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Acta Comportamentalia

Print version ISSN 0188-8145

Acta comport. vol.18 no.2 Guadalajara  2010

 

ARTÍCULOS

 

Tolman et le Conditionnement Pavlovien

 

Tolman and Pavlovian conditioning

 

 

Youcef Bouchekioua, Mikaël Molet & Paul Craddock

Université Lille Nord de France

 

 


RÉSUMÉ

Dans un article de 1933 intitulé Sign-gestalt or conditioned reflex ? Tolman défend l'idée que l'apprentissage spatial est hors de la portée explicative du conditionnement pavlovien. En effet, il soutient que les résultats d'une expérience qu'il a réalisé avec Honzik en 1930 sont inabordables en termes pavloviens, malgré la compatibilité d'une telle explication avec les résultats d'une expérience qu'il a mené en 1932. Nous pensons que Tolman a trop hâtivement conclu que l'apprentissage spatial en labyrinthe est hors de la portée explicative du conditionnement pavlovien. L'objectif est de montrer que les résultats de Tolman sont envisageables avec le conditionnement pavlovien de la réponse d'approche des stimulus associés au stimulus inconditionné par le biais : (1) de l'occasion setting pour l'expérience de Tolman (1932) et (2) du préconditionnement sensoriel pour l'expérience de Tolman et Honzik (1930).

Mots-clés : Tolman, rats, apprentissage spatial, conditionnement pavlovien


ABSTRACT

Tolman seems convinced that maze learning is outside the scope of pavlovian conditioning. In a paper addressed to this idea, Tolman (1933) surprisingly acknowledges that one observation of maze learning he made (Tolman, 1932) is a form of conditioning but emphasizes more on a further observation (Tolman & Honzik, 1930) which he regards as problematic for a conditioning account. We do not think that Tolman had any good evidence that maze learning is outside the scope of pavlovian conditioning. The goal of this article is to show that Tolman's results appeal to the pavlovian conditioning of an approach response to stimuli associated with an unconditioned stimulus through: (1) occasion setting for Tolman's (1932) results and (2) sensory preconditioning for Tolman and Honzik's (1930) results.

Key words: Tolman, rats, maze learning, pavlovian conditioning


 

 

INTRODUCTION

Dans l'article Sign-gestalt or Conditioned reflex ? Tolman (1933) reprend deux de ses expériences sur l'apprentissage spatial chez les rats pour confronter sa théorie de la configuration-signe au conditionnement pavlovien (Pavlov, 1927). Pour la configurationsigne, l'apprentissage est fondé sur l'établissement de relations entre le but de l'action et les signes pour l'action ; il doit y avoir réorganisation de la représentation de la situation, réorganisation brutale : c'est l'insight, ou découverte brusque d'une organisation qui permet de comprendre une situation comme un tout (Tolman, 1933). Pour le conditionnement pavlovien, l'apprentissage est fondé sur l'établissement d'une association entre un stimulus conditionné (SC) et un stimulus inconditionné (SI) ; il doit y avoir une relation prédictive entre le SC et le SI qui permet la manifestation de la réponse conditionnée (Molet, Craddock, Leconte, & Zentall, 2009). La démonstration de Tolman (1933) s'articule autour de deux de ses expériences. Dans un premier temps, l'auteur rapporte l'échec de la théorie de la configuration-signe et le succès du conditionnement pavlovien dans l'interprétation des résultats de la première expérience d'apprentissage spatial (tirée de Purposive behavior in animals and men, Tolman, 1932). Poursuivant son analyse, il conclut cependant que le conditionnement pavlovien ne peut pas expliquer les résultats de la seconde expérience d'apprentissage spatial qu'il présente (tirée de ‘Insight' in rats, Tolman & Honzik, 1930), là où sa théorie de la configuration-signe semble y parvenir. Cette démonstration fait appel à des arguments propres à son article de 1933, arguments qui ne se retrouvent pas dans ses publications de 1932 et 1930. Notons que l'articulation de ces deux travaux dans l'article Sign-gestalt or Conditioned reflex ? (Tolman, 1933) ne respecte pas l'axe chronologique de leur publication respective. En 1948, Tolman pense dépasser défi nitivement le conditionnement pavlovien en utilisant le concept de carte cognitive pour décrire la façon dont les animaux se représentent mentalement l'environnement. Selon Tolman, les animaux formeraient une carte topographique de l'environnement dans lequel ils évoluent et utiliseraient cette carte pour s'orienter.

L'expérience de Tolman et Honzik (1930) est cruciale car elle peut être considérée comme le point de référence d'une longue série d'expériences sur l'apprentissage spatial qui ont pour la plupart abordé le concept de carte cognitive tout en ignorant le conditionnement pavlovien (ex., Gallistel, 1990 ; O'Keefe & Nadel, 1978 ; Thinus-Blanc, 1988 ; Tolman, 1948). Nous décidons dans ce présent article de revenir aux sources expérimentales qui ont conduit Tolman (1933) à rejeter le conditionnement pavlovien pour lui préférer la configuration-signe, théorie à l'origine du concept de la carte cognitive. L'objectif est de constater si l'expérience de Tolman et Honzik (1930) qui est reprise dans l'article Sign-gestalt or Conditioned reflex ? (Tolman, 1933) est vraiment hors de la portée explicative du conditionnement pavlovien comme l'a prétendu Tolman. Rappelons que nous ne sommes pas les premiers à analyser l'expérience de Tolman et Honzik (1930), Ciancia en 1991 a suggéré la prudence quant à la portée de l'interprétation de Tolman en relevant des biais méthodologiques qui ne sont pas négligeables. Néanmoins, Ciancia (1991) n'envisage pas le conditionnement pavlovien comme une solution possible pour interpréter les résultats de Tolman et Honzik (1930). En outre, il semble légitime de se questionner à nouveau sur les travaux de Tolman et Honzik (1930) car de récents travaux en psychologie comparative suggèrent des mécanismes pavloviens de formation de la carte cognitive spatiale (chez le pigeon Blaisdell & Cook, 2005 ; chez le rat Chamizo, Rodrigo, & Mackintosh, 2006 ; chez l'humain Molet, Jozefowiez, & Miller, 2010) et temporelle (chez l'humain Arcediano, Escobar, & Miller, 2003 ; chez le pigeon Cheng, Spetch, & Miceli, 1996 ; chez le rat Molet, Urcelay, Miguez, & Miller, 2010).

L'analyse de l'article Sign-gestalt or Conditioned reflex ? (Tolman, 1933) que nous proposons sera présentée dans le même ordre chronologique que celui adopté par Tolman (1933). Ainsi, dans la première partie de ce présent travail, nous décrivons la première expérience de l'article Sign-gestalt or Conditioned reflex ? (Tolman, 1933) qui est issue des travaux de Tolman (1932) et nous reprenons respectivement les confrontations théoriques de Tolman en termes de conditionnement pavlovien et de configuration-signe. Ensuite nous affi nons l'explication de Tolman en termes de conditionnement pavlovien avec la procédure d'occasion setting (Rescorla, 1991 ; Ross & Holland, 1981 ; Schmajuk & Holland, 1998). Dans la seconde partie, nous présentons la seconde expérience de l'article Sign-gestalt or Conditioned reflex ? (Tolman, 1933) qui est issue des travaux de Tolman et Honzik (Expérience 3, 1930). Nous reprenons l'explication de Tolman fondée sur sa théorie de la configuration-signe, et contrairement à Tolman, nous montrons en quoi le conditionnement pavlovien permet aussi de rendre compte des résultats avec la procédure de préconditionnement sensoriel (Brodgen, 1939 ; Blaisdell, 2009).

 

EXPÉRIENCE 1 : TIRÉE DE PURPOSIVE BEHAVIOR IN ANIMALS AND MEN (TOLMAN, 1932)

Le labyrinthe utilisé dans cette expérience (voir figure 1) est composé de trois compartiments : un compartiment de départ (S) relié par une allée à un compartiment de discrimination, lequel débouche par une autre allée en un compartiment d'arrivée (N) contenant ou non de la nourriture. A l'intérieur du compartiment de discrimination se trouvent trois portes : une porte avec un rideau blanc (W), une porte avec un rideau noir (B), ainsi qu'une porte D. La porte D est placée de sorte à toujours bloquer l'accès à l'allée menant à la nourriture lorsque le rideau noir est traversé, créant ainsi une impasse dans laquelle un choc électrique est administré. Le passage par le rideau blanc donne toujours accès à l'allée conduisant au compartiment contenant la nourriture. Après avoir appris à discriminer les deux rideaux et à passer par le rideau blanc, les rats sont soumis à deux phases expérimentales.

 

 

Dans la phase expérimentale 1, les rats sont placés directement dans le compartiment N dans lequel un choc électrique leur est administré. Lors du test, les rats sont placés dans le compartiment de départ. Tolman observe que les rats parcourent le labyrinthe de la même façon qu'au terme de l'entraînement pour discriminer le rideau blanc du rideau noir, ils empruntent le rideau blanc et atteignent le compartiment N. L'apprentissage de l'existence des chocs électriques dans le compartiment N ne semble pas avoir altéré la performance des rats.

Dans la phase expérimentale 2, après avoir à nouveau entraîné les rats à la tâche de discrimination entre le rideau blanc et le rideau noir, Tolman les place dans le compartiment de discrimination. Lors du premier essai, les rats passent par le rideau blanc et atteignent le compartiment N. Ils y reçoivent un choc électrique. Le deuxième essai se déroule de la même manière, mais les animaux manifestent une hésitation à parcourir le labyrinthe. Finalement, lors de l'essai suivant, aucun rat ne parcourt le labyrinthe, tous restent dans le compartiment de départ.

Selon l'analyse Tolmanienne, au terme de l'entraînement de discrimination entre le rideau blanc et le rideau noir, les rats devraient avoir construit des anticipations configuration-signe, de sorte que les premières parties du labyrinthe de discrimination soient devenues pour les rats un signe ou ensemble de signes indiquant que le compartiment N sera atteint en traversant ce labyrinthe par le rideau blanc. Lors du test de la phase expérimentale 1, le caractère négatif acquis du compartiment N suite à l'administration de chocs électriques devrait être inféré aux premières parties du labyrinthe lorsque les rats sont placés dans ces dernières, puisqu'elles représentent les signes permettant de se représenter mentalement le reste du labyrinthe. Ces premières parties, reliées au compartiment N devenu aversif, deviennent ainsi prédictrices du danger. Les sujets devraient ainsi « refuser » de parcourir le labyrinthe, puisque les signes préviendraient la survenue d'un choc électrique quelle que soit l'allée empruntée. Les résultats obtenus sont en fait à l'inverse des prédictions de Tolman, puisque les rats parcourent le labyrinthe autant qu'en fi n d'entraînement, ils passent par le rideau blanc et parviennent au compartiment N. Tolman fut ainsi contraint d'écarter la configuration-signe dans l'interprétation des résultats de cette expérience pour adopter une explication pavlovienne.

Dans les termes de Tolman, l'apprentissage consiste au conditionnement d'une réponse positive au rideau blanc et d'une réponse négative au rideau noir. Le rat apprend à passer par le rideau blanc, car ce stimulus est suivi d'une allée libre et de nourriture. La réponse positive qui consiste à s'approcher et à se nourrir est toujours associée à cette allée libre et à la nourriture. Les réponses inconditionnées de l'animal à la nourriture ou à l'allée libre sont conditionnées au stimulus (le rideau blanc) qui les précède toujours. De la même manière, le rat apprend à ne pas passer par le rideau noir, car ce stimulus est toujours suivi par les stimulus : impasse et grille électrifi ée auxquels des réponses négatives ont précédemment toujours été associées. Ces réponses négatives sont conditionnées au rideau noir qui les précède. Tolman explique donc les résultats obtenus lors des deux phases expérimentales de la manière suivante : dans le cas où le labyrinthe n'était pas traversé avant l'administration du choc électrique dans le compartiment N, il n'y avait aucune chance pour que la réponse négative au choc électrique soit conditionnée aux différents stimulus du labyrinthe (première phase expérimentale), tandis que lorsque les rats ont parcouru le labyrinthe avant d'être électrifi é dans le compartiment N (seconde phase expérimentale), la réponse négative au choc électrique avait des chances d'être conditionnée aux différents stimulus du labyrinthe. Cette seconde interprétation de Tolman présente une importance particulière car elle implique ce qui, depuis, a été regroupé sous le concept d'occasion setting (Rescorla, 1991 ; Ross & Holland, 1981 ; Schmajuk & Holland, 1998).

Des travaux bien plus récents ont en effet montré que la manifestation d'une réponse conditionnée (RC) est fonction de la présence d'un indice de l'environnement (voir pour une revue Schmajuk & Holland, 1998). Cet indice est ainsi appelé occasion setter (OS) et viendrait contrôler la manifestation de la RC. La procédure de OS implique que les associations du stimulus conditionné (SC) et du stimulus inconditionné (SI) nécessaires à l'établissement d'un conditionnement pavlovien soient réalisées en présence ou à la suite d'un OS. Lorsque le OS est présent ou a été présent dans l'environnement, le SC est associé au SI (OS->SC->SI). Lorsque le OS n'est pas apparu dans l'environnement, le SC n'est pas suivi du SI (SC->Pas de SI). Ainsi, la RC au SC ne se manifeste que lorsque le OS a été présenté. L'OS en quelque sorte annonce que le SI va suivre le SC à l'essai considéré.

Dans l'expérience de Tolman (1932), la vue du rideau blanc (W) acquerrait la fonction d'OS contrôlant la réponse d'approche au compartiment N (SC) dans lequel se trouve la nourriture (SI). Celle-ci ne se manifesterait que si le rideau blanc est traversé (OS->SC->SI, c'est-à-dire, W->N->Nourriture). Lorsque le choc électrique est administré dans le compartiment N, alors que les animaux sont directement placés en N (phase expérimentale 1), le choc est expérimenté en l'absence du rideau blanc (SC->Pas de SI, c'est-à-dire, N->Pas de nourriture). L'apprentissage de l'occasion setting se trouve alors renforcé. La vue du rideau blanc W (OS) signale que le compartiment N (SC) est prédicteur de la distribution de nourriture (SI), le rat parcourt le labyrinthe. En revanche, la phase expérimentale 2 suppose la perte de la fonction de OS pour le rideau blanc (W) puisque le passage par W se trouve suivi de chocs électriques en N, il s'agit d'un contre conditionnement (la chaîne associative W->N->Nourriture est remplacée par W->N->Choc électrique). La vue du rideau blanc W (OS) signale que le compartiment N (SC) est prédicteur d'un choc électrique (SI), le rat ne parcourt alors plus le labyrinthe.

L'interprétation de Tolman fondée sur le conditionnement pavlovien semble conforme à ce qui sera décrit sous le terme d'occasion setting (Rescorla, 1991 ; Ross & Holland, 1981 ; Schmajuk & Holland, 1998) et révèle la plausibilité d'une interprétation en termes pavloviens des phénomènes d'apprentissage spatial chez le rat (Blaisdell, 2009 ; Chamizo, 2003 ; Mackintosh, 1986). C'est cette démarche que nous allons exploiter en tentant de recourir à une interprétation pavlovienne des résultats de la seconde expérience du chapitre Sign-gestalt or Conditioned reflex ? Rappelons que Tolman n'est pas parvenu à interpréter les résultats de cette expérience en termes pavloviens.

 

EXPÉRIENCE 2 : TIRÉE DE INSIGHTS IN RATS (TOLMAN & HONZIK, 1930)

En 1930, Tolman et Honzik réalisent 3 expériences afi n de tester si des rats dans un labyrinthe sont capables d'établir, par insight, le lien entre deux allées partageant un segment commun que nous désignons par la lettre O. Dans Sign-gestalt or conditioned reflex ? Tolman (1933) discute de l'expérience 3 qui a été réalisée avec un labyrinthe surélevé (voir Figure 2). Le dispositif correspond à un labyrinthe constitué de trois allées que nous désignons par X, Y et Z. Si l'allée Z ne présente pas de partie commune avec les deux autres, X et Y quant à elles présentent la particularité d'avoir en commun la partie terminale appelée O. Le but est de tester si l'obstruction du passage au niveau de O (barrage noté B) alors que le rat vient de parcourir X, va générer chez l'animal l'inférence de l'inutilité à emprunter l'allée Y aboutissant elle aussi à O. Les résultats montrent que les rats ayant découvert le barrage en O après avoir emprunté le circuit X-O, reviennent à l'intersection des trois allées pour emprunter de préférence l'allée Z à l'allée Y. Ils empruntent donc une troisième allée qui ne partage pas de segment commun avec les deux autres, et qui est la seule à permettre aux rats d'atteindre le compartiment d'arrivée.

En 1939, Brodgen a mis en évidence un phénomène pavlovien encore aujourd'hui invoqué dans l'explication comportementale de l'apprentissage spatial (ex., Molet et al., 2010): le préconditionnement sensoriel. Il s'agit dans une première phase d'associer deux stimulus conditionnés S1 et S2 (S1->S2). Dans une seconde phase, le stimulus conditionné S2 est associé avec un stimulus inconditionné SI (S2->SI). Si l'on teste l'organisme ayant subi cette procédure, en lui présentant le stimulus conditionné S1 qui n'a jamais été associé au stimulus inconditionné SI, la réponse conditionnée RC se manifeste. Cette procédure constitue un puissant argument en faveur d'une intégration de l'information par le biais d'éléments communs, au cours de phases d'entraînement séparées. En effet, le fait que S1 produise la RC suggère que l'intégration des associations S1->S2 et S2->SI s'est produite avec la superposition de l'élément commun à ces deux associations, à savoir S2. Nous verrons dans un premier temps l'interprétation de Tolman en termes de configuration-signe, pour fi nalement proposer une explication pavlovienne à travers la procédure de préconditionnement sensoriel.

 

 

Tolman explique le phénomène d'insight en proposant que les rats auraient développé des anticipations configuration-signe pendant la phase d'entraînement préalable au test. Pendant l'entraînement, les rats apprennent que X et Y sont des signes indiquant tous deux le même événement : le segment O. Une expérience « négative » (blocage en B) dans l'allée O enrichirait le signe que X représente et deviendrait signe d'une allée O obstruée. L'animal ayant appris le caractère commun des configuration-signe X et Y inférerait à Y le même enrichissement de signe expérimenté en X. En d'autres termes, le caractère négatif du blocage, lequel est introduit dans l'allée commune et rencontré après avoir emprunté l'allée X lors du test, serait inféré à l'entrée dans l'allée Y.

En 1991, Ciancia mitige ce succès après avoir mené une investigation minutieuse de l'étude de Tolman et Honzik (1930) de laquelle elle ressort plusieurs faits troublants. Elle remarque que les représentations schématiques ultérieures du labyrinthe de Tolman (1930) par lui même et d'autres auteurs sont incomplètes, voir incorrectes. Ce « laxisme » dans le rapport des faits concernant cette expérience de Tolman se retrouve également au niveau des données numériques, notamment quant au nombre d'essais. D'autre part, Ciancia (1991) relève plusieurs problèmes méthodologiques sérieux qui jettent un doute possible sur l'interprétation de Tolman. Toutefois rappelons qu'en 1943, Dove et Thompson répliquent l'expérience de Tolman et Honzik (1930) en remédiant aux failles méthodologiques les plus critiques que signale Ciancia (1991). Les résultats que Dove et Thompson (1943) obtiennent étant les mêmes que ceux obtenus préalablement par Tolman et Honzik (1930), ils donnent ainsi une certaine validité aux observations faites (voir aussi Caldwell & Jones, 1954 ; Vauclair, 1980). Ciancia (1991) ne semble pas avoir établi ce constat, ou du moins n'en fait aucunement mention dans son étude. Nous estimons légitime de discuter des résultats obtenus par Tolman et Honzik (1930) ou par défaut du phénomène dit d'insight qui est répliqué avec fiabilité par Dove et Thompson (1943).

Tolman décrit le phénomène d'insight observé dans son expérience de 1930 ainsi: « Un changement de caractère du but (ou plus précisément, un changement de caractère d'une partie du labyrinthe proche du but) que le rat rencontre à la fi n d'une allée sera inférée à une seconde allée dont le rat a appris qu'elle débouchait sur la première allée » (notre traduction; Tolman, 1933). Sans apporter plus d'explications, l'auteur en conclut que: « Ce fait ne peut toutefois pas être expliqué par la formule de la réponse conditionnée. Cela suggère plus quelque chose comme la formule de la configurationsigne » (notre traduction; Tolman, 1933). Néanmoins, l'arrangement expérimental de l'expérience de Tolman et Honzik (1930) évoque la procédure de préconditionnement sensoriel (Brodgen, 1939) dans laquelle un stimulus peut provoquer une réaction conditionnée (RC) sans même avoir été associé au stimulus inconditionné (SI). En effet, si ce stimulus (que nous appelons S1) est associé à un stimulus S2 de manière répétée de sorte que l'association soit apprise par le sujet (S1->S2), la procédure de conditionnement pavlovien consistant en l'association de S2 avec un SI (S2->SI) fera non seulement de S2 un stimulus conditionné (ce qui est le principe même du conditionnement pavlovien), mais rendra aussi S1 capable de produire la RC grâce à la chaîne associative S1->S2->SI. S1 prédit le SI par l'intermédiaire de S2. Si nous reprenons le labyrinthe de Tolman et Honzik (1930), nous pouvons dire que l'entraînement a permis aux rats d'apprendre d'une part l'association de l'allée X avec l'allée O (X->O), et d'autre part, l'association de l'allée Y avec O (Y->O). Cet apprentissage pourrait ainsi être considéré comme la première étape de la procédure de préconditionnement sensoriel (Brodgen, 1939). Lorsque le blocage en B introduit dans l'allée O est expérimenté, les rats peuvent apprendre l'association existant entre O et B (O->B) créant ainsi une réponse conditionnée d'évitement de O. L'effet du préconditionnement sensoriel prévoit que ce second apprentissage aura pour effet d'établir aussi bien l'apprentissage du lien entre X et le blocage B (X->O->B) que l'apprentissage automatique de l'association entre Y et le blocage B, car Y a été associé avec O (Y->O->B). Ce phénomène pavlovien peut à lui seul rendre compte de manière satisfaisante du choix de l'allée Z lors du retour des rats à l'intersection des allées X, Y et Z. L'allée Y signale que l'allée O se termine par un blocage B ce qui implique que le rat évitera conditionnellement Y car Y prédit le blocage B par l'intermédiaire de O (Y->O->B). L'idée de la configuration-signe qu'avait développée Tolman correspondrait en quelque sorte à la première étape du préconditionnement sensoriel, étape pendant laquelle les sujets apprendraient que X et Y sont des signes de O, et l'insight qu'il préconisait ne serait que le refl et d'une réponse conditionnée d'évitement de Y.

 

CONCLUSION

Ce présent article revient aux sources expérimentales qui ont conduit Tolman à rejeter le conditionnement pavlovien pour adopter l'approche appelée configuration-signe (Tolman, 1933), théorie à l'origine du concept de la carte cognitive (Tolman, 1948). Nous proposons que l'approche cognitive de Tolman de l'apprentissage spatial ne dépasse pas le conditionnement pavlovien (Tolman, 1933) en démontrant que les résultats de Tolman sont envisageables du point de vue du conditionnement pavlovien de la réponse d'approche des stimulus associés à un stimulus inconditionné par le biais : (1) de l'occasion setting pour l'expérience de Tolman (1932) et (2) du préconditionnement sensoriel pour l'expérience de Tolman et Honzik (1930). Cette conception des travaux de Tolman s'inscrit parfaitement dans la perspective générale de Mackintosh, d'après qui «le conditionnement pavlovien implique l'association du stimulus conditionné avec une représentation centrale du stimulus inconditionné (Holland & Straub, 1979). Un tel ensemble d'associations fournit, en principe, une base entièrement suffi sante pour plusieurs, si ce n'est pour tous les cas d'apprentissage discriminatif» (Mackintosh, 1986). Les travaux de Tolman sont surtout connus et invoqués comme faits expérimentaux mettant en évidence les limites des théories comportementales. Depuis sa découverte par Brodgen en 1939, le préconditionnement sensoriel n'avait encore jamais été mis en rapport avec les résultats de Tolman (1930). Pourtant, l'interprétation que nous proposons n'est pas sans avoir des conséquences importantes, puisqu'elle vient jeter le doute sur le concept de carte cognitive introduit par Tolman en 1948. C'est dans son article Cognitive maps in rats and men que ce dernier défi nit la carte cognitive, laquelle « avec des capacités d'inférence, rend possible pour l'organisme non seulement de choisir correctement les allées particulières dans le terrain qu'il a pratiqué, mais également, dans une certaine mesure, de se comporter correctement quant à des raccourcis et détours non pratiqués auparavant » (Tolman, 1949, p. 150). L'explication en termes pavloviens, plus parcimonieuse, vient ajouter un support au constat suivant établit par Jensen (2006): « des travaux ont continué à encourager le scepticisme quant à la robustesse explicative de la carte cognitive. Les résultats de certaines expériences ont poussé les chercheurs à conclurent qu'un principe plus simple, comme l'adaptation, est suffi sant (Haraway, Bailey, & Maples, 1971; Haraway, Grimmett, & Maples, 1977). [...] Actuellement, l'accumulation de résultats de recherches suggère qu'il existe des explications pour le comportement des animaux et humains en environnements spatiaux qui impliquent des processus plus simples que lire une carte cognitive. Il en résulte que certains psychologues et biologistes ont conclu que la carte cognitive n'est plus une explication viable pour la navigation correcte des animaux et humains à travers des environnements spatiaux complexes » (Jensen, 2006). Notons également que Benhamou a réuni dans une étude de 1996 toutes les conditions favorables à la manifestation de la carte cognitive sans toutefois obtenir de résultats en faveur d'un tel phénomène, concluant ainsi que « les rats sont incapables de compter sur une vraie carte cognitive (carte de vue d'ensemble) pour résoudre la tâche de navigation » (Benhamou, 1996).

Nous ne sommes pas les premiers à proposer une interprétation comportementale des travaux de Tolman. La proposition de Dove et Thompson (1943) reprise par Lieury (2004) en termes opérants apparaît même plus parcimonieuse que celle que nous proposons: « l'allée 2 a pu faire l'objet d'une « punition positive » du fait que les rats se sont cognés à la porte de sortie de ce chemin, pendant la phase préliminaire; la sortie du chemin 2 serait donc devenue (le rat se cogne à chaque fois) un stimulus « aversif » (tout comme un choc électrique). Comme la sortie et l'entrée de l'allée 2 ne se distinguent pas (toutes deux sont à 90° d'angle avec le chemin 1), il est possible que les rats confondent par généralisation [...] l'entrée et la sortie au cours de leur retour en arrière, ce favoriserait l'allée 3 ». Cependant l'expérience réalisée par Caldwell et Jones (1954) vient invalider cette proposition, car ces auteurs obtiennent les mêmes résultats que Dove et Thompson (1943) avec un labyrinthe qui neutralise la possibilité d'un caractère aversif de l'allée 2 par généralisation, puisque la sortie et l'entrée de l'allée 2 sont très différentes (voir fi g.1 p 417, Caldwell & Jones, 1954).

Bien que notre proposition semble être la seule interprétation comportementale plausible de l'expérience de Tolman et Honzik (1930), il existe plusieurs propositions, notamment en terme opérant, d'une autre expérience de Tolman et Honzik (1930). Cette expérience publiée sous le titre Introduction and removal of reward, and maze performance in rats est connue pour poser problème au courant comportemental à travers les notions d'apprentissage latent et de carte cognitive. Catania (1992) par exemple soutient que « Les actions du rat, tels que le renifl ement, le fait de toucher, de regarder, et de se mouvoir à travers le labyrinthe sont des réponses, même si ces comportements ne nous sont pas aussi accessibles que des choix corrects ou des entrés dans des impasses. Ces conséquences sont ce que le rat apprend. Qu'on les appelle ou non renforçateurs reste une question de préférence, mais le langage d'apprentissage latent semble avoir mené à une impasse ». Jensen (2006) quant à lui, affi rme que la proposition selon laquelle « les principes suggérés par Skinner ne peuvent pas expliquer les résultats de Tolman et Honzik (1930b) au sujet de l'apprentissage latent est clairement une erreur. Ces observations sont cohérentes au regard des principes bien établis de l'analyse du comportement, incluant la punition, le stimulus contrôle, ainsi que l'importance des contingences phylogénétiques et ontogénétiques de l'environnement ». Ces interprétations ne nous en apprennent pas plus au sujet de ce qui est appris par le rat, ni même des mécanismes d'apprentissage mis en jeux. Il serait intéressant de vérifi er si les résultats de cette étude de Tolman et Honzik (1930b) ne seraient pas ici aussi explicables à l'aide de mécanismes pavloviens bien établis.

L'analyse pavlovienne que nous présentons des expériences de Tolman (1933) s'inscrit dans les recherches contemporaines qui utilisent les procédures de conditionnement pavlovien pour proposer des mécanismes associatifs de formation de la carte cognitive spatiale (chez le pigeon Blaisdell & Cook, 2005 ; chez le rat Chamizo et al., 2006 ; et chez l'humain Molet et al., 2010) et temporelle (chez l'humain Arcediano, Escobar, & Miller, 1998 ; chez le pigeon Cheng, Spetch, & Miceli, 1996 ; chez le rat Molet et al., 2010). La réinterprétation de l'expérience de Tolman et Honzik (1930) et les récents travaux pavloviens sur la carte cognitive renforcent la plausibilité d'une interprétation en termes associationistes de l'apprentissage spatial. D'ailleurs il serait intéressant de soumettre l'hypothèse pavlovienne à l'épreuve en testant chez le rat en labyrinthe des procédures basiques de conditionnement pavlovien, telles que le blocage et le masquage (voir Molet et al; 2009). L'observation de ces phénomènes dans un labyrinthe identique à celui de Tolman (1933) viendrait apporter un support certain à la proposition selon laquelle le phénomène connu sous le nom d'insight (Tolman, 1933) serait régit en réalité par les lois du conditionnement pavlovien.

La question qui se pose est de savoir ce que l'approche pavlovienne apporte à la compréhension de l'apprentissage spatial. Un élément de réponse réside probablement dans le fait que de nouvelles formes de procédures et d'explications peuvent être proposées avec l'approche pavlovienne.

 

RÉFÉRENCES

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Recieved February 24, 2010
Accepted: March 1, 2010

 

 

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