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Natureza humana

versão impressa ISSN 1517-2430

Nat. hum. v.10 n.2 São Paulo dez. 2008

 

ARTIGOS

 

De l'hésitation dans la clinique winnicotienne

 

Hesitation in winnicottian clinical practice

 

 

Béatrice Dessain

Universidade de Liège E-mail: beatrice.dessain@belgacom.net

 

 


RESUMÉ

Winnicott aborde ce thème de l'hésitation avec beaucoup de finesse. C'est là un choix, un choix congurent avec sa propre pratique et avec l'éthique générale de la psychanalyse. Pour Winnicott, l'hésitation semble bien la voie qui mène à l'utilisation de l'objet et, partant, à se positionner comme sujet. Mais qu'en est -il aujourd'hui, de ce temps de suspens? L'hésitation est un vocable si peu actuel dans notre clinique que l'on peut  presqu'avancer que son absence généralisée signe une figure du malaise de la civilisation.  Dans une perspective très clinique, je propose de  concevoir le temps d'hésitation comme un  "temps potentiel" lors duquel un dialogue intrapsychique ouvre au désir et, partant, à la culture.

Mots clés: Hésitation, Objection, Subjectivation, Résistance, Indécidabilité, Civilisation.


ABSTRACT

Winnicott deals with the theme of hesitation with considerable delicacy. This reflects a choice, a choice that is congruent with his own practice and with the general ethic of psychoanalysis. For Winnicott, hesitation appears in the road that leads to the utilization of the object and, as such, that of the position as subject. But where is this time of suspension today? Hesitation is a vocabulary that is so rare today that we can almost anticipate that its generalized absence marks an aspect of civilization and its discontents. In a highly clinical perspective, I propose to conceive of the time of hesitation as a "potential time" during which an intrapsychic dialogue propitiates desire, and, as such, culture.

Keywords: Hesitation, Objection, Subjectivation, Resistance, Indecidability, Civilization.


RESUMO

Winnicott aborda o tema da hesitação com muita delicadeza. Trata-se de uma escolha, uma escolha congruente com sua própria prática e com a ética geral da psicanálise. Para Winnicott, a hesitação parece bem o caminho que leva à utilização do objeto e, portanto, o de se posicionar como sujeito. Mas onde está hoje esse tempo de suspensão? A hesitação é um vocábulo tão pouco atual em nossa clínica que quase podemos antecipar que sua ausência generalizada marca um aspecto de mal-estar da civilização. Em uma perspectiva muito clínica, proponho conceber o tempo de hesitação como um "tempo potencial" durante o qual um diálogo intrapsíquico propicia o desejo e, portanto, a cultura.

Palavras-chave: Hesitação, Objetificação, Subjetivação, Resistência, Indecibilidade, Civilização.


 

 

L'hésitation, voilà bien un vocable qui, dans la clinique contemporaine - en particulier dans la clinique des enfants apparaît comme peu actuel. Ceux qui reçoivent des enfants le savent bien car ce dont se plaignent aujourd'hui les parents et les enseignants, c'est plutôt de l'agitation du bambin. "Il ne tient pas en place" donne à entendre une excitation débridée, une sur - agitation, plutôt à l'antipode de l'hésitation. Excitation pulsionnelle qui se manifeste partout: en rue ou dans les magasins, et jusque dans votre salle d'attente. La distinction des lieux: privés ou publics ne semblant plus faire barrage, ne fait plus limite au débordement. Ce qui relève du: "c'est plus fort que moi" surgit partout, n'importe où et n'importe quand, avec parfois, de la part des parents ou des éducateurs une tentative désespérée, allant du coté du déni. "Il est à l'aise partout il n'en fera qu'à sa tête" Voilà des expressions qui font parfois penser à un essai pathétique de mettre l'incivisme, voire la violence, au crédit d'une prétendue liberté...

De nos jours, l'hésitation comme temps de retenue n'a plus guère la cote. Dans notre monde du tout tout de suite, l'hésitation n'est pas vraiment de mode.Et dans le panorama de la clinique contemporaine, le terme "hésitation" semble désigner un concept plutôt obsolète ou inactuel.

Alors ... pourquoi - tout de même - en parler et pourquoi le faire - somme toute - sans trop hésiter?...

Je répondrai à cette question de la pertinence du propos dans mon introduction.

Ensuite, j'aborderais ce que Winnicott dit de l'hésitation.

La structure de mon exposé qui a pour titre "de l'hésitation dans la clinique de Winicott" s'attachera donc dans un premier temps au quod, au fait même: au fait que Winnicott traite de l'hésitation: ce fait n'est pas anodin, quel est donc son sens, sa portée?

Ensuite, après avoir envisagé le quod, j'aborderai le quid de l'hésitation chez Winnicott: que dit Winnicott de l'hésitation?

Certes, Winnicott consacre à l'hésitation une place particulière dans sa clinique mais le terme lui-même d' "hésitation" n'est pas à proprement parler fréquent sous sa plume, c'est donc plutôt la finesse avec laquelle il l' aborde qui méritera d'être relevée.

1. Dans cette introduction, il s'agira donc de montrer l'intérêt même du sujet, c'est -à- dire l'intérêt du fait de traiter de l'hésitation quand personne, ou presque personne, n'en parle...

Je propose de considérer la sensibilité que Winnicott déploie à l'endroit de l'hésitation comme relevant d'un choix. Et notamment comme un choix congruent avec ses développements les plus populaires autour de l'objet transitionnel et autour du squiggle. Qu'il s'agisse de doudous ou de gribouillis voire d'hésitation, à chaque fois, le mérite de Winnicott est de dénicher sous l'apparente insignifiance des objets, et de leur approche, quelque chose d'essentiel, et pour le dire au plus simple, de trouver là quelque chose qui nous humanise. Soulignons le, ce qui retient l'attention de l'auteur procède d'une démarche proprement analytique. Il s'agit en effet de s'intéresser aux détails, à des manifestations ténues, à des presque riens qui n'ont d'ailleurs pour signifiants que ces termes propres au langage enfantin: c'est le cas des "doudous" et des gribouillis (squiggles). A l'instar de Freud qui prêtait attention aux trébuchements du langage et aux ratés de l'acte, Winnicott considère les prémisses de l'acte, quasi le degré zéro du geste.

Il y a là un choix, je voudrais en souligner la pertinence éthique. En effet, il peut être tentant de ne pas s'attarder à l'hésitation ou même de passer outre ce moment durant lequel le sujet manifeste si peu de choses, si ce n'est précisément qu'il hésite devant la manifestation même de quelle que conduite que ce soit. Là où le psychologue comportementaliste conviendrait aisément qu' il n'y a pratiquement rien à voir, rien à entendre et donc rien à dire, Winnicott au contraire, s'interroge. C'est là prendre parti: parti de considérer ce qui se tient dans la marge de l'acte, dans l'en-deça du geste et de l'appropriation. Aborder l'hésitation, c'est considérer la valeur potentielle de ce qui, sans cette infinie attention à l'autre, risquerait de n'être ni retenu, ni noté, ni peut être même remarqué.

A ce titre, l'hésitation est objection - et même doublement.

Envisageons tour à tour l'hésitation vue du côté du sujet et, ensuite, l'hésitation du côté d'un observateur extérieur.

- Premier point de vue: l'hésitation vue du côté du sujet: à quoi au fond l'hésitation fait - elle objection?

Réponse: Du côté du sujet, l'hésitation fait objection au comportement qu'elle précède. On pourrait presque dire que l'hésitation est par rapport au film de la vie comme un arrêt sur image et par rapport au geste, son suspens. Cette approche de l'hésitation se répercute quant au second point de vue.

- Du côté de l'observateur, à quoi l'hésitation fait-elle objection?

- Du coté de l'observateur, on pourrait dire que durant l'hésitation, le comportement "brille par son absence". Dès lors l'hésitation fait objection à toute approche purement comportementaliste. Et, à l'occasion, par exemple, l'hésitation mettra en échec une situation de testing ... psychologique ou autre.

De cela, ressort que la valeur même de l'hésitation se tient dans ce moment où se révèle la distinction entre la conduite et le sujet . En d'autres termes, l'hésitation donne à penser que l'homme n'est pas réductible à son comportement. Il est évident qu'assumer un tel propos n'est pas essentiellement une affaire de méthode mais relève d'une position philosophique, et soyons claire, d'une position éthique.

Si la sagesse populaire voit communément dans l'hésitation "un temps de réflexion"; n'appartient -il pas aux philosophes et aux analystes de s'autoriser à envisager ce qu'est l'hésitation, soit à réfléchir à ce temps de réflexion. C'est là une tâche qui interpelle quiconque prend encore au sérieux la question du sujet. Effectivement, l'hésitation n'est pas seulement objection elle est aussi temps de subjectivation. A cet égard, on peut se réjouir du regard extrêmement attentif que Winnicott réserva à l'endroit de l'hésitation. Aussi, je vais aborder sous cet angle la clinique de celui qui nous rassemble ici et entrer plus avant dans le vif du sujet.

2. Dans l'oeuvre de Winnicott, il semble qu'on puisse considérer, autour des années 1940, un tournant important, comme si se dégageait là, un avant et un après.

Avant 1940, la bibliographie winnicottienne comporte en majorité des articles "médicaux" traitant de différents troubles psychosomatiques de l'enfance. Une rapide étude de contenu révèle déjà l'intérêt pour l'auteur de ce qui, dans ou par le corps, s'établit à la limite ou comme limite. Il en est ainsi des communications au sujet des troubles de la peau, de l'énurésie, de la pathologie de l'endormissement ou des convulsions. Ces dernières sont apparentées selon l'auteur aux symptômes de conversion hystérique ou rapprochées des tentatives de suicide.

En 1941, après environ vingt années d'observation minutieuse des jeunes enfants de son service du Paddington Green Children' Hospital, Winnicott publie un article que l'on peut tenir comme "la préhistoire" de l'étude des phénomènes transitionnels qui assurera par la suite sa renommée.

Evoquons brièvement le cadre de l'observation relatée par l'auteur: le bébé est tenu sur les genoux de sa mère, en face de Winnicott. Entre eux, il y a le coin de la table sur laquelle brille une spatule, en fait, c'est un abaisse-langue, facilement accessible à l'enfant. Des centaines de descriptions comportementales ont permis à l'auteur de dégager ce qu'il appelle "une séquence normale des événements" par rapport à laquelle tout ce qui diverge sera tenu pour significatif. Le déroulement classique comporte trois stades que nous résumons ainsi:

Premier stade: L'enfant porte la main à la spatule mais découvre tout à coup que la situation mérite réflexion. Son corps est calme, immobile, sans rigidité, il semble embarrassé, il guette, il attend. C'est la période d'hésitation.

Deuxième stade: Il y a retour progressif et spontané de l'intérêt pour la spatule. Dès que l'enfant accepte la réalité de son désir, un changement se manifeste à l'intérieur de la bouche et la salive devient abondante, l'enfant porte l'objet en bouche, le mord; l'attente s'est muée en manipulation confiante de l'objet. Nous dirions, qu'il l'utilise pas seulement de manière fantasmatique mais aussi dans la réalité extérieure, qu'il y a jeu.

Troisième stade: le bébé lâche, fortuitement, semble -t-il la spatule, puis on la lui rend et l'effet obtenu est reproduit, il la fait tomber volontairement et paraît éprouver un grand contentement à s'en débarrasser.

C'est au premier temps de cette observation, à celui de l'hésitation que je voudrais m'attarder.

En effet, par rapport à la "séquence type" dégagée ci-dessus, Winnicott note que les écarts principaux et les plus intéressants se situent dans la période d'hésitation: soit que celle-ci n'ait pas lieu, soit qu'elle s'accompagne de manifestations de détresse, voire de crises d'asthme ou qu'elle soit simplement prolongée. Dans ce dernier cas, Winnicott considérera qu'apparemment, l'enfant prend beaucoup de temps soit pour se rendre compte de l'intérêt qu'il porte à la spatule, soit pour trouver le courage de manifester cet intérêt.

Arrêtons nous sur cette distinction qui s'avère fine et pertinente: il se peut que nous prenions beaucoup de temps dans la vie à nous rendre compte de l'attrait qu'une personne exerce sur nous et une fois que nous avons consenti à voir en lui un objet digne d'amour, nous pouvons encore prendre un certain temps à le lui déclarer.

Une chose est de tomber amoureux, une autre de le déclarer. De manière analogue, le bébé peut prendre du temps à considérer que la cuillère est une chose intéressante. Mais une fois admis le caractère éminemment attirant de cet objet, le bébé peut ne pas trouver immédiatement le courage de manifester son envie de s'en emparer.

En bref, une chose est de connaître son désir, ou plutôt de connaître l'objet à partir duquel il se révèle, une autre encore est de rameuter les forces d'en assumer l' expression.

Cliniquement, les perturbations observées peuvent toucher l'un ou l'autre aspect de l'hésitation sans qu'il ne soit d'ailleurs possible pour un observateur extérieur de discerner dans ce temps d'arrêt, de suspens ce qui est à mettre sur le compte de l'avènement du désir et ce qui ressort d'une mise en branle des ressources personnelles capables d'en assumer l'expression.

Cela dit, en dehors même des cas où le temps d'hésitation semble très perturbée ou anormalement prolongé, Winnicott convient qu'une hésitation "normale" s'insère entre la perception de l'objet et le temps de son utilisation franche.

On le voit, notamment par le biais des écarts que manifeste la pathologie pédiatrique, ce premier temps d'hésitation, même "normale" se révèle complexe. D'une part, il permet au désir de l'enfant de trouver - d'ailleurs, toujours provisoirement un objet d'investissement extérieur à lui mais il permet aussi au bébé de trouver la bravoure de manifester l' intérêt qu'il éprouve pour cet objet. Cette phase d'hésitation peut se définir comme un moment de suspens, une attente qui rend possible la reconnaissance par le sujet du caractère attractif de l'objet et, du coté du sujet lui-même, l' acceptation franche du désir de s'en approprier.

Si comme l'exprime élégamment Francis Pire: "le comportement observable peut n'être que l'écume des choses" que dire alors de cette phase d' hésitation qui n'est pas nécessairement inhibition mais temps d'avènement du désir. On se souviendra, par exemple, que dans ses propos sur La vie heureuse, Sénèque disait déjà: (VIII. 5-IX 2) l'hésitation est une indication d'instabilité et de conflit. Mais ce qui est instable peut être prometteur d'une nouvelle stabilité, comme du morcellement peut naître l'unité, et du conflit, le désir... Dès lors, il n'est pas étonnant que Winnicott ait pu avec confiance et succès considérer ce temps d'hésitation.

Dans la discussion théorique du cas de Margaret, un cas de guérison "spontanée" d'une petite fille asthmatique, Winnicott affirme d'emblée que quoique normale, "l'hésitation est un signe indéniable d'angoisse". Et il pose d'emblée qu'on ne peut comprendre ce moment sans postuler l'existence dans l'esprit de l'enfant de fantasmes. Winnicott se réfère ici aux propositions freudiennes développées dans Symptôme, Inhibition, angoisse en 1926. Winnicott distingue donc dans l'abord de l'angoisse deux questions. D'une part, il y a l'angoisse proprement dite: que se passe t-il dans le corps et dans l'esprit de l'enfant lors d'un état d'angoisse? et d'autre part, à propos de quoi, y a t-il angoisse?

Il y a donc donne deux choses différentes à discuter mais je me limiterai surtout à envisager la première: qu'en est-il de l'angoisse. A ce propos Winnicott rappelle l'idée freudienne suivant laquelle un danger extérieur n'est véritablement significatif pour le moi que si il a été introjecté comme tel. L'hésitation atteste cette introjection: si l'enfant hésite, c'est bien qu'intérieurement il éprouve déjà la possibilité pour lui, que les choses se passent mal. Comme précise Winnicott, l'hésitation est une manifestation du sur-moi.: l'enfant s'attend, à faire apparaître une mère en colère ou vindicative si il s'adonne a son plaisir. Bien sûr, ce qui compte ici, ce n'est pas l'attitude réelle de la mère mais l'accès pour l'enfant à un souvenir d'une figure de sévérité et que cette figure de sévérité soit incarnée par celle de la mère ou non n'est pas essentiel.

Tout se passe comme si l'enfant possédait l'idée d'un mal potentiel, d'une menace qu'il peut projeter dans la situation nouvelle. D'un point de vue éthique, comme d'un point de vue épistémique, cette notion de mal potentiel n'est évidemment pas sans intérêt. Les fantasmes de l'enfant se rapportent non seulement à l'environnement extérieur mais aussi aux interrelations des personnes absorbées en lui sur un mode fantasmatique. Tout ceci constitue sa réalité intérieure.

Confronté à la situation décrite ci-avant, face à la spatule, face à un objet qu'il lui appartient de considérer comme attrayant et sur lequel il lui revient de jeter - ou non - son dévolu l'enfant instaure un temps d'hésitation, temps durant lequel il se permet d'évaluer, d'instaurer et de mettre à l'épreuve, une plate - forme d'échanges entre la réalité intérieure et la réalité extérieure. C'est cette capacité naissante de supporter l'émergence et le développement d'un conflit mental jusqu'à sa résolution qua captée avec tant de finesse celui qui, parlant de Freud et de Mélanie Klein, disait: "Nous leur devons tout!".

Dans le sillage de Winnicott qui fut son analyste, Masud Khan se refuse à confondre résistance et hésitation tandis que la résistance implique la capacité de fonctionner dans l'aire de l'illusion et suppose simplement qu'une interférence conflictuelle puisse réduire l'individu à en faire usage, l'hésitation,quant à elle, connote l'émergence d'une capacité qui est encore loin d'être établie en tant que fonction du moi. Et Masud Khan d'avancer: "la période d'hésitation est, en fait, "la matrice où se développe l'aire de l'illusion".

Quelques temps plus tard, à propos de la pratique analytique, Masud Khan écrira: "je crois que nous prenons pour une résistance chez ces patients ce qui est en fait une "phase d'hésitation" qui doit cliniquement être acceptée et permise en tant que telle".

Une autre façon d'aborder cette distinction entre "hésitation" et "résistance" serait de dire que la résistance est déjà du côté de l'acte, tandis que l'hésitation appartient toujours à l' "instant de voir" et au "temps de comprendre" ... On retrouve là l'évocation d'une grille de lecture lacanienne développée dans "Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée. "Mais là, où Lacan met l'accent sur l'anticipation de la certitude, Winnicott insisterait plutôt sur la valeur du temps d'hésitation. Nous oserons avancer ici une nouvelle expression d'allure explicitement winnicottienne en parlant de l'hésitation comme "temps potentiel" et cela, bien sûr, fait écho à "l'espace potentiel" et à "l'aire transitionnelle".

Du point de vue de la clinique, remarquons que ce que montrent les symptômes contemporains,assuétude, agitation, violence...c'est plutôt notre difficulté à faire place à cela même qui fait place: au désir, ou dit autrement, notre difficulté d'accorder du temps à cela même qui ouvre le temps, soit encore au désir.

Un cas clinique développé avec beaucoup de sagacité par Winnicott montre que l'incapacité de supporter le non-savoir inhérent à l'hésitation peut susciter chez le sujet une sorte de "besoin de l'effraction". Et même, remarque Winnicott, cette effraction peut devenir quelque chose d' ardemment recherché. Dans cette illustration clinique parue en 1949 d'une dame de 42 ans, Winnicott écrit (1989, p. 145): Le besoin de "l'effraction" de sa tête apparut tandis qu'en se cognant violemment la tête elle essayait, semble -t-il de parvenir à une perte de connaissance. Le malade éprouvait parfois le besoin de détruire les processus mentaux qu'elle situait dans sa tête. Avant que puisse être accepté l'état de non-savoir, il fut nécessaire de traiter une série de défenses l'empêchant de reconnaître complètement le désir d'atteindre la solution de continuité de la conscience (gap in the continuity of consciousness).

A partir de là, nous pouvons risquer l'hypothèse que la précipitation de nos sociétés modernes correspond à une intolérance au non-savoir inhérent à l'hésitation. Peut être peut - on mettre sur le compte de cette incapacité à supporter un "je ne sais pas" fondamental et inhérent à l'hésitation, le déclin de la culture comme occurence contemporaine du malaise de la civilisation.

A ce propos, En Belgique, par exemple, on peut noter un changement notable survenu à l'endroit de ce Winnicott appelait l'objet transitionnel appelé communément chez nous "doudou". Oui, les doudous ont une histoire! Et ceux d'aujourd'hui n'ont plus grand chose à voir avec ceux d'hier.

Votre bébé aura -t-il un doudou? lequel? pour combien de temps, quel usage en fera -t-il? .... Avant même d'être formulées ces questions trouvent aujourd'hui des modèles de réponse programmées par le marché de la grande distibution de sorte que le doudou n'est plus ce qu'il était!

Jadis, petit bout de chiffon informel, qui par sa souplesse et son côté "bon à tout faire" rappelait et prolongeait le sein maternel, le doudou, aujourd'hui, ne se découvre plus mais s'achète. Il a déjà une forme: c'est un petit lutin, un ourson ou un lapin... Ce n'est plus un objet reconnu conjointement et tacitement par l'enfant et sa mère, c'est un "cadeau" de celle - ci à sa progéniture, et parfois même, c'est tout simplement un élément qui figure sur la liste des achats de la semaine et que l'on se procure en plusieurs exemplaires... Jadis, objet singulier, original, entre dépouille ou relique, le doudou trimballé partout par son odeur et sa saleté attestait à l'occasion de l'investissement libidinal en jeu. Aujourd'hui, il doit sentir bon, être lavable, répondre aux normes de sécurité de la CEE, et afin de parer à toute perte, perte d'autant plus probable qu'il est imposé de l'extérieur, les parents avertis en achètent plusieurs, identiques afin que le petit ne manque de rien et surtout ne s'aperçoive pas de la substitution, de la différence, si l'un d'eux venait à manquer! Le doudou n'est plus une trouvaille unique, c'est déjà un objet venu de l' Autre commercial et qui très tôt fait l'objet de la "perversion éducative". Ainsi, par exemple, un livre pour enfants raconte comment le petit Corentin, personnage central de l'histoire a pu se débarasser sans mal de son objet transitionnel et passer, sans le soutien de ce dernier, une bonne journée. La leçon est claire pour l'enfant: entre lui et le doudou pas de cohabitation abusive, l'objet, comme l'enfant suivent un horaire: un temps de proximité tolérée, un autre où les exigences sociales et scolaires prennent le dessus. A certains moments, dictés par l'adulte, le doudou reste impérativement au lit ou dans la boîte à jeux et lorsque le seuil d'insalubrité est atteint la poudre à lessiver vient à bout et de sa saleté et de son odeur. Bref, à la place de l'objet transitionnel qui supportait l'histoire d'un attachement et d'une séparation, au lieu même de ce qui en était le relais et donc le dépassement, vient aujourd'hui un objet de consommation déjà marqué des impératifs de la jouissance: consommer vite et bien, c'est-à-dire frénétiquement.

A récuser l'indécision, et à court circuiter le temps d'hésitation, c'est la fonction même du doudou qui a été modifiée. Tout se passe comme si l'intrusion économico-éducative avait perpétré l'infraction, l'empiètement dont Winnicott recommande bien de se garder. Ainsi que me l'a aimablement fait remarquer Le Professeur Jean Renaud Seba, à propos de cette subversion éducative: la question qu'il ne fallait pas formulée, la question qu'il ne fallait pas posée à été posée! Ajoutons même qu'elle a été imposée. Ce qui était aire de jeu incontestable et respectée comme telle est maintenant régulé et contesté par le grand Autre éducatif et commercial. L' effet à payer pour cet empiètement est peut être celui d'avoir coupé par cette obscénité, la racine même de tout questionnement ultérieur et d'avoir peu ou prou obturé la voie au désir. Vouloir à tout prix obturer la question du manque, du non - savoir, et prétendre tout gérer, tout programmer, n'est pas sans effet sur cet accès à la voie du désir.

Revenons à l'hésitation. Contemporaine de l'avènement du conflit, l'hésitation introduit une secondarité: le geste s'emporte puis s'annule, mais une relève est possible, le geste prend, reprend, se reprend. Entre l'impulsivité initiale et la reprise s'instaure comme le temps d'un pari: il s'agit de parier sur le monde habitable ou le maniement de l'objet peut devenir jeu, où le désir au moins - et ce sera aussi au plus - peut être reconnu. Cela vaut bien un temps ...qui n'est pas celui d'un arrêt mais d'une avancée. Ainsi, le temps de l'hésitation semble correspondre à un temps d'acquiescement. Acquiescement au désir, acquiescement à renoncer à une première impulsion, sorte de premier "non" prometteur d' un premier "oui".

Temps de suspens, de lâcher prise, au cours duquel la jouissance passe au désir, où l'angoisse se pacifie, où le sujet, comme dit J. A. Miller accepte de "condescendre au désir". Dans son remarquable schéma J.A Miller décrit deux voies distinctes pour passer de la jouissance au désir: l'angoisse et l'amour. Le Winnicott le plus populaire, celui de "la mère suffisamment bonne" s'inscrit sur les cotés droits du losange, mais ici le Winnicott de l'hésitation, de l'angoisse, est plutôt à situer sur les cotés gauches du losange.

Pour être porteur ce temps d'hésitation doit être accepté comme tel, et par l'enfant, et par l'entourage. Dans l'introduction de son remarquable ouvrage La petite piggle (1980, p. 22), Winnicott en rend compte. Il note que la petite Gabrielle, dès le début, venait pour travailler et que à chaque séance, elle apportait un problème qu'elle allait dévoiler durant la séance. Et à ce propos, il note: "A chaque fois, l'analyste pressentait qu'il était informé par l'enfant d'un problème spécifique, quoiqu'il y ait eu de nombreux moments de jeu, de comportement ou de conversation indéterminés dans lesquels il ne semblait pas y avoir d'orientation. Ces phases de jeu indéterminé n'étaient évidemment pas sans importance car, à partir de ce chaos, la conscience d'une direction est apparue et l'enfant est parvenue à communiquer parce qu'elle ressentait véritablement le besoin - un besoin qui l'avait poussée à demander une autre séance. J'ai délibérément laissé dans le vague le matériel vague, comme il l'était pour moi au moment où je prenais des notes." On le voit, et c'est le sens de ce bref épinglage clinique: nous sommes à l'antipode des précipitations que je viens d'évoquer à propos du doudou contemporain.

Bien sûr, l'hésitation ne conduit pas toujours, heureusement, à la crise d'asthme, néanmoins elle en est peut être l'esquisse. Il y a en effet un parallélisme entre la crise d'asthme, cernée comme un refus involontaire de l'expiration et l'hésitation définie comme suspens de l'utilisation de l'objet. Au seuil de l'utilisation de l'objet, l'homme retient son souffle car il s'épuiserait à le rendre trop tôt: mourir, n'est pas rendre son dernier souffle?

En tant que retenue, l'hésitation est épreuve du non-savoir. C'est un temps d'indécidabilité. Et sur la base de cette modalité de l'indécidabilité, nous pouvons prolonger la remarque de Masud Khan qui voit dans l'hésitation, la matrice de l'illusion.

Quelle est l' indécidabilité du jeu de la cuillère, exemplaire de la relation du sujet au monde? L'indécidabilité permet que coexistent chez le bébé à la fois, le souvenir du premier geste et sa retenue, c'est à dire un oui, sa négation et la possibilité de sa reprise. Il y a à la fois, un oui et un non, une affirmation et son contraire, et l'éventualité d'une relève. En d'autres termes, coexistent le souvenir de l'excitation pulsionnelle qui a donné lieu au passage à l'acte, son annulation et l'émergence du temps du désir, désir pur qui n'a pas encore cerné son objet. Temps mythique, bien sûr et que l'on ne peut que reconstruire après coup, comme origine du jeu et comme origine de l'acte.

L'aphorisme lacanien "non à la jouissance, oui au désir" que nombre d'analysants - éducateurs connaissent, trouve dans l'analyse winnicottienne de l'hésitation une occurence particulièrement heureuse. On le sait, le jeu, la pensée, la culture procèdent de cette retenue. Ainsi, les phénomènes transitionnels, situés à mi-chemin entre la réalité intérieure et la réalité extérieure comportent - ils comme préalable l'hésitation.

La phase d'hésitation si finement pointée par Winnicott se situe à mi-chemin entre l'emportement pulsionnel et l'instauration du désir si bien que accueillir l'hésitation, c'est toujours, peu ou prou, accueillir le désir mais en creux, dans le négatif même de son expression. "Rien de grand ne se fait que malgré" et ce malgré est un parce que. Voilà, ce qu'après Goethe, un Winnicott nous donner à penser".

 

Références

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Enviado em 28/5/2008
Aprovado em 10/12/2008