais bien de le gagner. Si, pour cela, il faut rendre parfait ce qui ne l'est pas, alors tous les moyens seront bons pour y parvenir.

Pour quelques milliers de Bolivars supplémentaires, une équipe de dentistes et de chirurgiens plastiques, devra réparer les « erreurs de la nature » ; elle s'emparera du corps de la jeune femme pour éliminer tout ce qui, en lui, ne correspond pas aux critères de beauté imposés par Osmel, pareil à la gomme dont il se servait pour effacer les traits au crayon, qui ne le satisfaisaient pas. Une Miss, une vraie, doit mesurer au moins 1.80 m (taille plus qu'improbable chez les Vénézuéliennes !); elle est donc élancée, très mince, voire anorexique, porte les cheveux longs, possède un nez parfait, des seins - siliconés - fermes et bien ronds.

« Faire » une miss, raconte le directeur du laboratoire de beauté du Concours, Hermán Vallenilla, peut aller jusqu'à 200.000 Bolivars (soit un peu plus de 30 000 euros, à l'heure actuelle) :

On 'arrange' la dentition de celle qui a de vilaines dents ; on donne une poitrine à celle qui n'en n'a pas. Nous possédons le meilleur laboratoire bionique au monde...

Le monde a évolué ; la beauté aussi. De nos jours la préparation d'une Miss est plus avancée, plus technique... (Rodríguez, 2005, p. 11)

Ce que corrobore celle que l'on a surnommée la « magicienne du bistouri » Rosa de Lira, plasticienne et collaboratrice d'Osmel Sousa :

La Miss d'aujourd'hui ne se dandine pas. Elle ne vend pas de la chair. Elle vend du glamour, du charme, de l'intelligence. La femme aux hanches fortes, qui fait un bon 34B n'est plus à la mode. Celle d'aujourd'hui est stylisée, mince et délicate. 90% de nos élèves ont de la cellulite et les chairs flasques. (Rodriguez, 2005, p. 13)

Alberto Pierini, chirurgien plasticien du Concours Miss Venezuela, affirme, pour sa part, que les interventions qu'il pratique ne concernent que les « zones où la graisse s'est accumulée ».

Le software dont il dispose dans son cabinet, Unit Market Wise, lui permet de travailler avec une caméra digitale et, à partir d'une image virtuelle qu'il modifie à sa guise, d'élaborer les interventions nécessaires aux corrections chirurgicales.

Les critères de beauté ne sont pas fixés une fois pour toutes. Ici, nous travaillons en tenant compte des proportions. Toutes les parties du visage doivent être en harmonie les unes avec les autres. C'est le seul critère esthétique qui prévaut pour Miss Venezuela.

On ne pratique pas la liposuccion sur les corps où la graisse s'est peu accumulée. Depuis un an (1997), une machine à ultra-sons et à haute fréquence qui travaille à la surface de l'épiderme a été mise sur le marché. Grâce à des massages bien ciblés, pendant cinq ou six séances, on peut brûler de petites quantités de graisse accumulée. Pas besoin d'anesthésie, pas de douleur et aucun hématome. (Rodríguez, 2005, p. 34)

Toutes les opérations chirurgicales doivent avoir lieu entre les mois de janvier et d'avril, de façon à permettre le rétablissement complet des jeunes femmes avant qu'elles n'entament leur entraînement physique.

Dans ce processus d'élaboration d'une nouvelle image de la vénézuélienne, de transformation légitimée par la représentation médiatique d'un corps féminin, proche du modèle Barbie, éternellement jeune, éternellement adolescent, tout se retouche, sauf la peau.

Or le concept de race est omniprésent. L'organisation du Concours Miss Venezuela les « préfère blanches, au grand dam des candidates noires ». « Il n'y a pas de Noires jolies au Venezuela; elles ont toutes le nez épaté et de grosses lèvres » se plaît à commenter Osmel Sousa. Dans toute l'histoire du Concours, raconte Alba Achique, ancien mannequin et directrice de l'école de mannequins Garbo & Class de Caracas, une seule femme de couleur l'a emporté, Carolina Indriago, en 1998. « Moi-même, je me suis retirée de la mode. J'en avais assez qu'on donne toujours du travail aux blondes. La situation s'est améliorée, mais il y a encore beaucoup à faire ».

Dans un pays très fortement métissé qui compte un fort pourcentage de Noirs et de Mulâtres, l'inclusion médiatique et médiatisée de la représentation de la femme noire est impensable : la couleur noire associée à la pauvreté est contraire aux aspirations ou aux rêves du public consommateur. Noir/Blanc s'opposant et opposant le laid, le pauvre, l'impur et non sophistiqué au beau, riche, pur et sophistiqué, ils justifient la reproduction de stéréotypes raciaux pour mieux occulter la prédominance d'un canon de beauté de type caucasien qui fait vendre et attire.

En d'autres termes, les messages médiatiques que renvoient les concours de beauté, celui de Miss Venezuela en particulier, qui proposent un modèle de référence, à partir duquel les femmes peuvent comparer et se comparer aux autres, accentuent le phénomène de l'exclusion. La victoire de Veruska Ramírez au concours de Miss Venezuela 1997 en est un exemple. Deuxième lors du concours de Miss Univers, elle se voit décerner le titre du « plus beau corps de l'histoire du concours » (elle obtient la note de 9,85).

En réalité, quels que soient les paramètres imposés, qu'il s'agisse de liposuccion, d'implants mammaires ou de rhinoplastie, le secret du succès « consiste à opérer des chirurgien esthétique Aldo Díaz Aponte, qui assiste le chirurgien attitré du Concours, « de transformer des personnes qui ne sont pas belles »4.

Or, cette nouvelle culture du corps, l'image d'une beauté idéale, donnent lieu à de surprenantes et complexes pratiques féminines normatives : docilité, obéissance, soumission qui vont de pair avec une image corporelle négative, mais, qui, paradoxalement sont aussi source de pouvoir. La sveltesse qui peut mener jusqu'à l'extrême minceur emprisonne le corps et l'esprit, occasionne des dérèglements alimentaires, mais elle est, en même temps, croit-on, plus attirante, plus populaire, plus valorisante. Car, pour celles qui, dès leur tout jeune âge (le concours du « Petit mannequin du Venezuela » est destiné aux petites filles qui ont entre 4 et 9 ans), rêvent d'être Miss Venezuela, les sacrifices et les souffrances ne sont rien comparés au couronnement et à la gloire. D'ailleurs leur entourage les y pousse. Aussi comment les empêcher de vouloir ressembler à ce nouveau modèle de beauté féminine ? Comment empêcher qu'elles considèrent cette transformation physique comme un but en soi, comme un idéal à atteindre, et, ce, quel qu'en soit le prix.

C'est ainsi que, « Pour réaliser son rêve », Vanessa (Vanessa Goncalves, Miss Venezuela 2011)

[...] selon la tradition, s'est dotée de tous les atouts essentiels. Côté visage, elle possède une dentition irréprochable et ultra-blanche ainsi qu'une mâchoire parfaitement agencée qui, lorsqu'elle sourit, dévoile un alignement parfait jusqu'aux molaires. Ses lèvres pulpeuses sont en parfaite harmonie avec l'alignement de son nez. Les pommettes saillantes et l'arcade sourcilière parfaitement perpendiculaire au reste de son visage forment un ensemble harmonieux.

Brune d'origine, Vanessa est à présent blonde et sa chevelure, lissée et laquée sur le devant, ondulée à l'arrière, longe son dos pour arriver précisément juste au-dessus de la quinzième vertèbre. Un détail qui a son importance dans cet exercice de beauté : chaque partie du corps doit être en exact équilibre avec le reste... La peau bronzée [artificiellement], elle possède un corps musclé et une poitrine siliconée... Avec des seins parfaitement proportionnels à ses épaules et à sa taille, Vanessa a désormais de quoi se sentir en confiance pour défiler en maillot de bain à Sao Paulo...5.

Mais de quelle tradition s'agit-il ? L'expression employée par le journaliste est pour le moins curieuse. Est-ce cette tradition qui a fait de Dayana Mendoza, Miss Venezuela et Miss Univers 2008, l'une des Miss les plus « retouchées » par la chirurgie esthétique ? 21 ans, âge limite pour se présenter au Concours, 1,76m, yeux verts, cette modèle professionnelle depuis l'âge de 15 ans (elle a gagné le concours de jeunes mannequins organisé par l'agence Elite), parle quatre langues. Poussée par Osmel Sousa qui sent en elle la future gagnante, elle n'hésite pas à s'allonger sur la table d'opérations pour être la plus belle. Elle subit, entre autres, une rhinoplastie qui corrige un nez légèrement crochu et se fait placer des implants mammaires qui gonflent une poitrine jugée trop plate.

Comment une jeune femme intelligente, à la tête « bien faite » en arrive- t-elle à livrer son corps pour en faire un idéal et un modèle esthétique pour des milliers de jeunes filles ? La popularité mérite-t-elle que son corps soit ainsi corrigé, rectifié? Que ressentira-t-elle face à ce corps que d'aucuns admirent tout en sachant que l'image, publique, qui en est donnée, est celle d'un corps façonné, réélaboré ?

Pouvoir sur son propre corps à travers la chirurgie plastique, pouvoir sur les autres grâce à l'image qu'elle renvoie, accroissent le sentiment de puissance de celle qui est admirée et enviée. Mais, au nom de quelle tradition, le corps humain doit-il subir de telles transformations ? La représentation médiatique du corps humain, en particulier celle du corps féminin, éternellement jeune et beau, réduit la femme à un idéal médiatique insaisissable. Cette volonté d'exorciser les démons de la détérioration physique passe par une recherche obsessionnelle de l'éternelle jouvence, soulignant ainsi le refus de son corps et la crainte viscérale de la perte du désir dans les yeux de l'autre.

Dans ce nouvel archétype recréé par les phantasmes de l'imaginaire masculin à travers la technologie plastique (patent non seulement chez Osmel Sousa mais aussi chez de grands stylistes tels que Ralph Lauren, Karl Lagerfeld,...), on retrouve les vieux schémas androcentriques. Schémas récupérés par les media, diffusés et valorisés, puis reconquis par les hommes, au point, raconte le chirurgien plasticien Aldo Díaz Ponte, d'en recevoir dans son cabinet munis de notes écrites avec les mensurations souhaitées pour leurs épouses ou compagnes6; et, paradoxalement, par un certain nombre de femmes qui, contrairement aux hommes « qui pensent que la ligne droite est le chemin le plus rapide entre deux points, savent que la façon la plus rapide d'arriver à leurs fins est en zigzaguant »7.

Certes, les Miss ne sont pas le reflet de toutes les Vénézuéliennes, mais le culte du corps, l'obsession de la beauté, imprègnent profondément la société vénézuélienne. Le concours de Miss Venezuela, la prolifération et massification des concours de reines de beauté ouvrent grand les portes des cabinets de chirurgie esthétique. L'année 2006 sera d'ailleurs marquée par un boom de la chirurgie esthétique qui se banalise de façon inquiétante : 30 000 opérations de chirurgie plastique seront effectuées, soit une augmentation de 200% des consultations et des opérations (le Venezuela arrive au troisième rang en Amérique latine en ce qui concerne la chirurgie esthétique, après le Brésil et le Mexique. Les USA occupent le premier rang mondial. Vient ensuite la Chine ; l'Inde au quatrième rang. La France est au quatorzième rang).

Prix physique donc mais aussi financier car la beauté est également un négoce et un négoce très rentable pour les organisateurs du Concours. Autrefois, les aspirantes au titre de Miss Venezuela disposaient d'une bourse octroyée par l'Organisation. Devenu un phénomène national, puis international, les sommes colossales investies par Venevisión, principal sponsor, ont amené les organisateurs à :

inventer un système de crédit pour les jeunes filles dont on a évalué le potentiel. Les défilés et les publicités auxquels elles participent leur permettront de rembourser leur dette. (Rodríguez, 2005, 5)

La magnitude événementielle que représente la diffusion du Concours n'a d'égal que son appropriation par la nation toute entière. Aussi, comment résister à l'attraction qu'exerce l'impact médiatique du concours, les sommes astronomiques qui sont en jeu ?

Etrangement, l'instauration de ce rituel récurrent qui fait du Venezuela le pays des Miss et le pays qui compte le plus grand nombre de Miss Monde et de Miss Univers (6 titres de Miss Monde, 6 titres de Miss Univers, 6 titres de Miss International et 1 titre de Miss Terre en 2005) a favorisé l'éclosion d'une identité nationale autour de la naissance de nouveaux modèles de beauté, de nouveaux stéréotypes. Mais, cette identité se fonde sur l'acceptation consciente d'une image corporelle différente, préfabriquée et donc pervertie.

Le Président de la République Bolivarienne, lui-même, s'en est ému au cours de l'un de ses programmes dominicaux « Aló Presidente ». Certes toutes les femmes qui ont recours à la chirurgie esthétique ne souhaitent pas devenir Miss Venezuela ; il n'en demeure pas moins que l'engouement pour la chirurgie esthétique suscite parfois des comportements étonnants. Hugo Chávez raconte que parmi les milliers de lettres qu'il reçoit chaque jour, l'une d'entre elles a particulièrement retenu son attention. Une jeune femme lui demandait, en effet, une somme de 20 000 à 30 000 Bolivars pour une opération des seins. « Bien sûr », raconte-t'il, « j'ai refusé la demande ». Il est vraiment « douloureux de voir des jeunes filles, des jeunes femmes, qui disposent, parfois, de très maigres ressources pour vivre, faire vivre leurs enfants (ne serait-ce que pour leur acheter des vêtements par exemple), et qui cherchent n'importe quel moyen pour se faire faire une opération des seins ».

Mais, ce corps idéal, image de la perfection féminine, né autour du concours Miss Venezuela, est un excellent produit d'exportation et de commercialisation. Le Venezuela « exporte » des femmes belles. Mélange de saveur tropicale et de « la force vitale du sang méditerranéen » (espagnol, italien, portugais), leur beauté créole captive et ravit. Elles sont aussi la recréation des belles mulâtresses aux fesses bien fermes et rebondies, aux hanches et à la poitrine généreuses qu'Osmel Sousa, enfant, admirait à Cuba, et que son imagination transcendait.

Juchés sur des talons de plus de 10 centimètres de haut lorsqu'elles défilent, ces Cendrillons des temps modernes sont entraînées pour triompher et gagner. Pour Osmel Sousa, il n'est rien de plus beau, que de voir, lors du concours, la transformation qui s'est opérée entre la jeune fille, certes jolie, qui, un beau jour, est entrée dans son bureau et celle qui, grâce aux conseils qu'il lui a prodigués ainsi que son équipe, est devenue l'image parfaite et spectaculaire de la sophistication (Finol,1999, 123).

Le Concours de Miss Venezuela est avant tout, un concours de beauté d'où le naturel est exclu. Comme tel, il justifie la chirurgie esthétique car, souligne sans ambages Osmel Sousa, « la beauté n'est pas intérieure...elle entre par les yeux.... » (Rodríguez, 2005, 29). Elle correspond, ajoute-t-il à

une certaine harmonie, à ce je ne sais quoi que je ressens lorsque je vois une jolie femme... ou lorsque nous réussissons à la rendre jolie. Je ne comprends pas comment quelqu'un peut dire que la beauté est intérieure alors qu'il y a dedans des choses horribles et qui puent.

... L'esprit, les sentiments,... Pures stupidités. On peut cultiver l'intelligence, pas la beauté. Celle qui ne naît pas avec toutes les conditions pour être belle, restera sur la touche. Il n'est pas question, pour moi, de m'occuper de l'aspect spirituel ou intellectuel parce que cela va me perturber. Je n'ai absolument pas l'intention d'approfondir ces aspects chez les jeunes filles du groupe ; pour aucune d'entre elles car, pour moi, a priori, elles se ressemblent toutes : un physique avec des possibilités de triompher à l'extérieur. (Finol, 1999,115-116)

D'ailleurs, « le Concours n'est pas un concours d'intelligence », souligne- t-il. « Les questions qu'on leur pose sont un véritable casse-tête pour ces jeunes filles qui, pour la plupart, sortent tout juste du lycée » ajoute- t-il. « Je suis contre les questions qu'on leur pose. On ne peut pas poser la même question à une jeune fille de 18 ans et à une jeune femme de 25 ans ».

Diktat d'un créateur égocentrique, uniquement sensible à la plastique, pour lequel les Miss sont, encore et toujours, des poupées au sourire figé, dépourvues de sentiments, sans âme ; un corps « qui ne transpire pas et n'a pas de règles » (Finol, 1999 :116). Objets, forcément consentants, forcément dociles, que l'on modèle à l'envie. Jouets précieux que l'on chérit mais sur lesquels on entend exercer un pouvoir absolu, tyrannique.

Diktat du gérant d'une « usine de conditionnement de tomates » qui, d'un coup de baguette, ou plutôt de bistouri, transforme ses tomates en créatures magiques, pour vendre du rêve, vendre son rêve.

Diktat d'un homme qui chasse toute sensiblerie, rejette tout sentiment, parce que contreproductifs et contraires au but ultime : la création de la beauté parfaite.

Diktat d'un homme qui fait fi de toute éthique et qui élève au rang de parangon une beauté fabriquée par la chirurgie esthétique.

Diktat d'un homme qui s'essaie à rivaliser avec Dieu.

Diktat d'une culture sexiste de la perfection féminine et distorsion d'une société qui privilégie le paraître à l'être et qui s'émeut, oh ! si peu ! du suicide de Maye Brandt, Miss Venezuela 1980. A sa mort, elle pesait 41 kilos... Exploitation d'un rêve qui plonge nombre de jeunes filles fragiles dans des troubles alimentaires dont elles ne se relèveront pas ; peur obsessionnelle de l'obésité qui conduit à l'anorexie. Égarement de parents qui transforment leurs filles en « baby dolls » en leur offrant des implants mammaires (il est de tradition, en Amérique latine et aux Caraïbes, de célébrer les 15 ans d'une jeune fille, marquant ainsi son passage dans le monde des « adultes ») comme cadeau d'anniversaire pour leurs 15 ans. Consumérisme qui, convertissant en une norme sociale la chirurgie esthétique, génère crédits et prêts bancaires inconsidérés (certaines cliniques pratiquent aussi des facilités de paiement).

Diktat de certains chirurgiens plasticiens qui, oublieux de l'éthique, profitent de l'engouement généré par le phénomène des concours de beauté, pour augmenter leur chiffre d'affaire. Pays « des seins siliconés », le Venezuela compte, en effet, en moyenne, 25 000 à 30 000 implants mammaires par an (il s'agit là d'opérations légales).

Diktat des sociétés de cosmétiques et de produits diététiques, dans cette course effrénée des femmes vers la perfection corporelle, qui enregistrent une expansion notable sur le marché de l'esthétique

Silence surprenant, enfin, des organisations féminines. Leur absence de réaction publique face à la revendication et à l'affirmation d'un nouvel espace existentiel conquis à travers une plastique que l'on exhibe est troublante. Troublante aussi cette défection des féministes vénézuéliennes face à une liberté acquise à travers une auto-estimation basée sur le physique comme clé de la réussite sociale.

Pays des Miss et du rêve (on compte 200 écoles de mannequinat), l'obsession pour l'apparence externe, devenue quasiment un sport national (40 000 Vénézuéliennes se sont fait poser des prothèses mammaires en 2011), a fait perdre à bon nombre de Vénézuéliens et de Vénézuéliennes le sens de la mesure et de l'éthique.

Miss Venezuela est non seulement le modèle de la beauté parfaite, mais aussi le moyen d'accéder à une vie différente, à la gloire, à l'argent et à un mariage avantageux. Il faut donc lui ressembler. Le recours au bistouri, aux injections et autres opérations est la seule solution envisageable. Dans cette course à la chirurgie esthétique, les changements drastiques physiques, émotionnels ou psychiques, les infections résultant de pratiques chirurgicales exercées par des professionnels peu ou pas qualifiés sont ignorés tant est grande la fascination exercée par un culte immodéré pour la beauté. L'intime est dévoyé, broyé, pour laisser place à la perversion sociale du paraître. Beauté intérieure violentée par l'imposition d'une beauté extérieure élevée au rang de vertu.

 

BIBLIOGRAPHIE

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FINOL, J.E. (1999). "Semiótica del cuerpo: el mito de la belleza contemporánea". Maracaibo, Universidad del Zulia, Laboratorio de Investigaciones Semióticas y Antropológicas (LISA), Facultad de Ciencias.         [ Links ]

RODRÍGUEZ, A. (2005). Misses de Venezuela: reinas que cautivaron a un país: reportajes y testimonios del concurso miss Venezuela. Caracas, sans nom d'éditeur.         [ Links ]

Autre: LAGERFELD Karl (2012). "Journal de 20 heures", Télévision française, chaine 1, mars.         [ Links ]

 

 

Recebido: 28/06/2013
Última revisão: 30/05/2014
Aceite final: 07/06/2014

 

 

1 Sans nom d'auteur (2010). In http://www.noticierodigital.com/2010/10/la-receta-del-miss-venezuela-dieta-sudor--y-regimen-casi-militar/ Consulté le 14/01/2012
2 IBÁÑEZ Isabel (2008)."La Fábrica de misses", in http://www.elcorreo.com/vizcaya.20080715/sociedad/fabrica-misses-20080715.html Consulté le 15/01/2012
3 Osmel Sousa (2011). "Detesto a las gordas" in http://la.eonline.com/venezuela/2011/osmel-sousa--detesto-a-las-gordas Consulté le 14/01/2012
4 Sans nom d'auteur (2011). "Miss Univers 2011. La transformation physique de Vanessa la Vénézuélienne", in http://www.leparisien.fr/laparisienne/miss-univers-2011/miss-univers-2011-la-transformation-physique-de-vanessa-la-venezuelienne-15-08-2011-1566626.php Consulté le 15/02/2012
5 IBÁÑEZ Isabel (2008). "La Fábrica de misses" in http://www.elcorreo.com/vizcaya.20080715/sociedad/fabrica-misses-20080715.html Consulté le 15/01/2012
6 IBÁÑEZ Isabel (2008). "La Fábrica de misses" in http://www.elcorreo.com/vizcaya.20080715/sociedad/fabrica-misses-20080715.html Consulté le 15/01/2012
7 Sans nom d'auteur (2013) "Chávez contra las 'pechugas grandes' artificiales in http://www.lapatilla.com/site/chavez-contra-las-pechugas-grandes-artificiales/ Consulté le 15/01/2013