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versão impressa ISSN 2359-0769versão On-line ISSN 2359-0777
Rev. Subj. vol.21 no.spe Fortaleza 2021
https://doi.org/10.5020/23590777.rs.v21iesp1.e9947
ESPECIAL: PSICOLOGIA & FENOMENOLOGIA
La conception freudienne de la libido à l'épreuve de la phénoménologie
Um Exame Fenomenológico da Concepção Freudiana de Libido
A Phenomenological Exam of the Freudian Conception of Libido
Un Examen Fenomenológico de la Concepción Freudiana de Libido
Philippe Cabestan
Professor of Philosophy in Classes préparatoires (Paris). President of the French School of Existential Analysis (Ecole Française de Daseinsanalyse)
RÉSUMÉ
La conception freudienne de la libido à l'épreuve de la phénoménologie. Quand bien elle susciterait encore quelques résistances, la conception freudienne de la sexualité s'est largement imposée dans notre culture et le terme de libido appartient désormais au langage courant. On peut toutefois s'étonner de ce succès tant cette conception est contestable à bien des égards. Ainsi, du point de vue d'une phénoménologie du désir charnel, nous voudrions interroger ici les concepts de pulsion, de sexualité infantile, d'autoérotisme et de narcissisme qui nous paraissent éminemment problématiques. D'une manière générale s'il va de soi que la psychanalyse freudienne, en raison de son dualisme fondamental, ne peut être tenu pour un pansexualisme. On peut lui reprocher cependant d'accorder à la sexualité au sens propre une place beaucoup trop importante, y compris dans l'étiologie des troubles psychiques.
Mots-clefs: phénoménologie; psychanalyse; libido; désir; sexualité infantile.
RESUMO
Um exame fenomenológico da concepção freudiana de libido. Embora ainda persistam algumas resistências, a concepção freudiana da sexualidade se impôs na nossa cultura e o termo libido parece fazer parte da nossa linguagem rotineira. Esse sucesso, no entanto, é surpreendente em vista do quanto esse conceito é questionável. De uma perspectiva fenomenológica pretendemos neste artigo questionar os conceitos de pulsão, sexualidade infantil, autoerotismo e narcisismo que nos parecem altamente problemáticos. Mesmo sendo injusto considerar a psicanálise como um "pansexualismo", como se todo comportamento humano fosse sexualmente motivado, nós estamos convencidos de que ela coloca a sexualidade em um lugar demasiadamente destacado na vida e na etiologia dos problemas psíquicos.
Palavras-chave: fenomenologia, psicanálise, libido, desejo, sexualidade infantil.
ABSTRACT
A phenomenological exam of the Freudian conception of libido. Despite some outdated resistances, Freud's conception of sexuality is nowadays well accepted in our culture and the word libido belongs itself to the everyday language. This success might surprise our contemporaries considering how much this conception is in many ways questionable. From a phenomenological point of view, we would like in this article to undermine the concepts of drive, infantile sexuality, autoerotism and narcissism, which are highly problematic. Even if it would be unfair to assimilate the Freudian psychoanalysis to a 'pansexualism', as if all human behaviour is somehow sexuality motivated, we are convinced that it gives to much importance to sexuality in the human as well as in the pathological existence.
Keywords: phenomenology, psychoanalysis, libido, desire, infantile sexuality.
RESUMEN
Un examen fenomenológico de la concepción freudiana de libido. Aunque todavía persiste cierta resistencia, la concepción freudiana de la sexualidad se ha impuesto en nuestra cultura y el término libido parece hacer parte de nuestro lenguaje rutinario. Este éxito, sin embargo, es sorprendente en vista de lo cuestionable que es este concepto. Desde una perspectiva fenomenológica pretendemos en este artículo cuestionar los conceptos de impulso, sexualidad infantil, autoerotismo y narcisismo que nos parecen altamente problemáticos. Aunque sea injusto considerar el psicoanalice como un «pansexualismo», como si cada comportamiento humano estuviera motivado sexualmente, estamos convencidos de que ella coloca la sexualidad en un lugar demasiado prominente en la vida y en la etiología de los problemas psíquicos.
Palabras clave: fenomenología, psicoanálisis, libido, deseo, sexualidad infantil.
Il fut un temps où tout avait une signification politique et sexuelle. Le rêve d'un enfant qui enfonce son doigt dans le trou d'une serrure, les recherches scientifiques sur l'origine de l'univers, la tendresse d'un père pour sa fille, le lien entre les individus d'une foule, etc. Rien n'était ''innocent''. Cependant, cette hypertrophie du sexuel n'était pas sans fondement apparent. Elle se plaçait volontiers sous l'autorité de Freud et de sa conception des pulsions sexuelles, exposée notamment dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité. Elle invoquait parfois la théorie platonicienne exposée notamment dans Le Banquet, selon laquelle, loin de se réduire à l'hétérosexualité génitale, Eros élève celui qui est droitement initié de la contemplation des beaux corps à la contemplation de la beauté absolue en passant par la vertu et les sciences.
Notons toutefois que ces deux conceptions, tout en conférant à l'amour une ampleur inaccoutumée et contestable, sont en un sens diamétralement opposées. Contrairement à Platon, Freud ne tient nullement l'amour charnel pour une modalité seconde et dégradée du désir, et ne saurait assimiler sa sublimation à sa purification. Mais ce qui frappe dans un cas comme dans l'autre, et comme nous allons essayer de le montrer à propos de Freud, c'est le caractère hautement spéculatif d'une théorie qui prétend, pour une part tout du moins, s'appuyer sur l'expérience1. En effet, la conception freudienne de la sexualité repose sur un étrange présupposé quant à la nature de la libido en tant que pulsions qui semblent posséder l'individu dès sa naissance.
Ainsi nous voudrions dans les pages qui suivent nous demander ce qu'une phénoménologie du désir peut retenir de la conception freudienne de la sexualité. Adoptant une perspective inspirée à la fois de l'injonction husserlienne : « retour aux choses mêmes », de l'analytique existentiale de Heidegger et de la phénoménologie sartrienne, nous allons envisager tout d'abord le concept de pulsion ; puis, nous nous interrogerons sur la réalité et les modalités d'une libido infantile, telles que l'autoérotisme et le narcissisme. Enfin, nous dégagerons certains présupposés à la fois ontiques et ontologiques de la conception freudienne de la sexualité. Notre ambition est ici de mettre en question ce qu'on peut appeler le « sexualisme » freudien, c'est-à-dire de critiquer la place démesurée que Freud accorde à la sexualité, tout en faisant nôtre certains acquis de la psychanalyse à commencer par la reconnaissance d'une sexualité non génitale.
« Une autre philosophie de la psychanalyse »
Reconnaissons que, forte de ses propres ''acquis'', la psychanalyse ne recherche guère le dialogue et pense pouvoir fort bien se passer des critiques de la philosophie. Freud lui-même, lorsqu'il ne la rejette pas purement et simplement au nom de la Science, entretient avec la philosophie des rapports fortement ambivalents (Freud, 1936/1971b, p. 212). Et pourtant, plutôt que de se calfeutrer dans un discours dont les présupposés fondamentaux ne sont jamais vraiment mis en question, la psychanalyse n'a-t-elle pas tout à gagner d'un « dialogue constant entre réflexions philosophiques et réflexions psychanalytiques » (Bernet, 2013, p. 8) ? Si nous citons d'entrée de jeu ces propos de Rudolf Bernet, c'est parce que son ouvrage, Force, Pulsion, Désir. Une autre philosophie de la psychanalyse, est sans aucun doute appelé, dans ce débat qui met aux prises depuis des décennies la phénoménologie et la psychanalyse, à figurer aux côtés de celui de Paul Ricœur, De l'interprétation. Essai sur Freud ou encore de Michel Henry (1985), Généalogie de la psychanalyse, quoique ces lectures de Freud soient bien différentes les unes des autres.
Loin de chercher à établir la légitimité de la pensée freudienne dans son ensemble, Rudolf Bernet entreprend une lecture critique, éminemment sélective de l'œuvre de Freud. Non sans raison, il n'hésite pas à reconnaître le caractère « extravagant »2 de certaines spéculations freudiennes et, le cas échéant, à faire droit à la lecture lacanienne de Freud. En outre, il est loin de faire sienne la thèse de Ricœur (1965) quant au fossé séparant la phénoménologie de la psychanalyse. Selon Ricœur, en effet, la phénoménologie n'est pas la psychanalyse pour la simple et forte raison que la phénoménologie est une discipline réflexive qui se place mutatis mutandis dans le prolongement du cogito cartésien alors que la psychanalyse n'est pas et ne peut pas être une discipline réflexive. Or, la profondeur de ce fossé est peut-être étroitement liée au privilège accordé par Ricœur à la question de l'inconscient psychique, dont une phénoménologie réflexive n'a effectivement pas grand-chose à dire. Laissant de côté la question de l'inconscient, dont il dégage les prémices dans les philosophies de Leibniz et de Schopenhauer (Bernet, 2013, p. 114 et p. 173), Rudolf Bernet lui préfère la théorie freudienne de la pulsion, qui relève selon lui bien plus d'une eidétique au sens husserlien que d'une véritable métaphysique. C'est la raison pour laquelle, ajoute Rudolf Bernet, « nous n'éprouverons aucune peine à amorcer un dialogue fécond entre Freud et Husserl sur la problématique des pulsions, désirs et souhaits » (Bernet, 2013, p. 14).
Ainsi, nous voudrions envisager à notre tour, avec et contre Freud et en nous inspirant pour une part des travaux de Bernet, la place que la phénoménologie existentielle peut accorder au concept de pulsion (Trieb). Que cette notion décisive n'aille pas de soi et soulève bien des interrogations, c'est ce dont Freud - et c'est ce qui fait sans doute l'intérêt de sa pensée - était parfaitement conscient au point de lui dénier son caractère scientifique. « La doctrine de la pulsion, écrit-il en 1932, est pour ainsi dire notre mythologie. Les pulsions sont des êtres mythiques, formidables dans leur indétermination. Nous ne pouvons dans notre travail faire abstraction d'elles un seul instant et cependant nous ne sommes jamais certains de les voir nettement » (Freud, 1936/1971b, p. 125).
Pulsion ou désir d'être
Comme le souligne Anne Montavont, il y a de fait chez Husserl une doctrine phénoménologique de la pulsion qui est alors une sorte de ''vouloir'' et de ''faire'', doctrine que Husserl lui-même aurait qualifiée, dans un manuscrit de juin 1934, « d'anticipation de la psychanalyse freudienne » (Montavont, 1999, p. 245 et sq.). Pourtant le concept de pulsion n'est pas sans susciter des résistances au sein même de la phénoménologie sinon husserlienne du moins post husserlienne. Dans les Zollikoner Seminare, Heidegger repousse sans hésiter la notion de pulsion au nom du souci (Sorge) en tant que structure fondamentale de l'être-au-monde. En effet, la pulsion désigne pour Heidegger ce qui me pousse par-derrière vers quelque chose. Ainsi, quand on dit à propos d'une action quelconque : « j'y suis poussé », on néglige le fait que l'action a pour mobile une tâche qui est à faire et qui suppose que je sois en avant de moi-même. Bref, la notion de pulsion fait abstraction de la temporalité du Dasein qui est toujours à la fois en avant de lui-même et en arrière de lui-même (Heidegger, 2010, pp. 240-242). Si tel est bien le cas, on ne peut que donner raison à Heidegger. Cependant, cette critique semble rétrospectivement quelque peu sommaire dans la mesure où elle ignore l'élaboration freudienne de la notion de pulsion qui ne se réduit jamais à une poussée (Drang) par derrière. On sait, en effet que la pulsion freudienne possède en outre - et Medard Boss, interlocuteur de Heidegger lors de ces séminaires de Zollikon, aurait tout de même pu le lui rappeler - une source psychosomatique qui permet de la spécifier ainsi qu'un but et un objet intentionnel grâce auquel elle cherche à atteindre son but (Bernet, 2013, p. 227 et sq. ; Freud, 1915/1968, p. 19). En tant que telle, la pulsion n'est pas un phénomène purement biologique mais, à la limite du psychique et du biologique, possède une structure à la fois temporelle et intentionnelle.
Il va de soi que Freud n'invente pas le concept de pulsion qui a derrière lui une longue histoire et dont les sources sont philosophiques et notamment aristotéliciennes. Ainsi, adoptant alors un point de vue ontologique qui est étranger à Freud, Bernet interroge l'être de la pulsion, qu'on ne saurait assimiler à celui d'une chose quelconque au sens d'un étant présent subsistant. Dès lors, loin de se réduire à la poussée aveugle d'une force au sens de la mécanique classique, la pulsion, à l'instar de la dynamis aristotélicienne, présente le mode d'être d'un étant temporel dans la mesure où elle est tournée vers l'avenir, où elle est une attente habitée par une tension et où elle est en tant que telle toujours en avant d'elle-même. Le mode d'être de la pulsion est donc non pas celui de la présence mais celui du « pas encore », c'est-à-dire de l'actualisation différée (Bernet, 2013, p. 20). Bernet écrit à ce propos : « la pulsion est le mode d'être d'un étant dont la vie est comme suspendue dans le vécu d'une attente tendue » (Bernet, 2013, p. 16). Son projet est alors, à la fois avec et contre Heidegger, d'élaborer une ontologie fondamentale de la pulsion qui se veut « plus fondamentale que toute ontologie du sujet humain ou Dasein ». Cette phénoménologie de la pulsion trouve également dans l'œuvre de Leibniz la possibilité d'un précieux approfondissement et, en particulier, grâce à la notion leibnizienne d'inquiétude. En effet, l'inquiétude pour Leibniz, contrairement à Locke, n'est pas seulement provoquée par l'absence d'une chose qui donnerait du plaisir mais elle trouve sa source dans une insuffisance, une imperfection irrémédiable. Comme l'écrit Bernet : « Qu'il se laisse emporter par ses pulsions charnelles, qu'il oriente sa volonté vers une bonne action, qu'il s'adonne à des spéculations théoriques, l'homme, pour Leibniz, reste toujours inquiet » Bernet, 2013, p. 98). En d'autres termes, l'homme est habité par un manque que ne saurait combler un quelconque objet, qui se situe au-delà ou en deçà du principe de plaisir et qui est, à proprement parler, de nature ontologique. Il convient donc de distinguer entre l'inquiétude (uneasiness) au sens de Locke et l'inquiétude (Unruhe) au sens de Leibniz ; entre le manque d'un objet et le manque d'être ou « manque à être » (Lacan, 1977) ; entre les désirs psychologiques et le désir ontologique ou désir d'être qui transforme nos désirs particuliers relativement définis en des désirs quasi indéfinis. Ce faisant nous passons d'une métaphysique de la pulsion comme pouvoir-faire (Poros) à une phénoménologie du désir comme manque (Penia).
Il n'est pas sans intérêt de constater qu'on retrouve une conception analogue du désir dans la conception sartrienne de la conscience comme néant et comme manque. En effet, comme le dévoile la description du cogito préréflexif dans L'Être et le néant, la conscience surgit à partir d'une négation qui se révèle un manque : avoir conscience, exister, c'est désirer, c'est être hanté par un manque et toute la question est alors de parvenir à définir la nature de ce manque. Dans cette perspective, il convient de distinguer entre ce qu'on peut appeler l'objet ultime du désir et son objet provisoire ou objet empirique. Afin d'expliciter ce point, il faut reprendre la description canonique de la soif dans L'Être et le néant : « le sens de ce trouble subtil par quoi la soif s'échappe et n'est pas soif, en tant qu'elle est conscience de soif, c'est une soif qui serait soif et qui la hante » (Sartre, 2008, p. 125). En d'autres termes, on ne boit pas seulement pour étancher sa soif et combler un besoin mais aussi en vue d'une impossible synthèse de l'en-soi (une soif qui serait soif) et du pour-soi (la conscience de soif). Si on s'autorise à mêler les terminologies freudiennes et sartriennes, on peut dire que la soif en tant que besoin ou pulsion d'autoconservation peut sans doute être satisfaite par un verre d'eau ; mais que la soif, en tant qu'elle sert de support - et nous pensons ici à la notion freudienne d'étayage ou d'adossement (Anlehnung) - au désir ontologique, vise par-delà le verre d'eau à boire un objet rigoureusement impossible. Car ce qui manque ontologiquement au sujet n'est pas un objet empirique que le sujet pourrait se procurer d'une manière ou d'une autre mais un ''objet'' inatteignable car contradictoire. Sommes-nous si loin de la psychanalyse ? Nous venons de souligner via la notion d'étayage la proximité avec Freud. Et, comme l'écrit Bernet, il n'est pas difficile de retrouver dans la description sartrienne les linéaments de la conception lacanienne du désir - qui s'en inspire sans doute plus qu'elle ne le reconnaît (Leguil, 2012, p. 111) - au sein de laquelle l'objet empirique n'est rien d'autre qu'un bouche-trou, une pâle copie dirait Platon, qui ne compensera jamais la chose dont l'objet petit a est comme le schème (Bernet, 2004, p. 179 ; Bernet, 2013, pp. 237-238)3.
De la sexualité infantile
Nous voyons ainsi comment les notions solidaires de pulsion et de désir permettent de croiser fructueusement phénoménologie et psychanalyse. Mais cela ne signifie pas que la phénoménologie puisse in extenso faire sienne la conception freudienne de la sexualité. On sait que ce sont les phénomènes de la sexualité infantile et leur retour dans les perversions comme le sadisme ou l'exhibitionnisme, qui servent à Freud de « fil conducteur (Leitfaden) », au sens phénoménologique du terme4. Ainsi l'observation de la sexualité infantile doit-elle permettre d'élucider la vie sexuelle normale ou pathologique des individus, et c'est dans cette perspective qu'on peut relire les Trois essais sur la théorie de la sexualité (Freud, 1905/1962), texte inaugural5, dont nous voudrions souligner les limites avec cette double question : Freud n'a-t-il pas, d'une part, surévalué l'importance des pulsions sexuelles, au point d'imaginer une sexualité orale du nourrisson, et, d'autre part, sous-évalué la dimension fondamentalement intersubjective de la relation érotique ?
Incontestablement à tort, on a souvent reproché à Freud d'étendre inconsidérément la notion de libido au point que toute activité humaine serait assujettie voire reconduite à des pulsions sexuelles. Rejetant les accusations de pansexualisme (Freud, 1921/1973, p. 110), Freud ne cesse d'affirmer contre Carl Gustav Jung et Arthur Schopenhauer le caractère dualiste de sa théorie des pulsions. Mais il faut bien reconnaître que, phénoménologiquement parlant, l'extension freudienne du concept de libido via notamment les concepts de sublimation ou d'inhibition quant au but ne va nullement de soi, y compris pour celui qui est prêt à admettre que la sexualité ne se limite évidemment pas à l'hétérosexualité génitale. Ainsi, confondre la passion amoureuse et le désir, rapporter la recherche scientifique à la curiosité sexuelle, assimiler l'amitié ou le lien social à un lien libidinal, toutes ces opérations relèvent manifestement de la spéculation. Freud peut bien, de manière relativement vague en vérité, revendiquer à son profit l'autorité du Banquet de Platon, ne lui fait pas moins défaut une eidétique rigoureuse de la relation érotique. Et même en se plaçant du point de vue de la simple observation, comme nous allons le voir, on peut s'interroger sur la solidité de la conception freudienne de la sexualité à commencer par l'idée d'un autoérotisme et d'une sexualité orale chez le nourrisson. Si un plaisir n'est pas nécessairement de nature libidinale et qu'il existe des plaisirs physiques non libidinaux6, comme celui de boire un verre d'eau quand on a soif, ce qui est ressenti par le nourrisson tandis qu'il satisfait sa faim via la succion du sein maternel est-il bien de nature érotique ?
Dans ses Trois essais, Freud soutient que la pulsion partielle orale constitue la forme la plus primitive de la sexualité infantile. La source de cette pulsion serait selon Freud une excitation spécifique de la bouche ; son objet le sein maternel ou, à défaut, une partie du corps propre du nourrisson telle que le pouce, et son but le plaisir. La question peut paraître à la fois imprudente et d'une extrême naïveté tant la conception freudienne est parvenue à s'imposer - y compris auprès des esprits les plus prévenus contre elle - au point de passer pour une vérité de fait : le plaisir éprouvé par le nourrisson relève-t-il bien d'une sexualité non génitale ? On répondra peut-être maladroitement que le plaisir de la succion est de nature libidinale puisque la bouche est une zone érogène, ce qui présuppose que soit établi au préalable que ladite bouche est bien chez le nourrisson une zone érogène. A contrario, dire que la bouche est une zone érogène puisque le plaisir éprouvé par le nourrisson est libidinal revient de toute évidence à s'engager dans un cercle - que l'on pourrait aisément reformuler à propos de la sexualité anale du même nourrisson - qui n'a plus rien à voir avec les faits7. A vrai dire, faute d'une phénoménologie adéquate du plaisir érotique qui réinscrirait au minimum le plaisir éprouvé au sein d'une conduite intentionnelle, on pose que la bouche du nourrisson est une zone érogène et, par suite, que la succion du sein maternel relève d'une pulsion libidinale qui prend appui sur une pulsion d'autoconservation. La rigueur impose de reconnaître que la simple observation ne peut trancher la question et, par suite, de laisser dans l'indétermination la nature du plaisir suscité par la succion du sein maternel tout comme la nature de « l'inquiétude » que l'enfant cherche à calmer lorsqu'il remplace le sein maternel par un quelconque succédané.
De l'autoérotisme et du narcissisme
On pourrait dans cette affaire appeler à la barre un phénoménologue d'autant plus convaincant qu'il ne passe pas pour inféodé à la psychanalyse freudienne. Sartre, en effet, décrit dans ses Carnets de la drôle de guerre la manière dont l'un de ses compagnons, Pieter, « se lèche les lèvres pour se toucher comme les jeunes garçons se tripotent à travers leur poche » (Sartre, 1995, p. 326). A première vue, donc, Sartre fait sienne l'idée d'une pulsion sexuelle qui, sous sa forme primitive, n'implique pas nécessairement autrui et qui relève d'une auto-affection ou encore d'une réflexivité charnelle indépendante, dans le cas du nourrisson, de la constitution d'un véritable moi. Cependant, il n'est pas assuré que Sartre soit ici d'un grand secours pour la psychanlyse. On peut déjà objecter que Pieter et le nourrisson n'ont pas le même âge et que la sexualité est incontestable chez l'un alors qu'elle est précisément en question chez l'autre. Qu'il convient en outre de lire l'ensemble de la description sartrienne qui, dès lors, prend une autre signification. Sartre ajoute en effet : « Tout en vous écoutant, tout en vous parlant même, il prend un air furtif et sensuel et, avançant sa lèvre supérieure en gouttière, il attire sa lèvre inférieure dans sa bouche, comme un suborneur attire une fillette chez lui, il l'aspire, il la hume et, pour obéir à son appel, elle se gonfle et s'enfonce dans la bouche, énorme et turgide ». Ce qui est alors frappant c'est la manière dont l'autoérotisme, sous la forme d'un quasi dédoublement réflexif, mime l'allo-érotisme.
Enfin et surtout, il convient de prendre en considération le statut de ce texte : Sartre s'y livre, avec une jubilation non dissimulée, à une sorte d'exercice de style qui a pour objet une petite manie ''insignifiante'', dont on peut préciser néanmoins la signification à partir de la conception du désir développée trois ans plus tard dans L'Être et le néant (Sartre, 2008, pp. 424-425). Sartre y fait sienne notamment l'idée que le désir charnel ne prend pas nécessairement la forme de la génitalité hétérosexuelle et que la sexualité chez l'enfant peut précéder la maturation physiologique des organes génitaux. Cependant, et le point est décisif, Sartre tient le désir sexuel pour une modalité de notre rapport à autrui et, plus précisément, à sa chair. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la description phénoménologique du désir dans L'Être et le néant prend place dans le cadre de la description des relations concrètes avec autrui. Ainsi la phénoménologie sartrienne nous conduit-elle à rompre avec une approche ''solipsiste'' de la sexualité, qui conçoit l'évolution psychosexuelle de l'individu en lui attribuant pour point de départ une existence solitaire autoérotique qui se développerait « magiquement » en direction d'une sexualité allo-érotique. En vérité, il faut procéder tout à l'inverse, c'est-à-dire envisager l'autoérotisme à partir de l'allo-érotisme et comme une de ses modalités, ce que confirme la présence-absence d'autrui qui hante les conduites autoérotiques. Tel est le cas, dira-t-on peut-être, de l'enfant qui suce son pouce. Toutefois, même en reconnaissant que la succion du sein maternel - ou du pouce en tant que succédané - engage une relation à l'autre sous la forme d'une intercorporéité, on ne peut en déduire le caractère érotique de la succion qui, sans être impossible, est loin d'être manifeste. Encore une fois, tout plaisir n'est pas nécessairement un plaisir érotique.
Mais c'est sans doute la théorie freudienne et post freudienne du narcissisme en tant qu'avatar de la libido qui suscite le plus de résistances d'un point de vue phénoménologique. Rappelons brièvement que dans son texte de 1914, intitulé « Pour introduire le narcissisme », Freud envisage la possibilité pour la libido de se retirer du monde extérieur et de se fixer sur le moi, comme le suggèrent le délire des grandeurs de même que l'absence d'intérêt des schizophrènes pour le monde extérieur. Ainsi Freud est-il conduit à remanier sa conception de la libido et à opposer désormais la libido d'objet à une libido du moi ou libido narcissique. En outre, dans la mesure où le retrait de la libido sur le moi fait suite à un investissement d'objet, Freud qualifie cet état de narcissisme secondaire qu'il envisage alors sur la base d'un narcissisme primaire (Freud, 1914/1969), p. 80 et sq.). Sans aller plus avant, on peut déjà s'étonner de cette insistante métaphore bancaire, mais aussi militaire, de l'investissement (Besetzung), du retrait et du transfert, qui assimile l'économie libidinale à une circulation de capitaux. Nous voudrions simplement ici nous demander en quel sens il est possible de s'aimer soi-même. Certes, pour un philosophe comme Rousseau, un tel amour va de soi. Mais prenons garde au fait que Rousseau parle de l'amour de soi et non de l'amour pour soi. Et que cet amour de soi n'a absolument aucune signification érotique. L'amour de soi désigne ce qu'on appelle parfois maladroitement l'instinct de conservation, que Rousseau dans une note célèbre du second Discours oppose à l'amour propre8.
La question est donc de savoir non pas si on peut s'aimer au sens de l'amour de soi mais s'il est possible d'éprouver pour soi une véritable passion amoureuse et si la présomption et le délire de grandeur attestent d'une telle possibilité. Pour la clarté du propos, il convient de répondre à cette interrogation en distinguant avec Freud le narcissisme primaire du narcissisme dit secondaire car postérieur et différent dans sa structure. Le narcissisme primaire, d'une part, présente une opacité spécifique dans la mesure où il caractérise un sujet qui ignore encore la distinction entre le moi et le non-moi et qui, a fortiori, n'a pas encore la représentation d'un moi unifié. Un tel narcissisme semble irrémédiablement contradictoire et analogue à ce que Bernet appelle « un égoïsme sans ego » (Bernet, 2013, p. 352). En outre, cet état s'accompagnerait d'une forme d'autosuffisance elle-même bien problématique s'il est vrai que le manque est dans l'être de la pulsion, qu'il est donc originaire et n'a pas la contingence d'un objet perdu. Mais cette question du sens de l'amour dans le narcissisme n'est à vrai dire pas plus claire lorsqu'il s'agit du narcissisme secondaire. En effet, peut-on s'aimer soi-même au sens de se désirer soi-même comme on désire une autre personne ? Peut-on s'aimer soi-même au sens d'attendre de soi ce que l'amant attend de l'aimé ? Ces questions paraissent dépourvues de sens. C'est cette impossibilité d'un amour pour soi que met en scène et dénonce Ovide lorsqu'il fait dire à Narcisse après qu'il a découvert qu'il est lui-même l'objet de son amour : « L'objet de mon désir est en moi, ma richesse est aussi mon manque » ou encore : « Ah ! Que ne puis-je me séparer de mon corps ! Vœu inattendu de la part d'un amant : je voudrais que s'éloigne l'être que j'aime » (Ovide, 1992). Parce que l'amour, qu'il s'agisse du sentiment amoureux ou du désir charnel, implique nécessairement une relation à une altérité, l'amour pour soi est un amour rigoureusement impossible, une contradictio in terminis. Force est d'en conclure non pas que le narcissisme est un concept dépourvu de sens mais de manière plus féconde qu'il y a une spécificité de « l'autoaliénation » narcissique. Dans cette perspective, la relation du soi à un soi imaginaire pourrait être sans doute plus adéquatement ressaisie en prolongeant la réflexion d'un Pascal, d'un La Rochefoucauld ou d'un Rousseau sur le moi, l'amour propre, l'honneur et la vanité.
Faiblesse et intermittence du désir charnel
A dire vrai, bien plus que par la seule observation, la « découverte » freudienne de la sexualité paraît commandée par un présupposé fondamental quant à la nature de la libido en tant que poussée. Tout se passe comme si la libido envahissait et hantait l'enfant dès sa naissance et, ce, jusqu'à sa mort. Il est temps à présent, à partir d'une double interrogation quant à la nature de la pulsion, de corriger l'idée si prégnante que Freud nous en a laissée.
La première interrogation concerne la permanence de la pulsion sexuelle en tant que poussée (Drang). Dans ses Trois essais Freud envisage la pulsion sexuelle comme « le représentant psychique (die psychische Repräsentanz) d'une source d'excitation à l'écoulement continu provenant de l'intérieur de l'organisme (einer kontinuierlich fließenden, innersomatischen Reizquelle) » (Freud, 1905/1962, p. 56). Ainsi, Freud nous rappelle que la sexualité trouve tout d'abord sa source à l'intérieur et non à l'extérieur de l'organisme. A ce stade, la pulsion sexuelle est une pure et simple auto-affection. Mais ce qui est énigmatique dans cette conception de la libido, c'est la « continuité » de l'excitation provenant de l'intérieur de l'organisme, que Freud oppose à la discontinuité de l'excitation extérieure. Comme l'écrit Bernet : « Ne va-t-il pas de soi, au contraire que nos besoins naturels connaissent des trêves ? Et Freud n'écrit-il pas, également dans ses Trois essais, qu'avec la satisfaction orgasmique de la pulsion sexuelle ''la tension de la libido s'éteint temporairement'' ? » (Bernet, 2013, p. 197). Comment dans ces conditions maintenir la continuité de l'excitation sexuelle9 ? Force est alors de reconnaître que Freud, loin de prendre appui sur l'expérience qu'il tient en principe pour la seule source de légitimité scientifique, la méconnaît ici volontairement. De facto, en effet, l'excitation sexuelle est discontinue et la pulsion sexuelle, loin d'exercer une poussée constante, a un mode de présence essentiellement intermittent.
Notre deuxième interrogation se rapporte aux manifestations de la sexualité avant la puberté. On admet aisément que les pulsions d'autoconservation comme la faim et la soif sont éprouvées dès la naissance par le nourrisson. Peut-on légitimement soutenir qu'il en va nécessairement de même pour la libido ? On a vu que la sexualité orale du nourrisson ne peut être tenu pour un fait et que rien n'atteste du caractère érotique de la succion du sein maternel. En outre, il faut souligner non certes l'absence mais la faible présence de la sexualité tant chez les nourrissons que chez les enfants qui ont souvent bien autre chose en tête. Freud lui-même le constate mais ne renonce pas pour autant à l'idée d'une surabondance de la libido dès l'enfance. Et c'est pourquoi il se retrouve dans la nécessité d'inventer non seulement un improbable mécanisme de sublimation qui métamorphoserait magiquement la libido en une pulsion dont les objets seraient socialement plus élevés ; mais aussi une période dite de latence (Latenzperiode)10 marquée par un déclin du complexe d'Œdipe et une intensification du refoulement entrainant une amnésie qui frapperait les souvenirs liés à la sexualité infantile (Laplanche & Pontalis, 1967, p. 220). Plutôt que de multiplier les hypothèses, il semble plus simple et surtout plus juste de reconnaître la faiblesse relative des pulsions sexuelles au cours de l'enfance, faiblesse qui se retrouve à d'autres moments de l'existence et notamment chez les personnes d'un certain âge11. D'une manière générale, face à ce phantasme d'une libido débordante qui doit être canalisée, sublimée, refoulée, on peut faire sien le doute d'un Rousseau qui, tout à l'inverse, inquiet de la faiblesse du désir chez l'homme, suppose que dans les rapports entre les sexes l'amour propre se conjugue au désir en sorte que « l'un triomphe de la victoire que l'autre lui fait remporter » (Rousseau, 1762/1969, p. 692).
Remarquons enfin que l'idée d'une période de latence dans l'évolution psychosexuelle de l'individu repose en dernière instance sur un présupposé étroitement lié à l'ontologie de la subsistance. « Latence », en effet, vient du latin latere qui signifie « être caché ». De ce point de vue, la pulsion sexuelle possède la permanence de la chose qui ne peut pas effectivement disparaître puis réapparaître ; mais qui ne peut disparaître que si, en attendant de réapparaître, elle se maintient à l'être sous la forme d'une existence cachée. De manière analogue, la pulsion sexuelle pour Freud ne disparaît pas véritablement au cours de la période de latence mais subsiste cachée, refoulée, avant de réapparaître au moment de la puberté. C'est ce même présupposé que l'on retrouve à propos de l'affectivité lorsqu'elle est réifiée sous la modalité du sentiment en tant qu'état. De ce point de vue, comme l'écrit Sartre au sujet de la haine comme état, « ma haine survit comme une réalité actuelle, bien que ma pensée soit présentement occupée d'un autre objet » (Sartre, 2008, p. 197). Ainsi, reconnue comme telle ou non, une ontologie de la subsistance prédétermine l'observation de la libido ainsi que son interprétation.
Que la sexualité infantile soit originellement orale et passe ultérieurement par un stade sadique-anal et enfin phallique relève donc moins d'une observation rigoureuse des enfants que d'une construction spéculative qui ne s'avoue pas comme telle. Soulignant le caractère originellement anarchique de la sexualité, Bernet rappelle que Lacan, pour sa part, s'est « engouffré dans cette brèche pour contester la succession naturelle des stades sexuels chez l'enfant (..) ainsi que la subordination des pulsions partielles et de leur ''Vorlust'' au primat de la ''Endlust'' du coït ! » (Bernet, 2013, p. 199). Mais, comme nous l'avons vu, il faut aller plus loin et interroger l'idée même d'une pulsion sexuelle continue qui, aux deux sens du terme, possèderait l'enfant dès sa naissance et qui serait au fond la source de ''tous'' ses maux à venir. S'il y a bien une sexualité infantile, sa présence est vraisemblablement peu envahissante et manifestement discontinue. C'est pourquoi rien ne permet de lui attribuer l'importance que Freud lui confère. Il s'ensuit qu'il est vain de chercher systématiquement du côté des conflits psychiques opposant le sujet à sa libido la source des troubles qui hantent l'individu, même s'il est incontestable que l'hystérique est bien dans certains cas aux prises avec sa sexualité. Un jour sans doute, écrit Michel Foucault qui fut à notre connaissance le premier à mettre en question l'hypothèse répressive et tout ce qu'elle a inspiré en psychopathologie comme en psychothérapie, « on se moquera du reproche de pansexualisme qui fut un moment objecté à Freud et à la psychanalyse. Mais ceux qui paraitront aveugles seront peut-être moins ceux qui l'ont formulé que ceux qui l'ont écarté d'un revers de main, comme s'il traduisait seulement les frayeurs d'une vieille pudibonderie » (Foucault, 1976, pp. 209-210).
Conclusion
Parce que la phénoménologie est le nom d'une méthode et non d'une doctrine fixée une fois pour toutes, elle peut et doit même interroger les œuvres du passé comme du présent, dont les intuitions sont susceptibles de l'enrichir. De ce point de vue, loin d'être une curiosité appartenant à un passé révolu, la conception freudienne de la libido peut faire l'objet d'une fructueuse réélaboration qui permet de la soustraire à une métaphysique de la force au profit d'une phénoménologie du désir. La pulsion n'est plus alors cette poussée par derrière qui demeure étrangère à l'être temporel de l'homme mais une attente habitée par une tension, toujours en avant d'elle-même et dirigée vers un objet. En ce sens, la pulsion n'est plus de l'ordre de la force mais du désir, au sens où, comme nous l'avons vu avec Leibniz et Sartre, le désir est hanté par un manque irrémédiable qu'aucun objet ne saurait satisfaire. Mais cette réélaboration de la notion de pulsion doit conduire à mettre également en question ce qu'on pourrait appeler le « sexualisme » tant freudien que post freudien quand bien même il serait acquis que la sexualité ne se réduit pas à la génitalité, qu'elle puisse prendre bien d'autres formes et qu'elle se manifeste bien avant la puberté. Et il va sans dire qu'en réduisant l'importance démesurée que Freud et ses disciples confèrent à la sexualité, en allant jusqu'à imaginer une libido du moi (narcissisme), et qu'en la ramenant à de plus justes proportions au sein de l'existence, on est inévitablement amené à s'interroger sur la réalité de son caractère pathogène. Tout en récusant toute forme de pansexualisme au nom du dualisme des pulsions, la psychanalyse n'a-t-elle pas trop chargé la sexualité au point de lui faire endosser la responsabilité de l'ensemble des troubles de l'existence ? Et s'il est vrai que les troubles psychopathologiques compromettent la possibilité d'aimer, est-il légitime pour autant de faire de celle-ci l'origine de ceux-là ?
Bibliographie
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Correspondance à:
Philippe Cabestan
E-mail: philippecabestan@orange.fr
Recebido em: 11/09/2019
Revisado em: 03/06/2020
Aceito em: 05/06/2020
Publicado online: 19/06/2021
1 Freud toutefois a parfaitement conscience de ce caractère spéculatif de sa théorie de la libido, lui qui écrit : « Il appartient à l'avenir de décider s'il y a plus de délire dans ma théorie (de la libido) que je suis prêt à l'admettre ou s'il y a davantage de vérité dans le délire de Schreber qu'on est prêt à le croire », (Freud, 1935/1970, p. 321).
2 Ainsi Bernet n'hésite-t-il pas à qualifier de spéculation méta-physico-biologique gratuite la thèse selon laquelle la mort serait le but de toute vie » (Bernet, 2013, p. 270 et p. 191).
3 Bernard Baas expose une conception analogue de l'objet a dans son livre, Le Désir pur. Parcours philosophiques dans les parages de J. Lacan, (Baas, 1992, p. 69).
4 Au sens où « un phénomène particulier et particulièrement évident présente l'avantage de faciliter notre accès à des phénomènes plus généraux et moins directement évidents ». Bernet distingue le fil conducteur et le modèle théorique dont s'inspire l'analyse freudienne, qui est « quelque chose comme le circuit électrique, la machine à vapeur ou encore un système thermodynamique » (Bernet, 2004, p. 186 et p. 190).
5 Si le propos de Freud est nouveau, l'intérêt pour la sexualité et ses perversions l'est beaucoup moins et la Psychopathia sexualis de Richard von Krafft-Ebing remonte à 1886.
6 Affirmation qui ne va pas de soi pour Freud. Par exemple, tout en constatant que l'enfant tire un plaisir considérable de l'activité musculaire, Freud se demande « si ce plaisir a quelque rapport avec la sexualité » (Freud, 1905/1962, p. 102).
7 Tout aussi malheureux serait l'argument qui invoquerait le rôle de la bouche dans les rapports amoureux entre adultes : le nourrisson n'est pas un adulte, même en miniature !
8 Plus précisément, l'amour de soi est défini par Rousseau comme « un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation » tandis que l'amour propre est un sentiment qui naît de la comparaison avec les autres et qui est « la véritable source de l'honneur ». A tout prendre, s'il faut donner un contenu au concept de narcissisme, c'est du côté de l'amour propre et de son moi imaginaire qu'il faudrait se tourner (Rousseau, 1755/1964, p. 219, note XV).
9 On retrouve ce thème de la continuité de la pulsion sexuelle dans les spéculations freudiennes - nettement phallocentriques - sur le refoulement organique de l'odorat et l'origine de la famille : « On peut supposer que la fondation de celle-ci coïncida avec une certaine évolution du besoin de satisfaction génitale, ce dernier ne se manifestant plus à la manière d'un hôte apparaissant soudain pour ensuite ne plus donner signe de vie de longtemps après son départ, mais comme un locataire qui s'installe à demeure chez l'individu. Par là fut donné au mâle un motif de garder chez lui la femelle ou, d'une façon plus générale, les objets sexuels ». (Freud, 1930/1971a, p. 49). Cette idée de permanence opposée à la périodicité de la sexualité chez les animaux est reprise par Freud dans l'Abrégé de psychanalyse (Freud, 1940/2001, p. 14 note 1).
10 Freud reconnaît lui-même la « nature hypothétique » de ce qu'il avance sur la période de latence (Freud, 1905/1962, p. 71).
11 Freud, dit-on, aurait renoncé à l'âge de quarante ans à toute relation charnelle avec sa femme, Martha.