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Aletheia

versão impressa ISSN 1413-0394

Aletheia  no.46 Canoas abr. 2015

 

ARTIGO INTERNACIONAL

 

Fonctions et apports du jeu dans les relations précoces parents-bébé/jeune enfant

 

Functions and contributions of playing in early parent-infant/toddler relationships

 

Funções e contribuições do jogo nas relações precoces pais-bebê/criança pequena

 

 

Jaqueline Wendland

Université Sorbonne Paris Cité – USPC
Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé – LPPS

Endereço para contato

 

 


RÉSUMÉ

Le jeu est une activité essentielle pour l'enfant et un moyen incontournable de l'intervention diagnostique et thérapeutique auprès du jeune enfant. Le jeu chez l'enfant contribue activement à son développement cognitif, psychomoteur, social et affectif, ainsi qu'à la découverte de soi et du monde extérieur. Dès le plus jeune âge, il est aussi au coeur des interactions sociales et c'est sous l'des relations précoces parents-bébé que nous explorons ses caractéristiques et fonctions dans cet article. Après avoir décrit brièvement les caractéristiques du jeu chez le tout petit, nous abordons l'expression symptomatologique par le jeu, ainsi que l'apport du jeu dans les psychothérapies conjointes parents-bébé/jeune enfant.

Mots-clés: Jeu, Bébé, Parent.


ABSTRACT

The game is an essential activity for child, besides that it is an indispensable method for diagnosis and therapeutic intervention with children. The game contributes actively to cognitive, psychomotor, social and affective children development, as well as for self – and world – discovery. Since the first years the game is at center of social relations. It is from the perspective of early relation between parents and infants that we explore the characteristics of the game in this paper. After we briefly describe the characteristics of the game in children, we approach the expression of symptoms though the game, as well as we discuss the contributions of the game in psychotherapies integrating parents and infants.

Keywords: Game, Infant, Parent.


RESUMO

O jogo é uma atividade essencial para a criança e um meio indispensável da intervenção diagnóstica e terapêutica junto à criança pequena. O jogo da criança contribui ativamente ao seu desenvolvimento cognitivo, psicomotor, social e afetivo, bem como à descoberta de si próprio e do mundo exterior. Desde a mais tenra idade, o jogo está no centro das interações sociais e é à partir do ângulo das relações precoces pais-bebê que exploramos suas características e funções neste artigo. Após descrevermos resumidamente as características do jogo na criança pequena, abordamos a expressão sintomática através do jogo, bem como as contribuições do jogo nas psicoterapias conjuntas pais-bebê/criança pequena.

Palavras-chave: Jogo, Bebê, Pais.


 

 

"L'enfant qui ne joue pas n'est pas un enfant, mais l'homme qui ne joue pas a perdu
à jamais l'enfant qui vivait en lui et qui lui manquera beaucoup."

(Pablo Neruda. In: J'Avoue que j'ai vécu, Paris: Gallimard, 1987)

 

Un jeu d'enfant?

Quand on parle jeu, on pense enfant. La notion de jeu renvoie à l'enfance, à l'enfant. Pourtant, le jeu est une activité universelle présente aussi bien chez les enfants que chez les adultes et ce, dans toutes les cultures. Pour le professionnel de la petite enfance, le jeu est non seulement l'activité principale et indispensable de l'enfant mais aussi un moyen incontournable de l'intervention diagnostique et thérapeutique auprès du jeune enfant. Il n'est pas aisé, toutefois, de définir ses contours, ses caractéristiques essentielles et ses buts. On peut, en effet, se demander si le jeu serait une compétence précoce? Un don inné? Ou un fait de culture? Apprend-on à jouer aux bébés?

L'adulte peut parfois juger le jeu, le ludique, comme une activité non sérieuse, futile, contrastant avec le travail qui servirait à un but précis et rentable (Gaussot, 2002). Les parents affirment parfois: "il ne fait rien, il joue". Cette remarque est sans doute en lien avec la notion du jeu comme indissociable de la notion de détente et de plaisir, plaisir qui peut-être individuel ou partagé. D'autre part, il est vrai que le jeu ne satisfait pas, à première vue, un besoin vital tel que la faim, la soif, le sommeil... Cependant, l'homme sait depuis fort longtemps de manière intuitive, puis scientifiquement démontrée, que le jeu chez l'enfant participe activement à son développement cognitif, psychomoteur, social et affectif, ainsi qu'à la découverte de soi et du monde extérieur. Jouer est donc une nécessité pour l'enfant, un mode de communication et d'apprentissage fondamental et ce, dès le plus jeune âge. Ainsi, le jeu est même devenu un droit reconnu par la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (United Nations, 1989, article 31): "Les États parties reconnaissent à l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique."

Le jeu est aussi au coeur des interactions familiales et sociales et c'est sous l'angle des relations précoces parent-bébé que nous souhaitons explorer ses caractéristiques et apports dans cet article.

Le jeu chez le bébé et le jeune enfant

L'objectif ici n'étant pas de faire une revue exhaustive du sujet, afin d'évoquer l'émergence et les fonctions du jeu chez le jeune enfant, nous rappellerons brièvement seulement les apports de deux précurseurs, Jean Piaget et Donald Winnicott.

Dans une perspective développementale constructiviste, Piaget (1926) a décrit la place du jeu dans le développement de l'enfant à travers l'identification de différents stades d'évolution des activités ludiques. Les deux étapes qui intéressent notre propos sont les stades sensori-moteur et représentatif. Le premier couvre la période de la naissance aux deux ans de l'enfant environ. Pendant cette période, l'enfant consacre un temps considérable de son activité à des "jeux dits solitaires" qui participent à son appropriation et à sa connaissance du monde, de son corps et des objets environnants. Il s'agit d'explorations et de manipulations répétitives: saisir, lâcher, sentir, porter à la bouche les objets et les parties de son corps accessibles. Ainsi, on observe des jeux d'exploration (découverte d'objets ou d'expériences nouvelles), des jeux de manipulation (l'objet est connu), des jeux d'exercice (faire tout ce qui est possible avec un objet), puis des jeux répétitifs (enregistrer l'expérience et retrouver le plaisir procuré par la prévisibilité de l'action).

Les premiers jeux sensori-moteurs procurent du bien-être, essentiellement sensoriel, et permettent à l'enfant d'investir petit à petit son propre corps, ses sensations et ses contours, tout en étant porté physiquement et affectivement par l'adulte, dans la sérénité et la sécurité. Dans le contexte de ces premières interactions, les jeux nécessitent l'adaptation du partenaire adulte aux besoins, à l'état de tension et d'éveil du nourrisson, afin que les sensations et sollicitations ne deviennent pas déstabilisantes ou surexcitantes pour lui. Ces moments de partage contribuent largement au processus "d'accordage affectif" (Stern, 1989) sur lequel s'étayent les premières interactions et la construction subjective de l'enfant (Altmann de Litvan, 2002).

L'enfant est aussi dès ses premiers instants de vie invité à des "jeux relationnels" impliquant un partenaire adulte. Au départ, on peut remarquer que le bébé est celui avec lequel l'adulte joue, le parent découvre son bébé en jouant avec lui. Il s'agit surtout de courts moments de jeux lors des soins primaires. Puis, l'adulte introduit chatouilles, comptines, jeux de cache-cache, jeux avec les mains, jeux impliquant l'attention conjointe, et aussi la célèbre équation "répétition-mémorisation-anticipation-variation: surprise!". La répétition des jeux constitue un facteur organisateur fondamental pour la capacité de mémorisation et d'anticipation, nécessaire à son tour au bon développement de la cognition. Mais, des petites variations et écarts (produits spontanément ou introduits par l'adulte) permettront au bébé d'éprouver du plaisir à l'inattendu et de ne pas en être désorganisé (Marcelli, 1999). Puis, dépassant progressivement les réactions réflexes, l'enfant comprend qu'il peut agir sur le monde environnant.

Dès la deuxième année de vie et jusqu'aux 6 ans, dans la période dite représentative, l'enfant accède progressivement au symbolisme et on verra l'émergence de jeux d'imitation, de construction-destruction-(ré)-construction, de déguisement, de "faire semblant" et parfois la présence d'un "compagnon imaginaire". L'objet devient transformable et d'ailleurs il n'est plus indispensable, car l'enfant peut se le représenter. L'enfant développe en effet ses capacités réflexives et la théorie de l'esprit, ce qui lui permet de prendre en compte la perspective de l'autre et enrichit considérablement la qualité et la complexité de son jeu. Petit à petit, l'enfant apprend "à maîtriser des caractéristiques essentielles du jeu: l'aspect fictif au sens où le corps ne disparaît pas vraiment mais où l'on fait comme si, la réversibilité des rôles, la répétition, qui fait que le jeu n'a pas modifié le réel puisque l'on peut revenir au point de départ, la nécessité d'un accord entre partenaires, même si l'enfant peut difficilement accepter le refus du partenaire de continuer à jouer" (Brougère, 2002).

S'appuyant sur son expérience clinique de pédiatre et psychanalyste, Winnicott (1971/ 1975) a beaucoup insisté sur l'importante du jeu dans le développement psychique et relationnel du jeune enfant. Il a introduit des concepts devenus célèbres tels que l'aire et l'objet transitionnels. La notion d'aire transitionnelle renvoie à un espace potentiel où l'enfant développe sa capacité de créer, d'imaginer, de concevoir un objet et d'instituer avec lui une relation. Le jeu serait un phénomène transitionnel. Il a montré également comment et pourquoi l'enfant peut élire un objet transitionnel, une première possession intermédiaire entre lui et la figure qui lui prodigue les soins primaires. L'objet transitionnel n'est pas un jouet comme les autres. Ce serait entre 4 et 12 mois qu'un bébé aurait tendance à s'attacher à un objet particulier, tel qu'une peluche, le coin d'une couverture, qu'il serrerait contre lui, mordillerait ou suçoterait, et qui s'avèrerait important au moment de l'endormissement et des séparations. A la différence des autres jouets, l'objet transitionnel acquiert progressivement une valeur affective pour l'enfant.

Winnicott (1971/ 1975) distingue également le playing (jeu libre et sans règles) du game, dont les règles constitueraient un frein préjudiciable à l'émergence d'une véritable expérience créative. Par ailleurs, il a aussi décrit le développement de la capacité de jouer seul "en présence de quelqu'un", qui préfigure la capacité d'être seul (Winnicott, 1958/1989). Bien entendu, il ne s'agit pas de laisser seul un bébé, mais de lui permettre, sous le regard bienveillant d'un adulte à proximité, de réguler lui-même son activité libre, en changeant d'activité, en sollicitant l'interaction par ses babillages si ce temps lui semble trop long, en cherchant des moments de repos, sans être stimulé par l'adulte. Il s'agit donc de lui permettre d'exercer pleinement et sereinement cette activité libre (Appell, 2002).

Dans la pratique clinique, Winnicott considère que l'émergence du jeu lui-même en séance aurait un effet favorable, ou "thérapeutique". Il lui reconnait clairement un rôle bénéfique, notamment chez les jeunes enfants. Au cours des années préscolaires, le jeu serait pour l'enfant non seulement le principal moyen de résoudre les problèmes affectifs qui sont du ressort de son développement, mais aussi un des moyens dont il dispose pour s'exprimer, un moyen de raconter et de poser des questions (Winnicott, 1957/1972).

A ce sujet, il est important de souligner que les premières analystes d'enfants, Anna Freud et Mélanie Klein, s'étaient déjà emparées de la question du jeu dans la pratique clinique avec l'enfant. Le jeu devient alors un objet d'analyse, un analogue du discours libre. Les choix et enchaînements ludiques prendraient une signification semblable à celle de l'association libre d'un patient adulte en analyse. Le jeu serait un traducteur des processus inconscients en jeu. Dans cette perspective, le jeu serait donc un instrument, un "médiateur" de la relation thérapeutique. Par le jeu l'enfant mettrait en scène, malgré soi et de manière plutôt inconsciente, ses difficultés et conflits, en lien notamment avec les différentes phases du développement psychosexuel décrites par Freud. Toutefois, Winnicott se démarque clairement de cette perspective. Comme l'observe Le Normand (2012), pour Winnicott, "le jeu n'est pas une 'adaptation de la technique analytique' permettant une extension du domaine de l'analyse aux enfants. Au contraire, c'est la psychanalyse qui serait une ' forme sophistiquée de jeu', inventée au XX siècle [...] c'est le jeu qui est thérapeutique en lui-même, davantage que l'interprétation de son contenu".

Le jeu, le bébé et les parents

Revenons maintenant à la question du jeu dans les relations précoces parents-bébé. On observe depuis au moins trois décennies un engouement des parents pour les jeux et jouets dits "pédagogiques". L'accent est mis très tôt sur l'apprentissage, les parents offrent une grande quantité de jeux et jouets présentés comme favorisant "l'éveil de l'enfant". En parallèle, les lieux d'accueil de l'enfant, comme les crèches et plus tard l'école, de par leurs activités de plus en plus structurées, tendent à inhiber progressivement le jeu spontané, créatif. L'objet, le jouet, devient d'ailleurs omniprésent. Mais a-t-on besoin de jouets pour jouer? On peut aussi se demander ce que l'adulte souhaite en offrant un jouet à un enfant: l'amuser? l'éduquer? l'occuper? l'endormir? l'éveiller?

La relation parent-enfant devient ainsi de plus en plus médiatisée par les objets et limitée dans le temps. Les jouets viennent se substituer à la relation, aux temps "d'être avec". La relation parent-enfant devient plutôt "distale" que proximale. Il n'est pas rare d'observer avec quelle rapidité et automatisme certains parents et professionnels d'accueil de la petite enfance proposent l'objet transitionnel ou un autre jouet à un enfant en détresse, au lieu de lui parler, de le prendre dans les bras. Le "doudou" est privilégié alors même que les figures d'attachement sont présentes. Ainsi, de nos jours, le jeu du bébé peut renvoyer à des représentations diverses et pas toujours positives: jeu solitaire, jeu disqualifié, jeu trop stimulant, peu créatif.

La pratique clinique montre que de nombreux parents sont en difficulté lorsqu'il s'agit de passer un moment de jeu avec leur bébé ou jeune enfant. Le travail thérapeutique aidera alors ces parents à retrouver l'infantile en eux afin qu'ils puissent développer leur empathie envers le monde du tout petit et établir avec leur enfant une relation plus proche et satisfaisante. En effet, le jeu chez le bébé est indissociable de la question du corps, des échanges sensoriels, mais aussi et surtout de l'interaction.

On sait que le jeu partagé, avec le plaisir et la complicité qu'il implique, est le "ciment" du lien affectif. L'enveloppe affective constitue le cadre, la base pour l'émergence et le développement du jeu (Fuertes, Faria, Soares, & Oliveira-Costa, 2010). La pauvreté, les perturbations et les temps de jeu limités sont des marqueurs de dysfonctionnements précoces des interactions et peuvent préfigurer des troubles relationnels, une carence de soins, la négligence et la maltraitance précoces.

Un jeu de qualité

L'observation de la qualité du jeu est une étape incontournable de la rencontre du professionnel de la petite enfance avec l'enfant. La façon dont le bébé ou jeune enfant s'approprie les jeux et jouets est un reflet de son niveau de développement. D'autre part, jouer avec l'enfant nous apprend sur sa façon d'entrer en relation avec l'adulte. Il n'est pas surprenant que la quasi-totalité des tests de développement précoce se fondent sur des épreuves présentées comme des jeux. Ainsi, le bilan se fait par des jeux, alors que le soin accordera, lui aussi, une place importante à la promotion ou restauration de la capacité de jouer de l'enfant.

Le professionnel observe d'emblée l'activité ludique de l'enfant (Appell, 2002). Le jeu a-t-il une dimension ludique, plaisante? Peut-il évoluer, s'enrichir en complexité? Est-il créatif? Est-il suffisamment soutenu dans le temps? L'enfant "papillonne" ou suit-il son imagination pour construire? Montre-t-il des capacités de se décentrer de soi ou les jeux restent-ils autocentrés?

On remarquera également comment le corps s'exprime dans les jeux: aisance ou maladresse gestuelle, équilibre, mouvements tendus ou harmonieux, décharges de joie ou de tension, occupation de l'espace... Enfin, en situation collective (lieux de garde, parcs, activités en groupe), on pourra observer comment les bébés et jeunes enfants interagissent entre eux, en considérant le jeu comme activité sociale: jeux en parallèle, capacité de partage, respect des règles, contrôle des pulsions et régulation émotionnelle, empathie, gestion des conflits, défis, persévérance et confiance en soi face aux difficultés, etc.

L'expression symptomatique par le jeu

Dans pratique clinique avec des bébés et des jeunes enfants, le professionnel prêtera une attention particulière non seulement à la qualité intrinsèque du jeu, mais aussi à la valeur symbolique des jeux. Ceci est d'autant plus important que l'enfant n'a que peu ou pas du tout accès au langage pour s'exprimer. Le jeu est un vecteur potentiel de l'expression symptomatique, au même titre que les troubles des interactions et les troubles psycho-fonctionnels.

En début de rencontre, il est important d'observer le temps qui s'écoule jusqu'à ce que l'enfant joue: il s'agit d'un indice de son attitude face au monde et de son degré d'inhibition. A son tour, l'inhibition est un reflet de l'ampleur de sa souffrance et de combien les symptômes entravent son développement. En effet, l'apparition trop précoce de mécanismes d'inhibition et de type obsessionnels (alignements, rangements, répétitions) est signe d'un appauvrissement de l'imaginaire, de carences ou de troubles graves du développement (retard mental, troubles du spectre de l'autisme). A ce sujet, il est à souligner que la pauvreté du jeu va souvent de pair avec un langage peu évolué: aussi bien la mise en scène que la mise en récit sont limitées.

Enfin, le clinicien cherchera également à comprendre le sens des jeux au regard de la problématique de l'enfant et de la relation parent-enfant. Il s'agit souvent de mises en scènes relationnelles répétées, de jeux de construction, de destruction, de réparation, de surprise qui expriment ses peurs, ses conflits, ses désirs. Parfois, l'enfant amène en séance ses propres jouets, ou cherche à s'emparer des jouets du thérapeute pour les emporter chez lui. Enfin, il est toujours intéressant d'observer comment l'enfant vit la fin de la séance, l'expérience de devoir ranger les jouets et s'en séparer. Ce sont des mouvements qui seront à comprendre à la lumière des difficultés relationnelles ou de développement de l'enfant.

Le jeu peut-il être thérapeutique?

La parole, certes, mais avant tout, le jeu! En effet, le jeu (avec ou sans jouets) est la technique thérapeutique privilégiée avec l'enfant et a fortiori avec le bébé et le jeune enfant. Jouer avec le bébé dans un espace thérapeutique a au moins deux fonctions: d'une part, donner à l'enfant un autre espace interactif, sécurisant, réparateur, un autre type de relation à l'adulte et d'espace potentiel pour le jeu; d'autre part, aider le parent à porter un regard différent, bienveillant sur son bébé, ce qui favorisera leur rencontre et des interactions plus apaisées, accordées et plaisantes. En effet, lorsque l'interaction est entravée par le poids de l'histoire du parent, sa pathologie et les défaillances de l'environnement, les capacités de jouer du bébé sont menacées.

Toutefois, le clinicien doit se garder d'instaurer une "pédagogie" du jeu. Ce serait disqualifier le parent, se placer en position de rivalité et mettre en péril l'alliance thérapeutique. Au contraire, les jeux doivent aider le parent à percevoir tant les capacités de son enfant que les siennes. Le jeu en présence du thérapeute permet au parent d'être en relation avec le bébé réel, dégagé des projections dont il peut faire l'objet. Bien souvent, on assiste à des mouvements de régression chez le parent, incluant parfois des attitudes puériles ou de rivalité avec le bébé ("il ne me prête pas ses jouets", "il ne fait pas attention à moi"). Ces attitudes témoignent de ses difficultés mais peut-être aussi de ses efforts pour s'accorder avec empathie au monde de son enfant. C'est dans ce contexte que le parent pourra se réapproprier l'aire ludique ainsi créée et la fonction parentale se restaurera. Dans ce sens, le jeu n'est pas thérapeutique seulement pour l'enfant mais aussi pour le parent.

Le jeu peut-il être pathologique?

Le jeu est très rarement un motif de consultation en soi, sauf pour les parents d'enfants avec troubles du spectre de l'autisme ou autres handicaps. Ces parents signalent leur impossibilité de jouer avec leur enfant, et en particulier, le fait que celui-ci présente des jeux monotones, répétitifs, bizarres, destructeurs, solitaires, circulaires... Toutefois, dans bien d'autres situations on observe une pauvreté ou perturbation du jeu. Ainsi, les enfants porteurs d'une maladie ou de douleur chronique peuvent jouer très peu, de moins en moins. Dans certains cas, on peut parler même d'absence de jeu. Il s'agit de contextes incluant des carences et déficiences graves, des traumatismes, un retrait dépressif, ou encore chez des bébés confrontés dans leur réalité quotidienne à un environnement peu stable, chaotique, effrayant, imprévisible. Les parents présentant un trouble mental grave de type psychotique ou borderline peuvent fréquemment engager l'enfant dans des jeux conflictuels, effrayants, paradoxaux, ou inappropriés à l'âge de l'enfant (Wendland, 2014).

Quant à eux, les jeux post-traumatiques traduisent dans l'activité ludique la violence, la brutalité, la peur dont l'enfant a été victime ou témoin. Il s'agit de mises en scènes de certains aspects du traumatisme, de manière compulsive, dans un jeu factuel, moins imaginatif, dépourvu de plaisir et qui échoue à faire baisser l'anxiété. Dans ces situations, le clinicien doit parfois intervenir pour protéger un enfant qui fait du mal à si propre ou à son parent (ex. se taper la tête, jeter des objets). Enfin, dans les situations les plus courantes, le professionnel est face à des parents qui avouent "ne pas savoir jouer avec l'enfant", le moment de jeu devenant vite embarrassant, ou un grand ennui, même pour le thérapeute qui l'observe.

Le jeu dans la thérapie parents-bébé/jeune enfant

Lors d'une psychothérapie parents-bébé/jeune enfant, l'observation d'un moment de jeu libre parents-bébé est une sorte de "radio" de la relation précoce. Ce moment est très souvent filmé, ce qui permet non seulement la micro-analyse à posteriori de la qualité des interactions, mais aussi l'utilisation de la vidéo-feedback en tant que support thérapeutique pour promouvoir la sensibilité aux signaux et besoins du bébé et améliorer l'accordage parents-enfant (Beebe, 2003).

Le plaisir du jeu partagé implique nécessairement l'existence d'interactions parents-enfant gratifiantes, contenantes et cohérentes. Ainsi, nous considérons que restaurer la dimension ludique des interactions, le plaisir partagé, est souvent une étape inconditionnelle vers une relation plus harmonieuse et ce, notamment lorsque les troubles et difficultés se trouvent, en apparence, ailleurs: troubles du comportement alimentaire, du sommeil, du comportement, angoisse de séparation pathologique, troubles de l'attachement etc. Pouvoir se décentrer du problème, du conflit, et reconstruire les bases pour une relation parent-enfant plus sereine et agréable peut être le premier objectif thérapeutique dans des situations complexes (Wendland, 2015).

Afin de favoriser l'émergence d'un jeu parent-bébé de bonne qualité, une attention particulière devra être accordée à l'aménagement de l'espace (sécurité, espace suffisant, tapis, coussins, miroir, propreté...) et au type de jeux proposés (adaptés à l'âge, permettant l'expression créative, le symbolisme, pas trop bruyants ni trop compliqués à manipuler, etc). Les jouets doivent être solides, esthétiques, attrayants mais aussi bien rangés et présentés, tout en permettant, bien sûr, le jeu spontané. En effet, nous pensons que des jouets "mis en vrac", mélangés, dispersés dans tout l'espace perdent leur fonction de structuration. Le professionnel organise aussi des "temps" de jeu: jeu du bébé, jeu parent-bébé, jeu à trois. Ces aspects constituent à nos yeux des éléments essentiels du setting au même titre que les interventions verbales du professionnel.

Par ailleurs, il va de soi que le thérapeute devra être à l'aise avec le monde du tout petit et son langage largement préverbal. Le thérapeute d'enfant doit ainsi connaître un bon nombre de jeux, d'histoires infantiles (et connaître aussi leur signification latente), les programmes télévisés regardés éventuellement par l'enfant, les "héros" etc. Enfin, le clinicien doit prendre un rôle actif dans le jeu et être prêt à aider concrètement et soutenir les interactions par le jeu, par exemple, en proposant des jeux à trois, la lecture de livres et imagiers, les comptines, etc à des parents trop inhibés ou perturbés pour initier et soutenir des moments de jeu réciproque avec leur jeune enfant (Rateau, 2002; Wendland, 2004). Par son regard bienveillant, le professionnel étaye l'activité ludique, il facilite les moments d'attention conjointe et permet l'allongement des séquences de jeu qui deviennent aussi plus agréables.

En conclusion, le clinicien aura pour fonction de rendre le jeu possible, de le soutenir et de favoriser son évolution dans le cours du développement de l'enfant et au sein de la relation parent-enfant. Le jeu, c'est la rencontre de soi, c'est la rencontre de l'autre; c'est le métier de l'enfant, et c'est aussi un peu notre métier en tant que professionnel de la petite enfance.

 

Références

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Endereço para contato
E-mail: jaqueline.wendland@parisdescartes.fr

Recebido em março de 2016
Aceito em março de 2016

 

 

Jaqueline Wendland: Université Sorbonne Paris Cité –USPC. Institut de Psychologie Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé – LPPS.

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