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Psicologia da Educação

Print version ISSN 1414-6975

Psicol. educ.  no.30 São Paulo June 2010

 

Construction sociale des formes de l'hystérie rôle de l'imitation et de l'imagination dans la cristallisation et la prolifération des formes de l'hystérie

 

Social construction of the forms of hysteria role of imitation and imagination in the crystallization and the proliferation of the forms of hysteria

 

A construção social das formas de histeria: papel da imitação e da imaginação na cristalização e proliferação de formas de histeria

 

La construcción social de las formas de histeria: papel de la imitación y de la imaginación en la cristalización y proliferación de formas de histeria

 

 

Stéphane Laurens

Centre de Recherches en Psychologie, Cognition et Communication, Université Européenne de Bretagne - Rennes 2, France. E-mail: stephane.laurens@univ-rennes2.fr

 

 


RÉSUMÉ

L'une des fonctions principales des représentations sociales consistant à transformer ce qui est non familier (c'est notamment le cas des théories scientifiques) pour le rendre familier, cette théorie à souvent été utilisée pour étudier comment les concepts scientifiques étaient recyclés pour entrer dans le sens commun. Ce schéma très simple ne reflète qu'un aspect de la construction des connaissances car, notamment dans le champ de la médecine psychologique, les allers-retours entre science et sens commun ou les échanges entre experts (médecin, psychologue...) et profanes sont constants. Or, par ces échanges, des formes de pathologies s'élaborent, se transforment et, ce faisant, les théories qui veulent coller à cette réalité se modifient elles aussi : en fonction du discours de la science, l'objet (pathologie) se transforme, obligeant ainsi à un réajustement du discours. C'est cette dynamique (et ses conséquences) de la co-construction sociale d'un discours scientifique, de représentations sociales et de formes pathologiques que je me propose d'analyser ici. De cette analyse, il ressort qu'à côté de l'imitation ou de l'influence, l'imaginaire, est déterminant dans l'élaboration des représentations partagées et notamment de leur efficacité à fabriquer et à représenter une réalité commune.

Mots-clefs: imitation; imagination; sens commun; science; hystérie; construction sociale de la réalité.


ABSTRACT

The theory of social representations is often used to study the relationship between science and common sense. One of the main functions of social representations consists in transforming what is not familiar (this is notably the case in scientific theories) to make it familiar: concepts elaborated by scientists would be recycled so as to become common sense. This reflects only a single aspect of the construction of knowledge, because, notably in the field of the psychological medicine, comings and goings between science and common sense or mutual exchanges between experts (doctor, psychologist...) and lay persons are permanents. With these exchanges, some forms of pathologies are elaborated or transformed. Consequently, theories, which want to stick on this reality, have to be modified: according to science's discourse, the object (pathology) is transformed, hence, afterwards science's speech has to be adjusted. These dynamics (and its consequences), the social co-construction of a science's speech, social representations and pathological forms which I suggest analyzing here. According to this analysis, it appear that next to the imitation or to the influence, the imaginary, is determinant in the elaboration of shared representations and notably in their efficiency in making and in representing a common reality.

Keywords: imitation; imagination; common sense; science; hysteria; social construction of reality.


RESUMO

Dado que uma funções principais das representações sociais é transformar o que é não familiar (o que é o caso, especialmente, das teorias científicas) para o tornar familiar, a teoria das representações sociais foi, muitas vezes, utilizada para estudar como os conceitos científicos foram reciclados e transformados em senso comum. Este esquema muito simples não reflete senão um aspecto da construção dos conhecimentos, pois, notadamente no campo da medicina psicológica, as idas-e-vindas entre ciência e senso comum ou os intercâmbios entre especialistas (médico, psicólogo...) e leigos são constantes. No entanto, nesses intercâmbios, as formas de patologias se elaboram, se transformam, e, com isso, as teorias que querem aderir a essa realidade se modificam também: em função do discurso da ciência, o objeto (patologia) se transforma, obrigando assim a um reajuste do discurso. É esta dinâmica (e suas consequências) da co-construção social de um discurso científico, de representações sociais e de formas patológicas que eu me proponho analisar aqui. Desta análise, pode-se depreender que, ao lado da imitação ou da influência, o imaginário é determinante na elaboração de representações partilhadas e, em particular, na sua eficácia em produzir e representar uma realidade comum.

Palavras-chave: imitação; imaginação; senso comum; ciência; histeria; construção social da realidade.


RESUMEN

Puesto que una de las principales funciones de las representaciones sociales es transformar lo que no es familiar (especialmente el caso de las teorías científicas) para volverla familiar, la teoría de las representaciones sociales ha sido, muchas veces, utilizada para estudiar cómo los conceptos científicos fueron reciclados y transformados en sentido común. Este esquema muy simple solo refleja un aspecto de la construcción de los conocimientos, pues, especialmente en el campo de la medicina psicológica, los trámites entre ciencia y sentido común o los intercambios entre especialistas (médico, psicólogo...) y legos son constantes. Sin embargo, en esos intercambios, las formas de patologías se elaboran, se transforman, y, por eso, las teorías que quieren adherir a esa realidad también se modifican: en función del discurso de la ciencia, el objeto (patología) se transforma, obligando, de esa manera, a un reajuste del discurso. Es esta dinámica (y sus consecuencias) de la co-construcción social de un discurso científico, de representaciones sociales y de formas patológicas que me propongo a analizar aqui. De este análisis, se puede inferir que, al lado de la imitación o de la influencia, el imaginario es determinante en la elaboración de representaciones compartidas y, particularmente, en su eficacia en producir y representar una realidad común.

Palabras clave: imitación; imaginación; sentido común; ciencia; histeria; construcción social de la realidad.


 

 

1 Drôles d'épidémies

L'histoire de la psychologie est marquée par d'étranges épidémies: crises magnétiques, convulsions, personnalités multiples, etc. Ces phénomènes étranges semblent se développer avec bonheur dans certaines sociétés et à certaines époques. Avant et après, ces formes existent, mais elles semblent convalescentes, elles survivent faiblement et paraissent attendre les conditions propices pour se répandre dans toute la société. Par exemple, après les épidémies de sorcellerie, ce sont les phénomènes de possession qui apparaissent. Il y a tout d'abord quelques rares cas à la fin du 16ième siècle, mais dès le milieu du 17ième siècle, cette nouvelle forme atteint son apogée grâce aux fameuses possédées de Loudun (de 1632 à 1640) (DE CERTEAU, 1980; MANDROU, 1968). Par la suite, les crises magnétiques de Mesmer, qui se répandront dans toute l'Europe, marqueront la laïcisation et la sécularisation du rapport de possession en l'attribuant à un fluide manipulé par un opérateur plutôt qu'à un être surnaturel (CARROY, 1991, p. 20). C'est l'année même où ces crises magnétiques seront condamnées par la science et la morale, que le marquis de Puységur (1786) découvrira le somnambulisme. Puis viendront l'hypnose, les personnalités multiples

À propos des personnalités multiples, Pierre Janet (1929, pp. 271-284) remarquait dans son cours du 4 mars 1929 au Collège de France, que ce symptôme démodé, complètement oublié en France depuis plus de vingt ans, ressuscitait en Amérique. Depuis ce constat, ce phénomène s'était à nouveau éclipsé même en Amérique, et seuls quelques cas épars étaient détectés et analysés. Mais après trente ans d'absence, le phénomène réapparaît (cf. MULHERN, 1991; SPANOS, 1998 ou HACKING, 1998, pour une description plus détaillée). Cette fois il s'implante si bien qu'en dix ans on est passé de ces quelques cas épars à plus de 30.000 cas à la fin des années 80 (ROSS, 1989). Ce qui, dix ans plus tôt, était une curiosité se transforme en phénomène massif. Cette réapparition a d'ailleurs été consacrée par la modification du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Dans sa troisième édition (DSM III en 1980) les troubles de la personnalité multiple apparaissent comme une entité diagnostique nouvelle et distincte. Avant ils étaient simplement rangés dans la longue liste des symptômes hystériques.

Alors, dans tous ces exemples de convulsions, de possessions ou de personnalités multiples que se passe-t-il ? À ne regarder que l'exemple de la dernière « épidémie », les personnalités multiples en l'occurrence, on pourrait penser à l'apparition d'une nouvelle forme de pathologie ou plus précisément à sa détection précise et systématique grâce à de nouveaux instruments adaptés. Ainsi, les personnalités multiples auraient existé avant, mais non diagnostiquées et systématiquement assimilées à d'autres pathologies, elles seraient passées inaperçues. C'est là l'idée d'une science médicale qui progresse, défrichant mieux et plus loin une réalité donnée à l'avance.

Cependant, la mise en perspective de notre regard avec d'autres phénomènes (convulsion, possession, somnambulisme, hypnose, spiritisme...) qui, en leur temps, ont été détectés, analysés, répertoriés et ont pourtant disparus, conduit à soutenir une autre explication: les personnalités multiples n'auraient aucune « réalité naturelle », elles seraient plutôt des formes culturelles élaborées au sein d'une société ou d'une communauté donnée1. En effet dans la mesure où ces formes ne persistent pas définitivement et qu'on ne les retrouve pas partout indépendamment du milieu et de la société on est amené à se poser une série de questions: En quoi une forme particulière est-elle liée à une société donnée ? Comment une forme se répand-elle?, Comment un individu adopte-t-il telle ou telle forme? Et, bien sûr, comment une nouvelle forme apparaît-elle?

L'angle sous lequel j'aborderai l'apparition et de la prolifération à un moment donné, dans une société donnée de telle forme psychologique spécifique ou de tel ensemble de symptômes est celui de la psychologie sociale.

Moscovici (1976) dans son étude de la psychanalyse a bien mis en évidence la manière dont la pensée savante, lorsqu'elle imprègne le sens commun a un pouvoir de création d'une réalité sociale. Ainsi, l'image de notre corps, de son fonctionnement, de ses disfonctionnements seraient, pour une large part, forgés par le discours médical à la fois actuel mais aussi par des pans entiers de théories délaissées par la science depuis longtemps (JODELET, 1989).

Cependant, comme le souligne Herzlich (1986) « plus qu'une dépendance à sens unique, nous découvrons des circulations et allers-retours variés entre la pensée savante et celle qui ne l'est pas; des rapports complexes et contradictoires entre l'expert et le profane ». Plus que l'étude de la manière dont la connaissance savante influence le sens commun, c'est la mécanique des allers-retours que je compte mettre en évidence ici. Par exemple, Moscovici (1976, pp. 311-314) montre que la psychanalyse est pensée différemment selon les appartenances politiques et religieuses des individus. Un tel résultat pose immédiatement d'autres questions: ces individus qui ont des représentations différentes présentent-ils les mêmes symptômes? Ces symptômes sont-ils dissociables ou non de leurs cadres signifiants (théories médicales ou psychologiques notamment)? Les thérapeutes avec lesquels ils sont en relations partagent-ils leurs représentations?...

 

2 Les voies de l'imitation

La première idée qui vient à l'esprit pour comprendre ces phénomènes est une logique de contagion ou d'imitation (TARDE, 1890). Les individus imiteraient des modèles. Comme on le verra en détail, dans le cas des personnalités multiples, il semble que des films, des livres et des articles de presse aient donné à voir un modèle de pathologie; modèle rapidement adopté par les patients et activement recherché par les thérapeutes. Dans le cas du somnambulisme, on se rend compte que les phénomènes se propagent, et deviennent véritablement saillants, à la suite des spectacles qui en font la démonstration. Après chaque nouveau spectacle dans une ville, il reste, dans cette ville, des sujets ayant été magnétisés et des spectateurs qui disposent d'un modèle de ce que sont les passes magnétiques (le procédé pour magnétiser) et de ce qu'on peut obtenir par ce procédé. Il ne reste donc à cette population qu'à s'exercer pour reproduire ce qu'elle a déjà vu.

2.1 De l'origine physiologique à l'imitation. La démarche de Joseph Delbœuf

Joseph Delbœuf (éminent philosophe, mathématicien et psychologue de Liège), intrigué par les résultats de Charcot et de Binet sur la mémoire (oubli systématique des phases de somnambulisme durant la veille) et sur le transfert des symptômes grâce au magnétisme (par exemple, déplacement des paralysies d'un membre à l'autre à l'aide d'un aimant!) vint à Paris rencontrer ces spécialistes, assister à leurs démonstrations et travailler avec eux.

Charcot, le plus grand neurologue de son époque, dirigeait la Salpêtrière comme une sorte de despote charismatique. Les sujets hypnotisés par Charcot, par ses collègues et par ses étudiants passaient tous par trois états très caractéristiques: les passes magnétiques les conduisaient d'abord en léthargie (yeux fermés, muscles relâchés, membres soumis à la seule pesanteur, comme un cadavre). Une fois le sujet en léthargie, il suffisait de lui ouvrir les yeux pour qu'il tombe en catalepsie (les membres conservent leur position, et il y a continuation et généralisation d'expressions: prière, colère...). Enfin, en refermant les yeux du sujet et en frictionnant le sommet de sa tête, on obtenait le somnambulisme (les yeux se rouvrent d'eux-mêmes, l'individu peut écrire, raisonner et fait même preuve de spontanéité...).

Or, à côté de cette forme de l'hypnose couramment observée à la Salpêtrière par tous les spécialistes de l'époque, on en a une autre très différente, observable à Nancy. Dès que le sujet est endormi, il entre en somnambulisme, un somnambulisme proche de la catalepsie: les membres conservent l'expression que leur donne l'hypnotiseur et le sujet obéit passivement à l'hypnotiseur et à lui seul.

Beaunis (1886, cité par DELBŒUF, 1886), l'une des figures marquante de l'école de Nancy avec Bernheim, Liébeault et Liégeois, constatait qu'il était impossible de retrouver les trois états décrits à la Salpêtrière. Bernheim ajouta même que, sur les milliers de personnes qu'il avait hypnotisées, il n'avait retrouvé ces trois stades que sur une seule personne. Et il s'agissait justement d'une femme ayant séjourné trois ans à la Salpêtrière! (Ellenberger, 1994, p. 131).

Recherche des traces latentes des trois états de l'hypnose

Aussi, Delbœuf, après avoir observé de visu, en 1885, les trois états de l'hypnose à la Salpêtrière va faire l'hypothèse que ces trois états doivent être présents chez les hypnotisés de Nancy, mais d'une manière latente.

Au départ, il croit donc en une distinction entre la réalité et l'interprétation de la réalité: il y aurait une réalité psychophysiologique du phénomène et une manière dont il se donne à voir, c'est-à-dire dont il est joué par l'hypnotisé et interprété par l'hypnotiseur. La réalité, si elle ne se donne pas à voir immédiatement, n'en est pas moins présente, mais de manière latente.

C'est avec cette idée que Delbœuf va rentrer chez lui à Liège. Dès le 18 janvier 1886, il tente avec plus ou moins de bonheur de reproduire les formes psychologiques mises en évidence à la Salpêtrière. Il connaît d'abord des difficultés pour hypnotiser des sujets. Quant enfin il y parvient, il retrouve effectivement quelques-uns des phénomènes extraordinaires de la Salpêtrière. Même s'il n'obtient pas de passage à l'état cataleptique par ouverture des yeux, il obtient notamment le clignotement des paupières et le passage de la léthargie au somnambulisme à la suite de frottement sur le sommet de la tête (DELBŒUF, 1886, p. 151).

Un nouveau type d'hypnose

Le 22 février de la même année, Delbœuf observe par hasard deux sujets d'un autre magnétiseur. Ces sujets, une fois hypnotisés ou « pris » ne quittent pas des yeux leur magnétiseur. Si ce dernier essaye de ne plus les regarder, les hypnotisés entrent en fureur, se jettent sur lui avec violence et le rouent de coups de poings. Ces sujets ont le visage pétrifié, le regard fixe, des gestes brusques et violents. Ils sont exagérément démonstratifs (pleures, rires, danses, chants, coups...).

Ces sujets qui, une fois magnétisés, se ressemblent dans leur manière d'être, ont pour point commun d'être « passés par les mains de Donato » (DELBŒUF, 1886, p. 159). Donato était un magnétiseur se déplaçant de ville en ville, réalisant des spectacles publics payants. C'est une tradition ancienne que d'exhiber des somnambules sur scène (une tradition qui se maintient encore aujourd'hui sous la forme de spectacles d'hypnoses dans les discothèques, les cabarets et quelques émissions télévisées). Lorsque Donato arrive dans une nouvelle ville, il cherche des sujets pour son spectacle et organise des séances privées pour les choisir. Il en prend quelques-uns immédiatement et pour d'autres il lui faut quelques jours d'entraînement.

L'objectif de Donato était de produire du rire, de l'étonnement et même de la stupéfaction lors des séances publiques qu'il organise. Il choisit et oriente donc ses sujets dans ce sens et c'est sans doute pourquoi ils sont aussi démonstratifs2.

Et Delbœuf (1886, p. 160) s'étonne: « voilà donc, à coté de ceux de la Salpêtrière et de ceux de Nancy, une troisième catégorie d'hypnotisés dont les mœurs sont bien définies ».

L'hypothèse de Delbœuf

En fait, Delbœuf cessera vite de chercher les traces latentes et avancera l'hypothèse suivante:

sans doute il y a une action indéniable de l'hypnotiseur sur l'hypnotisé - tel maître, tel disciple. Mais les sujets eux-mêmes, le premier en date principalement, façonnent, si je puis ainsi parler, celui qui les manie, et lui commandent, à son insu, sa méthode et ses manœuvres. De sorte que, retournant le proverbe, on pourrait dire: tel disciple, tel maître. Cette action du premier disciple sur le maître se reporte alors, par son intermédiaire, sur les autres disciples qui adoptent ses allures, et ainsi se créent des écoles qui ont le monopole de phénomènes spéciaux. (DELBŒUF, 1886, p. 149)

Il suppose donc que si les sujets de la Salpêtrière et ceux de Nancy présentent des différences si remarquables, elles sont

venues à la suite d'un certain genre d'entraînement en partie voulu, en partie inconscient, en partie accidentel. Les opérateurs auraient (...) été inspirés par les premiers résultats obtenus et se seraient attachés à les obtenir dans la suite, les croyant essentiels et caractéristiques; les sujets, ainsi influencés et presque guidés, auraient, à leur tour, servi de modèles aux nouveaux-venus qui les voyaient ou en entendaient parler; il se serait, de cette manière, institué un enseignement latent appuyé sur des traditions différentes suivant les milieux, et ainsi auraient pris naissance ces espèces d'écoles aujourd'hui en conflit. (DELBŒUF, 1886, p. 160)

Études sur le rôle de l'exemple

Par la suite Delbœuf étudiera le rôle de l'apprentissage par l'exemple avec les hypnotisés. Il se rend compte que quand un hypnotisé produit tel ou tel phénomène, il est très facile de le diffuser à d'autres hypnotisés. Il suffit de le leur décrire, ou mieux encore de le leur montrer. Par exemple, il réussit à convertir des hypnotisés turbulents de Donato en hypnotisés calmes en leur montrant une jeune fille hypnotisée qui se tient tranquille.

L'âme de l'hypnotisé est « comme une tabula rasa, et les moindres impressions y font une marque nette profonde (...) tout ce qu'il va voir, tout ce qu'il va entendre, tout ce qu'il va sentir sera donc indubitablement la source d'hallucination et de suggestion ultérieures » (DELBŒUF, 1886, p. 170). Ainsi,

l'existence de plusieurs écoles d'hypnotisme n'a donc rien que de naturel et de facilement explicable. Elles doivent leur naissance à l'action réciproque des hypnotisés sur les hypnotiseurs. Seulement leur rivalité n'a aucune raison d'être: elles sont toutes dans le vrai. Jamais on ne pourra appliquer à meilleurs propos l'axiome éclectique que la vérité est relative aux temps et aux lieux. Nous pouvons ajouter: et aux personnes. (DELBŒUF, 1886, pp. 169-170)

Delbœuf ne recherche donc plus les principes latents des formes de l'hypnose au même endroit. Avant il cherchait le latent dans le psychophysiologique, maintenant, il le cherche dans le rapport patient-thérapeute et plus largement dans le fonctionnement du groupe, de l'école (Nancy, Salpêtrière ou Donato par exemple).

Charcot et sa méthode d'observation - ou méthode d'éducation

Quelques années plus tard, Janet (1895), l'élève de Charcot, rapportera des détails édifiants corroborant l'hypothèse de Delbœuf sur l'éducation des somnambules par Charcot.

Charcot croit en l'observation. Pour lui elle est première et centrale en médecine : « il faut apprendre à décomposer le type, à le morceler. Il faut en d'autres termes apprendre à reconnaître les cas imparfaits, frustes, rudimentaires: alors la maladie créée par la méthode des types apparaît sous un jour nouveau» (Charcot, Leçon du mardi, 2º édition, I, 196 cité par Janet 1895, p. 575).

Charcot fabrique son type idéal en observant un individu particulier et il le recherche ensuite sur tous les autres sujets. « Pour étudier une maladie, Charcot choisit parmi différents sujets atteints de cette affection un individu particulier qu'il présente et décrit de préférence à tous les autres. Sans doute les autres malades ne sont pas entièrement négligés, ils sont signalés à leur tour, mais au second plan, après le premier sujet qui reste le modèle, le type parfait de la maladie » (Janet, 1895, p. 575).

Comme le constate Janet (1895, p. 572) « il suffit d'avoir assisté à une consultation de Charcot pour avoir été frappé de la patience, de l'entêtement qu'il mettait à examiner le plus petit détail et à recommencer sans cesse cet examen ».

Cette observation patiente et sans cesse recommencée peut aussi être vue comme une éducation précise et minutieuse. Charcot, comme un instituteur, donne en exemple à l'ensemble des patients un bon sujet, celui qui montre un état qui lui semble idéal. Parmi l'ensemble des sujets, il en choisit un et c'est sur celui-ci qu'il se concentre, c'est à partir de lui qu'il décrit des symptômes et qu'il tire des lois.

Or, il y a un effet de contagion du modèle. Pour Janet (1889, p. 128) « cette éducation du somnambule par celui qui l'endort est le grand danger de ces expériences; elle nous expose à trouver que nos somnambules vérifient toujours nos propres idées ». Il y a tout d'abord l'inter-influence magnétiseur-somnambule: Janet (1889, p. 165), reprend les idées de Delbœuf « Tel magnétiseur, telle somnambule (...) montrez-moi une somnambule, et je saurai vite qui l'a endormie et quelles sont les opinions, les croyances scientifiques ou autres de son premier maître ». Mais l'influence va bien au-delà de cette interaction, des idées envahissent l'espace public, façonnent le sens commun qui, à son tour, produit ses effets:

les somnambules disent qu'ils dorment parce qu'on leur a dit qu'on les endormait et que, dans la pensée populaire, magnétiser veut dire dormir. Il est même mauvais de trop répéter cela au somnambule, car il finit par se croire obligé de dormir réellement et prend une expression abrutie qui n'est pas indispensable. (Janet, 1889, p. 167)

2.2 De la diffusion classique à la diffusion moderne

La manière dont Donato diffusait le somnambulisme était répandue et déjà ancienne, puisqu'en 1823 Bertrand dressait déjà un portrait similaire à celui que Delbœuf fera de Donato.

Quand un magnétiseur, en portant la découverte dans une ville où elle avait été inconnue jusque-là, montre un somnambule, il lui est facile de rendre zélés partisans de la découverte tous ceux à qui il le fait voir. Ces hommes, dans leur premier enthousiasme, magnétisent des malades qu'on ne manque jamais de présenter au somnambule, et qui sont toujours troublés par la vue du miracle qu'ils ont sous les yeux. Ils sont dès lors très propices à tomber dans le même état, et par là à augmenter le nombre de croyants. (Bertrand, 1823, pp. 425-426)

Si Bertrand décrit aussi bien ce type de conversion au somnambulisme c'est que justement cela lui est arrivé. Bertrand suivait depuis quelques semaines le traitement magnétique d'une jeune fille en simple spectateur. Le vingt et unième jour de traitement, alors que plusieurs personnes sont réunies pour assister aux séances habituelles, le magnétiseur est forcé de s'absenter. Voici ce que rapporte Bertrand (1826, p. VI):

Je pris moi-même sa place ; et je magnétisais la malade avec toute la force de volonté dont j'étais capable, curieux de voir si moi aussi je produirais quelque effet, et impatient de ce qui allait arriver. Je réussis au-delà de mes espérances ; la malade s'endormit en moins de temps encore qu'à l'ordinaire, et quand je lui adressai la parole, elle me répondit sans s'éveiller. J'avais fait une somnambule.

Après avoir observé le magnétiseur, il prend sa place, ses méthodes, ses manières, ses attentes et finit par obtenir le même résultat.

Les magnétiseurs font des émules. Ces émules, magnétiseurs comme magnétisés, prennent donc en même temps connaissance d'un phénomène et de la forme de ce phénomène. De plus, ils peuvent débuter leur carrière de somnambule ou de magnétiseur avec les matériaux déjà utilisés et donc formés par le magnétiseur qui les précède (CARROY, 1991, pp. 37-42).

Comme on l'a vu avec le magnétisme et l'hypnose, non seulement les malades imitent, mais les thérapeutes eux aussi contribuent à la diffusion de l'épidémie. Il en était de même pour la possession, puisqu'il semble que les crises de possession se déclaraient le long du chemin suivit par les exorcistes censés au contraire les éliminer. C'est aussi ce qui se passe aujourd'hui avec les cas de personnalités multiples (SAUVAGNAT, 1994). En effet, selon Kluft (1991), la majorité des patients ne présentent pas cette pathologie avant la thérapie. Par exemple, lors de la thérapie, les techniques d'entretien hypnotique utilisées pour diagnostiquer les troubles de personnalité multiple contribueraient à constituer l'existence de ces personnalités beaucoup plus qu'à les révéler. Comme le rapporte Spanos (1998, pp. 263-275), un thérapeute peut très bien suggérer à son patient qu'il regarde derrière son esprit pour voir si quelqu'un ou quelque chose ne s'y trouve pas. Si quelqu'un ou quelque chose s'y trouve, le patient doit alors, à la demande du thérapeute, les identifier, les nommer, les définir... Ainsi, au départ, il y aurait induction de la présence de quelqu'un ou quelque chose et par la suite, il y aurait toute une objectivation et réification de cette présence.

Mais ce rôle du thérapeute, de l'hypnotiseur, du magnétiseur, de l'exorciste ne se limite pas à son rapport au patient. Comme je vais le montrer avec les personnalités multiples, les médias ont eu un rôle majeur dans leur élaboration et leur diffusion récente aux États-Unis.

C'est en 1954, dans le Journal of Abnormal and Social Psychology, que Thigpen et Cleckley publièrent un cas de personnalité multiple qui allait être à l'origine du renouveau pour cette forme de pathologie. Le cas qu'ils rapportent est celui de leur patiente, Eve. Cette femme a développé trois personnalités différentes (Eve White, Eve Black et Jane) et ses thérapeutes ont décrit un traumatisme auquel ils ont attribué cette dissociation de la personnalité3. Du point de vue de son contenu, le traumatisme est articulé sur des événements auxquels elle aurait assisté: cadavre extrait d'un étang, blessures, mais aucun traumatisme du type abus sexuels n'est mentionné. Ce cas se situe dans la ligne des traumatismes classiques autrefois recherchés par les premiers théoriciens des personnalités multiples qui étaient en même temps les découvreurs de la méthode cathartique (BINET, 1892; JANET, 1889; cf. CHERTOK, 1960).

Cet article scientifique fut suivi d'un livre, The three faces of Eve (Thigpen et Cleckley, 1957) qui raconte, en la romançant, l'histoire de cette patiente. Ce livre, qui connut un beau succès, fut adapté au cinéma. Pour couronner le tout, la patiente elle-même publia son propre livre I'm Eve (Sizemore, 1977)!

Comme le rapportent Thigpen et Cleckley (1957, pp. 63-64), la diffusion du film eu pour conséquence immédiate de faire surgir une multitude d'individus se comparant ou s'identifiant à Eve. La présentation du cas d'Eve, qui fut donnée dans cette série de médiatisations de la personnalité multiple, contribua d'ailleurs à métamorphoser la pathologie: alors que beaucoup de cas classiques, à l'instar de Louis V (le patient de Bourru et Burot, 1888), étaient mentalement limités, apathiques..., les nouveaux cas sont au contraire, dynamiques, brillants, créatifs... (MULHERN, 1991). Peu de temps après le cas Eve, c'est le cas Sybil qui allait parachever la transformation de la pathologie et introduire les abus sexuels comme le déterminant prototypique de la dissociation. Ce cas fut étudié par une thérapeute qui essaya de le publier, mais aucune revue ne l'acceptant, elle se tourna vers une journaliste qui en fit un roman (SCHREIBER, 1973) et un film suivit. Aujourd'hui, il ne se passe pas une semaine sans que la télévision française ne diffuse un film ou téléfilm présentant un personnage à la personnalité dissociée.

 

3 Le système symbolique

Cette explication de la diffusion des personnalités multiples en termes d'éducation ou d'imitation apporte beaucoup d'éléments, elle révèle l'influence des écoles et leur frontière, elle saisit les variations historiques des formes psychologiques... mais elle reste insuffisante. Si parfois de nouvelles formes se répandent dans la société, souvent, il y a des phénomènes de résurgence, c'est-à-dire le rappel ou plutôt le réinvestissement d'un modèle déjà ancien, un modèle conservé par la société. C'est bien ce que montre les successions d'apparition-disparition des personnalités multiples dans le temps.

Il serait plus facile de rappeler une forme déjà typifiée, un rôle déjà joué et finalement institutionnalisé plutôt que d'inventer de nouveaux rôles ou de nouvelles typifications pour reprendre une idée de Berger et Luckmann (1996, pp. 101-111). Avec cette conception on passe de l'apprentissage social (SPANOS, 1998) ou de la confabulation (MULHERN, 1994), c'est-à-dire à l'élaboration d'un délire entre le patient et son thérapeute à une co-construction de la réalité. Cette construction sociale ne se limite pas à une reconstruction de la mémoire du patient (construction du souvenir d'abus sexuels par exemple), elle implique aussi une confabulation avec son thérapeute et elle peut entraîner l'extension de ce délire dans un environnement proche (procès contre les personnes accusées d'avoir provoqué le traumatisme...). Mais surtout, une fois objectivée par un langage, la forme nouvelle devient institutionnalisée, elle est transmise de génération en génération. « Le langage objective les expériences partagées et les rend disponibles à tous à l'intérieur de la communauté linguistique, devenant ainsi à la fois la base et l'instrument du stock collectif de connaissances » (BERGER et LUCKMANN, 1996, p. 96). Or dans le cas de la médecine (et plus généralement de la science), cette institutionnalisation est évidente: des médecins constatent une forme nouvelle, ils la décrivent scrupuleusement sous toutes les coutures, publient leurs observations, leurs réflexions... Tout cela est lu, commenté, critiqué, appris par les générations suivantes de thérapeutes. Il entre dans leurs fonctions de les connaître sinon ils ne seraient pas thérapeutes, mais mécaniciens ou ingénieurs. Cela fait partie des connaissances qu'ils doivent intérioriser pour exercer (par obligation ou coutume), comme c'est le cas pour toute profession.

En 1878, Lasègue (cité par LEMPERIERE et FELINE, 1977, p. 96) écrivait ceci quant à la définition de l'hystérie: elle « n'a jamais été donnée et ne le sera jamais. Les symptômes ne sont ni assez constants, ni assez conformes, ni assez égaux en durée et en intensité pour qu'un type même descriptif puisse les comprendre tous ». Et pourtant, en même temps, des scientifiques réputés, comme Charcot cristallisent des formes, ils prêtent la main à la typification, ils rendent objectivables, pensables et transmissibles des formes qui sans cela seraient sans doute très diversifiées, très dissemblables, peu reconnaissables et donc peu jouables pour les patients.4

En effet, même si la population, et notamment les futurs patients, n'ont pas l'obligation d'intérioriser ce stock social, ces typifications, ces rôles, ces modèles, il arrive qu'ils y accèdent. C'est le cas par la vulgarisation scientifique, mais c'est plus globalement le cas par l'ensemble des médias: films, romans, journaux...

D'un autre côté, il semble qu'il y ait également de bonnes formes à découvrir. À l'instar d'Euclide et de ses entiers ou de Kepler et de sa mélodie secrète, des spécialistes vont supposer l'existence d'un lien entre les personnalités multiples et les abus sexuels dans l'enfance. Comme le souligne Hacking (1998, p. 139), « À l'époque, on n'avait répertorié aucun cas de multiple enfant. Mais la chasse était ouverte. (...) la théorie a précédé l'observation ». Phénomène courant pour les recherches sur ce thème puisque comme le rappelle Carroy (1993, p. 51), il en fut de même à propos des abus sexuels supposés aux époques du magnétisme et de l'hypnose: « lorsque les savants reprennent ou pensent découvrir ce qu'ils nomment des "faits de viol magnétique ou de crime suggérés, ceux-ci viennent combler une "attente croyante" ou une "attention expectante, comme on disait à l'époque »5.

3.1 L'imagination

À la suite de quelques cas de possession retentissants (les possédées de Loudun par exemple) et de quelques procès en sorcellerie, l'impact de l'imagination fut très explicitement dénoncé (MALEBRANCHE, 1674, Livre deuxième, Chapitre dernier). Ainsi, en 1671, le Chancelier de l'Université de Paris soutenait ceci:

Nous voyons par expérience que dans les Provinces de France où on ne parle point de sorciers et où on s'en moque, il ne s'en trouve presque point. Ce qui fait voir qu'il y a des maladies d'imagination qui sont contagieuses aussi bien que [les maladies] du corps, que les plus ridicules sottises trouvent des esprits auxquels elles sont proportionnées, en un mot, que le meilleur moyen d'exterminer les sorciers est de les tourner en ridicule ou de les mépriser. (Cité par MANDROU, 1968, p. 455)

Mais le cas le plus intéressant, ce que l'on peut considérer comme la première étude scientifique sur l'impact de l'imagination fut ordonnée par le roi Louis XVI pour étudier les effets du magnétisme animal.

Depuis 1776, Frantz Anton Mesmer accomplit des miracles qui lui apporteront rapidement un succès extraordinaire mais qui lui vaudront les foudres de l'académie de médecine de Vienne. En 1778, Mesmer s'installe à Paris et poursuit les démarches qu'il avait entreprises à Vienne auprès des communautés scientifiques pour que des savants étudient ses méthodes et ses résultats. Mais les académies des sciences refusent de se pencher sur son magnétisme.

Néanmoins, ce qui n'intéresse pas les institutions scientifiques intéresse les individus. À nouveau, Mesmer connaît un succès extraordinaire et son cabinet médical ne désemplit pas. Il fait des émules et bientôt la France entière est parsemée d'élèves de Mesmer: c'est la grande mode du mesmérisme. On peut assister à des séances de magnétisation collective autour d'un baquet ou à d'autres parades extraordinaires au cours desquelles des individus se roulent à terre, d'autres tombent en catalepsie...

Si Mesmer est rejeté par les institutions scientifiques alors qu'il ne cesse de demander leur expertise, il est défendu par des intellectuels et des mondains de l'époque: par exemple, en 1784, une pièce de théâtre où l'on se moque du magnétisme est sifflée par les adeptes de Mesmer et l'auteur de la pièce est immédiatement renvoyé par la reine Marie-Antoinette (ZWEIG, 1931, p. 84). Devant l'explosion du mesmérisme, les institutions ne peuvent rester indifférentes. Le roi nomme une commission pour étudier le magnétisme animal.

La commission est composée de quelques célébrités : notamment Benjamin Franklin (inventeur du paratonnerre et un des pères de l'indépendance des USA), Bailly (astronome), Lavoisier (chimiste), Jussieu (botaniste), Guillotin (médecin inventeur de la guillotine. Instrument qui quelques années plus tard mettrait fin aux activités de quelques-uns de ses collègues de la commission)...

Deux questions orientent les travaux de cette commission :

1º) L'existence du magnétisme animal peut-elle être prouvée ?

2º) Peut-il être utilisé dans des cures ?

Dans ce siècle des lumières, la raison des scientifiques de renom qui composent cette commission les fait se poser ces deux questions en les hiérarchisant: c'est seulement si l'existence du magnétisme est prouvée qu'on se demandera s'il est utile. « La question de l'existence est la première: celle de l'utilité ne doit être traitée que lorsque l'autre aura été pleinement résolue. Le magnétisme animal peut exister sans être utile, mais il ne peut être utile s'il n'existe pas » (Rapport des commissaires, 1784, p. 8).

Ce rapport établit qu'il y a un effet de la cure magnétique: certains patients deviennent calmes, silencieux, d'autres sont dans un état extatique et d'autres encore ont des convulsions. Les commissaires (1784, p. 7) remarquent d'ailleurs la sensibilité des femmes et une sorte de contagion des effets: « dans le nombre de malades en crise, il y avait toujours beaucoup de femmes et peu d'hommes; que ces crises mettaient une ou deux heures à s'établir et que dès qu'il y en avait une d'établie, toutes les autres commençaient successivement et en peu de temps ».

Mais le problème de cette commission n'est pas là; elle a pour but d'établir d'abord l'existence d'un fluide magnétique, puisque c'est par son intermédiaire que les magnétiseurs pensent agir sur leurs patients, il faut donc établir l'existence de ce médiateur nécessaire entre magnétiseur et magnétisés.

Les commissaires vont donc expérimenter le magnétisme. Voici quelques-unes de leurs expériences (Rapport des commissaires, 1784, pp. 34-40).

Dans un champ, on magnétise un arbre et on laisse les autres non magnétisés (pratique courante à l'époque: les patients se plaçaient autour de l'arbre en faisant une ronde, c'est la version champêtre de la chaîne magnétique du baquet). On prend un patient sensible au magnétisme et on le promène dans le champ en étudiant son comportement (nervosité, survenue de douleurs...) et en guettant la survenue de la crise. Dans cette expérience, l'individu observé a une crise, il perd connaissance, ses membres sont raides et il faut l'intervention du magnétiseur pour qu'il retrouve son état normal. Hélas, il s'est « trompé » d'arbre. Vers l'arbre magnétisé, il ne ressentit quasiment rien, mais tandis qu'il se rapprochait d'un arbre non magnétisé, les effets augmentèrent.

Voici une seconde expérience. Parmi une douzaine de tasses, une seule est magnétisée. Puis, on les présente les unes après les autres à une patiente réputée sensible au magnétisme.

Cette expérience commence assez mal puisque la patiente à laquelle on voulait présenter les tasses commence à défaillir dans l'antichambre, avant même d'avoir rencontré les commissaires. On calme la crise, on l'amène dans la salle. Elle demande à boire et l'un des commissaires lui sert de l'eau dans la tasse magnétisée. Et là, rien ne se passe. Elle boit, c'est tout.

Après l'analyse des procédés magnétiques, le rapport sur le magnétisme animal de 1784 révélait, « la puissance de l'imagination et la nullité du magnétisme dans les effets produits » (Rapport des commissaires, 1784, p. 46) d'où cette conclusion célèbre: l'imagination sans le magnétisme produit des convulsions et le magnétisme sans l'imagination ne produit rien du tout.

Si le problème du magnétisme est ainsi réglé, il reste cependant un aspect que les commissaires du roi ont le tort de négliger. Comme le dit Deslon, le magnétiseur ayant participé aux expériences de la commission, « si monsieur Mesmer n'avait d'autre secret que celui de faire agir l'imagination efficacement pour la santé, n'en aurait-il pas toujours un bien merveilleux ? Car si la médecine d'imagination était la meilleure, pourquoi ne ferions-nous pas la médecine d'imagination ? » (Rapport des commissaires, 1784, p .56).

Un siècle plus tard, Charcot et son équipe reprenaient les aimants et observaient, à nouveau, des effets extraordinaires. Mais Charcot ne fut pas seulement dupé par l'imagination des hypnotisés, il analysa finalement le phénomène de « faith-healing », c'est-à-dire de guérison par la foi. Dans son article « la foi qui guérit » il rejoint la position de Deslon « le but essentiel de la médecine étant la guérison des malades sans distinction dans le procédé curatif à mettre en œuvre. Dans cet ordre d'idées, la faith-healing me paraît être l'idéal à atteindre, puisqu'elle opère souvent lorsque tous les autres remèdes ont échoué » (Charcot, 1893)6.

Pourquoi l'imagination a-t-elle un effet?

Levi-Strauss (1974, p. 226), étudiant les cures chamaniques, fait l'hypothèse que le rituel fournirait au malade et au groupe un mythe, c'est-à-dire « un langage dans lequel peuvent s'exprimer des états informulés, et autrement informulables ». La cure consisterait à rendre pensable la situation. Lacan prend une position similaire qui s'applique fort bien aux souvenirs élaborés lors de thérapies: « il ne s'agit pas dans l'anamnèse psychanalytique de réalité, mais de vérité, parce que c'est l'effet d'une parole pleine de réordonner les contingences passées en leur donnant le sens des nécessités à venir, telle que les constitue le peu de liberté par où le sujet les fait présentes » (LACAN, 1966, p. 254). On rejoint ici le rôle que Berger et Luckman (1996, p. 58) attribuent au langage: il est assez « étendu pour me permettre d'objectiver un grand nombre d'expériences rencontrées au cours de ma vie. Il typifie également ces expériences, me permettant de les ranger à l'intérieur de catégories élargies qui leur donnent un sens, à mes yeux comme à ceux de mes semblables ».

3.2 Hypothèse sur l'invention des cas: Entre le cas naturel et le cas institué

Mais Lacan (1966, p. 254) précise que

l'ambiguïté de la révélation hystérique du passé ne tient pas tant à la vacillation de son contenu entre l'imaginaire et le réel, car il se situe dans l'un et dans l'autre. Ce n'est pas non plus qu'elle soit mensongère. C'est qu'elle nous présente la naissance de la vérité dans la parole, et que par là nous nous heurtons à la réalité de ce qui n'est ni vrai, ni faux.

Ainsi, le souvenir d'un événement traumatique, ne serait ni imaginaire, ni réel, ni vrai, ni faux, il serait entre les deux, en cours de fabrication grâce à la puissance du verbe.

C'est une idée centrale du pragmatisme de James. James (1911, p. 159) s'oppose au rationalisme pour lequel la réalité serait là « toute faite et achevée ». Pour lui, la réalité se construit, mais ce qui est intéressant, c'est qu'elle se construit en deux temps:

la vérité d'une idée n'est pas une propriété qui se trouverait lui être inhérente et qui resterait inactive. La vérité est un événement qui se produit pour une idée. Celle-ci devient vraie; elle est rendue vraie par certains faits. Elle acquiert sa vérité par un travail qu'elle effectue, par le travail qui consiste à se vérifier elle-même, qui a pour but et pour résultats sa vérification. Et, de même, elle acquiert sa validité en effectuant le travail ayant pour but et pour résultat sa validation. (1911, p. 144)

Comment ne pas voir dans cette thèse le cas de l'élaboration des souvenirs traumatiques. Évidemment il s'agit d'une métaphore, mais elle est si parlante: le travail du patient et de son thérapeute ne consisterait-il pas à fabriquer une idée (un souvenir dans ce cas) et à la valider? Mais surtout, cette thèse de James va bien au-delà d'une explication de l'efficacité curative de cette construction de vérité pour le patient. Elle permet de comprendre pourquoi une forme de pathologie se répand dans la société. Le passage d'un cas rare ou d'un cas épars à une «épidémie» n'est pas simplement une affaire de quantité, il y a entre les deux un changement de statut. Le cas rare est, au départ, un état de nature, son existence prouve simplement sa possibilité dans un contexte particulier. Mais cette possibilité n'est pas une vérité ou une réalité; pour passer de la possibilité ou de l'existence rare à la réalité, à la vérité, le cas a besoin d'être validé, vérifié. C'est ce qui se produit lorsqu'un thérapeute va analyser un phénomène et convenir des tenants et des aboutissants de ce phénomène avec son patient (par la parole lors d'une cure psychanalytique ou par le jeu de rôle avec Charcot ou Mesmer).

Les formes rares sont aussi rares qu'elles sont diverses, il y a sans cesse des multitudes de formes étranges, invisibles, impensables. Elles sont, pour reprendre une autre idée de James (1911, p. 145), en réserve, surnuméraires. Beaucoup existent en réalité (dans une réalité qui nous reste quasiment inaccessible) mais discrètement, comme le sont chacun des malades de la Salpêtrière avant que Charcot ne vienne sélectionner le type idéal et son cortège de symptômes puis qu'il les « apprenne » à tout son échantillon de malades, à tous ses collègues, à tous ses étudiants et à ce public qui assiste à ses leçons-spectacles. Dans cette réserve de formes, que l'une de ces formes surnuméraires devienne pratiquement applicable à l'un de nos besoins actuels: elle quitte son magasin de dépôt, sa glacière, pour opérer dans le monde réel; et la foi qu'elle nous inspire devient une foi agissante.7

La théorie de James est celle de la construction de la réalité, mais une réalité en train de se faire, en train de se réaliser, de se vérifier (LAPOUJADE, 1997, pp. 55-56)8. Elle explique la transformation ou plutôt la réalisation du premier cas, son établissement dans la réalité et cela au niveau de la société et pas seulement pour des problèmes de psychopathologie dans les univers clos des cabinets de thérapeutes.

Pour Lacan, cette phase est celle de la verbalisation, une verbalisation qui est plus qu'un « flatus vocis » (Lacan, 1966, p. 253) puisqu'elle est une transformation de contingences en nécessités. Chez James (1911, p. 148) le processus d'invention ou de création de réalités ne se limite pas à la parole, il se fonde simplement sur la vérification, une vérification qui parfois est faîte par quelques-uns et qui sert à tous. Par exemple, « quoi que n'ayant jamais vu le japon, nous admettons tous qu'il existe, parce que cela nous réussit d'y croire, tout ce que nous savons se mettant d'accord avec cette croyance » (JAMES, 1911, p. 147).

3.3 La vérification du cas imaginaire

Le cas de l'existence du Japon a quelque chose de rassurant: il est tellement évident, pour nous, que le Japon existe. Pourtant, comme on le voit dans le cas de l'épidémie de personnalités multiples et de souvenirs de rituels sataniques il semble bien qu'il n'y ait rien d'autre que de l'imagination. La police a longuement recherché des traces de rituels sataniques, sans jamais en trouver aucune (MULHERN, 1994). Ainsi, l'imagination des patients et de leur thérapeute devrait se trouver démentie. Tel n'est cependant pas le cas.

La vérité vit à crédit disait James (1911, p. 148). La vérité des souvenirs de ces patients dure donc le temps de la vérification, ensuite, elle s'effondre. Il n'est cependant pas certain que le scénario soit aussi simple que cela: à partir du moment où ces souvenirs sont formulés, ils acquièrent le statut de vérité, même à crédit, et ils ont des effets. Ne peut-on pas envisager que des individus se mettent à réaliser des rituels sataniques en suivant les descriptions de ces souvenirs imaginés et rendus publics par les médias? Ce faisant, ils rendraient valides ces allégations, ils en fourniraient une vérification.

Castoriadis (1975, p. 180) donne un bel exemple des conséquences innombrables et bien réelles qui peuvent découler de l'imaginaire: au départ, il y a l'idée selon laquelle Dieu crée le monde en six jours et sanctifie le septième jour pendant lequel il se repose de toute son œuvre. À partir de cette simple assertion, il s'en suit que le septième jour devient un jour de repos et d'adoration où des croyants se réunissaient pour prier, partager la nourriture... Ceci a pour conséquence assez directe une loi sur le repos du dimanche (en 321 par Constantin), et, à l'occasion, la lapidation de quelques travailleurs du dimanche. Mais il y a aussi toute une multitude de conséquences incroyables: l'ennui mortel des dimanches ou encore le taux de coït rythmé sur 7 jours dans les sociétés chrétiennes...

Ainsi, l'imaginaire peut se « matérialiser » et « agir » pour reprendre deux caractéristiques que Durkheim applique au fait social (1897, p. 354). L'imaginaire est tout à fait capable de produire des choses et parmi ces choses, il peut notamment parfois produire son cadre de validité. Dans une certaine mesure évidemment. Pour Castoriadis (1975, p. 314, 321), la nature fournirait une première strate, une strate contenant des points d'appuis, des incitations, des obstacles, des impossibilités... sur lesquels s'étaye la société. Mais, cette strate naturelle ne serait pas reprise en l'état, elle serait transformée, parfois ignorée, parfois contrée, parfois utilisée ...

Enfin, notons que les sciences exactes aussi se constituent parfois (souvent?) un cadre institutionnel dont l'objectif est moins la quête de vérités à travers une validation scientifique qu'une construction de vérités à travers l'objectivation d'une pensée ou d'une théorie grâce à des expériences imaginaires. Koyré (1937) nous donne l'exemple de la fameuse expérience de Pise (expérience de Galilée sur la chute des corps). Cette expérience est considérée par beaucoup comme un tournant pour la science, puisque comme le rappellent quelques historiens ou scientifiques (cf. KOYRE, 1937), elle marqua la fin de la domination de la philosophie aristotélicienne et l'instauration de la science expérimentale; la nature allait enfin décider du sort des théories. Cette expérience qui témoigne de l'avènement de l'expérimentation en tant que décideur des vérités scientifiques contre le dogme, l'autorité, la philosophie est la suivante: Galilée posa publiquement le problème scientifique de chute des corps qui opposait sa conception à celle d'Aristote. Du haut de la tour de Pise, il rappela les deux conceptions opposées et en tira les deux hypothèses contradictoires. Soit lorsqu'il lâcherait simultanément deux corps, un grave (lourd) et un aigu (léger) ils toucheraient le sol en même temps et, dans ce cas, sa théorie était valable puisqu'il soutenait que la vitesse de chute n'a rien à faire avec la masse. Soit le corps grave tombant plus vite Aristote aurait raison. Ensuite, il lâcha les deux corps qui touchèrent le sol simultanément, déclenchant par là la stupéfaction des tenants majoritaires de la philosophie d'Aristote, les obligeant à renoncer à cette illusion de la chute des corps pour tenir compte d'une réalité de la chute des corps.

Le plus intéressant pour mon propos, c'est que cette expérience n'a jamais eu lieu, elle est une expérience imaginée qui a d'un point de vue rhétorique une si belle valeur qu'elle a finit par exister dans l'imaginaire des scientifiques et qu'elle objective, avec d'autres expériences, un mythe fondateur de la science. Mais le plus amusant, est que si on réalisait cette expérience, elle donnerait raison à Aristote à cause de la résistance de l'air. Il apparaît donc que la science fabrique sa légende en objectivant son imaginaire dans les faits puisque c'est eux qu'elle a voulu placer au centre.

Charcot fabrique sans doute ses cas ; il éduque ses patients. D'après les descriptions qui sont données de ses cours de la Salpêtrière, il ressemble à une sorte de magicien, de montreur d'hystériques. Mais ça marche, il produit ce qu'il dit. Les sciences exactes aussi produisent souvent des résultats trop conformes pour avoir été obtenus spontanément (cf. par exemple les expériences de Mendel sur les pois ou les facteurs correctifs de Newton). Et, ces résultats valident ou vérifient une théorie. L'expérience imaginaire a le mérite de sa simplicité de conception et de son efficacité rhétorique. Les expériences réelles sont très difficiles à faire: appareillage complexe, imprécision des mesures, intervention de multiples facteurs... Comment établir une surface totalement plane? Comment produire un vide parfait?... et donc leurs résultats sont bien trop sujets à caution pour s'en remettre à eux (KOYRE, 1960). Le scientifique sérieux recommencera l'expérience, et recommencera encore. Alors un jour peut-être il obtiendra le résultat voulu et si ce résultat a une bonne forme (en lui-même et au regard de son contexte) il sera consacré par l'institution. À côté de ce long et pénible travail d'expérimentation qui comporte un certain degré d'imprécision et qui produit donc des résultats incertains, il y a l'imagination : elle « supprime l'écart. Elle ne s'embarrasse pas des limitations que nous impose le réel. Elle « réalise » l'idéal, et même l'impossible. Elle opère avec des objets théoriquement parfaits, et ce sont ces objets-là que l'expérience imaginaire met en jeu » (KOYRE, 1960) et que l'expérience réelle affirme manipuler.

 

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1 L'inscription et la formation des divers états de l'hystérie dans la culture illustre la position soutenue par Bernheim dans son débat avec Charcot. Au contraire, Charcot recherchait et supposait l'existence d'un état naturel, de symptômes indépendants de la culture, de lois d'ordre physiologique (CASTEL, 1998).
2 Donato avait déjà joué un rôle dans l'histoire du magnétisme. En montrant à un large public les phénomènes bien connus des anciens magnétiseurs, il perpétuait la production de faits classiques du magnétisme. D'ailleurs, Brémaud, un des disciples de Charcot redécouvrit, grâce à Donato, le phénomène de fascination (le patient est « pris » par l'hypnotiseur sans qu'il soit endormi au préalable). Nombre de phénomènes classiques des anciens magnétiseurs et mis en scène par Donato ont été repris par les hypnotiseurs et il semble qu'ils se les soient attribués (MEHEUST, 1999, p. 501). C'est notamment pour ce genre de participations au magnétisme que Delbœuf soutiendra Donato contre ceux qui souhaitaient interdire ou limiter l'exercice du magnétisme. (DUYCKAERTS, 1992, pp. 28-31).
3 En plus de la description de ces trois personnalités par Thigpen et Cleckley, on trouvera celle d'Osgood et Luria (1954) fondée sur l'utilisation du différenciateur sémantique utilisé ici comme instrument clinique.
4 En ce qui concerne les somnambules et les hypnotisés (la matière observée par Charcot) Janet (1889, pp. 162-163) propose une définition assez semblable à celle qu'en donne Lasègue : l'état somnambulique ne présente pas de caractères qui lui soient propres, il n'a que des caractères relatifs. Les somnambules peuvent prendre tous les caractères psychologiques possibles, pourvu qu'ils soient différents de ceux de leur état normal.
5 Ce concept d'attention expectante fut proposé pour rendre compte de manière critique (en les attribuant à la suggestion) des séries de faits obtenus par Charcot. C'est « la concentration du sujet sur la réponse attendue de lui » qui modifie son état et produit le résultat attendu (CASTEL, 1998, p. 25). Dans la thématique de l'objet perdu (Freud, 1968, p. 148), on retrouve cette capacité du sujet à maintenir l'objet perdu contre la réalité, le désir du sujet permet l'existence de l'objet même si ce dernier n'est plus (c'est le cas du deuil par exemple). Dans ce cas, la réalité existe et elle est seulement détournée par une psychose hallucinatoire du désir. À l'inverse, dans les cas qui nous occupent ici, la réalité ne préexiste pas, elle est en cours d'élaboration. Il s'agit donc bien d'une attente croyante, d'une recherche active, mais il ne s'agit pas d'une hallucination contre la réalité.
6 Aujourd'hui, le vocabulaire a quelque peu changé et on relate plus souvent l'effet placebo que celui de la foi. L'effet placebo n'a pas l'aura de la foi, il passe pour un effet parasite, mais néanmoins il existe, il est reconnu et intégré par les institutions médicales (on teste contre placebo et non pas contre rien). « Il n'intervient dans le savoir médical que de manière négative, comme effet parasite qu'il ne faut pas confondre avec l'effet "réel" recherché (...) comme s'il s'agissait d'une manière "mauvaise", "irrationnelle" de guérir » (CHERTOK et STENGERS, 1999, p. 49; voir aussi STENGERS, 1999).
7 Ceci est la transformation d'une phrase de James. La phrase exacte est la suivante : « Que l'une de ces vérités surnuméraires devienne pratiquement applicable à l'un de nos besoins actuels : elle quitte son magasin de dépôt, sa glacière, pour opérer dans le monde réel ; et la foi qu'il nous inspire devient une foi agissante. » La seule différence c'est que j'ai remplacé « vérité » par « forme ».
8 On lira avec plaisir la nouvelle Tlön, Uqbar, Orbis Tertius de Jorge Luis Borges qui propose une approche surréaliste et onirique du pragmatisme extrapolé sans limites. Outre l'influence de l'idée sur la réalité, thématique centrale de cette fiction, on notera l'importance que les philosophes de Tlön, ce pays imaginaire, accordent au langage. À travers leur analyse des verbes perdre et trouver, verbes qui, selon ces philosophes idéalistes et anti-matérialistes, comportent une pétition de principe, parce qu'ils présupposent l'identité de l'objet perdu et de l'objet trouvé (BORGES, 1957, p. 460), on a l'impression de lire Lévi-Strauss critiquant la théorie de Mauss sur le don. Qu'il n'y ait qu'un seul mot chez les Papous et les Mélanésiens, pour désigner l'achat et la vente, le prêt et l'emprunt constitue pour Lévi-Strauss (1950, p. XL) la preuve qu'il n'y a qu'une réalité (l'échange): la vente et l'achat ne sont que deux modes de cette réalité.

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