SciELO - Scientific Electronic Library Online

 
 número37Advento do Outro?Adventos do real: temos escolhas? índice de autoresíndice de assuntospesquisa de artigos
Home Pagelista alfabética de periódicos  

Stylus (Rio de Janeiro)

versão impressa ISSN 1676-157X

Stylus (Rio J.)  no.37 Rio de Janeiro jul./dez. 2018

 

CONFERÊNCIA BILÍNGUE

 

Par le réel

 

 

David Bernard

 

 


RÉSUMÉ

L'article commente l'utilisation par Jacques Lacan de l'expression « d'avènement du réel », dans son texte intitulé « Télévision ». Il démontre sa relation avec le discours de la science, au gadget, et avec ce que Lacan nomma un savoir dans le réel. Et enfin, il précise de quelle façon la psychanalyse s'en distingue, en proposant un autre rapport au savoir.

Mots-clés : Science ; Savoir ; Réel ; Gadget ; Monde.


 

 

« Eh bien, que puis-je savoir? » (Lacan, 2001, p. 535), demandait à Lacan Jacques--Alain Miller, alors jeune philosophe, lors de ce qui fut nommé Télévision. Il y avait pourtant quelque chose « d'incongru » (Lacan, 2001, p. 536) à poser dans le champ de la psychanalyse la question de ce que l'on peut savoir. N'aura-t-elle pas démontré que la structure du langage impose justement une limite réelle au savoir et au pouvoir : le réel de la castration ? Y répondre ne pouvait dès lors se faire que, dira Lacan, « dans cette limite » (Lacan, 2001, p. 536). Curieuse expression, nous rappellant que la limite ne sera pas ici à concevoir comme une ligne à transgresser, ainsi que nous la fantasmons toujours, mais une limite aux confins, à tenter de rejoindre, ainsi que la mathématique la définit.

Au terme Lacan peut alors reprendre la question, et nous la renvoyer en ces termes : « jusqu'où j'irai dans cette limite ? » (Lacan, 2001, p. 536). Première réponse : loin, très loin. Pour preuve, ce à quoi sera parvenue la science, en ayant renoncé au fil de son histoire à un savoir imaginaire, plein de sens, pour passer à un « savoir dans le réel » (Lacan, 1974, séance du 23 avril 1974), fait de petites lettres hors sens. Lacan choisit ici l'exemple de la loi de la gravitation de Newton. J'en rapporte la légende, à la façon du dessinateur français Gotlib (2003) : Newton, au pied de son arbre, songe à la lune, quand tout à coup une pomme lui tombe sur la tête. Effet de réveil, qui le conduira à établir la loi de la gravitation. Il y a dans l'espace quelque chose qui se répète et qui détermine - malice de Lacan - l'attraction des corps entre eux autant que ce qui les sépare. Il restait à mettre cela en équation, une formule mathématique pour rendre compte de ce savoir dans le réel de la nature. La science, de même que la psychanalyse, s'origine donc de la supposition d'un savoir dans le réel, c'est à dire de lois ordonnant une répétition.

Par la suite, la science ne cessera plus dans la progression de ce savoir au point de non seulement rendre compte de bien d'autres mystères de la nature, mais également de produire à partir de là des gadgets. Quoi de mieux alors après avoir évoqué l'espace, la lune et la gravitation, que de prendre l'exemple de la fusée pour questionner jusqu'où les petites lettres de la science pourraient nous embarquer ? De tous temps, l'homme, au pied de son arbre, aura rêvé d'atteindre la lune, mais voilà que ce 20 Juillet 1969, la mission Apollo 11 rendait cela possible. « Un petit pas pour un homme, un bon de géant pour l'humanité », dira Armstrong. « Une désolation magnifique », dira son suivant, Buzz Aldrin.

L'alunissage constitue ainsi un « avènement du réel » (Lacan, 2001, p. 536), en tant qu'il témoigne de ce que ce que la science, par son simple maniement des petites lettres du langage, introduit de « nouveau » (Lacan, 2005b, p. 79). Il aurait pu alors être attendu que, apprenant ces nouveautés et cette puissance du signifiant hors sens, les êtres parlants se réveillent et s'étonnent. Et pourtant, face à cela, guère d'émotion chez l'homme d'aujourd'hui sinon « vaguement » (Lacan, 2001, p. 536), dit Lacan. Voilà pour lui le plus frappant. Il y a une « apathie » (Lacan, 1974, séance du 1er novembre 1974) moderne dont il isole ainsi la logique. Passé l'instant d'angoisse ou d'étonnement, l'être parlant aura tôt fait de recouvrir cet avènement du réel par le registre du sens.1 Qu'il s'aide pour cela du bon sens religieux ou de celui du marché, le sujet se constituera très vite une vision du monde capable de faire écran à ces surgissements énigmatiques. Il y a ainsi en chacun d'entre nous, poursuit-il, un (petit) « philosophe » (Lacan, 2001, p. 536) qui feuillette les pages de son monde sans guère s'en émouvoir, sinon vaguement, assuré de pouvoir se défendre de la moindre nouvelle par un prêt-à-penser. Au terme, ledit philosophe ne retrouvera alors en ces pages que les nouvelles pas si fraîches de sa vision du monde : son fantasme. De quoi continuer à « buller », comme le dit lalangue française, c'est-à-dire à rêver à la forme idéale du monde : la sphère, cette idée du Tout.2

Pas étonnant dès lors que Lacan en vienne ensuite à évoquer le « monde (de) L'homme aluné » (Lacan, 2001, p. 541). L'expression précise toutefois que l'homme gonfle la bulle narcissique de son monde en s'appareillant aussi de ses gadgets-écrans. D'ailleurs, souligne-t-il (Lacan, 1974, séance du 1er novembre 1974), ce voyage sur la lune, l'homme du commun ne le fait pas, mais se voit le faire de sa télé-vision. Nuance. Le participe passé « aluné » rappelle alors que le sujet se laissera ici attraper par la logique pulsionnelle du fantasme, et son rejet de l'altérité. L'homme aluné, ce grand voyageur, n'ira donc pas si loin. Il y a chez lui, disait Heïdegger (1958, p. 211), la volonté d'abolir toutes les distances, mais pour réduire l'Autre au même. Aldrin, à l'instant de faire son premier pas sur la lune, confiait ainsi à Armstrong : « Cela va être notre 'chez nous' pendant les deux heures à venir et nous voulons en prendre soin ». Curieuse aspiration de l'être parlant à faire aussitôt du lieu de l'Autre un chez soi, pour y planter son drapeau, y tracer sa limite, et se faire Le centre qu'il n'y avait pas. Selfie avec la lune, le voilà nombril du monde.

A cela, Lacan opposera alors le « réel-de-la-structure » (Lacan, 2001, p. 536), qui lui décentre et dont l'on restera toujours séparé. Il y a donc ce que la psychanalyse emprunte à la science : le maniement de petites lettres hors sens pour approcher le réel. Mais il y a aussi ce qu'aucune équation ne pourra résoudre, et que Lacan nommera encore, tiens donc, « une gravitation (liée) à l'acte sexuel » (Lacan, 2005a, p. 64). S'orienter des avènements du réel-de-la-structure pourra alors constituer une voie de sortie du songe du monde et de son abord fantasmé de la limite. Il s'agira ici non plus de chiffrer un Tout de la connaissance, mais de s'aventurer au déchiffrage du savoir de l'inconscient. Du Que puis-je savoir... sur le monde ? Lacan propose alors pour conclure de passer au « Quoi (...) peut se dire, du savoir qui ex-siste pour nous dans l'inconscient (...) ? » (Lacan, 2001, p. 537). Quelle économie de mots, si loin d'une vision du monde. Dans cette dernière reformulation, disparaît pudiquement le je, ce moi qui se voulait si fort de son savoir, de son pouvoir, de sa pensée, pour laisser advenir un savoir qui ex-siste au sujet. Y résonne encore le dire de Lacan : « il n'y a pas de monde » (Lacan, 2005b, p. 76).

 

Post-scriptum

A la fin de l'intervention où je prononçais ce texte lors du colloque de Barcelone, notre collègue Sol Aparicio, qui présidait notre séquence et que je remercie encore, me remit discrètement une page du journal français justement intitulé... Le monde. L'article, en date du 12 septembre 2018, avait pour titre : « Le grand G trouble les physiciens ». Voici ses premières lignes : « Les physiciens aussi sont perplexes sur le point G. Pas sur ce qui désigne ce mystérieux lieu du plaisir féminin, mais sur une notion tout aussi plaisante et universelle : la gravitation ».

 

Références bibliographiques

Gotlib, M. (2003). Rubrique-à-brac. Paris: Dargaud.         [ Links ]

Heidegger, M. (2018). Que é uma coisa?. São Paulo: Edições 70. (Trabalho original publicado em 1958)        [ Links ]

Lacan, J. (1973-1974a). Le séminaire: les non-dupes errent. Inédito.         [ Links ]

Lacan, J. (1973-1974b). Le séminaire: l'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre. Inédito.         [ Links ]

Lacan, J. (1974). Conférence "La troisième". Inédito.         [ Links ]

Lacan, J. (2003). Televisão. In J. Lacan. Outros escritos. Rio de Janeiro: Zahar. (Trabalho original publicado em 1973)        [ Links ]

Lacan, J. (2005). O triunfo da religião. Rio de Janeiro: Zahar.         [ Links ]

Lacan, J. (2007). O seminário, livro 23: o sinthoma. Rio de Janeiro: Zahar. (Trabalho original publicado em 1975-1976)        [ Links ]

 

 

Recebido: 06/11/2018
Aprovado: 06/11/2018

 

 

1 Cf. sur ce point Lacan (2005b, p. 80).
2 Cf. sur ce point Lacan (1976, séance du 14 décembre 1976).

Creative Commons License