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Psicologia Clínica

versão impressa ISSN 0103-5665versão On-line ISSN 1980-5438

Psicol. clin. vol.29 no.3 Rio de Janeiro  2017

 

SEÇÃO TEMÁTICA

 

Parricide et violence psychique dans la famille: le rapport d’une mère

 

Parricide and psychic violence in the family: a mother tells

 

Parricidio y violencias psíquicas en la familia: una madre le dice

 

 

Florian HoussierI; Aurelie MaurinII; Marie-Christine PheulpinIII; Gilbert Coyer IV

IPsychologue, psychanalyste, Président du Collège International de l’Adolescence (CILA), Pr de Psychologie clinique et Psychopathologie, Unité Transversale de Recherches: Psychogenèse et Psychopathologie (UTRPP), Université Paris, Villetaneuse, France
IIPsychologue clinicienne, docteure en Sciences de l’éducation, Maitresse de conférences en psychologie et psychopathologie sociale. Université Paris, Villetaneuse, France
IIIPsychologue clinicienne, psychanalyste, Maitre de conférences habilitée à diriger des recherches en psychologie clinique et psychopathologie, Université Paris, Villetaneuse, France
IVPsychologue, anthropologue, docteur en psychologie de l’université Louis Lumière, Lyon 2, maître de conférences en psychologie clinique et pathologique, Université Paris, Villetaneuse, France

 

 


RESUMÉ

Sur la base du discours d’une mère venue nous consulter, nous reprenons les faits saillants de son récit sur le parricide commis par son fils adolescent sur son ex-mari. À la suite de son discours, nous explorons la psychopathologie du lien parent-enfant pour mettre en évidence la violence psychologique qui aurait pu mener à l’action du fils. Les hypothèses dynamiques qui se dégagent de ce parricide touchent à la complicité mère-fils, au deuil impossible des figures parentales et à la nature incestueuse des liens familiaux.

Mots clés: parricide; violence psychique; famille; mélancolie; l’incestualité.


ABSTRACT

Based on the discourse of a mother who came to us for consultation, we take up the highlights of her narrative on the parricide committed by her adolescent son on her exhusband. Following her discourse, we explore the psychopathology of the parent–child bond to highlight the psychological violence which could have led to the son’s action. The dynamic hypotheses that emerge with regard to this parricide touch on mother–son complicity, the impossible mourning of the parental figures and the incestuous nature of familial ties.

Keywords: parricide; psychic violence; family; melancholia; incestuality.


RESUMEN

A partir de las declaraciones de una madre recibida en consulta, reanudamos los puntos salientes de este relato sobre el parricida actuado por el hijo adolescente de ella sobre su ex marido. Siguiendo el hilo de su discurso, exploramos la psicopatología de los lazos padres-niños para destacar las violencias psicológicas que pudieron contribuir este paso al acto. Las hipótesis dinámicas que emergen concerniendo a este parricidio tocan la complicidad madre-hijo, el luto imposible de las figuras paternas o todavía el carácter incestuoso de los lazos familiares.

Palabras clave: parricidio; violencias psíquicas; familia; melancolía; incestualidad.


 

 

Introduction

Lorsqu’il est question du meurtre d’un père par son fils (Houssier, 2013), on indique souvent à quel point l’élaboration psychique d’un père œdipien a échoué; F. Marty (1999) considère ainsi qu’il ne peut y avoir de parricide que lorsqu’il n’y a pas de père symbolique que ce soit par son absence ou ses excès. L’absence de père ne pointe pas seulement une défaillance paternelle; elle implique tout autant l’impossibilité pour l’enfant de s’identifier à lui et de faire vivre son imago, impliquant également les relations d’objet précoces avec la mère de l’enfant.

Le constat d’adolescents abusés, physiquement ou sexuellement, parmi les adolescents parricides, est une donnée récurrente (Heide, 1994). Elle comprend pourtant le risque d’une sous-évaluation de la violence psychique intrafamiliale et intersubjective, voie que nous empruntons dans cet article. Lorsque la circulation des fantasmes familiaux est prise en considération, elle est associée à une violence transgénérationnelle dont l’adolescent est à son tour porteur au moment du passage à l’acte (Crespi, & Rigazio-Digilio, 1996). Dans le contexte d’un parricide, nous intercalons la notion d’incestualité entre l’opposition usuelle entre inceste agi et fantasme œdipien; l’incestualité est plus proche d’un inceste non agi que de l’accès aux constructions imaginaires œdipiennes impliquant l’existence d’un tiers substituable; cette notion illustre les interrelations fantasmatiques en jeu dans les liens familiaux.

 

L’incestualité: agir et faire agir

L’incestualité (ou l’incestuel) est une notion introduite par le psychiatre et psychanalyste français P. C. Racamier, à partir d’observations de patients psychotiques (Racamier, 1980), et étendues à d’autres configurations psychologiques non psychotiques mais présentant des défauts de symbolisation (Racamier, 1989). La relation incestuelle est caractérisée par le même type de liens étroits qu’uniraient deux personnes vivant une relation incestueuse, sans cependant réaliser celle-ci. Elle se présente comme un "fantasme agi", scénarisé, mais sans les propriétés ou les fonctions du fantasme – sans désir ni conflictualité exprimés – sur un ton banalisé emprunt de déni. Pour Racamier, ce déni porte sur la vérité de l’existence de l’inceste, ce qui permet que l’irruption du désir sexuel n’altère pas l’union narcissique fondamentale. Le terme a été étendu pour décrire certains fonctionnements familiaux où règne un "climat incestuel" et où le manque de limites, les confusions d’identités, les intrusions, la paradoxalité, voire les liens d’emprise, sont prégnantes.

Sans pour autant parler d’identification projective, Racamier (1995) crée le terme "d’engrènement" pour expliciter le fonctionnement incestuel familial: l’engrènement est un processus mettant une psyché en prise directe avec celle d’un autre sans qu’une médiation – fantasmatique, relationnelle ou culturelle – puisse intervenir. La particularité de l’engrènement est que ce processus ne relève pas seulement du psychisme; c’est un circuit interactif antipensée relevant de l’articulation agir-faire agir. Dans "Les temps modernes", le personnage de Charlot se retrouve passivé dans le répétitif travail à la chaine puis dans les rouages d’une immense machine à broyer la psyché, dans un engrenage anti-symbolisant le transformant de sujet en objet manipulable. Cette robotisation qui l’agit le fait ensuite agir de manière irrationnelle dans la rue, où il ne peut pas s’empêcher de visser tout ce qu’il trouve avec une pince dans chaque main, confondant in fine les seins d’une femme avec les boulons d’une machine. Agir-faire agir s’articule donc avec des fantasmes anti-fantasmes (Racamier, 1995), sur fond d’indifférenciation sujet/objet anti-symbolisant.

Le refus des deuils et autres processus inconscients est au service d’un enchevêtrement narcissique; la séduction narcissique dans le lien mère-bébé provoque une confusion indifférenciatrice qui met à mal la séparation entre le moi maternel puis l’espace psychique familial et celui de l’enfant. Ce que Racamier (1992, p. 64) illustre notamment de la sorte: "Toute psyché à un travail à accomplir: s’il n’est pas accompli par le sujet à qui il revient, ce travail sera porté par d’autres".

Ce qu’il nomme le "transport de travail psychique" implique la contrainte, pour l’enfant, à porter le travail et les souffrances du deuil et de la séparation d’un autre qui les refuse. Ce transport, à long terme s’effectuera par la voie d’un comportement qui est interagi et manipulatoire, s’appuyant sur des dilemmes ou des paradoxes (Racamier, 1992, p. 71).

Ce fonctionnement psychique qui agit l’enfant s’instaure en lieu et place de l’espace intermédiaire: la tendance à agir remplace le travail de pensée. Dans cette configuration, ce qui devrait se traiter au sein d’une psyché, va faire l’objet d’un jeu de relations destructeur avec une ou plusieurs autres psychés. Par exemple, lorsque le deuil ne se fait pas dans la psyché du sujet, on va le retrouver ailleurs que dans l’intrapsychique de celui qui "aurait dû" l’éprouver qui a clivé ses éprouvés, les rendant ainsi étrangers à lui-même. Le deuil dénié se caractérise par une cascade d’expulsions. On est dans le domaine mouvant du refus et du déni du deuil, à l’origine de pathologies narcissiques chez l’enfant devenant adolescent. Le deuil et la dépression forment, dans la psyché du sujet, un magma indistinct prêt à l’agir, à l’expulsion, que ce soit sur soi ou son entourage, précise encore Racamier en évoquant la fonction de l’enfant déversoir d’agir.

Le refus de la séparation comme d’un deuil a un effet contaminant d’autant que ce refus transforme le contenu de pensée au point de ne plus être reconnaissable, la perte de sens brouillant les affects comme les jugements.

Il est d’autant plus difficile pour l’enfant de se dégager de cette emprise que le lien est marqué par une séduction narcissique pathologique, sur fond de refus de vivre la douleur psychique.

Les situations incestuelles sur fond de confusion ou de déni des registres symboliques sont donc porteuses de passage à l’acte potentiel; c’est ce que nous explorons à travers le cas de Louis, meurtrier "indirect" de son père.

 

Méthode

Complicité et indifférenciation des psychés

L’exposé qui suit de trois entretiens de consultation en pratique libérale il y a quelques années avec la mère de Louis appelle quelques remarques préalables; nous n’avons pas accès au discours de Louis, mais nous en entendons certains aspects à travers les propos de sa mère. Si certains commentaires de notre part peuvent paraître affirmatifs ou assertifs, on ne peut qu’envisager une certaine prudence dans l’analyse de discours indirects, ce qui n’empêche pas de proposer des hypothèses par association ou analogie. Il reste néanmoins nécessaire de garder en tête que le matériel sur lequel nous nous appuyons est avant tout, dans un certain écart subjectif avec la parole de cet adolescent, ce que sa mère en dit. Ces précautions rencontrent la difficulté, plus globale, de retranscrire le discours d’un patient. Il ne saurait exister de récit d’entretien clinique objectif dans la rencontre de deux subjectivités, chacun ne pouvant en rendre compte qu’à travers son prisme. Toutes les déformations pour "maquiller" le cas ne changeront rien à ce roc du subjectif, que Freud (1905/1954) avait déjà repéré en son temps à propos du cas d’une adolescente, Dora; cela ne l’empêcha pas de publier un cas d’analyse "accompagnée" à propos du petit Hans (Freud, 1909/1954) qu’il ne reçut jamais tout en écoutant le père du garçon lui en parler.

Cet article écrit à plusieurs est donc l’objet d’une reconstruction de part et d’autre, ne serait-ce que pour préserver une certaine confidentialité propre à l’analyse de cas. Même si un seul clinicien a reçu cette mère, penser dans l’après-coup à plusieurs a fait partie intégrante de notre méthodologie de la recherche.

La présence de cet écart entre discours direct et indirect résonne également avec le crime parricide; quand bien même ce meurtre n’a pas été directement agi par Louis, contrairement à sa complicité reconnue et avérée, il vit ce qui s’est passé comme si c’était lui qui avait porté les coups meurtriers à son père; il ne fait guère de doute qu’il se vit donc comme le principal meurtrier, alors que les coups ont été portés par son complice et non par lui. Nous le verrons, la mère elle-même se sent très concernée par l’idée qu’elle puisse être l’auteure de ce parricide, ce qui psychiquement ne peut être exclu. Nous suivons donc avant tout les traces subjectives de ce meurtre, à partir des actes commis et du discours d’une mère.

 

Résultats et Discussion

Une mère psychologue

Mme W. est âgée de quarante ans; elle m’indique qu’après avoir lu un de mes articles dans lequel je parlais de la relation père-fils, elle a eu l’idée de venir me voir pour son fils Louis, dix-sept ans, incarcéré pour avoir tué son père, "aidé" par un complice.

Au cours de la première séance, je ne comprends pas ce que veut la mère; je perçois davantage, dans les effets transférentiels produits par la rencontre, un éclat particulier dans le regard – celui de la passion? –, accompagné d’une forme de séduction passant par un mélange de franchise et de douceur. A la fin de la seconde séance, j’entends qu’elle aimerait que son fils change de psychothérapeute et que je puisse aller le voir en détention. J’envisage cette possibilité, tout en continuant à interroger la mère sur le parcours de son fils. Ce dernier a déjà changé de "psy" deux fois en détention, je serais donc le troisième en peu de temps. La mère espère que ça marchera avec moi, mais finit par m’indiquer que si je pouvais faire un courrier en vue du jugement à venir, et montrer ce jour-là que son fils est déjà suivi et qu’il continuera à l’être à sa sortie, alors ce serait au mieux selon l’avocat conseil de la mère. Celle-ci ajoute que de toute façon, Louis ne veut parler qu’à elle, il la considère comme "sa psychologue", la seule qui puisse comprendre pourquoi il a tué son père. En dépit de mon intérêt pour cette situation peu ordinaire, je ressens un mouvement de "recul" intérieur face à une impression de manipulation par la séduction et de chosification dans le sens où hormis elle, les "psy" sont interchangeables.

Ces impressions transférentielles s’articulent avec certains éléments du récit familial livré par la mère. Les parents de Louis ont vingt ans d’écart, le père étant plus âgé, décrit comme déprimé et accaparant son fils. Louis a dormi jusqu’à treize ans dans le lit du père; ayant peur de dormir seul, il a pris cette habitude alors que les parents vivaient encore ensemble. Après la séparation, Louis a vécu plutôt chez son père que chez sa mère sans que la séparation ait fait l’objet d’un arbitrage judiciaire. Lorsque Louis a quinze ans et quelques velléités d’autonomie, le père ne le supporte pas, se mettant régulièrement en colère contre lui, surveillant ses allées et venues, le critiquant régulièrement, ce dont Louis se plaint à sa mère. Il quitte alors le foyer paternel pour aller vivre chez sa mère, qui, contrairement au père, a refait sa vie.

Lors d’un nouvel entretien de consultation, j’interroge l’enfance de Louis; la mère se souvient spontanément qu’elle l’a repoussé à la naissance car elle a été frappée par son apparence, "comme un monstre chevelu et poilu". Elle s’attendait à un enfant lui ressemblant, "un petit ange" précise-t-elle, déjà formé comme un enfant, et pas un nourrisson sortant de son ventre comme un enfant-monstre, un "Alien". Après ce premier temps d’effroi, succède un lien complice, "depuis toujours". Elle revient pourtant sur la petite enfance de Louis pour dire qu’elle haïssait les rejets de son fils, ce vomi sur son chemisier, jusqu’à ses dix-huit mois. Elle voulait sortir, voir du monde, alors que son enfant était touché par diverses maladies "nerveuses", précise-t-elle: de la toux pendant quatre mois, diverses douleurs physiques qui l’inquiétaient alors que le diagnostic était toujours le même: rien à signaler. Son fils voulait capter son attention, de peur qu’elle l’oublie, ne pense plus à lui. Elle peut assumer que leur relation était sans limites, ils parlaient de tout. Elle précise que ce laisser faire éducatif a représenté une sorte de revanche sur son histoire, elle qui a vécu l’éducation de ses parents comme rigide et autoritaire.

Cette relation sans limites est une constante de leur lien: elle est désarçonnée lorsqu’elle apprend que son fils devenu adolescent a volé une montre dans une bijouterie, elle ne sait pas quoi lui dire, avant d’apprendre que c’est à un copain qu’il a volé cette montre.

Un parricide à deux

Louis a préparé cet acte avec son complice, un jeune homme âgé de quelques années de plus que lui, ce dernier envisageant un vol qui leur profiterait. Il admire ce grand frère complice, en qui sans doute il projette et reconnait, plus que son Idéal du Moi, son propre Moi-Idéal, et chez qui sans doute aussi, sur le fond d’indifférenciation sujet-objet qui le caractérise, il perçoit, dans une identification à l’imago maternelle, qu’il pourra agir/faire-agir. Louis, lui aurait ainsi confié souhaiter la mort de son père, dans l’idée de le faire mourir pour ne pas le faire souffrir. Dans sa lutte anti-impuissance de ne pouvoir empêcher la souffrance de l’objet (du père), le Moi triomphe de tous les obstacles pour envisager la mort de l’autre comme seul point d’arrêt à la souffrance dont il se sent la cause. En effet, Louis a beau comprendre et savoir de quoi ils parlent lorsque son complice et lui préméditent le meurtre, il ne parvient pas à l’intégrer en termes de prise de conscience et de conséquences, ne voulant pas, selon la mère, décevoir son ami.

Le soir du crime, Louis mange avec son père alors qu’il sait que le meurtre aura lieu quelques heures plus tard; un dernier repas où l’ambiance entre son père et Louis aurait été excellente, son père lui disant qu’il l’aime; sans doute n’est-il pas anodin que cet ultime temps de partage entre Louis et son père se soit scellé au cours d’un repas, c’est à dire dans le registre de l’oralité dont on connait l’investissement particulier dans les problématiques mélancoliques et maniaques (Neau & Pheulpin, 2013).

Ce n’est que lorsqu’il croise son ami à la suite du meurtre, ce dernier commençant à lui raconter ce qui s’est passé, lorsqu’il évoque la réaction du père, qui a essayé de se défendre alors qu’il était frappé avec un objet contondant que Louis réagit pour lui dire d’arrêter son récit, se mettant à pleurer. Il envoie un texto à son père après le crime, dans l’espoir que celui-ci soit encore en vie. Ce n’est que lorsqu’il apprend que l’enterrement de son père a bien eu lieu alors qu’il est déjà incarcéré, qu’il semble se dégager du clivage et réaliser ce qui s’est passé.

En détention, Louis recherche plutôt la solitude plutôt que les sorties ou activités possibles. Il tente de réviser son Baccalauréat et suit des cours régulièrement. Lors d’une visite de sa mère au parloir, Louis parvient à la convaincre de faire sortir en cachette deux lettres, celle-ci ne sachant pas à qui elles sont destinées. Lorsqu’elle tente de protester quant au rôle complice qu’il lui fait tenir, elle ne pense pas au risque qu’elle prend; elle est surtout angoissée à l’idée qu’on découvre ce forfait et qu’il aille au mitard. La mère transgresse la loi avec son fils, "pour le protéger", justifie-t-elle, me rendant à mon tour complice: en me plaçant devant ce fait accompli, par l’énoncé de cette transgression, la mère m’inclut dans une boucle incestuelle, élément contre-transférentiel me permettant de mieux repérer la problématique familiale.

Lorsque j’interroge l’histoire de Louis, sa mère raconte qu’elle voit un hypnothérapeute pour remonter dans ses souvenirs d’enfance sans avoir à dire ce qu’elle voit. L’idée qui est remontée à la surface cette semaine, c’est que le père de Louis est en fait son beau-père, ce qu’elle a "découvert" alors qu’elle le savait, une redécouverte donc. Frappée par cette "révélation" – il n’a pas tué son père biologique –, elle s’interroge sur cet oubli: au moment où Louis a été conçu, alors qu’elle a vingt et un ans, le couple était instable, Mme W. doutant de ses sentiments envers son mari. Elle avait rencontré un autre homme, un soir, dont elle savait qu’il pouvait être le géniteur de son fils. Le père de Louis n’était pas au courant de ce secret bien gardé.

Lorsqu’elle lui rend visite et lui parle de ce qu’elle vit comme une révélation, il confirme ses sentiments filiaux envers le père qui l’a éduqué, malgré l’existence de conflits identificatoires. Il s’est toujours vécu comme le sosie de sa mère, physiquement comme psychologiquement.

L’idéalisation s’exprime dans l’idée d’une mère qui saurait le réconforter en une seule phrase, magiquement. Se sentant moins proche de son père, il indique à sa mère qu’il était tout pour son père, l’amour de sa vie, au point d’être systématiquement décevant aux yeux de ce dernier, quoiqu’il fasse.

Au cours du troisième et dernier entretien avec elle, au moment où je commence à mieux repérer le tableau d’ensemble et la nature de la demande, la mère se confie davantage. Il existait de vives tensions entre Louis et son père, autour de l’argent que lui donnait le père et qu’il dépensait sans compter. L’année précédant le crime, il a sa première relation sexuelle avec une jeune fille dont il semblait épris. Il s’attribue la responsabilité de la rupture, au bout de deux mois, à l’origine d’un pic dépressif accompagné d’idées suicidaires. Il pense alors à s’empoisonner, ne souhaitant ni souffrir ni abimer son corps, comme ce qu’il voulait pour son père en toute mélancolie, éviter de le faire souffrir.

La mère associe sur la mort de son père, décédé d’une maladie de l’amiante sans y avoir été exposé, ce qu’elle a toujours trouvé "bizarre". Frappé par sa mort, Louis a idéalisé ce grand-père, disant à sa mère qu’il ne méritait pas de mourir avant son père à lui.

"Il se mettait souvent en hauteur, pour juger et distribuer des bons et mauvais points", commente-t-elle, "et il n’a pas supporté la place prise par son père auprès de ma famille le jour de l’enterrement de son grand-père".

S’identifier jusqu’à se confondre

Associant sur la tendance de son fils à porter des jugements péremptoires, elle associe sur ce point: lorsque son compagnon actuel et elle entrent en conflit – manifestement Louis en entend tout –, Louis vient la voir ensuite pour lui dire que tout est de sa faute à elle, dressant un portrait dans lequel elle ne se reconnait pas.

Peu avant le drame, son fils a consulté un psychiatre pendant six mois avant d’interrompre les séances. Au cours de ces six mois, la mère réussit à convaincre le psychiatre de la recevoir parallèlement, le psychiatre acceptant tout en lui disant que c’était inhabituel dans sa pratique, qu’il "ne devrait pas faire ça", à savoir la recevoir et parler à la mère des séances avec son fils. La mère justifie sa démarche en expliquant que son fils est trop immature pour avoir une demande, qu’il n’a pas de demande propre, sous-entendu qu’elle seule peut en avoir pour lui, désubjectivant le désir potentiel de son fils. Cette confusion des places et des désirs est également présente au moment où Louis est interpellé; elle appelle alors la police pour dire: "Incarcérez-moi, c’est moi !". Elle s’imagine alors tuer son ex-mari à la place de son fils, et pensant tout haut, énonce: "Je n’aurais pas fait toutes les erreurs que mon fils a faites". Louis a participé à l’achat de l’objet contondant, il aurait selon elle tout fait pour qu’on puisse le relier à cette histoire, tandis qu’elle, à sa place, se serait protégée en évitant qu’on puisse découvrir tout lien avec elle. C’est dans cette différence de conduite que s’immisce une légère distanciation, ouvrant sur une différenciation mère-fils éventuelle; mais ce fil est bien fragile face à l’intensité de la dépendance mutuelle tendant à la confusion identificatoire, entretenue de longue date.

A sa tante maternelle, Louis a évoqué l’idée d’un suicide familial pour tenter d’expliquer son geste; comme en écho, la mère, au moment où le drame éclate, est convaincue que son fils va l’impliquer dans ce meurtre, ainsi que toute la famille. Elle associe cette idée au fait qu’enfant et adolescent, il la menaçait de la faire enfermer, sa pire crainte à elle, qui se réalisera à travers l’incarcération de son fils. Après être partie en voyage sans pouvoir être jointe, son fils l’accueillit à son retour par un cinglant: "Plus jamais ça". Le sentiment de perte de liberté est ce contre quoi elle lutte, tout le monde dans son entourage étant persuadé que si on la "gonfle trop", elle est capable de partir sans jamais revenir, ce qu’elle compare à la personne qui descend acheter un paquet de cigarettes et qui ne revient plus. Elle associe sur la relation très conflictuelle avec son père, qui prenait beaucoup de place dans sa vie, l’appelant tous les jours, l’étouffant de son omniprésence; les termes qu’elle utilise alors sont similaires à ceux qu’elle utilise lorsqu’il est question de la réaction de Louis face à la présence de son père, trop présent auprès de la famille de sa mère: un père est à tuer, dans un lien où la séparation n’est possible que dans le raptus meurtrier. En le tuant, Louis se donne ainsi un sentiment d’existence dont il peut douter, consciemment ou non, et créer ainsi ses propres origines. Tuer le père crée en effet un lien indéfectible entre eux, et des origines "garanties", dans un fantasme défaisant tout lien biologique.

Confusion et destructivité: psychopathologie du lien parent-enfant

Créer son monde par son suicide

Dans cette situation, la complicité incestuelle mère-fils s’accompagne d’une ambivalence maternelle primaire. La séduction n’est pas seulement maternelle mais fait partie du lien avec le père, laissant apparaître l’image d’un couple peu différencié. Cette problématique touchant l’indifférenciation psychique provoque le caractère insupportable de l’absence maternelle, en écho avec le fantasme de meurtre du lien énoncé par la mère: elle pourrait bien sortir acheter un paquet de cigarettes et ne plus jamais revenir. L’identification flottante ou partielle de la mère envers son fils connait son envers: lorsqu’elle veut prendre sa place en tant que coupable du meurtre parricide, elle nie à la fois la différence entre son fils et elle, sur un mode narcissique sacrificiel, et, à travers le fantasme du crime potentiellement parfait, la réalité du meurtre.

Confusion et séduction narcissique semblent à l’œuvre. Le sentiment de culpabilité par rapport à l’acte commis semble comme absent de cette séquence "à ciel ouvert", sans la qualité de refoulement qui pourrait accompagner ce sentiment. La fragilité du père de Louis menace l’intégration de son image, sur fond de plainte de la mère vis-à-vis de son propre père; elle induirait le meurtre de son ex-mari, un autre père, en même temps qu’elle expulse par procuration via le bras de son fils ses désirs infanticides: la vie de son fils est sacrifiée. Tuer son père revient, dans ce contexte marqué par une intense proximité dans le lien, à supprimer la séduction homosexuelle que Louis prête à son père. Cette séduction n’est ni "réelle" ni fantasmatique, elle est les deux à la fois, et donc ne peut être considérée comme une seule projection. Elle semble porteuse d’une double représentation, d’un père trop maternel et d’un père qui n’a jamais fait le deuil de son ex-femme, certains éléments, comme le fait pour un père et son fils de partager le même lit, pouvant renvoyer à la projection de l’image de la femme-mère sur son fils. Ces fantasmes s’opposent à la désensualisation nécessaire du lien aux figures parentales à l’adolescence (Houssier, 2012).

Sur ce versant objectal, dans le lien à l’autre parent, la problématique incestueuse alimente la haine parricide. Le surgissement du crime semble également lié à la fragilité narcissique ressentie par Louis, notamment lorsqu’il se sent isolé et lorsque les enjeux incestueux se substituent à l’étayage narcissique parental. Une cruelle déception, dit-on parfois: pour Louis, décevoir son père qui l’idéalise de façon quasi-tyrannique devient une source de persécution, entraînant la cruauté en miroir d’un crime violent.

L’absence de distance psychique entre Louis et, chacun à sa façon, sa mère comme son père, provoque une tentative de solution par l’externalisation du conflit, à défaut de pouvoir engager un travail psychique de différenciation/personnalisation; celui-ci aurait rendu possible l’introjection d’une image paternelle sans avoir besoin d’un passage à l’acte meurtrier. Ce qui revient à proposer que le meurtre est aussi une tentative d’introjection d’une figure restée jusque-là externalisée; le meurtre fige cette image paternelle en devenant, à la façon d’un ver solitaire, un dévorateur de l’intérieur, une image fixe (pré-formalisée) rongeant désormais Louis pour le reste de ses jours.

Sous l’angle du processus d’adolescence, tout en restant collé à l’objet maternel, Louis tue pour colmater toute angoisse provoquée par le travail de renoncement aux objets incestueux, hétérosexuel comme homosexuel; il évite ainsi l’effondrement potentiellement psychotique que ce travail psychique et la perspective de son échec auraient pu engendrer.

Le meurtre est pris dans les enjeux d’indifférenciation, à la façon d’un déni partagé entre mère et fils favorisant l’agissement d’un mandat transgénérationnel. Cette hypothèse pourrait être dépliée ainsi: Louis aurait en effet agi par procuration (Chagnon, 2010) la haine de la mère envers son propre père. Ce mandat résulte du dépôt des identifications projectives parentales qui font retour, notamment à l’adolescence, et dont le scénario primaire éclate lors du passage à l’acte. Lorsque Louis évoque l’injustice d’un grand-père décédé avant son père, ne choisit-il pas l’un contre l’autre sans envisager que les deux puissent survivre au même moment à ses fantasmes meurtriers? Le clivage opère ici au service d’une confusion générationnelle, Louis ne percevant pas l’ordre générationnel habituel en termes de disparition des vivants. L’acte est la mémoire du clivage peu figuré, la scène actuelle faisant écho à l’histoire des relations précoces du sujet, au-delà de laquelle se reprend l’organisation familiale transgénérationnelle.

Détruire avec acharnement l’objet, ici le père, est une vaine tentative de croire en son effacement possible; ce fantasme s’articule avec son envers, tuer pour prolonger indéfiniment la vie de l’être éperdument aimé, comme si Louis était mû par un fantasme d’engendrement de son père et de ses origines.

Tuer dans la famille touche ses origines, ce que Lacan (1948) commentera en considérant que le parricide est une façon de constituer son monde par son suicide. La fréquence de scénarios suicidaires, imaginés ou réalisés avant ou à la suite du parricide, ne manque pas d’interroger cette dimension. Là où l’appareil psychique échoue dans la possibilité de faire travailler le conflit traumatique ou non représenté, le sujet répond par le passage à l’acte, qui peut être retourné contre soi dans l’impulsion suicidaire ou ses équivalents.

Impersonnalisation et mélancolie: un pousse au crime?

La situation de Louis nous évoque la distinction établie par Winnicott (1994) entre violence et tendance antisociale. En ce qui concerne les adolescents délinquants, qu’il différencie des sujets exprimant par le délit une tendance antisociale, ceux-ci ont été confrontés précocement à une relation cruelle et destructrice avec la mère, qui n’a pas permis d’intégrer leur propre destructivité, sous peine d’un empiètement de la part de l’environnement. Ainsi, le sentiment d’être soi et de vivre une continuité d’existence sont rompus, provoquant des états de dissociation à l’œuvre dans le passage à l’acte violent.

L’utilisation de la violence comme moyen de continuer à se sentir réel indique le risque encouru lorsque l’appel de détresse n’a pas été entendu ni la déprivation reprise et réparée. L’enfant ou l’adolescent peut alors être envahi par une excitation déliée, soit coûteuse en terme d’énergie pour la contrer – inhibition, repli, dépersonnalisation –, soit amenant à une régression plus franche à travers le passage à l’acte, franchissement à but de décharge qui fait prédominer l’investissement de quantités aux détriments de l’apport de sens, la sensorialité et l’investissement du corps physique aux détriments de la sphère somato-psychique et de ses effets de liaison psychique.

L’acte antisocial cherche à ce que l’environnement lui dise "non", non pas pour le punir, mais pour créer en lui un sentiment de sécurité en le rassurant sur la survie de l’objet quant sa destructivité. Il s’agit de rétablir un contrôle venu d’en dehors de lui par l’attaque de la société. Ce n’est pas donc pas seulement les parents qui doivent survivre à la destructivité, interne comme externe, de l’enfant puis de l’adolescent, mais l’ensemble de l’environnement, qui inclut l’environnement social par déplacement. A ce titre, Winnicott établit une distinction entre la survie de l’objet – l’objet garde toutes ses caractéristiques – et la réaction de l’objet, qui a été atteint par la destructivité du sujet. Lorsque l’objet a survécu, cela signifie: qu’il n’y a pas ou peu de destruction; le sujet (bébé) prend conscience d’un objet qui a été investi; dans le fantasme, l’objet a été détruit, blessé, endommagé ou provoqué. Ce processus aboutit au fait que la destruction d’un objet qui survit, qui n’a pas réagi ou disparu, conduit à son usage.

La délinquance comme forme d’espoir implique un signe adressé à la mère au moment où celle-ci est vécue comme un objet différencié. Ce signe à valeur de signal aurait pu être interprété par la mère comme un appel, et donne toutes ses racines relationnelles au recours à l’acte (Houssier, 2008). Lorsque cet appel réitéré n’est pas entendu, le passage à l’acte prend le relais; il renvoie davantage à un objet non ou mal différencié, à une dépression dépersonnalisante et mélancoliforme au sein de laquelle l’adolescent est dominé par ses tendances destructrices. Alors incapable de sentir la réalité des choses, il ne lui reste plus que la violence pour se sentir réel.

Et, pour reprendre la proposition de Winnicott, si les tentatives de communication par les actes ne sont pas entendues, la déception accentue le désespoir et la dépersonnalisation, l’impersonnalisation source de violence pourrait-on ajouter; en effet, les mouvements de dépersonnalisation à l’adolescence peuvent s’inscrire dans un processus d’appropriation du nouveau corps génital sans relever d’un quelconque diagnostic psychopathologique. Pour éviter toute confusion terminologique, nous utilisons le vocable "impersonnalisation" pour mieux signifier la déliaison des pulsions convoquant une froideur, une tendance au repli mélancoliforme et une crainte d’être "transparent", la lutte contre l’indifférence s’accompagnant d’une désaffection des liens. Ici, cette forme de communication par l’acte transgressif a échoué (le vol de la montre par exemple); elle finit par ne plus tendre vers le lien à l’objet, provoquant une rage narcissique sans limites.

La violence et la crudité des actes signent la perte de tout espoir liée aux souffrances agonistiques, ce que Freud (1932/1984) a ouvert sur le versant du relâchement objectal dans la mélancolie. Le passage à l’acte renvoie à une tonalité mélancolique liée au désespoir qui s’articule avec l’absence de l’objet, une rencontre ratée avec l’objet prise dans les rets du narcissisme primaire. L’omniprésence maternelle constitue l’envers de ce relâchement objectal: lorsqu’un adolescent est "empli" de l’objet maternel, la différenciation entre ses désirs et ceux de sa mère est rendue caduque. Comme le proposait sous un autre angle A. Aichhorn lorsqu’il évoquait les souffrances carentielles des adolescents délinquants (Houssier & Marty, 2009), l’absence et l’excès d’attention et de soins maternels ou parentaux produisent un effet comparable en termes de sentiment de détresse et d’impersonnalisation.

En l’absence d’une réponse suffisamment bonne, la violence devient la seule réaction possible face à un environnement – ici dans le lien au père notamment – vécu comme un persécuteur interne, sur un versant paranoïde. L’absence de réponses suffisamment bonnes à introjecter émerge comme autant de blessures narcissiques élargissant la brèche du clivage existant, ou encore comme une accumulation de microtraumatismes qui explose dans la violence déliée et radicale du passage à l’acte.

La réalité de la violence, via le passage à l’acte, semble inéluctable pour maintenir la continuité du self. Elle signe la perte de la capacité à maintenir l’espoir d’un lien sécure face à la destructivité, touchant le passage d’une dépressivité élaborable à une mélancolisation du lien à l’adolescence.

 

Conclusion

Un enfant est chosifié

Que ce soit dans la théorie de la séduction généralisée (Laplanche, 1987) ou à travers le travail sur les identifications d’A. de Mijolla (1986) par exemple, une idée reste: dans les configurations les plus pathologiques, l’enfant est un support privilégié des fantasmes inconscients et des projections parentales; le narcissisme parental, tendant à réduire l’enfant à ses désirs, joue alors un rôle essentiel dans le sens où il oblitère la part de l’enfant qui ne lui appartient pas (Houssier, Duchet., Robert, Chagnon, & Marty, 2011).

Un parent tout-puissant empêchant toute différenciation agit comme une sorte de vampire: il aspire les potentialités de son enfant pour se nourrir de l’ivresse du pouvoir qu’il en retire; dans le lien, il anime un fantasme cannibalique par assimilation de la psyché de l’enfant. Confondre et nier sont les deux enjeux antagonistes au mouvement de reconnaissance de l’enfant en tant que sujet. Le meurtre est pris dans les enjeux de différenciation, toute tentative d’exister pour soi étant vécue comme une agression narcissique pour le parent. De façon plus indirecte, le parent peut rendre possible, voire animer, la réalisation d’un désir meurtrier.

Cet empiètement potentiel sur l’altérité au service de l’individuation est d’autant plus violent qu’il agit, souvent sans mots, sur un sujet en cours de construction subjective et de fait plus fragile dans sa capacité à transformer ces éléments non ou peu psychisés. La répétition à travers les générations donne un caractère aliénant et traumatique à ces fantasmes qui, à la façon d’une identification projetée dans la psyché de l’enfant, agit ce dernier de l’intérieur; sur fond de confusion identificatoire, l’enfant s’en trouve envahi, aliéné, colonisé. L’enfant est inclus dans le fonctionnement narcissique parental, dans une scène familiale sexualisée dont il ne peut s’extirper sans mettre à mal son sentiment d’identité; comme un cheval de Troie, cette zone indifférenciée entre parent et enfant participe aux impasses subjectives quant à la possibilité de se dégager des identifications parentales, travail qui se joue notamment au moment de l’adolescence.

Le fonctionnement familial inclut alors un lien d’interdépendance sur fond de confusion des corps et d’indifférenciation psyché-soma. Ce fantasme de corps commun s’accompagne de représentations incestueuses s’articulant au déni partagé, dans un espace psychique commun et sans limites. Le caractère incestuel d’une famille n’est pas seulement anti-œdipien; il tue "dans l’œuf" toute possibilité d’altérité continue, non partielle quant aux objets internes. La transgression de ce tabou sur la confusion des êtres est remplacée par l’interdit de connaître la vérité sur les origines. Et, comme le souligne J.-P. Caillot (1997), l’incestuel passant par un acte meurtrier est à la fois un mouvement empêchant tout deuil des liens originaires et tout vécu d’angoisse catastrophique de séparation. Le renoncement à l’union narcissique passe par l’intériorisation de ses origines, de son engendrement marquant la différence des générations; le meurtre apparait parfois comme une tentative, après nombre de secrets ou de cryptes maintenus en l’état, de "faire origine". Il surgit aussi comme le retournement d’un lien d’emprise incestuel, équivalent d’un meurtre de la psyché de l’enfant.

D’une façon plus globale, le meurtre signe aussi une violence intérieure, renvoyant à un paradoxe propre à la vie de tout être humain condensé par la question posée par P. Jeammet et M. Corcos (2001, p. 30): "Comment être soi-même, si pour être soi, il faut à la fois être comme l’autre et se différencier de l’autre?".

 

Références

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Recebido em 11 de julho de 2016
Aceito para publicação em 17 de setembro de 2017

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