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Aletheia

versão impressa ISSN 1413-0394

Aletheia  no.47-48 Canoas dez. 2015

 

ARTIGO INTERNACIONAL

 

Etude comparative du vécu psychique de femmes vivant une grossesse gémellaire ou unique

 

Comparative study of the psychological experience of women carrying a twin or a singleton pregnancy

 

Estudo comparativo da experiência psicológica de mulheres grávidas de gêmeos ou de um único bebê

 

 

Marie-Anne Tchernoukha; Jaqueline Wendland

Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé – LPPS
Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité – USPC

Endereço para contato

 

 


RÉSUMÉ

Quelle incidence de porter deux enfants sur l'expérience psychique des femmes ? Dans cette étude qualitative et comparative, nous avons rencontré dix femmes enceintes: trois de jumeaux de même sexe, trois de jumeaux de sexe différent et quatre d'un enfant unique. Elles ont répondu à un entretien semi-directif, à une échelle de représentations sémantique-différentielle et réalisé deux dessins. Les résultats montrent l'intérêt de favoriser les échanges entre les femmes enceintes de jumeaux, afin de faciliter leurs identifications et de les rassurer sur leurs compétences maternelles. Ils soulignent aussi la nécessité de proposer un espace pour que les femmes enceintes de jumeaux de même sexe, notamment, puissent verbaliser leurs peurs et leurs fantasmes concernant leurs enfants et la relation gémellaire qu'ils pourraient entretenir.

Mots-clés: Grossesse, Jumeaux, Représentations, Identifications, Relation mère-foetus.


ABSTRACT

What is the impact of carrying two fetuses on the psychological experience of women? In this qualitative comparative study, ten women have been met: three were expecting samesex twins, three were expecting sex-different twins, and four women were carrying a singleton pregnancy. They responded to a semi-structured interview and to a semantic-differential maternal representations scale, and have drawn two pictures. The results underscore the need of encourage women expecting twins to discuss with other women experiencing the same situation in order to facilitate their identification processes and to support their maternal sense of competence. In particular, it's important to offer women expecting same-sex twins the opportunity to verbalize their fears and projections regarding their fetuses and their future twin relationship.

Keywords: Pregnancy, Twins, Representations, Identification, Mother-fetus relationship.


RESUMO

Qual é o impacto de esperar gêmeos para a experiência psicológica da mulher grávida? Neste estudo qualitativo e comparativo, dez mulheres grávidas foram encontradas: 3 grávidas de gêmeos do mesmo sexo, 3 de gêmeos de sexo diferente e 4 esperando um único bebê. As mulheres responderam a uma entrevista semidiretiva e a uma escala semântica-diferencial de representações maternas, e realizaram dois desenhos. Os resultados mostram a importância de se favorecer as trocas entre mulheres grávidas de gêmeos para facilitar seus processos de identificação e tranquilizá-las quanto às suas competências maternas. Afirmam também a necessidade de proporcionar um espaço, sobretudo para mulheres esperando gêmeos do mesmo sexo, para que possam verbalizar seus medos e fantasias com respeito aos seus filhos e à relação gemelar que poderão estabelecer.

Palavras-chave: Gravidez, Gêmeos, Representações, Identificações, Relação mãe-feto.


 

 

Introduction

Qu'ils évoquent de la fascination ou de l'effroi, selon les époques et les cultures, les jumeaux ne laissent pas indifférents. Bien que le nombre de grossesses gémellaires soit en augmentation depuis les années 1970 dans de nombreux pays industrialisés, peu d'études ont exploré le vécu psychique des femmes enceintes de jumeaux. Suite à l'annonce d'une telle grossesse, les femmes pourront faire face à des problèmes économiques et matériels importants (Robin, Josse & Tourette, 1991), et vivre une grossesse dite à risques (Janaud, 2007; Pons, 2008) ou avoir des difficultés dans la parentalité (Andrade, Martins, Angelo & Martinho, 2014). Mais encore, d'un point de vue psychologique, alors que la grossesse entraîne chez la future mère tout un travail de représentations, de fantasmatisations, et de remémorations infantiles, nous pouvons nous demander si une femme enceinte de jumeaux, avec tout ce à quoi ils renvoient, pourra se laisser aller à ces cheminements psychiques comme lors d'une grossesse simple. Porter deux enfants a-t-il une incidence sur le vécu psychique des femmes ? Existe-t-il des différences selon que les enfants soient ou non de même sexe ? Cette étude qualitative et comparative entre des femmes enceintes de jumeaux et des femmes enceintes d'un enfant unique, à travers des études de cas explorant les représentations des femmes en tant que mère, de(s) (l')enfant(s), du lien entretenu avec l'(es) enfant(s), et leurs identifications, cherche à apporter un éclairage sur ces questions. Nous souhaitons ainsi mettre en exergue certaines singularités de l'expérience psychique des femmes lors d'une grossesse gémellaire.

Le vécu maternel pendant la grossesse

Durant la grossesse, la femme vit d'importants bouleversements aux plans psychique et émotionnel, et un état de "transparence psychique" par rapport aux contenus psychiques inconscients a pu être décrit (Bydlowski, 1997). En effet, on observerait un abaissement des résistances habituelles et un surinvestissement des conflits infantiles. C'est ainsi que les angoisses et les fantasmes infantiles refoulés jusque-là viendront influencer la parentalité naissante. Cette transparence psychique s'accompagnerait, en fin de grossesse, d'une préoccupation maternelle primaire, phénomène décrit par Winnicott (1956/1969). Chez une jeune mère, cet état d'hypersensibilité se caractérise par une entière dévotion à l'enfant. Bydlowski et Golse (2001) font l'hypothèse d'un passage de la transparence psychique à la préoccupation maternelle primaire autour de la naissance de l'enfant.

En outre, la parentalité se construit notamment à travers des identifications. Pour Bydlowski (1997), "en enfantant, une femme rencontre sa propre mère: elle la devient, elle la prolonge tout en se différenciant d'elle " (p.76). Pour l'auteur, l'idéalisation, en plus de l'identification à l'égard de la mère, serait le signe d'un développement psychique harmonieux dans le processus de maternité. Toutefois, Breen (1975) et Pines (1972) avaient nuancé cette notion en indiquant le danger d'une image maternelle trop idéalisée qui pourrait gêner l'acquisition d'une identité maternelle. D'autre part, l'état de transparence psychique et les régressions qui s'en suivent permettent à la future mère de rentrer en relation avec le bébé qu'elle a été et, par-delà même, de s'identifier à ce dernier. Si l'expérience infantile a été vécue comme étant suffisamment bonne, une sécurité interne viendra se rejouer dans le présent avec le nouveau-né. À l'inverse, dans le cas de relations primaires défaillantes, la grossesse pourra réactiver une détresse infantile et mettre en péril le processus de la parentalité.

Les représentations maternelles durant la grossesse

Ces processus psychiques vont s'accompagner également d'une émergence et d'une réorganisation des représentations mentales conscientes et inconscientes. D'abord, pendant la grossesse, la femme élabore un bébé imaginé (Lebovici, 1983). Ce dernier est constitué des représentations d'un bébé imaginaire que la mère construit de manière consciente (son sexe, sa couleur de cheveux...), d'un bébé fantasmatique (représentation inconsciente dérivée des conflits infantiles et refoulés de chacun des parents), d'un bébé mythique, chargé des influences culturelles et médiatiques, et enfin, d'un bébé narcissique, dépositaire de l'investissement narcissique dont l'enfant fait l'objet de la part de ses parents. Ensuite, la période de grossesse sera propice chez la femme à l'élaboration de nouvelles représentations d'elle-même en tant que mère et à une réélaboration des représentations d'elle-même en tant que personne, constituées depuis son enfance.

Ammaniti, Candelori, Pola et Tambelli (1999), grâce à l'entretien IRMAG (outil dont nous nous sommes inspirés dans la présente étude) ont distingué, selon leur qualité et leur organisation, différentes catégories de représentations maternelles élaborées au cours de la grossesse. Les représentations intégrées / équilibrées et flexibles rendent compte des bonnes capacités d'adaptation chez la femme enceinte à l'expérience qu'elle traverse, alors que des représentations étroites / désinvesties se retrouvent chez des femmes qui voient leur grossesse comme un "passage obligé", et qui ont un discours "tout fait", avec peu de tonalité affective. Enfin, des représentations non intégrées / ambivalentes seraient rencontrées chez les femmes qui affichent une grande ambivalence vis-à-vis de l'enfant qu'elles portent.

L'intérêt d'investiguer le vécu représentationnel des femmes réside notamment dans la compréhension de comment il viendra s'actualiser dans le vécu post-natal avec le nouveau-né. De nombreux auteurs (Lebovici, 1983; Stoleru, Grinschpoun & Morales, 1985) ont montré comment les fantasmes et les représentations maternelles élaborés durant la grossesse sont susceptibles de se manifester dans les interactions ultérieures.

Les grossesses multiples

Le taux de grossesses gémellaires a nettement augmenté dans différentes parties du monde depuis les années 1970, notamment avec les progrès des techniques d'aide médicale à la procréation, dans les pays industrialisés et parmi les populations plus aisées (Santos, Silva, Chiaravalloti Neto & Almeida, 2014). Aux Etats-Unis, 33 grossesses sur mille sont gémellaires (Center for Disease Control and Prevention, 2012). Au Brésil, une augmentation de 17% du taux de naissances multiples a été observée entre de 2004 à 2011, avec la naissance chaque année de plus de 51.000 enfants jumeaux, triplés ou quadruplés (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica, IBGE). En France, en 2011, l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) évaluait les grossesses gémellaires à 17,3 pour mille des naissances totales (France métropolitaine et outre-mer), alors qu'elles étaient de 14,3 pour mille en 1998. L'hérédité, l'ethnie, l'alimentation, ou encore l'âge de la mère sont également cités comme facteurs pouvant favoriser la gémellité (Joly, 2000).

Selon les cultures et les époques, l'attente de jumeaux est plus ou moins perçue avec répulsion et fascination. Rank (1925/1973) explique que, dans les croyances primitives, de par l'existence de leur double corporel, les jumeaux étaient perçus comme immortels. L'ambivalence à leur égard est grande, ils passent d'anges-gardiens protecteurs symbolisant l'immortalité aux annonciateurs de la mort. Freud (1919/1985), alors qu'il tente de définir ce qui déclenche "une inquiétante étrangeté", un effet "d'Unheimliche", s'appuie sur ce texte de Rank (1925/1973) pour développer la notion de double en termes psychanalytiques. Selon lui, elle serait à rapprocher d'un narcissisme primaire non dépassé. L'inquiétante étrangeté surviendrait alors au moment où cette disposition psychique primitive referait surface. Dans la mythologie occidentale, chez les Bambaras et les Malinkés en Afrique, les naissances jumelles restent considérées comme particulièrement bénéfiques, alors qu'à l'inverse, chez les Nuers du Soudan, comme au Japon, elles peuvent renvoyer à la condition animale ou à une intervention démoniaque (Joly, 2000). Les jumeaux de sexe différent, quant à eux, à l'image d'Adam et Eve dans une lecture de l'Ancien Testament, peuvent renvoyer à des couples divins à l'origine de cosmogonies, ayant transgressés l'inceste et pouvant vivre en autarcie, niant le reste du monde (Hubin-Gayte, 1998).

En Occident, l'annonce d'une grossesse gémellaire, souvent dès les premières semaines de grossesse, est décrite dans un premier temps comme un véritable choc ou même un état de sidération. À la fois monstrueux et inquiétant, mais en même temps synonyme de fécondité chez la femme et de virilité chez l'homme, "le désir de jumeaux semble incarner l'archétype même de l'ambivalence de tout désir d'enfant" (Wendland, 2007). Ensuite, la nouvelle sera différemment reçue selon le parcours de vie et la personnalité de la femme, la situation socio-économique et culturelle des parents, le nombre d'enfants présents dans la famille, les croyances et les attentes au sein du groupe familial restreint et élargi. Damato (2004) a mis en exergue que des facteurs comme la jeunesse, le salaire, les antécédents d'infertilité, l'estime de soi, ou encore l'avancée dans la grossesse peuvent jouer un rôle dans l'attachement prénatal des femmes à leurs jumeaux.

En outre, ces grossesses peuvent être d'autant plus inquiétantes qu'elles sont considérées comme des grossesses à risques: taux de mortalité trois à quatre fois plus élevé en période néonatale que pour les grossesses simples, taux élevé d'hypotrophie néonatale, risque de syndrome transfuseur – transfusé pour des jumeaux homozygotes, entre autres (Joly, 2000).

Si, d'une part, il s'agit désormais de grossesses bien maîtrisées des points de vue gynéco-obstétrical et néonatal, très peu d'études se sont consacrées à explorer le vécu psychique de femmes enceintes de jumeaux. Rares sont les études à ce sujet au niveau international et aucune d'entre elles, à notre connaissance, ne s'est attachée à comparer l'expérience psychique de femmes lors de grossesses gémellaires avec celle de femmes lors de grossesses uniques. Mortureux (2008) observe que la grande fréquence des visites médicales pourrait donner aux femmes le sentiment de faire moins bien que leur mère, en réactivant négativement la rivalité oedipienne. En revanche, les jumeaux symboliseraient une "dette de vie" bien assumée (Bydlowski, 1997). En ce qui concerne les perceptions des mouvements foetaux, il semble que les femmes enceintes de jumeaux auraient des difficultés à différencier les foetus et pourraient évoquer une sorte "d'amalgame indistinct" (Wendland, 2007). En rapport avec le vécu représentationnel des femmes lors de grossesses multiples, une étude de Robin, Bydlowski, Cahen et Josse (1991), portant sur les grossesses triples, a montré que ces dernières peuvent entraîner un état de choc traumatique avec une abrasion des fantasmes, des remémorations, des représentations, et même une disparition des rêves nocturnes. Enfin, concernant les grossesses gémellaires, une étude longitudinale uruguayenne menée par Cherro (1992) a indiqué que les enfants jumeaux semblaient répondre en partie aux attentes, aux désirs et aux peurs de leurs parents, qui, dès la grossesse, alternent entre une tendance à dégémelliser et à gémélliser. Autrement dit, dans la première, les différences entre les jumeaux sont exagérées afin d'éviter toutes confusions, alors que dans la seconde toutes les différences sont effacées. Pour l'auteur, "le clivage complémentaire" et "la confusion agglutinative" sont la conséquence du fantasme chez les parents de jumeaux d'un objet unique divisé.

A partir de ces observations, à travers la présente étude nous avons voulu savoir si les processus psychiques habituellement observés dans les grossesses d'enfant unique sont à l'oeuvre de la même manière au cours des grossesses gémellaires. De plus, nous nous demandons si le vécu psychique des femmes enceintes de jumeaux peut être influencé par la différence ou non des sexes des foetus. Nous faisons l'hypothèse que les femmes enceintes de jumeaux ont des représentations d'elles-mêmes en tant que mère plus négatives, avec plus de craintes, et moins imprégnées de contenus imaginaires que les femmes enceintes d'un enfant unique. Nous nous attendons à ce que les femmes enceintes d'un enfant unique s'appuient principalement sur une image maternelle intériorisée, alors que les femmes enceintes de jumeaux cherchent des modèles plus proches de ce qu'elles vivent (d'autres mères de jumeaux, des livres. En outre, nous prévoyons que les femmes enceintes de jumeaux (de même sexe ou non) rencontrent plus des difficultés à se représenter les deux foetus qu'elles portent, par rapport aux femmes enceintes d'un enfant unique qui doivent s'en représenter uniquement un. Enfin, nous supposons que les femmes enceintes de jumeaux se représentent davantage une relation à trois et présentent plus de craintes quant à leur lien avec leurs enfants par rapport aux femmes enceintes d'un enfant unique qui se représentent davantage une relation plus proche, voire fusionnelle, à deux.

 

Méthodologie

Nous avons rencontré dix femmes durant leur grossesse: une femme primipare enceinte de deux jumelles dizygotes (Mme A) et deux femmes multipares enceintes de deux jumeaux monozygotes (Mme H et Mme I); trois femmes enceintes de jumeaux de sexe opposé, dont une primipare (Mmes C, D, J); et quatre femmes enceintes d'un enfant unique, dont deux primipares (Mmes B, E, G et F). Ces femmes avaient entre 24 et 40 ans (moyenne = 32 ans), étaient d'origine française (France métropolitaine et outre-mer) et enceintes de 20 à 28 semaines (moyenne = 24 semaines). Toutes vivaient avec le père des (de l') enfant(s) porté(s). Les femmes n'avaient ni complication somatique associée à la grossesse, ni de suivi psychologique en cours. Enfin, toutes les femmes rencontrées possédaient un travail et semblaient avoir une bonne situation sociale et économique. Elles n'ont manifesté durant l'entretien aucun problème d'origine professionnel, ni de difficultés pécuniaires pour faire face à la nouvelle situation. Toutes les femmes ont été informées des buts de l'étude, de la confidentialité et de l'anonymat des données, et ont signé un formulaire d'information et de consentement éclairé après avoir manifesté leur accord pour participer. Certaines données ont été modifiées ou omises afin de préserver la confidentialité des participants.

Toutes les femmes ont été rencontrées grâce à des gynécologues de secteur, des associations pour femmes vivant une grossesse multiple, ou en milieu hospitalier. Les entretiens, effectués à domicile, dont la durée moyenne était de 1h30, ne nécessitaient qu'une seule rencontre. Au total, douze femmes ont été sollicitées et deux ont refusé de participer, déclarant être peu disponibles au moment de l'étude.

Nous avons rencontré les femmes pour un entretien semi-directif largement inspiré de l'IRMAG (Ammaniti et al., 1999). Cet outil est un entretien semi-directif destiné à explorer les représentations maternelles durant la grossesse et doit avoir lieu idéalement entre la 28ième et la 32ième semaine de grossesse. Nous avons investigué précisément: le vécu de la grossesse, les représentations du (des) foetus et futur(s) enfant(s), les représentations du lien entretenu avec le(s) foetus et futur(s) enfant(s), les représentations de la femme en tant que mère, les reviviscences infantiles, la relation mère - fille et les identifications.

Nous avons en outre fait passer une annexe de L'IRMAG concernant les représentations de soi en tant que mère. Pour décrire leurs représentations, les femmes étaient invitées à faire une croix sur une ligne de 10cm qui sépare deux qualificatifs (ex: peu sûre – sûre, score allant de 0 à 10, un score plus élevé signifie une représentation plus proche du pôle positif; dans l'exemple, une représentation de soi plus "sûre"). Cette annexe présente dix-sept paires d'adjectifs et il est possible d'établir un score de positivité des représentations en calculant la moyenne des scores pour chaque adjectif. Seuls les adjectifs relatifs à l'exercice du rôle parental ont été pris en considération. Enfin, à titre exploratoire et en complément aux réponses à l'entretien et à l'annexe, nous demandions aux femmes de réaliser deux dessins suivant les consignes: "Pouvez-vous dessiner la manière dont vous vous représentez votre (vos) enfant(s)?" et "Pouvez-vous dessiner la manière dont vous vous représentez maman?"

Dans un premier temps, nous avons procédé à une analyse du contenu du discours lors des entretiens en organisant les données autour des thématiques suivantes: le vécu de la grossesse; les représentations du (des) foetus et futur(s) enfant(s); les représentations des femmes en tant que mères; les représentations du lien entretenu avec le(s) foetus; les reviviscences infantiles; la relation mère - fille; les identifications. Dans un second temps, à partir des scores donnés à l'annexe de l'IRMAG "représentations maternelles de soi en tant que mère", nous avons calculé pour chaque femme un score moyen de positivité (total des scores divisé par le nombre de caractéristiques). Enfin, en ce qui concerne l'analyse des dessins, en l'absence de méthode d'analyse validée dans ce cadre, nous avons pris en compte seulement les éléments suivants: Les personnes représentées et la ressemblance entre les jumeaux.

 

Résultats et Discussion

Les représentations des femmes en tant que mère

Pour l'ensemble des femmes enceintes de jumeaux rencontrées, la nouvelle de la grossesse multiple a été bien acceptée autant par la mère que par le père, une fois que la phase de sidération au moment de l'annonce a été dépassée. En outre, les contraintes médicales apparaissent, bien plus que pour les femmes enceintes d'un enfant unique, pesantes et accaparent leur attention. Toutefois, leur façon d'appréhender leur parentalité future n'est pas identique chez chacune. Pour Mme A et Mme I, enceintes de jumeaux de même sexe et qui ont en commun le fait d'être assez isolées des réseaux et des associations de femmes vivant une grossesse multiple, nous observons beaucoup de craintes et très peu d'idéalisation de la situation présente. Le discours est très sérieux, avec beaucoup de questionnements et peu teinté d'imaginaire ("Est-ce que je saurai faire? Je n'ai pas eu de modèle"). Leur score de positivité en ce qui concerne leurs caractéristiques maternelles est en moyenne de 2.4/4, ce qui est le plus bas de toutes les femmes. Anticipant ces doutes et ces questionnements, Leonard et Denton (2006) ont rédigé un document visant à informer les professionnels de santé sur la meilleure façon pour aider les familles à se préparer et à répondre aux exigences des grossesses multiples et des cinq premières années de parentalité après les naissances de jumeaux, triplés ou plus.

En revanche, Mme H, qui est elle aussi enceinte de deux jumeaux de même sexe, n'est pas aussi angoissée. Elle reconnaît se poser des questions ("Comment on va faire avec les jumeaux ? Cela a l'air compliqué. Ils ne donnent pas de mode d'emploi."), mais elle semble aussi pouvoir nettement bénéficier de son activité dans une association de parents d'enfants issus de grossesses multiples. Même si elle peut être critique sur ce qu'elle entend, il semble que le seul fait d'échanger avec des femmes dans sa situation lui permet de se construire son identité de future mère de jumeaux ("Je serai assez stricte. Je vais allaiter. " Mme H).

En outre, les jumeaux de sexes différents ne semblent pas être portés par les mêmes représentations, n'entrainant pas les mêmes craintes chez les femmes qui les portent. En effet, les trois femmes enceintes de jumeaux de sexe différent (Mmes C, D et J) semblent confiantes quant à leur capacité à devenir mère et idéalisent une vie à quatre, dans laquelle le père prend une place particulière. En moyenne, leurs scores de positivité sont de 2.9/4 et font partie des scores les plus élevés parmi toutes les femmes. Comme le souligne Mme D, avoir des "faux" jumeaux, garçon et fille, qui de par leur sexe opposé affirment clairement leurs différences, engage moins de questionnements ("C'est mieux, et du coup pour des trucs, je ne me pose pas la question parce que c'est deux enfants, et il y en a une qui va jouer avec ses Barbies et l'autre avec ses voitures. "). Nous pouvons retrouver même un sentiment de toute-puissance dans le fait d'avoir les deux sexes, ceci rappelant "la dette de vie bien assumée" soulignée par Mortureux (2008).

Enfin, en ce qui concerne les quatre femmes enceintes d'un enfant unique, elles ont trouvé les ressources nécessaires pour se laisser aller à leur imagination et faire confiance à leur capacité d'être mère ("Je m'imagine comme une maman lionne, avec une poussée féline qui se prépare déjà. ", Mme B).

Ainsi, ces résultats tendent à valider partiellement notre première hypothèse. Mme A et Mme I, enceintes de jumeaux de même sexe ont plus de craintes quant à leur avenir de mère, comparées aux femmes enceintes d'un enfant unique, mais aussi par rapport aux femmes enceintes de jumeaux de sexe différent. D'autre part, Mme H, qui est également enceinte de jumeaux de même sexe, mais relativement confiante dans son avenir de mère, illustre l'importance des échanges entre mères ou futures mères de jumeaux. De plus, les entretiens réalisés lors de cette recherche ont eu plusieurs bénéfices pour les femmes en situation de grossesse multiple. D'abord, le fait d'être considérées comme les réelles expertes de leur situation singulière semble susciter chez toutes une certaine fierté renarcissisante. Elles accèdent du même coup à un statut de nouvelles représentantes de cette parentalité singulière. D'autre part, cet espace leur a permis de se raconter et donc, dans le même temps, de consolider leur identité de future mère de jumeaux.

Les identifications

Les résultats des six femmes enceintes de jumeaux vont dans le sens de notre deuxième hypothèse. Mmes A, C, D, H, I, J cherchent des supports identificatoires proches de ce qu'elles vivent: dans les livres, sur les forums et sur internet. Mais plus que ces sources statiques, il semble que ce soit bien la rencontre avec d'autres mères de jumeaux qui bénéficie le plus aux femmes: "Je n'arrive pas à me représenter ce que je lis" Mme H; "Je ne les mettrai pas dans la même chambre, car j'ai vu des amis. On apprend toujours des autres " Mme C. Dans ce sens, McKenzie (2006), au Canada, insistant à la fois sur les spécificités des grossesses multiples, mais aussi sur les limites de l'expertise et de l'expérience des professionnels de santé n'étant pas eux-mêmes parents de jumeaux, a mis l'accent sur l'importance de créer un espace de rencontre et d'échange, "une classe" pour les femmes connaissant ou ayant connu une expérience de grossesse multiple. Autrement dit, comme l'évoque Mme J, qu'elles puissent se constituer en groupe de représentantes d'une parentalité qui possède ses propres spécificités.

A l'inverse, chez les femmes enceintes d'un enfant unique, l'identification à la mère réelle ou intériorisée reste prégnante, corroborant les observations de Bydlowski (1997) ("C'est vraiment comme dans une boite à outils et quand on a un enfant, on prend sur ses propres souvenirs.", Mme F). Toutefois, comme l'avait déjà mentionné Breen (1975), la figure maternelle n'est pas entièrement idéalisée et les femmes essayent de se créer leur propre identité de mère ("Je suis très contente d'avoir trouvé mon temps à moi, c'est à dire que c'est pas vraiment celui de ma mère, c'est le mien. " Mme B).

Les représentations de(s) l'enfant(s)

Chez les trois femmes enceintes de jumeaux de même sexe, Mme A, Mme H et Mme I, il apparaît difficile de pouvoir investir spontanément les deux enfants. En effet, nous retrouvons beaucoup d'utilisation du singulier pour évoquer ces derniers "il, le bébé". Elles verbalisent aussi explicitement la difficulté de se représenter deux foetus: "J'ai encore du mal à dire, bah il y en a deux quoi, c'est assez bizarre " -Mme H; "Rationnellement vous savez qu'il y en a deux, mais c'est difficile à se représenter " -Mme I. Le bébé imaginé (Lebovici, 1983) des trois femmes ne semble pas au départ intégrer un double. Les femmes doivent alors cheminer pour tenter de renoncer à cet enfant unique, en utilisant notamment des stratégies de dégémellisation. Pour Mme I, "Il y en a un qui sera très actif et l'autre très calme". De même pour Mme A et Mme H, à l'instar de leur dessin représentant leurs jumeaux, où ces derniers apparaissent après la naissance, déjà enfants, et diamétralement opposés: cheveux attachés – cheveux détachés; grain de beauté sur le bras droit – grain de beauté sur le bras gauche; short – pantalon. Il n'en demeure pas moins que ce cheminement peut être coûteux, les renvoyant par moment à des angoisses d'indifférenciation: "J'ai peur de pas les reconnaître, s'ils sont mélangés, ils seront mélangés toute leur vie.", verbalise Mme I. D'une manière générale, nous observons donc que le processus d'élaboration de représentations des enfants est relativement mis de coté, ce qui va dans le sens des résultats observés par Robin, Bydlowski et al. (1991) pour les situations de grossesses triples.

En revanche, chez les femmes rencontrées enceintes de jumeaux de sexe différent, même si au départ la représentation d'un seul enfant dominait ("au départ, il n'y en avait qu'un", Mme C), il semble que le fait de porter une fille et un garçon leur permet d'accéder plus facilement, et avec moins d'affres, à des représentations différenciées ("Je peux parler de jumeaux sans crainte, car ils sont différents", Mme D). De fait, elles se représentent davantage leurs foetus et futurs enfants de manière détaillée, à partir de ce qu'elles sentent in utéro, mais aussi de ce qu'elles voient dans les échographies. Elles ont accès à leur imaginaire et peuvent s'identifier aux deux bébés ("Heureusement qu'ils sont deux, car tout seul c'est peut-être un peu ennuyeux. Ils se trouvent bien tous les deux. ", Mme C). De plus, dans leurs dessins, contrairement à Mmes A et H, enceintes de jumeaux de même sexe, les trois femmes ne mettent pas en place de stratégies de dégémellisation, en accentuant les différences entre les deux enfants. Pour deux d'entre elles, aucune distinction particulière n'est faite entre les bébés, et pour la troisième, elle concerne seulement l'habit, de fille vs de garçon.

Enfin, conformément à notre hypothèse, les femmes enceintes d'un enfant unique semblent à l'aise pour se représenter leur foetus pendant la grossesse et s'identifier à ce dernier ("Je le sens, il me dit c'est bon, je vais bien. On discute." Mme G; "Quand j'écoute de la musique classique, ça le détend.", Mme F).

Ces observations vont donc en partie dans le sens de notre troisième hypothèse. En effet, si toutes les femmes enceintes de jumeaux semblent investir au départ la représentation d'un seul enfant, il apparaît par la suite plus compliqué pour les trois femmes enceintes de deux jumeaux de même sexe de se laisser aller à imaginer les deux bébés qu'elles portent, par rapport aux femmes enceintes de deux jumeaux de sexe opposé qui accèdent plus facilement à des représentations différenciées.

Les représentations du lien entretenu avec l'(es) enfant(s)

L'ensemble des femmes enceintes de jumeaux se retrouve de fait, dès la grossesse, à devoir envisager une relation avec deux enfants à venir. L'idéal d'un lien fusionnel mèrefoetus- bébé que l'on retrouve chez les femmes enceintes d'un enfant unique ("Moments juste à deux; Enfant juste pour soi", Mme E; "le lien entre elle et moi est si fort", Mme G) devient alors menacé.

Chez les trois femmes enceintes de jumeaux de même sexe (Mmes A, H et I), on retrouve de manière relativement prégnante la crainte de ne pas trouver leur place de mère face à la relation déjà fusionnelle que pourraient entretenir leurs jumeaux. Déjà pendant la grossesse, cela semble difficile pour Mme A: "J'ai l'impression d'être un contenant. J'ai plus l'impression d'être là pour les porter pour... assouvir leurs besoins, mais j'ai pas l'impression d'avoir une relation au-delà de ça quoi...Je sens que c'est pas... matériel mais fonctionnel quoi, c'est... je m'inquiète pour eux, est-ce que je mange bien, est-ce que je me repose bien, mais après c'est tout.". Les craintes concernent aussi la relation à venir dans le post-natal: "J'ai peur qu'ils soient trop liés, trop proches et du coup qu'ils nous laissent pas la place à nous parents d'être aussi proches d'eux. Est-ce qu'ils auraient autant besoin de moi que s'ils étaient tous seuls en fait ?", Mme A; " C'est important de pas les laisser s'enfermer dans une relation. Comment trouver sa place ?!", Mme H.

En revanche, nous ne retrouvons pas ces inquiétudes chez les femmes enceintes de jumeaux de sexe opposé. Pour Mme J, "Ils sont simplement comme un frère et une soeur". D'autre part, on peut retrouver dans le discours de ces dernières de nombreuses représentations d'une famille soudée à quatre, dans lesquelles le père prend une place importante ("Je nous imagine comme la petite famille dynamique. Je m'imagine tous à quatre", Mme C). Dans le même sens, les dessins de Mmes C et D d'elles-mêmes en tant que mère contiennent pour toutes les deux: elles-mêmes, leurs enfants et le père, alors que ce dernier n'apparaît pas dans les dessins des autres femmes.

Ces résultats corroborent notre quatrième hypothèse de manière partielle. Alors que les femmes enceintes d'un enfant unique ont de nombreuses représentations d'un lien fusionnel privilégié avec leur bébé, les femmes enceintes de jumeaux doivent envisager une relation à trois. Toutefois, alors que la relation entre les jumeaux suscite de nombreuses craintes chez les femmes enceintes de jumeaux de même sexe, il n'en va pas de même pour les femmes enceintes de jumeaux de sexe différent, qui s'accommodent très bien d'une relation à quatre qui confère une place particulière au père.

 

Conclusion

Alors que très peu d'études se sont intéressées à l'expérience psychique des femmes enceintes de jumeaux, cette brève étude qualitative permet de montrer l'intérêt clinique d'entendre la singularité du vécu de ces femmes, tout en prenant en compte les particularités liées au fait que les jumeaux sont ou non de même sexe. Ainsi, comme l'avait déjà mentionné Cherro (1992), à titre préventif, il apparait important de permettre un espace pour que les mères de jumeaux puissent verbaliser leurs peurs et leurs fantasmes concernant leurs enfants. De même, il nous semble qu'il pourrait être utile de donner la possibilité aux femmes enceintes de jumeaux d'échanger avec des femmes vivant ou ayant vécu la même situation qu'elles afin de faciliter leurs identifications et de les rassurer sur leurs compétences maternelles. Les associations de parents jouent un rôle important dans ce sens. D'autre part, des consultations thérapeutiques ponctuelles, des groupes de préparation à la naissance, l'haptonomie ou encore le chant prénatal pourraient aider les femmes enceintes de jumeaux à établir une relation plus riche et différenciée avec chacun des enfants, tout en favorisant les représentations et l'imaginaire à partir des perceptions foetales. Enfin, l'étude montre l'intérêt d'accompagner les futures mères de jumeaux, dès le prénatal, dans le renoncement à une relation fusionnelle à la faveur d'une relation à trois ou à quatre dans laquelle elles ne seraient pas exclues et où le père pourrait prendre une place importante.

Toutefois, seulement dix femmes ont été rencontrées et il sera important de poursuivre l'étude afin d'atteindre un échantillon plus conséquent et représentatif. De plus, toutes les femmes de cette recherche vivent avec le père des enfants et possèdent une situation financière confortable, ce qui est un net avantage pour accueillir des jumeaux et ne les rend pas représentatives de toutes les femmes dans une situation de grossesse multiple. Enfin, l'intérêt d'envisager le prénatal consiste aussi dans ce qu'il apporte au post-natal. Ainsi, dans une recherche à venir, il serait pertinent d'envisager d'explorer les liens entre le vécu psychique de la grossesse et l'expérience des premières semaines avec les nouveau-nés (Ammaniti, 1991). En effet, il n'existe à ce jour aucune étude d'envergure, à notre connaissance, explorant de manière longitudinale l'évolution pré- et post-natale des représentations maternelles et des interactions foetus/bébé-mère dans une population de mères de jumeaux.

 

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Endereço para contato
E-mail: jaqueline.wendland@parisdescartes.fr

Recebido em janeiro de 2015
Aceito em março de 2015

 

 

Marie-Anne Tchernoukha: Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS), Institut de Psychologie, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité – USPC.
Jaqueline Wendland: Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS), Institut de Psychologie, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité – USPC.

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