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Interamerican Journal of Psychology

versión impresa ISSN 0034-9690

Interam. j. psychol. v.40 n.1 Porto Alegre abr. 2006

 

 

Critères attributifs de sanction et “culture de métier”: approche comparative dans la justice naïve versus “experte”

 

Attributive criteria of sanction and “professional culture”: comparative approach in the naive versus “expert” justice

 

 

Bernard Gangloff I,II,1; Sandrine Hardy-Massard III

I Université de Rouen, Mont Saint Aignan, France
II Université Fédérale de Paraïba, Brésil
III Université de Rouen, Mont Saint Aignan, France

 

 


RÉSUMÉ

Parler de culture de métier renvoie généralement aux normes et valeurs des individus exerçant un même métier. Nous faisons ici l’hypothèse que magistrat et psychologue possèdent chacun une culture de métier spécifique les conduisant, pour infliger une sanction, à utiliser des critères qui leur sont propres. Pour le vérifier, nous avons soumis à trois populations (étudiants en psychologie, en droit, et participants tout-venant) un questionnaire à huit situations où un individu commettait une infraction légale ou normative. Chaque situation se terminait par la présentation de trois critères utilisables (18 critères au total), la tâche consistant à infliger une sanction au délinquant. Nous observons effectivement que, pour cette attribution, chacune de nos trois populations utilise des critères autres que ceux prévus par la loi, et que ces critères diffèrent selon la population considérée. Ces différences peuvent alors constituer une des explications à l’incompréhension parfois ressentie face à certains verdicts judiciaires.

Mots clés: Justice, Attribution de sanction, Culture de métier, Étudiants-psychologie, Étudiants-droit.


ABSTRACT

Speaking about professional culture generally makes reference to the norms and values of individuals practising a same profession. We make here the hypothesis that the magistrate and the psychologist possess a specific professional culture driving them, when sanctioning, to use their own criteria. To verify it, we submitted to three populations (students in law, in psychology, and naive people) a questionnaire of eight situations in which an individual committed an infringement to a legal or normative rule. Each situation ended by the presentation of three information related to three criteria (a total of 18 criteria) and the task consisted to inflict a sanction to the delinquent. Our results show that, in order to this attribution, each of our populations use others criteria that those anticipated by the law, criteria which also differ between the three populations. These differences can constitute one of the explanations of the incomprehension that we sometimes feel with regard to some verdicts returned by the courthouses.

Keywords: Justice, Attribution of sanction, Professional culture, College students-psychology, College students-law.


 

 

Il fut un temps où, pour trancher entre l’innocence et la culpabilité d’un présumé auteur d’infraction, l’homme s’en remettait au prétendu jugement de Dieu: c’est Dieu qui décidait, selon ses impénétrables critères. La seule tâche des mortels était d’établir des critères destinés à percer le verdict divin. C’était par exemple l’ordalie de l’eau froide (le suspect était plongé, genoux et poings liés sur la poitrine, dans un bac d’eau froide préalablement bénie, son maintien dans l’eau froide témoignant alors de son innocence). On peut facilement concevoir la fréquence des verdicts d’innocence, l’individu n’étant malheureusement plus là pour s’en réjouir. On perçoit bien le caractère peu scientifique de tels indices. C’est probablement pour cela que l’être humain a jugé plus utile et plus prudent de se substituer au jugement divin en élaborant ses propres critères. C’est ainsi qu’après bien des péripéties historiques on envisagea de manière très précise, tant dans le code civil que dans le code pénal (codes que l’on doit à Bonaparte), les notions de responsabilité et de sanction, tout comme les causes possibles d’exonération et d’atténuation de la responsabilité.

Toutefois, les psychologues sociaux, pressentant que les critères légaux retenus par le législateur n’étaient pas les seuls critères susceptibles d’avoir un effet sur l’attribution de responsabilité et sur l’attribution de sanction, se sont eux aussi intéressés aux facteurs pouvant avoir une influence sur ces deux processus attributifs. En ce qui concerne l’attribution de sanction, objet de la présente étude, les critères ayant essentiellement été étudiés en psychologie sociale peuvent être regroupés en trois grandes catégories selon qu’ils nous renseignent sur l’auteur de l’infraction, sur la situation ou sur les caractéristiques des juges.

Pour les caractéristiques de l’acteur, il s’agit de critères tels que l’intentionnalité (Horai & Bartek, 1978; Pepitone, 1975; Shaw & Reitan, 1969; Shultz, Schleifer, & Altman, 1981), le caractère respectable ou irrespectable de l’acteur (Doob, 1979), son apparence physique (Dion, 1972; Dion, Bercheid, & Walster, 1972; Efran, 1974; Landy & Sigall, 1974; Seligman, Brickman, & Koulack, 1977; Seligman, Paschall, & Takata, 1974; Sigall & Ostrove, 1975), son caractère sympathique versus antipathique (Barnett & Feild, 1978; Klapan & Kemmerick, 1974; Landy & Aronson, 1969; Shepherd & Bagley, 1970). Les résultats obtenus indiquent notamment que la sanction est d’autant plus importante que l’individu a agi de manière intentionnelle. Mais aussi que l’auteur d’une infraction est moins sévèrement puni lorsqu’il a toujours eu une conduite irréprochable que lorsqu’il s’agit d’un récidiviste. Ces recherches ont permis également d’affirmer de manière quasi consensuelle que le critère apparence physique a une incidence sur l’attribution de sanction: il semblerait qu’il faille jouir d’un physique avantageux pour espérer voir sa sanction diminuée. Mais tout dépendrait en réalité du type d’infraction commise, car dans certaines circonstances bien précises il conviendrait de ne pas se montrer sous son plus bel aspect.

La deuxième catégorie de critères s’intéresse aux caractéristiques de la situation. C’est ainsi que furent notamment étudiés des critères tels que le type d’infraction commise (vol, faux, usage de faux, viol., Critchlow, 1985; Kaplan & Kemmerick, 1974; Shaw & Reitan, 1969; Sigall & Ostrove, 1975), ou encore la gravité des conséquences de l’infraction (Dejong, Morris, & Hastorf, 1976; Horai & Bartek, 1978; Kanekar, Dhir, Franco, Sindhakar, Vaz, & Nazareth, 1993; Mc Comas & Noll, 1974; Shaw & Mc Martin, 1977; Shaw & Reitan, 1969; Shaw & Sulzer, 1964; Shultz, Schleifer, & Altamn, 1981). Ces différentes études ont permis de constater que la sanction attribuée est bien dépendante du type d’infraction commise et que l’évaluateur inflige une punition plus sévère lorsque les conséquences de l’infraction sont graves plutôt que mineures.

Enfin, la troisième catégorie regroupe des critères se rapportant aux caractéristiques de l’évaluateur comme par exemple sa culture (Shaw, Briscoe, & Garcia-Esteve, 1968; Shaw & Iwawaki, 1972; Shaw & Schneider, 1969) ou encore la profession qu’il exerce (Shaw & Reitan, 1969). Ces études permettent d’affirmer que l’attribution de sanction varie effectivement selon le groupe d’appartenance de l’acteur et selon sa profession.

L’analyse des nombreuses études réalisées en psychologie sociale à propos des différents processus attributifs (qu’il s’agisse de l’attribution de causalité, de l’attribution de responsabilité ou de l’attribution de sanction) ainsi que l’étude d’articles propres au droit pénal et d’arrêts de jurisprudence nous ont amenés à nous intéresser à notre tour à l’éventuel effet de 18 critères sur l’attribution de sanction. Nous avons souhaité les étudier étant donné que certains d’entre eux n’avaient, jusqu’alors, jamais été envisagés comme étant susceptibles d’avoir un effet sur l’attribution de sanction. D’autres, par contre, ont déjà par le passé été pressentis par les psychologues sociaux. Nous avons toutefois souhaité les étudier à nouveau, soit parce qu’ils furent sources de résultats contradictoires ou qu’ils furent seulement étudiés relativement à un processus attributif de causalité ou de responsabilité, soit parce qu’ils n’avaient pas été étudiés relativement à des situations où une infraction avait été commise. Nos 18 critères, dont nous ne prétendons d’ailleurs pas qu’ils constituent une somme exhaustive, peuvent être, eux aussi, regroupés en trois grandes catégories, soit les critères liés aux caractéristiques de l’auteur de l’infraction, les critères liés à la situation, et ceux liés à la victime.

Nos critères nous renseignant sur l’auteur de l’infraction sont de deux ordres: d’ordre social ou d’ordre psychologique selon qu’ils nous renseignent sur l’identité sociale ou sur l’état psychologique de l’auteur de l’infraction. Ces critères sont autant d’informations que l’on peut trouver dans une enquête de personnalité. Ce type d’enquête est généralement ordonné par un juge d’instruction soucieux de mieux cerner la personnalité d’un justiciable mis en examen (enquête d’ailleurs obligatoire en matière de crime). Cette enquête a pour objectif de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d’une personne mise en examen. Elle peut être, selon les circonstances, complétée par un examen médical et/ou psychiatrique. L’ensemble de ce dossier doit être susceptible d’éclairer le ou les juge(s) sur la personnalité de l’individu mis en examen afin de faciliter la détermination de la sanction qui lui sera infligée.

Ainsi, nos critères d’ordre social seront relatifs au sexe (dans les scénettes de notre questionnaire expérimental l’acteur sera soit un homme soit une femme), au statut professionnel (l’acteur jouira soit d’un statut professionnel élevé soit d’un statut professionnel peu élevé) et à l’âge de l’acteur (l’acteur sera soit âgé de plus de quarante ans soit de moins de vingt cinq ans). Ce à quoi nous avons ajouté un autre critère susceptible d’apporter de l’information sur l’auteur de l’infraction (bien qu’il soit peu probable que l’on en trouve trace dans une enquête de personnalité tant il peut sembler bien subjectif): il s’agit de la beauté physique de l’acteur (l’acteur jouira soit d’un physique agréable soit d’un physique désagréable). Les critères d’ordre psychologique à l’étude seront: l’état de récidive de l’acteur (soit l’acteur aura déjà commis par le passé une infraction soit il n’en aura jamais commis, dans notre étude ce critère sera nommé consistance), et la distinctivité 2 . Cette distinctivité, qui peut, selon nous, être reliée par ricochet à la notion de préméditation, conduit à se poser plusieurs questions: a-t-on choisi précisément la victime de notre infraction ou encore le lieu où se déroule cette infraction (distinctivité positive)? Ou bien aucun choix véritable ne préexistait à la commission de cette infraction, auquel cas n’importe qui aurait pu en être la victime et l’infraction aurait pu être commise dans n’importe quel endroit (distinctivité négative)? Quelle est de ces deux situations celle qui sera la plus sévèrement châtiée? Au sein de ces critères d’ordre psychologique nous trouverons également les critères de contrôle du comportement (soit l’individu pouvait contrôler son comportement au moment de la commission de l’infraction soit il ne le pouvait pas), de conscience de la faute (soit l’individu était conscient de commettre une faute soit il ne l’était pas), de conscience de la conséquence (soit l’individu était conscient des éventuelles conséquences pouvant être engendrées par son action soit il ne l’était pas), l’état de nécessité (soit l’individu était en proie à une envie ou à un désir irrésistible soit il ne l’était pas). En outre, notre protagoniste aura soit agi de son propre chef ou bien il aura agi conformément à l’influence psychologique exercée à son encontre par une tierce personne (critère nommé dans notre étude incitation d’autrui). Nous étudierons également l’effet des explications avancées par l’auteur de l’infraction pour expliquer son action (dans notre étude l’acteur viendra de vivre, juste avant la commission de l’infraction, soit un événement émotionnel heureux soit un événement émotionnel malheureux), et enfin l’expression du remords (soit l’acteur exprimera des remords suite à l’infraction commise soit il refusera de le faire).

Notre deuxième catégorie concerne les critères nous renseignant sur la situation. Il s’agit de deux critères nous apportant des informations sur l’infraction en tant que telle. Ainsi nous étudierons l’effet du critère gravité des conséquences (ces conséquences seront soit importantes soit légères) ainsi que celui du consensus 3 (soit de nombreuses personnes agissent comme l’acteur soit peu de personnes le font).

A propos de la victime, nous analyserons deux types de critères. Il s’agira tout d’abord de critères qui nous renseigneront sur l’identité sociale de la victime. Nous étudierons l’effet du statut professionnel de la victime qui, à l’instar de celui de l’acteur, pourra être soit élevé soit faible, ainsi que son sexe (la victime sera soit un homme soit une femme). Et nous nous intéresserons également à la contribution de la victime dans la réalisation de l’infraction, que cette contribution soit physique, psychologique ou matérielle (soit la victime aura commis une faute préalablement à l’action de l’acteur soit elle n’en aura pas commis).

Par ailleurs, nous émettrons l’hypothèse, au regard notamment des résultats obtenus par Shaw et Reitan (1969), que la culture de métier, c’est-à-dire les normes et valeurs propres aux individus exerçant un même métier, est un critère déterminant de l’attribution de sanction, et qu’en conséquence les individus exerçant telle ou telle profession ne retiendront pas les mêmes critères que les individus exerçant telle autre profession lorsqu’ils auront à déterminer la sanction qui incombe à l’auteur d’une infraction. Prenons l’exemple des psychologues et des magistrats qui sont, de par leur fonction, régulièrement amenés à émettre une évaluation, un jugement sur autrui. Il va sans dire que la formation professionnelle du premier diffère de celle du second. Notamment parce que leurs jugements respectifs n’ont pas la même finalité. Pour s’en convaincre, il suffirait de demander à un individu lambda de définir spontanément ces deux professions. On peut supposer que le magistrat serait vraisemblablement décrit comme une personne qui prononce une sentence, une sanction, à l’encontre d’un individu ayant transgressé la loi, alors que le psychologue serait considéré comme quelqu’un qui cherche à donner un sens, à expliquer ou encore à comprendre le comportement ou la conduite d’autrui. Si l’objectif du jugement de l’un est de punir alors que la finalité du jugement de l’autre est d’expliquer, nous sommes en droit de supposer que si magistrat et psychologue sont tous deux confrontés à une tâche consistant à sanctionner un tiers individu, ils ne se baseront pas sur les mêmes critères pour déterminer le niveau de cette sanction. Ainsi, nous faisons l’hypothèse que magistrat et psychologue, qui peuvent être tous deux qualifiés de juges experts, possèdent chacun une culture de métier spécifique et différente de celle des non-experts de ces disciplines, et que cette culture va les conduire, pour décider du niveau de sanction à infliger à un délinquant, à utiliser des critères qui leur seront spécifiques, tant par comparaison à ceux prévus par la loi que par rapport à ceux employés par des juges naïfs, i.e. utilisés par des juges dépourvus de toute culture juridique ou psychologique et qui, essentiellement préoccupés par leur sécurité au quotidien, auront tendance à réprimer de manière assez systématique les conduites génératrices d’insécurité sans autre examen complémentaire (notamment sans examen du profil psychologique de l’infracteur).

Ainsi nous nous sommes demandés: quels seront, parmi l’ensemble des critères proposés, ceux qui auront un effet sur les attributions de sanction et ceux qui n’en auront pas, d’une part de manière consensuelle (i.e. aussi bien pour les psychologues que pour les juristes ou pour les juges naïfs), et d’autre part de manière différenciée? Et lorsque ces critères auront un effet, quel sera cet effet, c’est-à-dire ces critères seront-ils source d’indulgence ou au contraire de sévérité de la part de nos juges?

 

Procédure

Participants

Au total 2013 participants ont collaboré à cette expérimentation. Ils ont été répartis en trois populations, soit deux populations d’experts (ou plus exactement de futurs experts, puisqu’il s’agit d’étudiants n’ayant pas encore leur diplôme de fin d’études), et une population d’individus naïfs. La première population d’experts est ainsi constituée de 704 étudiants (hommes et femmes) inscrits en premier cycle de psychologie à l’université de Rouen. La deuxième population d’experts est quant à elle composée de 649 étudiants en droit (hommes et femmes) inscrits dans différentes facultés de droit (Rouen, Clermont Ferrand, Le Havre, Toulouse, Lille, et Paris) à compter de la deuxième année de DEUG jusqu’au DEA. Enfin, la troisième population concerne nos juges naïfs. Elle est constituée de 660 individus tout-venant (hommes et femmes) choisis au hasard dans la rue. Nous avons veillé à ce que cette troisième population soit représentative d’un véritable jury d’Assises, ce qui signifie que cette population est uniquement constituée de citoyens français âgés de plus de 23 ans, quelle que soit l’activité professionnelle exercée, à l’exception de certaines personnes que nous avons dû écarter puisque leur fonction ou leur profession leur interdit, conformément à la loi, d’être jurés (c’est le cas par exemple des membres du corps préfectoral, des fonctionnaires des services de police, des militaires en activité…). Et nous avons pris également une précaution supplémentaire en supprimant tout questionnaire rempli par un étudiant en droit ou en psychologie ou par un professionnel de l’une de ces deux disciplines.

Matériel

Nous avons élaboré un questionnaire composé de huit scènettes (quatre ayant trait à des situations de la vie quotidienne et quatre ayant trait à des situations de la vie professionnelle) dans chacune desquelles un individu commettait une infraction à une règle légale ou à une norme sociale (appendices A et B). Ces infractions avaient pour conséquence de provoquer un dommage qui était enduré par une tierce personne ainsi placée en position de victime.

Chacun de ces huit cas se terminait par la présentation des résultats d’une prétendue enquête, résultats présentés sous forme de trois informations. Chacune de ces informations se rapportait à l’un de nos 18 critères qui, comme nous l’avons indiqué dans notre introduction théorique, prenaient, une fois opérationnalisés, deux modalités (Appendice C).

L’un de nos objectifs expérimentaux étant d’étudier l’effet simple de ces 18 critères sur l’attribution de sanction réalisée dans chacune de nos trois populations expérimentales, nous avons opté pour l’utilisation de plans en carré latin plutôt que pour l’utilisation de plans factoriels. Ainsi nous aboutissons à six plans en carré latin dans chacun desquels ont été étudiés trois de nos 18 critères (confer tableaux 1 et 2).

Ces six plans en carré latin ont donné lieu à six études indépendantes les unes des autres auxquelles fut respectivement confrontée chacune de nos trois populations expérimentales (d’où un total de 18 études indépendantes dont les résultats furent ultérieurement regroupés pour donner lieu à des analyses d’ordre général). Enfin, chacun des six plans en carré latin permettant de réaliser quatre combinaisons particulières de trois critères (confer Tableau 1), nous aboutissons au total à 24 cases expérimentales. Toutes ces combinaisons ont été étudiées relativement aux quatre situations sociales puis aux quatre situations professionnelles (ainsi nos 2013 participants ont tous été soumis à nos huit situations expérimentales avec une modalité particulière d’association de trois critères). Chacune de nos trois populations expérimentales fut donc répartie dans ces 24 cases à raison de 20 à 30 individus par case et par population, soit un total de 72 groupes expérimentaux indépendants les uns des autres (24 pour les étudiants en psychologie, 24 pour les étudiants en droit et 24 pour les juges naïfs).

 

 

 

Déroulement

Les individus composant nos populations d’étudiants en psychologie et d’étudiants en droit furent sollicités pour participer à ces différentes études à la fin de l’un de leurs cours. L’expérimentation se déroulait de ce fait dans les amphithéâtres et salles de classe des différentes universités. Ainsi, bien que chaque participant répondait de manière individuelle à notre questionnaire expérimental, la passation, elle, était collective. Concrètement parlant, nous demandions d’abord l’accord des enseignants en charge du cours, puis nous exposions aux étudiants les objectifs de notre étude, nous les informions de leur possibilité de refuser de participer, et soulignions le caractère anonyme de leur participation.

En ce qui concerne les individus composant notre population de juges naïfs, ils furent sollicités dans la rue. Nous commencions évidemment là encore par les informer du contenu de notre étude et de son caractère anonyme, et une fois leur accord obtenu pour participer à cette expérimentation et vérifié qu’ils correspondaient bien à notre échantillon expérimental, la passation individuelle débutait.

Les participants de chacune des trois populations lisaient alors les huit situations, et ils étaient invités, à la suite de chacune d’elle, à se comporter comme des juges ayant à attribuer une sanction. La tâche expérimentale consistait à infliger une sanction, parmi les cinq proposées, aux différents protagonistes de nos scénarios. D’où notre variable dépendante: attribution de sanction à cinq modalités (aucune sanction, sanction légère, sanction moyenne, sanction importante, sanction très importante).

Après avoir procédé à un recodage de notre échelle de sanction afin de transformer notre échelle ordinale en échelle numérique (aucune sanction = 1, sanction légère= 2, sanction moyenne = 3, sanction importante = 4, sanction très importante = 5) et après avoir calculé des sommes de sanction et leur moyenne en situations sociales et en situations professionnelles, nous avons réalisé des anovas et avons choisi un seuil de significativité de p<.05. Nous avons ainsi procédé plan par plan, en situations sociales puis en situations professionnelles, population par population.

 

Résultats

Critères d’ordre social concernant l’auteur de l’infraction (confer Tableau 3). En ce qui concerne les critères d’ordre social concernant l’auteur de l’infraction, nous avons pu observer que les critères sexe de l’acteur et âge de l’acteur n’ont aucun effet sur l’attribution de sanction. Ceci est vrai quelle que soit notre population expérimentale à l’étude.

 

 

Nous pouvons par contre noter un effet systématique du critère statut de l’acteur chez les juges naïfs. Ce qui se traduit par plus de sévérité à l’égard des individus jouissant d’un statut élevé qu’à l’égard d’un individu jouissant d’un faible statut.

En ce qui concerne la beauté physique de l’acteur, ni les juges naïfs ni les étudiants en psychologie ne la prennent en considération: seuls les étudiants en droit utilisent ce critère, et ce uniquement lorsque l’infraction se déroule dans la vie quotidienne. Ils se montrent alors plus sévères à l’encontre d’un individu jouissant d’un physique agréable qu’à l’encontre d’un individu jouissant d’un physique désagréable.

Critères d’ordre psychologique concernant l’auteur de l’infraction (confer Tableau 4). Le critère contrôle du comportement n’a aucun effet sur l’attribution de sanction. Il en est de même pour les critères état de nécessité et valence de l’événement précédant l’infraction.

 

 

Le critère de distinctivité n’a d’effet que sur notre population d’étudiants en droit, mais alors quel que soit le lieu où se déroule l’infraction. Ils se montrent ainsi systématiquement plus sévères lorsque la distinctivité est négative que lorsque celle-ci est dans son versant positif.

Le critère de consistance a lui aussi un effet sur l’attribution de sanction, mais exclusivement pour notre population de juges naïfs. Au surplus, ce résultat n’est ici observable que lorsque l’infraction se déroule dans la vie quotidienne, la sanction étant alors plus forte en cas de consistance positive qu’en cas de consistance négative.

La conscience de la faute a quant à elle un effet tant pour notre population d’étudiants en psychologie que pour notre population de juges naïfs. En effet, les étudiants en psychologie, en situations sociales, se montrent plus sévères à l’égard des individus conscients de commettre une faute, lorsqu’ils enfreignent la loi, que vis-à-vis des individus qui n’en sont pas conscients. Ce résultat est vrai également pour notre population de juges naïfs, mais alors quel que soit le lieu où se déroule l’infraction: ils sanctionnent également plus sévèrement les individus conscients de commettre une faute que les individus qui ne le sont pas. Seuls les étudiants en droit n’utilisent pas ce critère.

De manière semblable, avoir conscience des conséquences de son comportement induit une sévérité accrue de la part des étudiants en psychologie, aussi bien en situations sociales qu’en situations professionnelles, par rapport au fait de ne pas en avoir conscience. Mais étudiants en droit et juges naïfs ne sont pas, quant à eux, influencés par ce critère.

Si le critère incitation d’autrui n’a aucun effet sur les sanctions attribuées par les juges naïfs, il a par contre un effet sur les sanctions attribuées par les étudiants en psychologie, mais uniquement lorsque l’infraction se déroule dans la vie professionnelle, et sur les sanctions attribuées par les étudiants en droit aussi bien en situations sociales qu’en situations professionnelles. Il apparaît alors que l’individu ayant commis une infraction est plus sévèrement sanctionné lorsqu’il a subi la pression d’autrui que lorsqu’il a agi librement.

Enfin, nos résultats soulignent le fait que les étudiants en psychologie semblent ne pas être sensibles aux remords qui peuvent être exprimés par l’auteur d’une infraction. Par contre, étudiants en droit et juges naïfs sont plus cléments à l’égard d’un individu exprimant des remords vis-à-vis de l’infraction qu’il a commise qu’à l’égard d’un individu qui n’en exprime pas, mais seulement lorsque cette infraction se déroule dans la vie de tous les jours.

Critères concernant la situation (confer Tableau 5). Si le critère consensus n’a aucun effet pour nos étudiants en psychologie et pour nos étudiants en droit, il a par contre un effet pour nos juges naïfs lorsque l’infraction se déroule dans la vie de tous les jours. Un faible consensus conduit nos juges naïfs à sanctionner plus lourdement l’auteur de l’infraction qu’un consensus fort.

 

 

Nous pouvons également remarquer un effet systématique du critère gravité des conséquences chez les étudiants en psychologie. Cet effet se caractérise par des sanctions plus sévères lorsque les conséquences de l’infraction sont importantes plutôt que mineures. Les étudiants en droit et les juges naïfs sanctionnent également plus sévèrement l’auteur d’une infraction lorsque les conséquences sont graves plutôt que mineures, mais alors uniquement lorsque l’infraction se déroule dans la vie quotidienne.

Critères concernant la victime (confer Tableau 6). Seuls les juges naïfs prennent en considération le statut de la victime lorsqu’ils ont à attribuer une sanction, condamnant plus fermement l’auteur d’une infraction lorsque la victime de cette infraction jouit d’un faible statut plutôt que d’un haut statut. Toutefois ceci est vrai uniquement lorsque l’infraction se déroule dans la vie professionnelle.

 

 

Si nos juges naïfs ne prennent pas en considération le sexe de la victime, en revanche, nos étudiants en psychologie, quel que soit le lieu où se déroule l’infraction, prennent en compte ce critère. Ils se montrent plus sévères lorsque la victime de l’infraction est une femme que lorsque la victime de l’infraction est un homme. Ce résultat est également vrai pour les étudiants en droit, mais alors seulement en situations professionnelles.

Enfin, nos résultats indiquent que la faute de la victime est un critère n’ayant aucun effet sur les sanctions attribuées par nos étudiants en psychologie et par nos juges naïfs. Ce critère n’est utilisé que par les étudiants en droit, et seulement lorsque l’infraction se déroule dans la vie de tous les jours. Ils se montrent plus indulgents vis-à-vis d’un individu ayant commis une infraction lorsqu’au préalable la victime a elle-même commis une faute que lorsqu’elle n’en a pas commis.

 

Discussion

Critères D’Ordre Social nous Renseignant sur L’Acteur

En ce qui concerne nos critères d’ordre social, nous avons pu observer que ni le sexe, ni l’âge de l’acteur ne sont pris en considération pour attribuer une sanction et cela quelle que soit notre population expérimentale. Ce qui signifie que la sanction attribuée à une personne ayant commis une infraction sera la même que cette personne soit un homme ou une femme ou que cette personne soit jeune ou au contraire plus âgée. Les seuls critères d’ordre social faisant exception sont le statut de l’acteur (qui a un effet sur l’attribution de sanction uniquement pour les juges naïfs et quel que soit le lieu de l’infraction), et la beauté physique (pour les étudiants en droit lorsque l’infraction se déroule dans la vie quotidienne).

Ces résultats mettent en évidence que nos juges naïfs se montrent plus sévères à l’égard d’un individu jouissant d’un haut statut qu’à l’égard d’un individu jouissant d’un bas statut et ce quel que soit le lieu où se déroule l’infraction (Tableau 3). Ce résultat s’explique vraisemblablement par le fait que les individus composant notre population de juges naïfs étaient généralement des personnes jouissant d’un statut peu élevé. Or on entend souvent, au détour d’une conversation, des personnes dénonçant une justice à deux vitesses: sévère à l’égard des faibles et conciliante à l’égard des riches et des détenteurs de pouvoir. Peut-être nos juges naïfs ont-ils souhaité compenser ce déséquilibre en se montrant plus sévères à l’égard des forts et plus souples vis-à-vis des faibles? Peut-être considèrent-ils en outre qu’une personne dotée d’un haut statut a moins de raisons valables de commettre une infraction, ayant vraisemblablement à sa disposition plus de moyens d’obtenir ce qu’il souhaite ou encore plus de moyens pour se sortir d’une situation périlleuse? Pour toutes ces raisons, l’infraction commise par une personne de haut statut pourra être perçue comme étant davantage le reflet d’un choix délibéré ou encore d’une solution de facilité alors même que cette infraction pourra être perçue comme une solution plus acceptable chez la personne de bas statut. A ceci s’ajoute le fait que, lorsque l’infraction se déroule dans la vie professionnelle, nos participants peuvent aussi considérer que les individus jouissant d’un haut statut sont moins en droit de commettre une infraction qu’une personne jouissant d’un bas statut en raison des responsabilités qui leur incombent et du fait que l’on peut espérer d’eux qu’ils montrent l’exemple à leurs subalternes.

Les résultats auxquels nous avons abouti montrent également que seuls nos futurs experts en droit utilisent le critère de beauté physique pour attribuer une sanction (Tableau 3). Mais contrairement à ce que l’on pouvait observer dans des expérimentations telles que celles réalisées par Dion, Bercheid et Walster (1972), Dion (1972), Efran (1974), Seligman, Paschall et Takata (1974), Landy et Sigall (1974), Sigall et Ostrove (1975), Seligman, Brickman et Koulack (1977), un physique avantageux est ici source de plus de sévérité de la part du juge. Autrement dit, un individu doté d’un physique avantageux ayant commis une infraction sera plus sévèrement puni que s’il avait joui d’un physique désavantageux. Nos participants considèrent-ils que la beauté physique facilite tellement la vie quotidienne de celui qui en est doté que ce dernier n’a nulle raison de commettre une infraction pour aboutir à ce à quoi il aspirait? Et que la personne, moins gâtée par la nature, a parfois tant de mal à obtenir ce qu’elle souhaite que parfois elle n’a pas d’autre choix pour y parvenir que de commettre une infraction? Toutefois, si le raisonnement sousjacent est bien celui-ci, il ne s’applique pas au milieu professionnel où ce critère n’exerce aucun effet. Dans ce milieu, que l’on soit beau ou laid, la punition sera la même, à infraction égale. Peut-être que dans ce type de situation des critères plus objectifs que le physique seront retenus pour ajuster au mieux la sanction que mérite un individu (compétences au travail, rendement…). Ce qui peut aussi, dans ces résultats, provoquer l’étonnement, c’est que ce soit les étudiants en droit qui utilisent (et qui sont les seuls à utiliser), ne serait-ce qu’en situations sociales, ce critère de beauté physique de l’acteur. En effet, on pouvait naïvement supposer que les étudiants en droit seraient les moins enclins à utiliser des critères de ce genre, si emprunts de subjectivité. L’explication semble cependant assez simple. Les participants composant le groupe expérimental spécialistes du droit sont probablement ceux qui, de par leur formation initiale ou en cours, ont eu le plus de facilité à se mettre dans la peau d’un juge pénaliste et du coup plus de difficultés aussi à s’identifier, à s’imaginer à la place du transgresseur, se montrant de ce fait peu scrupuleux dans l’utilisation de ce type de critère. A l’inverse, les participants de nos deux autres populations ayant pu plus facilement s’identifier à nos différents protagonistes, ils n’ont pas utilisé ce critère, se protégeant ainsi de l’idée qu’ils seraient susceptibles un jour d’être sanctionnés selon un tel critère.

Critères D’Ordre Psychologique nous Renseignant sur L’Acteur

En ce qui concerne nos critères d’ordre psychologique, nous pouvons constater que trois de nos critères n’ont aucun effet sur les sanctions attribuées, et ce quelle que soit notre population. Ces critères sont, rappelons-le, le contrôle du comportement, l’état de nécessité et la valence de l’événement précédant l’action.

On peut être tout particulièrement étonné de l’absence d’effet d’un critère tel que le contrôle du comportement, d’autant que d’après l’article 122-1 du code pénal, un individu atteint aux moments des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ne sera pas reconnu responsable d’une action qu’il a pourtant commise, et de ce fait ne sera pas sanctionné. A l’inverse, s’il est établi qu’une infraction résulte d’un acte purement intentionnel, il est plus qu’improbable que l’auteur de cette infraction échappe à une sanction. Notre étonnement provient également du fait que de nombreuses recherches menées en psychologie sociale (Horai & Bartek 1978; Pepitone, 1975; Shaw & Reitan, 1969; Shultz, Schleifer, & Altman, 1981) ont observé que la sanction est d’autant plus importante que l’individu a agi intentionnellement. De tels résultats nous ont conduit à considérer que l’absence d’effet du contrôle du comportement était probablement le reflet de l’extrême prudence ressenti par nos participants expérimentaux vis-à-vis d’une excuse trop largement invoquée par des inculpés ou par les avocats de la défense dans leur plaidoirie en vue d’obtenir une dispense de peine. Peut-être nos participants ont-ils préféré ne pas prendre en considération ce critère plutôt que de voir un éventuel simulateur s’en sortir en toute impunité? Cette prudence vis-à-vis d’un tel critère s’explique par le fait qu’au moins deux conditions sont nécessaires pour que cette absence de contrôle du comportement soit juridiquement reconnue. En effet, il faut que la perte du libre-arbitre susceptible d’avoir aboli le contrôle des actes soit d’une part extrême et d’autre part concomitante avec la commission de l’infraction. Mais tout ceci est très difficile à prouver car cette tâche, qui incombe aux psychologues, a souvent lieu bien après les faits reprochés. Toutes ces raisons font que l’ensemble de nos juges, probablement par prudence, a préféré ne pas prendre en considération ce critère. L’absence d’effet du contrôle du comportement peut aussi être du à un problème d’opérationnalisation. Il nous semble en effet que nous n’avons pas suffisamment insisté sur l’une des conditions nécessaires à la prise en compte juridique d’une telle excuse: si dans nos situations expérimentales la perte du contrôle du comportement était bien concomitante avec la commission de l’infraction, il n’est pas certain que nous ayons suffisamment souligné le caractère extrême de cette perte du libre-arbitre.

Quelle que soit la population expérimentale à l’étude et quel que soit le lieu où se déroule l’infraction, on remarque que l’état de nécessité n’a lui non plus aucun effet. Nous pouvons avancer ici l’explication selon laquelle les individus composant nos groupes expérimentaux considèrent peut-être ce type de fait justificatif comme étant quelque peu désuet et obsolète, tant il est vrai que la société française actuelle est relativement riche en perspectives d’aides et de contributions sociales et financières permettant à de nombreux individus de pallier un certain nombre de problèmes sans avoir recours à une infraction pour échapper à la situation difficile à laquelle ils sont éventuellement confrontés. N’acceptant pas ce type d’excuse et ne s’en tenant qu’à l’infraction commise, nos juges ont ainsi condamné indifféremment le transgresseur, que celuici ait invoqué ou non un état de nécessité. La seconde explication que nous pouvons apporter à ce résultat tient à nos situations expérimentales. Pour le comprendre, rappelons que l’état de nécessité est d’ordinaire invoqué dans les cas de défense de l’ordre public, de sauvegarde de la vie humaine ou pour justifier, soit l’appropriation irrégulière de denrées indispensables à l’entretien de la vie en cas d’extrêmes pénuries, soit encore l’emploi de moyens illégaux pour procurer à une famille dans une période de crise aiguë du logement l’abri dont elle ne saurait se passer. Or il nous semble, avec recul, que l’opérationnalisation de notre critère état de nécessité mette moins en avant une réelle nécessité qu’un simple besoin ou désir éprouvés par les protagonistes de nos situations. Confrontés à ce type d’informations, nos participants n’ont vraisemblablement pas considéré ces besoins ou désirs comme pouvant justifier l’infraction commise, tout un chacun étant sensé résister non seulement à ses passions mais aussi à ses envies, fussent-elles irrésistibles.

S’intéresser à un critère tel que la valence de l’événement vécu par l’infracteur avant la commission de l’infraction, c’est finalement se demander si le fait d’invoquer des événements heureux ou malheureux qui seraient survenus juste avant la commission de cette infraction peut induire une certaine indulgence dans la sanction qui serait attribuée au transgresseur. Nous pouvons répondre négativement à cette question, ce critère n’ayant aucun effet sur l’attribution de sanction, quel que soit le groupe expérimental à l’étude et quel que soit le lieu où se déroule l’infraction. Ce type d’excuse ne semble donc pas constituer une cause possible d’impunité. Cette fois, le raisonnement sous-jacent semble être le suivant: que l’on vive un événement heureux ou malheureux, à chacun de résister à ces passions et à chacun de faire en sorte que celles-ci ne guident pas nos gestes, nos réactions et nos comportements, surtout s’ils sont contraires à la loi.

Nos résultats ont cependant mis en évidence que six critères d’ordre psychologique ont un effet sur l’attribution de sanction pour au moins une de nos populations expérimentales. Il s’agit de la distinctivité, de la consistance, de la conscience de la faute, de la conscience de la conséquence, de l’incitation d’autrui et de l’expression du remords.

En ce qui concerne la distinctivité (Tableau 4), et conformément à l’opérationnalisation de McArthur (1972), nous avions assimilé ce critère, lorsqu’il est dans son versant positif, à la notion de préméditation, qui constitue en droit pénal un motif d’aggravation de la sanction. Toutefois, nous pouvons constater que les étudiants en psychologie n’utilisent pas ce type de critère lorsqu’ils ont à sanctionner l’auteur d’une infraction: ils sanctionnent identiquement quiconque a commis une infraction, que la distinctivité soit positive ou négative. Quant à nos juges naïfs, sans pouvoir véritablement parler d’effet significatif, nous pouvons cependant observer qu’ils ont tendance à sanctionner plus sévèrement l’auteur d’une infraction lorsque la distinctivité est dans son versant positif. Seul un effet significatif est observable chez les étudiants en droit . Mais à l’inverse de la tendance observable chez nos juges naïfs, c’est une distinctivité négative qui est source de sévérité chez nos étudiants en droit. Peut-être ces derniers jugent-ils les individus qui commettent une infraction sans préméditation, autrement dit sans intention et sans mobile apparent, comme étant plus dangereux que ceux qui auraient effectivement prémédité leur action. L’imprévisibilité supposée de leurs actions place en effet quiconque en victime potentielle de leurs agissements. Par conséquent, l’attribution de sanctions plus sévères à l’égard de ces individus est peut-être le reflet d’un souhait d’écarter de la société ce genre de délinquants ou de criminels, trop dangereux de par cette imprévisibilité. Il est aussi possible que l’opérationnalisation de notre critère distinctivité ait amené nos étudiants en droit à associer ce critère à la notion de récidive plutôt qu’à la notion de préméditation comme nous l’avions envisagé. Pour mieux le comprendre, il convient de rappeler ici ce que nous entendons par distinctivité positive et distinctivité négative. La distinctivité sous-entend soit qu’un individu adopte un certain comportement dans un endroit en particulier (distinctivité positive) ou dans tous les endroits où il se rend (distinctivité négative), soit qu’il adopte un comportement avec une personne en particulier (distinctivité positive) ou avec de nombreuses personnes (distinctivité négative). Or une telle opérationnalisation est susceptible de poser problème dans la mesure où la distinctivité négative peut laisser supposer une réitération de l’action dans le temps, d’où la possibilité que nos participants expérimentaux aient associé ce critère à la notion de récidive. Ce qui peut aussi expliquer l’absence d’effet du critère de consistance pour cette même population.

Le critère consistance n’est en effet absolument pas utilisé par les étudiants en droit (Tableau 4). Probablement n’ont-ils pas assimilé ce critère de consistance à la notion juridique de récidive propre au droit pénal comme nous l’avions envisagé. Résultat qui s’oppose notamment à ceux obtenus par Doob (1979) qui indiquaient qu’un individu ayant eu des antécédents judiciaires est plus sévèrement châtié qu’un individu ayant toujours eu un comportement irréprochable. Cette absence d’effet peut également s’expliquer par la façon dont nous avons cherché à opérationnaliser ce critère. En effet, tout comme pour le critère de distinctivité, nous avons opérationnalisé la consistance conformément à l’étude de McArthur (1972) et non pas sous forme d’informations telles que l’on pourrait les trouver dans un extrait de casier judiciaire dans lequel est reconstitué très précisément et dans les moindres détails le passé pénal de tout individu. Il conviendrait donc dans le futur de vérifier à nouveau l’impact de ce critère sur l’attribution de sanction en le présentant sous cette autre forme à cette population. Seuls les juges naïfs utilisent le critère consistance, et encore à condition que l’infraction se déroule dans la vie quotidienne. Les juges naïfs se montrent alors plus sévères lorsque la consistance est positive que lorsque la consistance est négative. La consistance positive semble donc constituer pour cette population un motif valable d’aggravation de la sanction. Le but étant vraisemblablement d’essayer de dissuader tout individu récidiviste de continuer à commettre des infractions. Ces récidivistes constituent en effet, de par leur comportement déviant répétitif, un danger réel pour la société puisqu’ils mettent, dans une certaine mesure, en péril la sécurité à laquelle tout un chacun aspire dans sa vie au quotidien. Par contre, dans les situations professionnelles, il importe peu à nos juges naïfs que l’individu ayant commis une infraction soit ou non un récidiviste: il sera condamné de la même manière, comme si la sanction attribuée n’avait alors plus pour fonction une dissuasion individuelle mais plutôt une fonction d’exemplarité dont l’objectif serait de dissuader d’autres individus d’agir de la sorte.

Le critère conscience de la faute peut, quant à lui, aisément être assimilé à la notion juridique d’erreur de droit. L’erreur de droit est l’une des causes de non-imputabilité prévues par le code pénal qui dispense, quant elle est reconnue, d’une sanction l’auteur d’une infraction. Il est toutefois à noter que cette cause d’irresponsabilité s’oppose en partie à une présomption très forte en droit pénal qui stipule que nul n’est censé ignorer la loi (nemo censitur ignorare legem). Et effectivement nos étudiants en droit semblent avoir quelques scrupules à prendre en considération ce type de critère pour attribuer une sanction (Tableau 4). Ce principe, hérité du droit romain, du nul n’est censé ignorer la loi, semble aller de soi pour nos étudiants en droit. En effet, le critère conscience de la faute n’a aucun effet sur leurs attributions de sanction. Nos résultats permettent en effet d’observer qu’ils sanctionnent de la même manière quiconque transgresse la loi, que le transgresseur ait eu ou non conscience de commettre une faute en accomplissant l’infraction reprochée. Ils considèrent très vraisemblablement que la loi serait bien inutile s’il suffisait de l’ignorer pour ne pas y être soumis. Nos deux autres populations (juges naïfs et étudiants en psychologie) semblent attacher moins d’importance à ce principe juridique puisqu’ils se montrent moins sévères à l’encontre d’un individu ayant commis une infraction sans avoir conscience de transgresser la loi qu’à l’encontre d’un individu ayant commis une infraction en toute conscience. Autrement dit, ils considèrent l’absence de conscience de la faute comme étant une cause possible d’atténuation de la sanction.

En ce qui concerne la conscience de la conséquence, nous pouvons observer que les étudiants en psychologie sont les seuls à condamner l’auteur d’une infraction en tenant compte du fait que cet individu était ou non conscient des éventuelles conséquences de l’infraction commise (Tableau 4). En l’absence d’une telle forme de conscience, l’auteur de l’infraction est moins sévèrement châtié. Par contre nos étudiants en droit et nos juges naïfs condamnent indistinctement les auteurs d’infraction, que ces derniers aient eu ou non conscience des conséquences de leurs actions. La seule existence de l’intention coupable, et a fortiori l’existence de l’infraction, constituent des motifs suffisants à l’attribution d’une sanction.

Nous pouvons constater au regard des résultats obtenus qu’aucun de nos groupes expérimentaux n’envisage l’incitation d’autrui comme pouvant effectivement constituer une cause possible d’atténuation de la sanction. C’est même l’inverse qui est observable dans la mesure où nos étudiants en droit et nos étudiants en psychologie y voient (lorsque ce critère a un effet sur l’attribution de sanction) un motif d’aggravation de la sanction. En effet, nos étudiants en droit (qu’il s’agisse des situations sociales ou des situations professionnelles) et nos étudiants en psychologie (en situations professionnelles) condamnent plus sévèrement un individu ayant subi l’influence d’autrui (Tableau 4). Tout laisse à penser qu’ils les condamnent non pas seulement pour l’infraction commise mais aussi pour ne pas avoir su résister aux mauvais conseils et aux mauvaises aspirations prodigués par autrui. Nos résultats semblent également indiqués que nos futurs psychologues trouvent qu’il est bien plus blâmable de ne pas savoir résister aux préconisations douteuses et malsaines d’autrui sur son lieu de travail que dans sa vie de tous les jours. Ils considèrent vraisemblablement que la prudence, la méfiance et la circonspection face à toute information ou préconisation d’autrui sont de rigueur dans le milieu professionnel bien plus que dans la vie quotidienne. En effet, en situation sociale, nos étudiants en psychologie, à l’instar de nos juges naïfs (quelle que soit la situation expérimentale), ne voient pas dans ce critère un motif d’aggravation de la sanction puisque la sanction infligée est la même, que le transgresseur ait été la proie de mauvais conseils ou qu’il ait pris seul la décision de commettre l’infraction.

L’une des fonctions possibles de la sanction est de faire prendre conscience à l’auteur d’une infraction que l’action accomplie était illicite et prohibée par la loi. Or si un individu exprime spontanément des remords quant à cette infraction avant toute administration d’une sanction, c’est vraisemblablement parce qu’il a déjà pris conscience du caractère illégal et blâmable de son comportement. A moins évidemment que l’expression de ces remords ne soit qu’une stratégie employée par l’auteur de l’infraction dans l’espoir d’être dispensé en tout ou partie d’une sanction. Nos étudiants en psychologie semblent s’inscrire dans cette seconde perspective puisque le critère expression du remords n’a aucun effet sur les sanctions qu’ils attribuent (Tableau 4). Par contre, juges naïfs et étudiants en droit sanctionnent moins sévèrement un individu exprimant des remords suite à l’infraction dont il est à l’origine qu’un individu ayant omis ou refusé de le faire. Ils considèrent vraisemblablement l’expression de ces remords comme étant effectivement le reflet d’une prise de conscience de l’illégalité de l’action accomplie. Mais ce raisonnement n’est vrai qu’en ce qui concerne les infractions commises dans la vie quotidienne. Dans la vie professionnelle, les remords ne sont pas pris en considération. Nos juges (futurs experts en droit et juges naïfs) semblent être très prudents quant à la sincérité des remords exprimés dans de telles situations. Ils semblent davantage considérer qu’ils ne sont exprimés qu’en vue de se voir dispenser d’une sanction. A moins que la sanction dans le milieu professionnel ait pour fonction non seulement la dissuasion individuelle (on veut empêcher le transgresseur de recommencer à agir de la sorte) mais aussi une dissuasion collective (on viserait alors à dissuader quiconque serait tenté d’agir de façon identique au transgresseur). Mais cette dissuasion collective n’est possible que si la sanction est effective et repérable par les autres membres de l’entreprise. Et pour que la crainte de la sanction soit réelle, il ne faut pas que cette sanction soit tributaire de quelques sentiments exprimés plus ou moins sincèrement et susceptibles d’être prononcés seulement en vue d’être dispensé d’une sanction.

Critères nous Renseignant sur la Situation

Les résultats obtenus à propos de l’effet du consensus permettent de constater que ce critère est utilisé uniquement par les juges naïfs et à condition que l’infraction se déroule dans la vie de tous les jours (Tableau 5). Ce qui nous permet de supposer que les étudiants en droit considèrent que le nombre de transgresseurs ne doit pas conduire à une dépénalisation de la loi, l’impunité constituant un véritable risque pour notre société, et qu’à toute transgression doit correspondre une sanction, que cette transgression soit commise par peu ou beaucoup d’individus. Cette logique semble également être partagée par nos futurs psychologues. A l’inverse, ce critère induit une certaine clémence de la part de nos juges naïfs lorsqu’il est dans son versant positif: ils se montrent en effet plus sévères à l’égard d’individus qui transgressent une loi ou une règle qui par ailleurs est respectée par de nombreux autres individus, leur clémence n’étant observable que dans l’hypothèse où beaucoup de personnes transgressent ces règles. Peut-être considèrent-ils que si beaucoup d’individus transgressent une loi c’est vraisemblablement qu’elle est peu ou pas adaptée à la réalité de la société? Mais ce raisonnement semble avoir quelques limites puisqu’un consensus élevé n’induit cette clémence qu’en situation sociale et non dans les situations professionnelles où seule une tendance de ce critère est observable. Le respect des règles, en milieu professionnel, semble être pour eux quelque chose de primordial, et ils semblent vouloir rappeler qu’il n’appartient pas à tout à chacun de juger de l’efficience et de l’efficacité d’une règle dans ce milieu particulier, ceci étant l’affaire d’experts.

En ce qui concerne le critère gravité des conséquences, nous pouvons constater que, conformément aux résultats obtenus par Shaw et Sulzer (1964), Shaw et Reitan (1969), Shultz, Schleifer et Altamn (1981), Mc Comas et Noll (1974), Shaw et Mc Martin (1977), Dejong, Morris et Hastorf (1976), Horai et Bartek (1978), Kanekar et al. (1993) ce critère a un effet sur l’attribution de sanction et ce quelle que soit notre population expérimentale (Tableau 5). Et tous se montrent plus indulgents lorsque les conséquences sont mineures plutôt que graves. Cependant, quelques limites quant cet effet sont observables. En effet, étudiants en droit et juges naïfs condamnent de manière identique l’auteur d’une infraction quelles que soient les conséquences de celle-ci lorsqu’elle s’est déroulée en situation professionnelle. Ce qui peut signifier qu’en situations sociales, la sanction infligée par nos étudiants en droit et par nos juges naïfs a pour fonction de punir l’auteur de l’infraction selon une certaine règle de proportionnalité (comme c’est le cas pour nos étudiants en psychologie quel que soit le type de situation). Cette règle de proportionnalité se traduirait de la manière suivante: plus le préjudice commis est grave, plus l’auteur de l’infraction sera puni (ce afin que ce dernier prenne bien conscience des conséquences engendrées par son action). On peut donc en conclure que dans le domaine de la vie quotidienne la sanction est avant tout dirigée vers l’individu et adaptée aux conséquences de l’infraction. Cette sanction serait par contre davantage dirigée vers le collectif en situation professionnelle. Ainsi, quelle que soit la gravité des conséquences, l’infraction fera l’objet d’une même sanction, sans différences significatives. L’objectif n’étant pas directement de punir l’individu à hauteur des conséquences commises mais de stigmatiser l’infraction au règlement pour rappeler à la collectivité l’attachement à éprouver au respect de ces règles et pour dissuader tous ceux qui seraient susceptibles de commettre une infraction, même la plus insignifiante.

Critères nous Renseignant sur la Victime

Nos futurs spécialistes du droit et nos étudiants en psychologie ne prennent pas en compte le critère statut de la victime lorsqu’ils ont à attribuer une sanction (Tableau 6). Ils restent visiblement dans le cadre de la loi car celle-ci, sauf cas exceptionnel (par exemple lorsque la victime est un représentant des forces de l’ordre), s’applique de la même manière quel que soit le statut de la victime de l’infraction. Ce raisonnement ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de nos populations expérimentales dans la mesure où nos juges naïfs prennent ce critère en considération pour attribuer une sanction. Toutefois, ceci n’est vrai qu’en situations professionnelles. Nos résultats indiquent alors que la sanction infligée est plus sévère lorsque la victime de l’infraction jouit d’un faible statut plutôt que d’un haut statut. La constitution de ce groupe expérimental peut, en soi, être une explication à ce résultat dans la mesure où ce groupe est essentiellement constitué d’individus jouissant d’un bas statut au regard de la hiérarchie imposée par notre société. Il se peut ainsi qu’ils se soient, d’une certaine manière, identifiés aux victimes de nos situations et se soient par conséquent montrés particulièrement sévères à l’égard des protagonistes ayant commis une infraction au préjudice d’un individu de bas statut. Le fait que ce résultat ne soit vérifiable qu’en situations professionnelles s’explique sans aucun doute par le fait que nous avons opérationnalisé ce critère en faisant varier des statuts d’ordre professionnel plutôt que des statuts d’ordre social.

Le critère sexe de la victime a un effet sur l’attribution de sanction pour deux de nos populations: les étudiants en psychologie et les étudiants en droit (excepté en situations sociales pour cette dernière population) (Tableau 6). Nos participants se montrent alors plus sévères à l’égard d’auteurs d’infraction dont la victime est une femme. Cette différence selon le sexe de la victime provient probablement du fait que la femme est souvent considérée plus fragile et plus vulnérable que l’homme. Peut-être aussi, étant donnée cette conception, que l’auteur de l’infraction dont la victime est une femme est alors aussi considéré comme plus «lâche» que si cette victime avait été un homme. Sont ainsi condamnés non seulement l’infraction commise mais aussi le choix de la victime, et au travers de ce choix la lâcheté supposée de l’auteur de l’infraction. A l’opposé, ce critère n’a aucun effet sur l’attribution de sanction pour notre population de juges naïfs. Mais cette différence quant à l’effet de ce critère peut s’expliquer par la répartition inégale des sexes au sein de nos trois populations expérimentales. En effet, dans le plan quatre où est expérimenté ce critère, les hommes représentent environ 14% de notre population des étudiants en psychologie, un peu plus de 28% de la population des étudiants en droit et 52% de la population des juges naïfs. Et il est vraisemblable que ces 52% d’hommes n’ont pas envie de considérer que leur agresseur potentiel serait moins puni par un tribunal sous prétexte qu’ils sont des hommes. Ce qui peut expliquer l’absence de prise en compte d’un tel critère par cette population fortement composée d’hommes.

Le critère faute de la victime n’a d’impact que sur les sanctions attribuées par nos étudiants en droit (tableau 6). Ce qui s’explique vraisemblablement par le fait qu’ils sont sensibilisés au cours de leur apprentissage de la loi à des notions telle que celle de faute inexcusable, qui stipule qu’un individu peut être exonéré de sa responsabilité et donc de sanction, lorsque la victime a commis une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur (c’est-à-dire la victime) à un danger dont il aurait dû avoir conscience. Et nos étudiants en droit se montrent alors plus indulgents vis-à-vis des transgresseurs lorsque la victime de l’infraction a effectivement commis une faute. Cependant ce résultat n’est vrai qu’en situations sociales. Dans le domaine professionnel, le comportement effectif de la victime semble peu importer. La seule commission de l’infraction suffit à l’attribution d’une sanction. Cette conception a peut-être pour fonction de rappeler à tous que le travail en collaboration implique non seulement un respect des règles propres au fonctionnement de l’entreprise mais aussi une certaine anticipation et une certaine vigilance en ce qui concerne le comportement des collaborateurs. L’absence d’effet de ce critère sur les attributions des participants appartenant à nos deux autres groupes expérimentaux peut s’expliquer de deux façons: la première étant l’ignorance de tels principes juridiques, la seconde étant qu’ils considèrent peut-être qu’une faute commise par un individu ne peut en aucun cas excuser la faute commise par un autre. Le concept de partage de la responsabilité leur faisant défaut, ils condamnent individuellement chaque protagoniste indépendamment de l’action de l’un ou de l’autre.

 

Conclusion

Les résultats que nous avons obtenus permettent d’observer que les futurs spécialistes en droit devant attribuer une sanction peuvent utiliser d’autres critères que ceux expressément prévus par la loi. Effectivement, sept critères sur les 18 proposés ont au moins un effet sur l’attribution de sanction. Il s’agit de la beauté physique, de la distinctivité, de l’incitation d’autrui, de l’expression du remords, de la gravité des conséquences, du sexe de la victime et de la faute de la victime. Nous pouvons ainsi constater que nos étudiants en droit n’utilisent aucun des critères d’ordre social leur permettant de mieux connaître la personne qu’il juge, à l’exception de la beauté physique de l’acteur. Ce qui incontestablement constitue une information bien subjective, tant il est vrai que l’aspect physique semble difficilement pouvoir apporter une explication à l’infraction commise. Ils négligent également de nombreux critères d’ordre psychologique. En effet, si l’on écarte l’expression du remords, qui est un critère intervenant après coup, c’est-à-dire après la commission de l’infraction, on s’aperçoit qu’ils n’utilisent que deux critères d’ordre psychologique pour attribuer leur sanction. Ces critères sont la distinctivité (que nos résultats nous incitent à considérer comme étant similaire à la notion de récidive) et l’incitation d’autrui ayant exercé une influence sur l’acteur, et qui constitue un motif d’aggravation de la sanction.

Il nous semble que les résultats obtenus ne vont pas dans le sens de ce qui est prévu relativement à la notion d’individualisation de la sanction. Rappelons qu’en vertu de l’article 132-24 du Code pénal, le juge doit tenir compte des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur de cette infraction pour déterminer la sanction qu’il souhaite voir infliger au contrevenant. Voici précisément ce que dit ce texte de loi: “Dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur…”. L’idée principale de ce texte est que la sanction, pour être efficace, doit être adaptée au délinquant. Et pour y parvenir, le juge doit prendre en compte différents éléments. Ces éléments concernent non seulement l’infraction et ses conséquences, mais aussi son auteur, sa vie, son identité et son état psychologique. Or si nos étudiants en droit ont bien pris en considération les conséquences de l’infraction, ils ont en grande partie négligé les critères les renseignant sur l’individu ayant commis l’infraction, tant dans sa dimension sociale que dans sa dimension psychologique. Or l’objectif de cette notion d’individualisation est avant tout d’administrer la peine la plus juste possible. Une peine juste se définissant comme étant celle que tel délinquant mérite parce qu’il a commis tel acte dans telle ou telle circonstance. Et pour que cette sentence s’ajuste au mieux aux dimensions concrètes du cas, le juge doit prendre en compte les critères concernant le coupable. Cette philosophie de la sanction rejoint les notions très actuelles de resocialisation, de réadaptation et de réinsertion. Mais cela ne semble pas être le souci de nos étudiants en droit. Car force est de constater qu’en négligeant les facteurs concernant l’acteur, ils ont privilégié une autre fonction de la sanction. Ils semblent en effet infliger une sanction pour la simple raison que les différents acteurs de nos scénarios ont commis une infraction. La sanction infligée peut être qualifiée de rétributive dans le sens où elle est donnée en échange de cette infraction quelles que soient les raisons qui ont motivé la réalisation de cette infraction. Le châtiment ne semble avoir pour objectif que de compenser l’infraction commise. Or adopter une philosophie rétributive de la sanction, c’est penser que l’auteur d’une infraction doit être puni du seul fait de la commission de l’infraction, en faisant abstraction de l’individu tel qu’il est.

Si l’expert en droit néglige autant l’individu qu’il doit sanctionner, on peut se demander s’il y a un quelconque intérêt à ce qu’une enquête de personnalité soit élaborée et ajoutée au dossier en vue d’aider le juge à déterminer la sanction. C’est d’ailleurs la question soulevée par Falque (1980). Elle démontre en effet que de nombreux juges se contentent uniquement de prendre en compte les conséquences de l’infraction et le casier judiciaire pour déterminer la sanction à attribuer. Elle met également en évidence que les éléments concernant la personnalité et l’état psychologique/psychiatrique de l’auteur d’une infraction suscitent régulièrement de vives critiques et de nombreuses réticences de la part des magistrats. Elle démontre aussi que ces derniers estiment souvent ces éléments comme étant peu convaincants et comme ne permettant pas de comprendre objectivement ce qui amène un individu à commettre une infraction. Ainsi les magistrats semblent juger davantage un fait qu’ils ne jugent un individu. Ce qui peut expliquer pourquoi ils négligent de nombreux critères les renseignant sur l’individu. Cet état de fait pouvant s’expliquer par le rôle alloué aux magistrats, rôle qui consiste bien plus à assurer la protection de la société face à des individus qui peuvent représenter un danger qu’à essayer de comprendre ou d’excuser ce qui amène un individu à commettre une infraction. Travail qui appartient à d’autres corps de métiers comme par exemple aux psychologues.

Cela explique vraisemblablement que les étudiants en droit et les étudiants en psychologie n’ont que trois critères en commun: l’incitation d’autrui, la gravité des conséquences et le sexe de la victime. Et il est plus que vraisemblable de supposer que cette divergence dans les critères retenus tienne à la formation reçue, celle-ci étant fonction des objectifs de chaque profession. Le psychologue a en effet davantage pour objectif de comprendre ce qui a pu amener un individu à commettre une infraction: la compréhension et l’explication des conduites et des comportements humains étant une fonction qui lui incombe. Ainsi, à l’opposé du magistrat, le psychologue s’interroge, avant de sanctionner un individu, sur l’état de conscience de celui-ci au moment de la commission de l’infraction, d’où l’effet de critère tels que la conscience de la faute et la conscience des conséquences de l’infraction. Quant au magistrat, qui a essentiellement pour mission de protéger la société, il s’intéresse moins à l’individu ayant commis l’infraction qu’au positionnement de cet individu par rapport à cette infraction. Cela signifie que le magistrat semble surtout vouloir évaluer les risques possibles de récidive (d’où l’effet de la distinctivité) ainsi que la dangerosité potentielle de l’infracteur (d’où l’effet d’un critère tel que la faute de la victime, qui indique que l’infraction ne prend pas forcément sa source dans l’intention délictuelle de l’auteur mais plutôt dans un enchaînement de causes à effets). Le magistrat semble également sensible à la prise de conscience, par l’infracteur, du caractère illicite de sa conduite, car si prise de conscience il y a, on peut supposer que les risques de récidive seront moindres, l’individu paraissant du même coup moins dangereux pour la société (d’où la prise en compte d’un critère tel que l’expression du remords). Pour conclure, nous pouvons dire que ces divergences dans les critères retenus pour attribuer une sanction s’expliquent incontestablement par une culture de métier, des fonctions et des objectifs forts différents, qui font que les psychologues semblent juger davantage un homme alors que les magistrats semble juger davantage un fait.

Nous avions également supposé que les juges naïfs, motivés par un besoin de sécurité et de quiétude dans leur vie quotidienne, auraient tendance à négliger les informations concernant l’auteur d’une infraction et à privilégier les informations concernant l’infraction. Or il s’avère que sept critères sur 18 ont un effet sur les sanctions attribuées par nos juges naïfs, et il s’agit de la consistance, du consensus, de la conscience de la faute, de la gravité des conséquences, de l’expression du remords, du statut de l’acteur et du statut de la victime. Nous pouvons ainsi constater que les juges naïfs prennent en compte aussi bien des critères concernant l’auteur de l’infraction tant dans sa dimension sociale (statut de l’acteur) que dans sa dimension psychologique (consistance, conscience de la faute, expression du remords), que des critères concernant la situation (consensus, gravité des conséquences), ou bien encore concernant la victime (statut de la victime). Ainsi, sans avoir une connaissance approfondie des textes de loi et autres principes juridiques, nous pouvons constater que les juges naïfs sont capables d’élaborer presque spontanément leur propre Théorie Implicite de la Sanction, et plus particulièrement d’élaborer et de retenir les critères qui leur semblent essentiels pour ajuster au mieux la sanction à la réalité de la situation, avec vraisemblablement un certain souci de justice dans la mesure où ils ne négligent aucun des trois pôles que nous leur avons proposés (c’est-à-dire l’auteur de l’infraction, la situation et la victime). Ce qui signifie également que le besoin de sécurité, auquel chacun semble aspirer dans sa vie de tous les jours, que nous supposions essentiel, primordial chez les juges naïfs, ne prime toutefois pas sur un devoir d’équité et de justice. En effet, si ce besoin de sécurité était un besoin réellement prioritaire pour cette population, nous aurions essentiellement constaté une focalisation sur les critères concernant la situation, et à l’inverse une négligence des critères concernant l’auteur de l’infraction. Or force est de constater que les critères concernant l’auteur de l’infraction, loin d’être négligés, sont pris en considération par nos juges naïfs. Ce qui est d’ailleurs rassurant lorsque l’on sait qu’en droit français les infractions les plus graves, c’est-à-dire les crimes, sont jugés par la Cour d’Assises, qui est une juridiction populaire composée de simples citoyens tirés au sort dans les listes électorales (la Cour d’Assises est en effet composée de trois juges professionnels - le président et deux assesseurs - et de neuf jurés, tous citoyens français de plus de 23 ans, sachant lire et écrire en français, et jouissant de leurs droits politiques et civils).

Toutefois, nous pouvons noter que les juges naïfs n’ont que deux critères en commun avec les étudiants en psychologie (il s’agit de la conscience de la faute et de la gravité des conséquences) et deux critères en commun avec les étudiants en droit (l’expression du remords et la gravité des conséquences). Ces résultats constituent probablement une explication à la perplexité parfois ressentie par des profanes face aux conclusions apportées par les psychologues au cours de procès ou à l’égard des sanctions prises par les érudits du droit au sein de nos tribunaux. Le problème est que cette perplexité et cette incompréhension peuvent nuire à la crédibilité des décisions prises par les juges experts en droit et engendrer une certaine perte de confiance du peuple à l’égard de notre justice et de son fonctionnement. Et quel est l’intérêt et l’utilité d’une justice et de ses lois si les individus concernés par son application n’y adhèrent pas et ne la comprennent pas? Tout ceci nous amène à considérer que la justice, bien qu’essentiellement affaire d’experts, aurait tout à gagner en prenant davantage en considération les représentations des juges naïfs, c’est-à-dire du peuple.

 

Références

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Received 14/03/2005
Accepted 27/12/2005

 

 

Bernard Gangloff. Professeur à l’Université de Rouen (France) et en Posgraduation en gestion de l’Université Fédérale de Paraiba (Brésil) Thèmes de recherche : processus de légitimation et de pérennisation des hiérarchies de pouvoir dans les systèmes libéraux, réactions aux situations d’injustice dans la vie quotidienne et en milieu organisationnel, normes sociales (norme d’internalité et norme d’allégeance), évaluation des personnes.
Sandrine Hardy-Massard. Docteur de l’Université de Rouen (France). Thèmes de recherche: processus attributifs, justice, responsabilité, sanction.

1 Adresse: E-mail: bernard.gangloff@univ-rouen.fr, hardypsychorouen@yahoo.fr
2 Ces termes de distinctivité et de consistance sont utilisés en référence au modèle de co-variation de Kelley (1967). Ce modèle théorique fut en outre testé expérimentalement par McArthur (1972).
3 Ce terme est également emprunté à Kelley (1967).

 

Appendice A

Contenu des Quatre Situations «Vie Quotidienne»

Tom, comme chaque jour, prit le même itinéraire pour se rendre sur son lieu de travail. A un moment donné, il brûla un feu. Immédiatement un choc se fit sentir. Tom s’arrêta et s’aperçut qu’il venait de percuter un piéton. Malheureusement celui-ci gisait immobile sur le bas côté.

Sam alluma une cigarette dans une zone «non-fumeur». La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cette personne se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.

Bill, après un repas dans un restaurant, partit sans payer l’addition. Le serveur qui s’occupait de la table fut contraint de verser de sa poche l’équivalent du prix du repas non perçu.

Harry porte une arme à feu dans un lieu public. Pour impressionner ses amis, il exhibe cette arme quand soudain le coup de feu part et atteint un individu qui s’effondre immédiatement.

 

Appendice B

Contenu des Quatre Situations “Vie Professionnelle”

Lionel, représentant en produits industriels, se rendit dans l’entreprise T, comme il en avait convenu avec le directeur commercial, afin de lui présenter les nouveautés que propose sa société. Lionel se gare sur un emplacement réservé à la direction. Si bien que monsieur Lauret, directeur commercial, voyant que l’emplacement qui lui est attribué est occupé et ne trouvant pas où garer sa voiture, décide de la garer à l’extérieur du parking de l’entreprise. A la fin de la journée, lorsqu’il compte regagner sa voiture, il comprend très vite qu’on la lui a dérobée.

Romuald est employé dans une papeterie. Il est conducteur d’une machine qui permet de couper les feuilles de papier à un format déterminé. Il travaille en collaboration avec un autre ouvrier dont le rôle est de fournir la machine en papier. L’une des règles de sécurité stipule que le conducteur doit annoncer à son collègue la mise en route de la machine afin que celui-ci cesse, a ce moment là, de remplir la machine en papier pour éviter toute coupure de la main par le coupe papier. Cependant Romuald remit la machine en route sans respecter cette règle de sécurité. Si bien que son collaborateur, surpris par la remise en route de la machine, n’eut pas le temps de retirer sa main. Le couteau lui trancha si profondément la main qu’une intervention chirurgicale s’avéra nécessaire.

Monsieur Adler, directeur d’entreprise, menaça sa secrétaire, madame Chazel, de renvoi si elle refusait un rendez-vous avec lui en dehors de ses heures de travail. Suite à cette menace, madame Chazel fit une importante dépression nerveuse qui nécessita un arrêt de travail de plusieurs semaines. Le prud’homme fut averti du comportement de monsieur Adler.

Jean-Marc, contremaître dans une usine de conditionnement de parfum, suite à une altercation avec l’une de ses employées africaines, sous ses ordres en vint à émettre des propos raciaux forts injurieux et désobligeants. L’employée, effondrée, quitta l’usine subitement dans le but de retourner chez elle pour se remettre de l’événement qui venait de se produire. Elle reçut quelques heures après un coup de téléphone de la boîte d’intérim qui lui annonçait une fin de mission pour faute professionnelle du fait d’avoir quitté son lieu de travail sans accord hiérarchique. Cette employée porta plainte contre Jean-Marc auprès de l’inspection du travail.

 

Appendice C

Exemple d’Opérationnalisation des Dix Huit Critères pour le Second Scénario “Vie Quotidienne”

Sam alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cette personne se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.

Consistance +: Sam fume toujours dans cette zone «non-fumeur» Consistance -: C’est la première fois que Sam fume dans cette zone «non-fumeur»

Distinctivité +: Sam ne fume jamais dans les autres zones «non-fumeur» Distinctivité -: Sam fume toujours dans les autres zones «non-fumeur»

Consensus +: Il est fréquent que des gens fument dans cette zone «non-fumeur»

Consensus -: Il est rare que des gens fument dans cette zone «non-fumeur» Contrôle du comportement +: Sam n’était pas dépendant du tabac au point de ne pas pouvoir attendre pour allumer sa cigarette

Contrôle du comportement -: Sam était tellement dépendant du tabac qu’il n’a pas pu résister au besoin d’allumer sa cigarette

Conscience de la faute +: En allumant sa cigarette, Sam était conscient qu’il commettait une faute puisqu’il avait vu le panneau “interdiction de fumer”

Conscience de la faute -: En allumant cette cigarette, Sam n’était pas conscient qu’il commettait une faute puisqu’il n’avait pas vu le panneau “interdiction de fumer”

Conscience de la conséquence +: Sam était conscient des éventuelles conséquences que pouvait entraîner son geste

Conscience de la conséquence -: Sam n’était pas conscient des éventuelles conséquences que pouvait entraîner son geste

Faute de la victime +: cette personne asthmatique avait vu Sam allumer sa cigarette mais ne lui avait pas demandé de l’éteindre et n’avait pas cherché à se déplacer

Faute de la victime -: cette personne asthmatique n’avait pas vu Sam allumer sa cigarette

Etat de nécessité +: Sam n’avait pas fumé depuis plusieurs jours et était dans un état que l’on peut qualifier de manque

Etat de nécessité -: Sam, fumeur occasionnel, aurait pu attendre d’être en dehors de ce lieu «non-fumeur» pour allumer sa cigarette

Incitation d’autrui +: l’ami qui accompagnait Sam le “poussa” à allumer sa cigarette bien qu’il s’agisse d’un lieu “nonfumeur”

Incitation d’autrui -: l’ami qui accompagnait Sam ne l’avait aucunement “poussé” à allumer sa cigarette dans ce lieu “nonfumeur”

Acteur + de 40 ans, aspect physique avantageux, victime homme: Sam, un homme particulièrement avenant d’une quarantaine d’années, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cet homme se trouva soudainement pris d’une crise d’asthme si violente qu’il dut être hospitalisé de toute urgence.

Acteur – de 25 ans, Aspect physique avantageux, victime femme: Sam, un homme particulièrement avenant d’environ vingt cinq ans, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cette femme se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.

Acteur 40 ans, aspect physique désavantageux, victime femme: Sam, un homme particulièrement hideux d’une quarantaine d’années, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cette femme se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.

Acteur 25 ans, aspect physique désavantageux, victime homme: Sam, un homme particulièrement hideux d’environ vingt cinq ans, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cet homme se trouva soudainement pris d’une crise d’asthme si violente qu’il dut être hospitalisé de toute urgence.

Conséquences graves ou bénignes: Sam alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cette personne se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence. Versus cette personne se trouva prise d’une quinte de toux

Evénement antérieur positif: Sam venait d’apprendre qu’il était reçu au concours auquel il s’était présenté

Evènement antérieur négatif: Sam venait d’apprendre qu’il était recalé au concours auquel il s’était présenté

Remords +: Sam s’excusa d’avoir allumé cette cigarette

Remords -: Sam ne s’excusa aucunement d’avoir allumé cette cigarette Acteur homme, acteur statut professionnel élevé, victime statut professionnel élevé: Sam, directeur des ressources humaines d’une grande société, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cette personne, qui se révéla être un responsable d’une compagnie d’assurance, se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.

Acteur homme, acteur statut professionnel bas, victime statut professionnel bas: Sam, stagiaire en formation, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sam. Cette personne, un autre stagiaire en formation, se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.

Acteur femme, acteur statut professionnel élevé, victime statut professionnel bas: Sarah, directrice des ressources humaines d’une grande société, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sarah. Cette personne, un stagiaire en formation, se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.

Acteur femme, acteur statut professionnel bas, victime statut professionnel élevé: Sarah, stagiaire en formation, alluma une cigarette dans une zone “non-fumeur”. La fumée que dégagea cette cigarette indisposa particulièrement une personne se trouvant à proximité de Sarah. Cette personne, qui se révéla être un responsable d’une compagnie d’assurance, se trouva soudainement prise d’une crise d’asthme si violente qu’elle dut être hospitalisée de toute urgence.