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Natureza humana

Print version ISSN 1517-2430

Nat. hum. vol.20 no.2 São Paulo July/Dec. 2018

 

ARTICLES

 

Transmission narcissique et transmission de la différence à partir d'un cas de transmission dans une famille avec des triplés

 

Narcissistic transmission and transmission of difference from a case of transmission in a family with triplets

 

 

Fernanda Schmitt Ribeiro*, I; Silvia Maria Abu-Jamra Zornig**, I; Alberto Konicheckis***, II, III

IPontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro (PUC-Rio)
II
Société Psychanalytique de Paris (SPP)
III
Université Paris Descartes

Endereço para correspondência

 

 


RÉSUMÉ

Cette recherche a été constituée par une étude de cas. Une observation des bébés a été réalisée en utilisant la Méthode Esther Bick, où une mère qui avait conçu une grossesse multiple de trois enfants par Procréation Médicalement Assisté a été accompagnée. Cette étude vise démontrer comme l'observatrice pouvait se prêter aux projections, en accueillant des angoisses de la mère et d'autres personnes qui se trouvaient dans cet environnement. Il montre notamment la possibilité d'agir de manière préventive a travers de cette méthode, car la présence de l'observateur éveille les processus d'autoréflexion, au même temps que leur rends une continence. En considérant ces points, cet article donc démontre comment, dans ce cas, s'a présenté une forme de transmission psychique fragmentée, où chacun des triplés est la cible de projections et d'identifications familiales différentes.

Mots-clés: transmission psychique ; la méthode Esther Bick ; triplés ; maternité ; étude de cas.


ABSTRACT

This research was constituted by the accomplishment of a case study. An observation of infants was performed using the Esther Bick Method, where a mother who conceived a multiple pregnancy of triplets by Assisted Reproduction Treatment was followed up. This study aims to demonstrate how the observer could lend herself to projections, welcoming the anxieties of the mother and others in that environment. This work shows in particular the possibility of preventive action through this method, because the presence of the observer awakens the processes of self-reflection, while at the same time making them continents. In considering these points, this article then demonstrates how, in this case, a form of fragmented psychic transmission has emerged, in which each triplet is the subject of projections and different family identifications.

Keywords: psychic transmission; Esther Bick method; triplets; maternity; case study.


 

 

Nous proposons ici l'étude de la famille Figueiredo, dont les triplés, Lia, Fernando et Joaquim, ont été conçus par un traitement d'assistance médicale à la procréation. L'observation de la famille Figueiredo constitue la base d'une recherche longitudinale, menée au Brésil, par l'une des auteurs de cet article (F.S.-R.) dans la réalisation d'une thèse de doctorat.

Pour cette recherche, il a été choisi la méthode d'observation d'Esther Bick (1964) qui consiste à ce que l'observateur reste une heure en présence de la dyade mère-bébé toutes les semaines, dans un jour et horaire fixé avec la mère, pendant une période qui dure en général deux ans. À la fin de chaque observation, il est demandé à l'observateur de faire un enregistrement comprenant une description des évènements, et ses perceptions au sujet du contretransfert suscité. Afin d'élaborer ces sentiments, l'observateur participe à des séminaires dirigés par un superviseur.

Cette méthode d'observation est connue comme outil qui développe chez l'observateur toute une sensibilité sur le vaste univers présent dans une relation mère-enfant. Historiquement, la méthode Bick a été utilisée à l'Institut Psychanalytique de Londres pour permettre aux étudiants en formation de psychanalyse de développer une compréhension de la conduite non-verbale du bébé et de ses jeux (Bick, 1967). Selon Caron et Lopes (2015), l'observation que Bick a proposée développe l'écoute analytique, en particulier pour les phénomènes psychiques les plus primitifs. Ainsi, elle est en général mentionnée comme étant une étape importante de la formation du psychanalyste.

Dans la recherche présentée dans cet article, l'observation s'est déroulé passé pendant la première année de vie des enfants. Les observations ont lieu tous les quinze jours. L'observatrice a été supervisée en séances individuelles par une psychanalyste formatrice de la méthode. La recherche avait pour objectif de déceler la constitution subjective de chacun des triplés ainsi que le processus de parentalité dans le couple.

Les données de cette analyse nous permettent de relever également un certain nombre d'aspects constitutifs de la famille : la formation du couple parental, la création d'un tissu relationnel environnemental ainsi que la fonction primordiale de l'observatrice dans celui-ci. Elles permettent aussi de rendre évidente les modalités des transmissions entre les générations ainsi que de repérer comment elles se retrouvent chez chaque membre de la famille. Avant d'aborder l'analyse proprement dite de la famille, nous présentons quelques éléments conceptuels à propos du devenir parent, de la transmission psychique et de l'affiliation qui ont soutenus notre réflexion.

 

1. Le devenir parent, la transmission psychique et l'affiliation

Dans le but de donner un sens à son existence, l'être humain cherche sans cesse sa continuité et son prolongement. Pour Freud (1914/2005), tout bébé assure l'illusion de la continuité narcissique de ses parents, de sorte que la parentalité perpétue la famille et l'espèce. Zornig (2010) rappelle que le processus de devenir parent commence dès l'enfance. L'attitude de nombreux parents envers leurs enfants révèle donc la reproduction de leur propre narcissisme infantile, précédemment affaibli. Dans l'Introduction au Narcissisme, Freud (1914/2005) rend compte aussi de l'idéalisation du bébé par le parent, qui lui attribue toutes les perfections, en oubliant et masquant ses défauts. Freud le qualifie de « His majestic the baby », projection des fantasmes et symptômes issus de l'histoire infantile des parents, qui risque de répéter ce qui n'a pas été élaboré dans les transmissions générationnelles précédentes.

Le devenir parent implique ce que Palacio Espasa (2000) désigne comme une double tâche : renoncer à la place d'enfant occupée jusqu'alors vis-à-vis de ses propres parents, et en même temps s'identifier à eux afin d'incarner à leur tour la fonction parentale. A travers ce mouvement, l'adulte lègue à son enfant une part de ses propres désirs et besoins infantiles. Dans ce sens, Ciccone (2014) rappelle également que la parentalité n'est pas moins une expérience de transgression, où le fils, devenu adulte, prend la place de ses parents, en les tuant fantasmatiquement.

En évoquant la parentalité, Lebovici (Solis-Ponton, 2004) souligne qu'au-delà du narcissisme individuel, les parents engagent ce qu'eux-mêmes ont hérité. Le devenir parent implique nécessairement la transmission. C'est une expérience où nous ne pouvons pas ne pas transmettre, ne pas transférer, ne pas projeter : « tout bébé est inévitablement soumis à un legs qui fait de lui l'objet d'une transmission » (Ciccone, 2014, p. 21). Les transmissions peuvent être structurantes et/ou pathologiques. En analysant la part maudite de la transmission, Eiguer (1997) signale ses potentialités pathogènes et déstructurantes. A la suite de Castoriadis-Aulagnier (1975), Kaës (2009) a développé le concept de contrat narcissique, qui implique un certain assujettissement et des obligations. Il y décrit aussi quelques modalités d'alliances inconscientes, l'une d'elles étant la transmission du négatif. Pour Kaës, ce qui a été nié, réprimé, caché, sera transmis par le négatif.

Dans un texte devenu classique, Faimberg (1993) considère que la transmission psychique ne se produit pas uniquement par l'intermédiaire du processus d'identification, mais qu'elle a lieu avant tout à travers celui de l'identification projective. Palacio Espasa (2000) souligne à quel point les identifications projectives peuvent avoir une nature coercitive, de sorte qu'elles forcent inconsciemment l'enfant à s'identifier aux images projetées. Mais il avance aussi que, dans le processus de parentalité, ces identifications projectives peuvent avoir une fonction structurante. Elles seraient alors mises au service de l'empathie des parents vis-à-vis des besoins de leur enfant, ce qui permettrait la dissipation d'identifications projectives envahissantes et la reconnaissance des caractéristiques propres de l'enfant.

La transmission psychique comprend le sentiment de filiation par lequel un enfant devient effectivement le fils de ses parents. Le sentiment de continuité entre les générations est, en fait, le résultat d'une élaboration psychique complexe de discontinuités et de conflits entre les générations. L'affiliation est le processus par lequel le sujet rend subjective sa filiation objective et extérieure. Celle-ci s'établit d'une manière paradoxale, en introduisant un sentiment d'appartenance, de continuité et de filiation sur un fond d'insuffisance, de souffrance et d'exclusion (Konicheckis, 2008). A travers ces processus, qui imposent projections, idéalisations et attentes, lors de son arrivée dans une famille, l'enfant doit trouver son propre chemin en s'appropriant ce qui lui a été transmis.

Ce mouvement psychique définit également le processus de subjectivation : une expérience personnelle où se réalise une transformation, à travers laquelle l'extérieur et l'histoire deviennent partie intégrante du psychisme. L'affiliation relie l'individu à ces prédécesseurs mais elle rend évident aussi qu'ils sont de sujets séparés et distincts, entre lesquels il existe des ressemblances et des différences. Zornig (2010) remarque que la différence entre les générations ouvre la possibilité de faire surgir du nouveau qui brise l'illusion narcissique d'une pure répétition du même d'une génération à une autre. L'investissement maternel du bébé est le résultat des restes des objets désinvestis, haïs et perdus de ses anciennes relations. Cependant, comme le souligne Aragão (2016), le bébé va se configurer dans l'imaginaire maternel comme la possibilité du nouveau et de la réparation de ses failles narcissiques.

 

2. Formation du couple parental et de la nouvelle famille

Chez Gabriele et Alessandro, les parents des triplés Lia, Fernando et Joaquim, la parentalité a emprunté le périlleux et tortueux parcours de la procréation médicalement assistée (PMA). Il a été particulièrement complexe et difficile en lui-même. Il a duré quatre ans, avant la naissance des enfants, et a donné lieu à neuf tentatives de fécondation et à deux fausses couches. Mais sa préhistoire est tout aussi complexe et difficile. Le père d'Alessandro, le grand-père paternel des enfants, homme de grand pouvoir, a été marié plusieurs fois et a eu des enfants à chacun de ses mariages. Avant de connaître Gabriele, Alessandro aussi a été marié et a eu deux enfants. Pour ne pas répéter l'histoire de son père, et pour éviter aussi de reproduire ses propres souffrances infantiles chez ses enfants, après la séparation d'avec sa première femme, Alessandro s'est soumis à une vasectomie qui l'a rendu stérile. Gabriele et lui ont eu recours à la PMA car à travers un procédé chirurgical il a été possible de récupérer des spermatozoïdes d'Alessandro. Leur parentalité prend naissance donc sur les traces d'un acte censé interrompre la poursuite de la perpétuation de la lignée.

Gabriele et Alessandro se sont rencontrés alors qu'ils avaient une relation semblable à la vie professionnelle et à la famille, très intriquées chez eux deux. L'entreprise où travaille Gabriele est celle de sa mère et de son frère. C'est là qu'elle retrouve l'essentiel des liens actuels avec eux. Travailler dans cette société lui permet non seulement d'assurer sa subsistance, mais aussi d'être en contact permanent avec sa mère et avec son frère. Alessandro aussi est un homme d'affaires qui travaille dans une entreprise familiale importante, créée par son propre père. Gabriele donc travaille dans une entreprise à dominance matriarcale et Alessandro dans une autre, plutôt patriarcale.

Gabriele et Alessandro vivent donc une liaison familiale fortement marquée par l'intrication entre la famille et l'entreprise. Mais, plus profondément, ils ont en commun une même expérience traumatique infantile : la séparation de leurs parents. Tout comme Alessandro, Gabriele affirme qu'elle ferait tout pour ne pas répéter son histoire infantile. Tous deux paraissent assujettis à une forme de répétition narcissique, qui les porte à croire que leurs enfants, s'ils sont soumis à une réalité semblable à celle qu'ils ont vécue, souffriraient autant qu'eux. Ils éprouvent une grande difficulté à imaginer que pour un autre individu cette expérience pourrait être différente.

La douleur et la souffrance infantiles, insuffisamment élaborées, et la crainte de répéter une histoire conjugale malheureuse ont lié affectivement Gabriele et Alessandro. Ensemble, ils soignent leurs blessures d'enfants. Lorsque les parents de Gabriele se sont séparés, sa mère a entretenu matériellement son ex-mari pendant plusieurs années. Elle l'a particulièrement dévalorisé. Gabriele choisit un homme différent de son père, espérant construire une autre réalité pour ses enfants. Explicitement, elle dit ne pas avoir eu de famille, son père était toujours absent et, d'une certaine manière, sa mère aussi. A travers son mariage, Gabriele rencontre une figure masculine qu'elle n'a pas connue enfant. Lors d'un des entretiens, Gabriele commente que son mari n'est pas fier de sa mère, qui a toujours été femme au foyer.

La constitution du couple a apporté une certaine élaboration du complexe d'OEdipe chez chacun d'eux. Gabriele a choisi un homme différent de son père et Alessandro a épousé une femme différente de sa mère. Tous deux luttent pour développer une transmission de la différence. Gabriele espère que ce modèle sera perpétué par Lia, la seule fille des triplés. Pour Alessandro, la figure masculine est étroitement marquée par la puissance dans les affaires. Malgré la vasectomie, Alessandro porte le pouvoir transmis par son père car actuellement il préside l'entreprise que celui-ci a fondée.

 

3. Constitution d'un ensemble relationnel tiers

L'intervention des tiers extérieurs, qui s'est manifestée par la PMA dans la conception des enfants, se retrouve aussi dans la constitution de la groupalité psychique environnementale qui entoure les enfants. Habitués au monde des affaires, Gabriele et Alessandro reproduisent dans leur foyer la même ambiance que dans une entreprise. Gabriele ayant repris son travail un mois après la naissance des bébés, deux équipes de nourrices se relayaient en permanence pour les soins des enfants. Autour d'eux se forme un tissu relationnel où on note une faible présence masculine, même si Alessandro était très présent dans l'esprit des enfants.

La tiercéité des soins, phénomène répandu au Brésil, contient aussi des fonctions psychiques tierces. Le tissu relationnel assure une continuité des liens entre les enfants et les parents en créant une distance rassurante qui à la fois les sépare et les relie. Il comporte une fonction pare-excitante qui protège les enfants de l'ambivalence maternelle et introduit aussi les premières formes de l'interdit de l'inceste. Dans la famille Figueiredo, la groupalité formée pour et autour des enfants n'était pas à l'abri de conflits, en particulier ceux suscités par la rivalité entre Gabriele et les personnes proches des bébés. La mère des enfants souhaitait qu'elles restent indifférentes et ne s'attachent pas trop affectivement à eux. Un jour, Gabriele a licencié une nourrice parce qu'elle la trouvait trop proche de Lia, sa fille. Ce licenciement a répandu un sentiment d'insécurité et a favorisé la formation de mécanismes défensifs et des alliances entre les nourrices pour parer les risques de rupture. Cette menace de conflit et de rivalité n'épargna pas complétement l'observatrice. Mais la méfiance de Gabriele à son égard s'est peu à peu transformée. Elle a considérablement diminuée dans le temps pour faire de l'observatrice une interlocutrice de confiance. Elle l'a désignée comme la « psychologue des enfants ». Gabriele devait rencontrer l'observatrice pour entériner la fin des observations. Or, elle a manqué plusieurs rendez-vous convenus avec l'observatrice, signe que pour Gabriele il n'était pas aisé de mettre un terme au dispositif.

L'ambiance générale à la maison est ludique et joyeuse. On chante et on danse souvent. Mais dans cet environnement qui s'instaure autour des enfants, on note une espèce d'absence de l'absence. La particularité des jumeaux, et encore plus des triplés, est qu'il y a en permanence quelqu'un d'autre à côté de chaque enfant. Cette présence permanente de l'un des enfants par rapport aux autres se dédouble d'une équipe de trois nourrices constamment disponibles pour eux. A cet ensemble s'ajoute l'omniprésence des caméras, posés par Gabriele pour observer de son lieu de travail, sur son smartphone, tout ce qui se passe à la maison. En plus, les enfants sont occupés continuellement par des activités comme la gymnastique, la danse ou la natation.

On peut se demander si cette absence d'absence n'entrave pas les bienfaits de l'intériorité et de la solitude. A ce propos, un épisode critique a pu être relevé au cours des observations. Une des nourrices donne à manger à Joaquim, l'un des enfants, et, aussitôt après, elle lui met une tétine dans la bouche. L'enfant n'a pas le temps alors de savourer, déguster, se remémorer, rêvasser, désirer l'aliment. A ce moment, l'observatrice éprouve une forte inquiétude. Mais on peut se demander si, au-delà de l'attitude préoccupante de la nourrice, cet épisode ne vient pas symboliser une modalité d'être dans cette famille où il faut en permanence éviter de ressentir la sensation d'absence et de manque.

 

4. Fonction de l'observatrice dans la formation du tissu relationnel

L'observatrice participe à la formation de ce tissu relationnel autour des bébés, elle devient même la pièce centrale dans la constitution d'une sorte de groupalité psychique qui se forme autour d'elle. L'ensemble des personnes présentes dans l'environnement est sensible à sa personne. Dans diverses circonstances, les auxiliaires et la grand-mère paternelle lui font des confidences à propos de leurs sensations et pensées. Les auxiliaires disent à l'observatrice ce qu'elles ne peuvent pas communiquer directement à Gabriele, et en particulier à propos du roulement dans le travail auprès des enfants qui puissent leur être préjudiciables. Il est évident qu'à travers ces échanges l'observatrice constitue également le support de projections et d'angoisses non seulement pour Gabriele mais pour toutes les autres personnes qui font partie de l'environnement des enfants. L'observation n'a plus seulement un objectif de recherche, mais devient aussi le soutien à une sorte de processus thérapeutique.

L'observatrice créée et maintient des liens entre les enfants et Gabriele. Le jour de leur anniversaire, elle apporte des cadeaux pour chacun. Après avoir exploré le sien, Fernando s'est intéressé aux jouets de son frère Joaquim et de sa soeur Lia. A celle-ci, l'observatrice a apporté des jouets pour donner à manger aux poupées avec lesquels Fernando s'est mis à jouer. Gabriele s'est assise à côté de lui et lui a demandé de lui donner de la nourriture. Elle s'alimente ainsi des apports de l'observatrice. La relation de l'ensemble, établie à partir de ce que l'observatrice a apporté, semble harmonieuse et fluide et rend visible le réseau relationnel implicite entre eux.

L'observation d'après la méthode d'Esther Bick implique attention, accueil et respect que les enfants parviennent à introjecter. On retrouve ainsi par la suite chez eux cette même capacité. Joaquim regarde l'observatrice lorsqu'elle arrive à la maison. Fernando observe son frère et à son tour regarde l'observatrice. Se développe ainsi une sorte d'observation réciproque qui relie les uns aux autres. En s'identifiant les uns aux autres, ils reconnaissent les particularités de chacun. Au moment des soins, ils attendent et savent à quel moment arrive les siens.

Il ne s'agit pas simplement de l'identification directe de l'un à l'autre, mais aussi de l'identification au lien que chacun entretien avec l'autre extérieur, en l'occurrence l'observatrice. Cette identification réciproque au lien que chacun développe par rapport à un autre extérieur s'établit également à l'égard de la mère et du père. On peut envisager alors comment, dans la formation précoce de la groupalité, la subjectivation de chaque enfant et de chaque membre de la famille, se dessine dans un mouvement qui va du collectif vers l'individuation.

Avec l'observation se crée un espace-temps où des personnages et des histoires peuvent advenir. La méthode d'observation d'après Esther Bick a la particularité de se dérouler dans la durée, dans ce que Meltzer (1984) repère comme la quatrième dimension temporelle. Elle se présente comme un grand roman qui rend visible différents scénarios avec ses incertitudes, invraisemblances et surprises ainsi que des trouvailles et des découvertes. Se crée ainsi un espace-temps relationnel qui rend possible également la manifestation des transmissions transgénérationnelles. Au cours des observations, la grand-mère maternelle, la mère de Gabriele, peu présente à la maison, appelle pour avoir et donner des nouvelles et avis. Plusieurs fois, ces appels arrivent alors que Gabriele confie à l'observatrice des éléments importants de son histoire.

La grand-mère paternelle est souvent présente à la maison. Elle peut avoir la fonction d'assurer une forme de permanence par rapport aux absences de Gabriele et les changements dans la vie de la famille. Mais elle s'efforce aussi de faire entendre auprès des nourrices et de l'observatrice ses réflexions quant aux soins et au développement de chaque enfant. Tout comme les appels de la grand-mère maternelle, les propos de la grand-mère paternelle ont au quotidien une fonction de porte-parole des traditions familiales et des contenus transgénérationnels. Toutes les histoires des deux lignées familiales s'expriment à travers les grand-mères. L'observation a l'avantage de les rendre vivantes, actuelles et accessibles aux personnes constituant le tissu relationnel créé auprès des enfants.

 

5. La conflictualité générationnelle dans le couple parental

A la maison, on a toujours fait preuve d'une grande capacité à identifier et à distinguer les individualités de chacun des enfants. Dès la première observation, chaque bébé porte des adjectifs qui le caractérisent. Ces différenciations sont traversées des scénarios transgénérationnels différents qui relient chaque enfant à des personnages et des évènements du passé. On peut constater donc que, dans la famille Figueiredo, la transmission psychique se diffracte à travers chacun des triples. Les processus de transmissions psychiques ainsi différenciés participent à la reconnaissance de l'individualité de chacun d'eux.

Le grand-père paternel, ancêtre de la famille, s'appelle Fernando. Gabriele et Alessandro ont donné ce prénom à l'un des enfants. Alessandro met ainsi paradoxalement en scène la conflictualité oedipienne avec Fernando, son père. A travers le lien intergénérationnel entre Alessandro et son fils Fernando se joue la transgénérationnalité du lien entre lui et son propre père. La vasectomie d'Alessandro n'a pas été suffisante pour l'empêcher de chercher à répéter l'histoire paternelle. Il a été tout de même contraint de la resignifier et de la vivre autrement. Alessandro semble avoir de l'estime pour son père dans le rôle d'homme d'affaires, pouvant différencier entre ce qui est et ce qui n'est pas admirable en lui. Alessandro lui-même parvient à intégrer ces aspects contradictoires. Si, certes, un mandat de répétition, d'être comme son grand-père paternel semble être attribué à son fils Fernando, Joaquim, l'autre fils, vient confirmer la capacité d'Alessandro d'avoir écrit une nouvelle histoire.

A l'égard de leurs propres parents, Gabriele et Alessandro vivent l'expérience de la parentalité de manière distincte. Alessandro parvient à assumer et à intégrer des aspects contradictoires dans l'image qu'il se fait de la figure de son père. Alors que, vis-à-vis de sa mère, pour Gabriele, cette intégration semble être plus compromise. Tout en reconnaissant combien elle a souffert en tant que fille de sa mère, et en faisant des efforts pour être une mère et épouse différentes, elle continue à placer sa mère comme une source absolue d'inspiration, admirée et idéalisée.

Ces processus de transmission et de conflits entre les générations, présents chez Gabriele et Alessandro, retentissent dans les relations avec leurs bébés. Gabriele a pour modèle de mère une femme puissante, qui ne s'est pas beaucoup occupé de ses enfants. Avec l'arrivée de sa fille, Lia, ce mandat continue à se transmettre, car pour Gabriele, Lia doit être la plus forte des trois enfants. « Elle va commander ses frères », dit-elle. Depuis très tôt, elle la surnomme petit piment, ce qu'elle justifie parce que, d'après elle, sa fille a une forte personnalité. Elle lui délègue ainsi, la tâche de pérenniser la figure féminine phallique qui a besoin d'être admirée.

Comme on vient de le voir, le mandat par répétition cherche à se perpétuer aussi par rapport à Fernando. La grand-mère paternelle, la mère d'Alessandro, et la première femme de ce grand-père, ne cache pas son aversion pour Fernando, l'enfant. A l'une des séances des observations, elle a apporté des photos de son fils Alessandro quand il était bébé pour montrer combien ses petits-enfants, Lia et Joaquim, lui ressemblent. Spontanément, l'observatrice lui demande à qui elle croit que Fernando ressemble ; ce à quoi la grand-mère répond : « celui-là, je ne sais pas d'où il vient ». Joaquim, a toujours été comparé par tout le monde à son père Alessandro. Sa grand-mère paternelle, l'a toujours dans ses bras, et ne cache pas sa prédilection pour ce petit-fils dont elle dit clairement qu'il ressemble à son propre fils. Gabriele dit aussi qu'il la regarde avec des yeux d'amoureux « comme son père » et, tout comme Alessandro, enfant, Joaquim est très en recherche d'affection.

On peut constater donc que la conflictualité oedipienne, identificatoire et idéalisante entre Gabriele et Alessandro avec leurs propres parents, se rejoue dans leurs relations aux trois enfants. Elle marque l'individualité de chacun dans la famille. Ainsi, par exemple, Lia sera une cheffe d'entreprise, Fernando ressemblera à son grand-père paternel, Joaquim, comme Alessandro, enfant, sera le préféré de sa grand-mère paternelle. Sur chaque enfant retombent des transmissions familiales uniques qui permettent de reconnaître et préserver l'identité de chacun dans la famille.

Mais les projections et attentes familiales ne déterminent pas complétement l'individualité psychique de chacun. Leur véritable individualité émerge à partir de l'élaboration et la subjectivation que chacun effectue à partir des projections dont il est le support. Tout comme leurs propres parents, ils ont à vivre des expériences contradictoires, voire paradoxales : il est attendu qu'ils répètent des histoires semblables à celles de leurs parents, mais qu'ils le fassent d'une manière différente. Ces attentes seront inévitablement traversées par leurs propres conflictualités oedipiennes, où symboliquement l'enfant prend leur place dans les fantasmes, ce qui donnera encore à chacun des enfants des individualités distinctes.

 

6. Considérations finales

L'observation de la famille Figueiredo nous a permis d'effectuer une analyse approfondie de toute la complexité des liens qui relient ses membres et ses proches. Elle a participé à la constitution d'un tissu relationnel qui a dévoilé des particularités des processus du devenir parent, de la transmission et de l'affiliation.

Nous avons pu établir comment le couple parental et leur parentalité se forment sur les traces d'une tentative d'interruption de la lignée familiale et d'expériences infantiles de séparation douloureuses. Il nous a été possible d'observer aussi une forme de transmission fragmentée, où chacun des triplés est la cible de projections et d'identifications familiales différentes. Ils auront à les transformer et assimiler pour pouvoir emprunter leur propre voie de subjectivation. Cette voie reste tout à fait nécessaire et étayante que potentiellement aliénante.

Nous avons pu constater également la particularité de l'héritage psychique des éléments maternels et paternels, aspects identitaires qui permettent l'individuation de chaque membre de la famille, en particulier de chaque enfant. Nous avons repéré aussi les destins de l'idéalisation et de la différenciation entre la transmission répétitive et celle susceptible de créer du nouveau. Le cas de la famille Figueiredo illustre la frontière fragile séparant la transmission psychique, qui favorise les processus d'affiliation et de subjectivation, de celle du mandat transgénérationnel qui risque d'emprisonner l'enfant.

Cependant, on ne peut pas savoir comment chacun des enfants assumera le processus de subjectivation et s'appropriera ce qui est déposé en lui. Malgré la prégnance des impératifs narcissiques des parents, nous avons pu constater que chacun d'eux vit une forme de transmission personnelle, essentielle pour l'émergence de sa subjectivité différenciée. Nous avons pu noter également que l'observation longitudinale et le tissu relationnel qui s'est crée auprès des enfants, ont favorisé l'élaboration des conflits intergénérationnels et les transmissions transgénérationnelles.

 

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Endereço para correspondência
Fernanda Schmitt Ribeiro
E-mail: fernandapsi_84@hotmail.com

Silvia Maria Abu-Jamra Zornig
E-mail: silvia.zornig@terra.com.br

Alberto Konichecki
E-mail: akonicheckis@aol.com

 

 

* Doutora em psicologia clínica pela Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro (PUC-Rio).
** Professora do Programa de Pós-graduação em Psicologia Clínica da Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro (PUC-Rio). Coordenadora do curso de especialização em psicologia clínica com crianças da PUC-Rio. Membra fundadora da Associação Brasileira de Estudos sobre o Bebê (ABEBE).
*** Psicólogo clínico e psicanalista membro da Société Psychanalytique de Paris (SPP). Professor de psicologia clínica na Université Paris Descartes.

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