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Trivium - Estudos Interdisciplinares

 ISSN 2176-4891

Trivium vol.11 no.2 Rio de Janeiro jul./dez. 2019

https://doi.org/10.18379/2176-4891.2019v2p.165 

ARTIGOS TEMÁTICOS

 

Rythmes et NTIC: synchronicité du lien, asynchronicité des sujets

 

Rhythms and NTIC: synchronicity of the link, asynchronicity of the subjects

 

Ritmos e NTIC: sincronicidade do vínculo, assincronicidade dos sujeitos

 

 

Véronique Donard

DESS (Graduação) em Psicologia (2003) e Doutorado em Psicopatologia clínica (Psicose e Estadoslimites) pela Universidade Paris Diderot-Paris 7 (2008). Pós-doutorado em 2014 na UNICAP / E-mail : veronique.donard@gmail.com

 

 


RÉSUMÉ

Le tissage de nos communications, portp par l'amplioration exponentielle des TICs, a donnp lieu à l'pmergence d'un espace-temps à part entiére, dans lequel nous circulons et déployons une vie affective, économique, politique, et qui, par conséquent, nous affecte quotidiennement. Cet article se donne ainsi pour but de rpflpchir, d'une part, à notre capacité de vivre dans ce nouvel espace-temps et d'y tisser des liens, et, d'autre part, à notre façon de concilier les données de réalité induites par le numérique et celles que nous croyons acquises et habituelles.

Mots-clé: ESPACE-TEMPS ; CYBERESPACE ; NTICS ; ACCÉLÉRATION ; CRÉATIVITÉ ; IA.


ABSTRACT

The weaving of our communications, facilitated by the exponential improvement of ICTs, gave way to a space-time that is their own, within which we move and in which we develop an affective, economic, political life, a reality that affects us Daily. This article gives itself to the purpose of thinking, on the one hand, to our ability to live in this new space-time and to build links to it, and, on the other hand, to our way of reconciling the data of reality induced by the digital and those we believe acquired and usual.

Key words: SPACE-TIME; CYBERSPACE ; ICTS ; ACCELERATION ; CREATIVITY ; IA.


RESUMO

A tela de nossas comunicações, tecida e facilitada pelo aperfeiçoamento exponencial das TICs, deu lugar a um espaço-tempo que lhes é próprio, dentro do qual nos movemos e no qual desenvolvemos uma vida afetiva, econômica, política, realidade essa que nos afeta quotidianamente. O presente artigo tem assim por objetivo refletir, por uma parte, à nossa capacidade de viver nesse novo espaço-tempo e de nele tecer relações, e, por outra parte, ao nosso modo de conciliar os novos dados de realidade induzidos pela tecnologia digital e aqueles que julgamos normais e habituais.

Palavras-chave: ESPAÇO-TEMPO; CIBERESPAÇO ; TICS ; ACELERAÇÃO; CRIATIVIDADE; IA.


 

 

"La réalité n'est qu'une illusion, quoique trés persistante."

(Albert Einstein)

L'affirmation en exergue, bien qu'ayant été proférée il y de cela plus d'un siécle, nous permet aujourd'hui de mieux saisir certains aspects de notre rapport à une réalité qui s'impose à nous de façon chaque fois moins virtuelle et de plus en plus réelle... à savoir, celle qui découle de notre usage des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication. Car nous avons vu émerger, tissé par le réseau de nos communications, un espace-temps à part entiére, un cyberespace-temps, dans lequel nous circulons, transitons, vivons, communiquons, déployons une vie affective, économique, politique. Cet article se donne ainsi pour but de réfléchir, d'une part, à notre capacité de vivre dans ce nouvel espace-temps et d'y tisser des liens, et, d'autre part, à notre façon de concilier les données de réalité induites par le numérique et celles que nous croyons acquises et habituelles. Comment y gérons-nous nos perceptions spatio-temporelles ? Ont-elles un impact sur la qualité de nos communications ? Sur nos vies ?

 

Rythme et spatio-temporalité

Il est intéressant de constater que, bien que nous connaissions l'incomplétude, voire l'inexactitude des théories euclidienne et newtonienne sur l'espace et le temps, nous continuons de nous y référer au quotidien, puisque, la plupart du temps, nous considérons tant le temps comme l'espace comme des données stables et absolues.

Cela étant, nous ne les concevons pas de la même façon : alors que l'espace est directement perceptible par les sens, formant une réalité « déjà-là » plus immédiatement concevable, la temporalité ne nous est acquise qu'aprés une opération mentale qui mesure la durée et la vitesse d'un trajet entre deux points : le jour et la nuit, la naissance et la mort, l'espace entre deux battements de coeur. C'est là ce que Heidegger appellerait une « conception spatiale » du temps. Dans cette façon de procéder, de façon générale, nos premiers repéres se déduisent de notre perception de notre propre corps et de notre environnement bio-climatique, ces deux réalités étant intimement intriquées. Ces perceptions nous permettent d'établir des notions de temporalité qui nous sont immédiatement compréhensibles, assimilables et transmissibles.

Pourtant, Einstein et Minkowski ont bien démontré, il y a de cela plus d'un siécle, que le temps dépend de la situation dans l'espace de l'observateur et qu'il est, par conséquent, relatif. Ils ont mis en évidence que l'on ne peut penser séparément spatialité et temporalité, car ces deux dimensions s'influencent mutuellement à un point qu'elles forment une réalité inséparable : un continuum espace-temps à quatre dimensions. Quelques années plus tard, la théorie de la relativité générale vient montrer que ce continuum espace-temps se déforme en fonction de l'influence des masses gravitationnelles, et qu'il se présente sous un aspect courbe, en mouvement et en expansion. Un mouvement caractérisé non seulement par la malléabilité de sa forme, mais également par la vitesse qui l'anime.

De ce temps-espace toujours en mouvement et de la relativité de nos perceptions sensorielles, nous parvenons pourtant, grâce à la constance et à la répétition des phénoménes perçus, à déduire un ordre apparent. Le fait de percevoir ces repéres comme faisant partie d'un tout cohérent permet d'envisager leur répétition comme une rythmique, la vitesse du mouvement déterminant le tempo. Le rythme est donc la meilleure traduction de notre perception de l'ordre de ce qui se présente d'abord comme un désordre ou comme une non-organisation.

Nous conviendrons cependant que, si l'espace-temps dans lequel nous vivons est marqué par la relativité, dépendant de facteurs toujours en mouvement, notre perception et notre interprétation de la réalité est de même relative. En ce sens, nous attribuons une fonction de présent à des événements qui, pour la plupart, ont déjà eu lieu au moment où nous les percevons. Pour exemple, lorsque nous regardons le ciel étoilé, nous scrutons des événements qui ont eu lieu il y a des dizaines, des centaines, des milliers d'années-lumiére1, et sommes donc les témoins du passé de l'univers dans lequel nous vivons (Paty, 1998). Par conséquent, puisqu'une nanoseconde représente une unité temporelle tout autant qu'une année-lumiére, nous comprenons que notre présent perceptif est tissé par l'immédiateté du passé de l'autre... Entre l'événement de l'autre et notre perception, il y aura toujours un décalage temporel : autrui et moi ne sommes jamais là en même temps, sauf pour un observateur tiers.

Où donc, alors, se situerait le présent ? Si nous percevons la réalité comme un enchevêtrement de phrases rythmiques, serait-ce le moment même de la pulsation, en sachant que celle-ci ne peut se concevoir sans une pulsation qui la précéde et une autre qui la suive ? Si oui, le présent serait alors marqué par la transitorialité et son caractére éphémére le dissoudrait dans la sérialité dans laquelle il s'inscrit : un présent sera toujours le passé et le futur de quelque chose, dans une continuité donnée.

Pourtant, nous dit Bergson (1968), nous n'avons accés à la temporalité « des choses » qu'à partir d'un « temps intérieur », subjectif. Mais cette « durée immédiatement perçue, sans laquelle nous n'aurions aucune idée du temps », est aussi, pour le philosophe, tissée de « la continuation de ce qui précéde dans ce qui suit » (p. 35), continuité qui est « une mémoire intérieure au changement lui-même, mémoire qui prolonge l'avant dans l'aprés et les empêche d'être de purs instantanés apparaissant et disparaissant dans un présent qui renaîtrait sans cesse » (Ibid.).

Henri Lübbe dirait alors que le présent est formé par « la durée pendant laquelle l'espace de l'expérience et l'horizon d'attente coïncident » (Lübbe, cité dans Rosa, 2017). Il est donc important que ce laps de temps, qui est à la fois une durée et un espace, où nous apprenons de nos expériences et planifions nos actions, soit suffisamment stable et étendu pour que ces processus puissent avoir lieu. Or, nous dit Lübbe, nos sociétés occidentales, de par « l'accélération des vitesses de l'innovation culturelle et sociale » (Ibid.), sont précisément caractérisées par la « compression » de ce présent.

Pour comprendre ce phénoméne d'accélération et son impact négatif sur la fiabilité de nos expériences et de nos attentes, rétrécissant le socle de ce que nous nommons ici « présent », nous pouvons nous référer aux travaux d'Hartmut Rosa.

 

Accélération et synchronicité

Dans ses ouvrages sur l'accélération, Rosa soutient que les pays occidentaux, depuis le début de l'industrialisation, se trouvent aux prises avec un triple processus d'accélération : technique, du changement social et du rythme de vie. Il soutient que, de par la pression que l'accélération technique exerce sur nos quotidiens, le régime spatiotemporel de nos sociétés s'en trouve transformé, car l'« accélération dérégle notre perception du temps » (Rosa, H., 2017), impactant nos rythmes de vie et provoquant une « famine temporelle ». Il s'interroge alors sur le paradoxe suivant : comment se faitil que les progrés techniques, qui permettent de réaliser plus rapidement des actions, au lieu d'élargir le champ spatio-temporel du sujet post-moderne, le rétrécissent ? La réponse se trouve dans le fait qu'ils ne font que rendre possible « l'augmentation du nombre d'épisodes d'action ou d'expérience par unité de temps », et que l'accélération n'est pas la conséquence des progrés techniques : ceux-ci n'en sont que les « conditions de possibilité ». L'accélération est le propre de l'humain.

De même, ce phénoméne d'accélération continue du tempo qui rythme nos vies sociales a un impact direct sur notre perception de l'espace. « Il semble, dit Rosa, que l'espace se “contracte” virtuellement par la vitesse des transports et de la communication. » (Rosa, H., 2017).

Nous comprenons alors que, de nos jours, l'enjeu de la question spatiotemporelle ne se situe plus au niveau de la durée, mais bien de la vitesse. Car, si la vitesse rétrécit la durée, elle en fait de même avec l'espace qui correspond à cette derniére. Plus le temps s'accélére, moins nous avons d'espace. Et moins nous avons d'espace, moins nous avons de temps. Or, ce processus a un impact direct sur notre condition de sujet. Je précise que j'emploierai ici le terme « sujet » dans sa conception philosophique, et notamment aristotélicienne, à savoir que le sujet est non seulement celui qui est déterminé par son prédicat, mais celui pour qui se conjuguent, dans l'existence, le faire et l'être. Kant, dans la Critique de la raison pure, fait de l'espace et du temps des « conditions originairement inhérentes au sujet », conditions auxquelles se soumet sa sensibilité.

Quand bien même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n'en ferions point un pas de plus vers la connaissance de la nature même des objets. Car en tous cas nous ne connaîtrions parfaitement que notre mode d'intuition, c'est-à-dire notre sensibilité, toujours soumise aux conditions d'espace et de temps originairement inhérentes au sujet ; quant à savoir ce que sont les objets en soi, c'est ce qui nous est impossible même avec la connaissance la plus claire de leurs phénoménes, seule chose qui nous soit donnée. (Kant, 1905, p. 81)

Cela signifie que la capacité perceptive du sujet sera impactée par les possibles fissures dans ces conditions spatio-temporelles. Si vous touchez à l'espace-temps, vous touchez au sujet et à sa perception de la réalité.

Nous avons ici suffisamment d'éléments pour penser certains aspects des communications à distance. Lors de l'usage de la caméra, la qualité grandissante du support numérique favorise l'immersion – attribution de réalité à ce qui se passe sur l'écran – de telle sorte que l'expérience sensorielle du corps de l'autre, dans la sensation d'immédiateté qui la caractérise, devient possible. J'ai cité ailleurs Lévinas pour caractériser cette épiphanie du Visage qui advient dans une séance par webcam (Donard, 2016). Nous avons alors à composer avec l'évidence du décalage spatiotemporel et cette expérience d'immédiateté. Il est 9h du soir à Recife le 25 octobre alors que chez mon correspondant, à Tokyo, il est 9h du matin du jour suivant. Mon interlocuteur a froid et porte une écharpe, je suis en t-shirt et en jupe. Il finit sa journée alors que je commence la mienne. Pourtant, l'évidence de notre synchronicité permet d'attribuer à ce moment un statut de présent et à l'écran un statut de lieu. Nous nous trouvons donc bien face à une dimension spatio-temporelle inédite, aussi éphémére que réelle, qui dure le temps d'un Skype ou d'un Face time.

Comment faisonsnous pour gérer tout cela ? Le rétrécissement de notre présent et son avénement là où sa transitorialité n'en est que plus évidente ? Dans quelle continuité et quelle rythmique nous inscrivonsnous ? Comment pensons-nous notre espace face à l'évidence de sa malléabilité ?

 

 

Peut-être notre façon d'habiter le temps et l'espace est-elle de nous installer dans un tempo régulier, dans une vitesse de traversée. Le tempo peut tout à fait être rapide, mais doit permettre de sentir la cohérence de la mesure rythmique. Nous pourrions alors comprendre combien les facteurs de stress qui caractérisent actuellement notre société occidentale peuvent s'expliquer par ce vertigineux et ascensionnel décalage : si, jusqu'à présent, nous avions maille à partir avec l'impossible synchronicité entre notre présent et celui de l'autre, nous nous trouvons maintenant face à une autre impossibilité : celle de faire véritablement l'expérience de nous trouver là où nous sommes. Car nous sommes mus par ce qu'il me semble être un véritable « principe d'accélération » qui, dans une perspective métapsychologique, serait le pendant du principe d'inertie. Et qui, nous disent les astrophysiciens, est le principe même de l'univers : aujourd'hui il est prouvé que, plus la matiére freine son expansion, plus l'univers accélére. Ce principe d'accélération, que l'évolution de la technique, notamment celle des nouvelles technologies, a mis en évidence, parce qu'il pousse le sujet à augmenter de façon exponentielle le nombre de ses actions dans une même unité de temps, a pour conséquence d'escamoter le sujet de son action, qui ne peut s'inscrire dans l'expérience. L'être et le faire ne peuvent alors coïncider. En d'autres termes : je ne peux occuper le temps et l'espace qui correspondent à mon expérience d'être-là, car, au moment où je réalise l'action, je n'y suis plus. Dans un sens winnicottien, nous pourrions dire qu'à chaque action nous sautons une marche, qui est celle de la créativité.

Par ailleurs, les progrés techniques vont si vite que nous n'arrivons plus à nous adapter. Les mesures temporelles sont à présent des nanosecondes et des picosecondes, et les changements adviennent avant toute possibilité de perception et d'élaboration logique. Quand nous parvenons à penser la nouveauté, elle est déjà devenue caduque.

 

Evolution du cyberespace

A partir de ce que nous avons dit jusqu'à présent, nous conviendrons aisément de ce que le cyberespace ne constitue pas « un » espace-temps qui vient se rajouter à celui dont nous avons l'habitude, mais bel et bien un enchevêtrement d'espaces-temps, tous aussi réels les uns que les autres. En sachant que l'attribution de « virtuel » serait néanmoins justifiée par le fait qu'il suffirait d'éteindre un interrupteur ou de couper un câble pour que tout cet univers, extrêmement dense et peuplé, choie comme si d'une illusion il s'agissait. Mais que nenni, cet espace-temps est bel et bien réel...

Or, ce cyberespace a lui-même évolué. Nous ne considérerons ici que ces espaces-temps fréquentés par le grand public, à savoir ce que l'on appelle le « web ». Nous sommes passés d'un web rhizomique à explorer, où il faisait bon flâner, tel Baudelaire dans le Paris pré-haussmannien, relu par Benjamin, à un web linéaire où nous empruntons de grandes avenues et restons scotchés à la page d'un réseau social ou d'un moteur de recherche qui, comme le ferait un centre commercial, répond à tous nos besoins.

La plupart d'entre nous avons bien connu le web 1.0. Les sites d'information et les pages personnelles, les plus insensées et farfelues les unes que les autres, formaient comme des allées et des ruelles parmi lesquelles l'internaute aimait se perdre. C'est ainsi qu'est né le terme de « cyberflâneur », réguliérement employé pour caractériser son exploration sans but précis, cliquant de lien en lien. Le web était alors censé rendre accessible au grand public l'idéal de ce que les chercheurs appelaient « l'internetting », et fonctionner de façon rhizomique, décentralisée et horizontale. Les « hyperlinks » renvoyaient vers d'autre hyperlinks, qui eux-mêmes etc... Le vocabulaire associé à l'exploration du cyberespace naissant dénotait la perception du même comme s'il s'agissait d'un territoire liquide, toujours renouvelé : internautes, cybernautes, surfer ; pour le parcourir, l'on devait utiliser des « navigateurs », qui s'appelaient « Internet explorer », « Netscape Navigator », etc... Sans oublier que le préfixe « cyber » vient du vocable grec kubernêtikê, qui signifie « gouvernail ». Par ailleurs, la lenteur de la connexion et du débit favorisait le goût de la découverte : car, pour flâner, il faut du temps. Cependant, le web, déjà, ne revêtait pas les caractéristiques de la passivité. Les termes qui caractérisaient notre déambulation dans le cyberespace montraient que, en réponse à nos errances, cette étendue liquide, pour emprunter le terme de Baumann, offrait une résistance qui la transformait alors en un territoire solide, qui conservait sous forme de données spatio-temporelles, concrétes, la mémoire de chacun de nos pas. Le web est ainsi rempli de nos traces, de nos marques, de nos empreintes. Les premiéres communautés en ligne voient également le jour et font leurs premiers pas sur les forums hébergés sur des services comme GeoCities, Tripod ou autre.

Pourtant, en 2012, un article de Evgeny Morozov dans le New York Times annonce solennellement : le cyberflâneur est mort, le web 2.0 l'a tué. Ce dernier a été marqué, à ses débuts, par trois facteurs principaux : l'avénement des réseaux sociaux, qui ont remplacé les forums ; l'apparition de nombreux métavers en 3D accessibles à tous (les métavers sont des meta-univers, des cybermondes à réalité persistante, qui évoluent en permanence : ils étaient jusqu'alors la prérogative de MMOs2 basés sur du texte), le plus connu étant le trés célébre Second Life et certains MMOs comme Eve Online ; et l'avénement des recherches par mots-clés. Désormais, nous n'avions plus besoin de naviguer, internautes que nous étions, de page en page pour obtenir une donnée, car un mot-clé sur un moteur de recherche nous apportait un large choix de réponses. Notre nef d'explorateurs est devenue un gros paquebot à moteur, dont nous ne tenons pas le gouvernail, et sur lequel nous nous contentons de regarder vers les directions signalées à l'avance.

Le web 2.0 a cependant, de façon générale, permis l'apparition des MMOs, qui continuent à regrouper des milliers de joueurs connectés de par le monde, et les membres des communautés en ligne ont pu commencer à échanger et à communiquer en « temps réel ». Le « présent » apparaissait alors, de toute évidence, comme la conjonction ici et maintenant, en ce lieu et en ce temps, de la multitude des présents des internautes, chacun évoluant dans un espace-temps distinct.

Cependant, la politique de certains réseaux sociaux, dont le meilleur exemple est Facebook, a été dés leur début de promouvoir le collectif au détriment de l'individuel. Le « tout social et collaboratif » (Morozov, 2012) a été affirmé par les dirigeants de Facebook comme la vision idéale d'un web qu'ils s'emploient à construire avec détermination. Le partage s'inscrit par défaut dans nos actions. L'acte réellement décidé ne correspond pas au partage, mais bien au non-partage.

Même s'il présente des aspects où le collectif et le partage sont, plus qu'une idéologie, une réalité utile ou agréable à vivre, il faut reconnaitre que, sous des auspices de liberté, le web 2.0 des réseaux sociaux et des moteurs de recherche est le lieu du cloisonnement. Alors que tous nos besoins sont satisfaits, que nous avons tout sur place et n'avons nul besoin d'aller chercher ailleurs, cette liberté n'est qu'apparente : nous sommes aussi libres de nos mouvements et de nos choix que nous le sommes dans un centre commercial à l'américaine, où tout est mis en oeuvre pour donner l'impression de la flânerie... Car nous ne sortons jamais de la même page, que nous faisons défiler presque à l'infini. Cela s'appelle le scrolling. Et nous nous apercevons alors que non seulement nos besoins sont satisfaits, mais qu'ils tendent à être progressivement façonnés par le réseau social, tout comme l'est notre mémoire et, par conséquent, notre avenir... Nous constatons donc que le web 2.0 participe du phénoméne d'accélération et contribue à rétrécir le socle de notre présent.

Aujourd'hui, le web 3.0 nous confronte à une autre réalité : il est intelligent. Cela ne nous est pas encore tout à fait évident, mais voici déjà quelques années que le web apprend tout seul – c'est ce que l'on nomme le Deep Learning ou le Machine Learning – et qu'il pense pour nous. Qu'il nous pense. Il nous rêve, même (Deep Dreaming), et devient ainsi le miroir de notre inconscient numérique. Les Intelligences Artificielles (IA) du web, dont quelques exemples seraient Google Brain ou Facebook artificial intelligence research, nous précédent et nous attendent. Elles procédent par anticipation. Si l'IA nous attend là où nous décidons de ne pas aller, elle apprendra de son erreur et améliorera sa possibilité de se situer, la prochaine fois, là où nous irons.

Ainsi, nous comprenons que, s'il existe de toute évidence un décalage entre moi et autrui, qui a pour conséquence de faire de mon présent le moment-témoin du passé d'autrui, il existe de même un décalage entre nous et les IAs. L'IA, en anticipant notre présent, se place dans un avenir prévisible, où elle nous attend. Et en s'adaptant de telle façon à nos goûts, coutumes et besoins, elle finit par être à l'initiative de nos actions. Mais, surtout, se met en place progressivement de notre part une relation à l'intelligence artificielle qui en fait non seulement le réceptacle, mais le destinataire de nos affects. Nous assistons ainsi à l'attribution chaque fois plus fréquente d'une intentionnalité et d'une affectivité à l'IA.

Comment agirons-nous lorsque cette intelligence artificielle sera parvenue à une puissance qui nous dépasse totalement ? Stephen Hawkins disait ainsi en 2016, lors d'une conférence à l'Université de Cambridge, que la création d'une super-intelligence artificielle sera « soit la meilleure soit la pire des choses jamais arrivées à l'humanité » (Louvet, 2016).

 

Conclusion

Il ne s'agit cependant pas de ressasser des inquiétudes ou des pensées pessimistes, quoiqu'en disent Bill Gates, Elon Musk ou Stephen Hawkins. Certes, nous sommes passés de la cyberflânerie à une errance qui tourne en rond, dans laquelle les IA prennent de plus en plus d'importance. Mais c'est sans compter avec la créativité de l'humain et sa capacité à jouer avec la réalité.

Depuis les débuts du web 2.0, est apparue une autre modalité de flânerie, une façon de réintroduire de la lenteur dans les espace-temps issus des processus technologiques, et d'imposer une non-prévisibilité aux IAs. Une façon de déconstruire et de désaccélérer. De subvertir et de s'approprier le cyberespace. Nous avons vu surgir le Metawanderer, vagabond ou nomade digital qui parcours les métavers, qui les observe, et, surtout, qui s'amuse à créer à partir de ses données. Je parle notamment des machinimas et de l'art digital, non celui qui est produit en utilisant le numérique comme moyen, ni même comme fin, mais celui qui s'infiltre dans les univers numériques pour, en ces lieux, créer. Des films ou des documentaires tournés entiérement sur Second Life, des expositions de photographies prises dans des jeux vidéo, des musées consacrés à l'art digital, voilà tout autant de façons de réintroduire de la créativité dans notre société numérique, d'y réintroduire de l'être. Plus notre monde accélére, plus il est important d'y injecter de la lenteur. Et il semble que la créativité ludique et l'expression artistique en soient encore le meilleur moyen.

 

Notes

1. La lumiére parcourt environ 300 000 kilométres par seconde.

2. MMO est l'abrpviation de « Massively Multiplayer Online », qui signifie « (jeu) en ligne massivement multijoueur ».

 

Bibliographie

Bergson, H. (1968). Durée et simultanéité. À propos de la théorie d'Einstein. Paris : PUF.         [ Links ]

Donard, V. (2016). Corps et expérience spatio-temporelle dans les psychothérapies via webcam. In: Regnault E. & Costa-Fernandez E. (Eds.). L'interculturel aujourd'hui : perspectives et enjeux. Paris : L'Harmattan, pp. 333-342.         [ Links ]

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Louvet B. (2016). Pour Stephen Hawking, l'intelligence artificielle sera « soit la meilleure soit la pire des choses jamais arrivpes à l'humanitp ». In SciencePost.fr. Publié le 22 octobre 2016, 13 h 41 min. URL : http://sciencepost.fr/2016/10/stephenhawking-lintelligence-artificielle-sera-soit-meilleure-soit-pire-choses-jamais-arrivees-alhumanite /consulté le 14/11/2017 à 18h30.         [ Links ]

Morozov E. (2012). The Death of the Cyberflâneur. The New York Times. URL : https://www.nytimes.com/2012/02/05/opinion/sunday/the-death-of-thecyberflaneur.html Consulté le 30/10/2017 à 20h.         [ Links ]

Paty, M. (1998). Les trois dimensions de l'espace et les quatre dimensions de l'espace-temps. In Flament, D. Dimension, dimensions. Paris : Fondation Maison des Sciences de l'Homme, pp. 87-112.         [ Links ]

Rosa, H. (2017). Aliénation et accélération Vers une théorie critique de la modernité tardive. Paris : La Découverte. Format ebook.         [ Links ]

 

 

Recebido em: 26/08/2019
Aprovado em: 19/05/2019

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