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Stylus (Rio de Janeiro)

versão impressa ISSN 1676-157X

Stylus (Rio J.)  no.38 Rio de Janeiro jan./jun. 2019

 

CONFERÊNCIA BILÍNGUE

 

Réel et interprétation1

 

 

Jean-Jacques Gorog

 

 


RÉSUMÉ

L'auteur traite des notions de réel et d'interprétation dans l'enseignement de Jacques Lacan, en particulier au cours de la dernière décennie. Travaillant sur le texte L'étourdit, cette conférence discute l'interprétation du transfert en soulignant le réel auquel elle vise. L'auteur finit par indiquer que le réel visé par l'interprétation relève de l'impossibilité logique du rapport sexuel, qui ne peut être déduit et différenciée qu'à partir du retour à l'ineffable, à lalangue.

Mots-clés : Psychanalyse ; Réel ; Interprétation ; Transfert.


 

 

L'acte analytique est ce qui permet que la cure se poursuive comme il sied. Il consiste à découper ce que dit celui qui lui parle. C'est en cela que consiste l'acte. On appelle ça, à l'occasion, l'interprétation. Il faut bien dire que l'interprétation n'est pas pour Lacan (pour Freud non plus d'ailleurs) ce qui, dans le monde, est couramment donné comme l'interprétation analytique. Ça n'est pas quelque chose comme : « Enfin, tu me prends pour ton père, pour ta mère, tu m'aimes, tu me détestes à leur place... », ainsi qu'évidemment l'interprétation œdipienne : « Tu veux la mort de ton père pour coucher avec ta mère » ou l'inverse suivant le cas.

Cette interprétation ce n'est pas qu'elle soit fausse mais il y a bien longtemps qu'elle s'est révélée inutile. Pourquoi ?

Parce que, tout simplement les écrits de Freud se sont diffusés suffisamment dans le monde (il dit « comme la peste ») pour que celui qui va voir un analyste, sache qui il est et qu'il n'a pas besoin de l'analyste précisément pour faire cette interprétation-là, il peut la faire tout seul, il est capable, tout seul, de s'apercevoir de ces choses et ce depuis la guerre de 1914. On sait que la fin de l'âge d'or de l'interprétation correspondant à la fin de la Première Guerre Mondiale, a conduit Freud sur la voie de l'au-delà du principe de plaisir et de la pulsion de mort. Lacan évoque ce moment à de multiples reprises. Ainsi dans Situation de la Psychanalyse en 1956 : « le problème ne se posa à eux qu'à partir du moment où le patient devenu bientôt autant au fait de ce savoir qu'ils l'étaient eux-mêmes, leur servit toute préparée l'interprétation qui était leur tâche... ».

Sans doute il ironise sur la variété des déviations, par exemple, celle où le patient ne peut sentir l'analyste, et leurs conséquences : « ...curieusement, les formes du rituel technique se valorisent à mesure de la dégradation des objectifs ».

Avec ce développement freudien de la deuxième topique se fait jour ce qui dans l'interprétation relèvera du réel. La première prise de cette dimension consistera à distinguer le complexe d'Œdipe du complexe de castration qui en est la pièce maitresse, avec le manque phallique, comme ce sur quoi doit porter l'interprétation.

Le deuxième temps sera « le dire de Freud », « il n'y a pas de rapport sexuel », dans ce texte qui sert de repère parce qu'il est une sorte de somme, de résumé de l'ensemble de l'enseignement de Lacan.

Bien sûr il y a des choses souvent déjà évoquées et je vais revenir sur la question à partir d'une des définitions de l'interprétation que donne Lacan dans L'étourdit la plus simple et évidente qui soit.

« Je ne te le fais pas dire. » N'est-ce pas là le minimum de l'intervention interprétative ? Mais ce n'est pas son sens qui importe dans la formule que lalangue dont j'use ici permet d'en donner, c'est que l'amorphologie d'un langage ouvre l'équivoque entre « Tu l'as dit » et «Je le prends d'autant moins à ma charge que, chose pareille, je ne te l'ai par quiconque fait dire ». (Lacan, 2001a, p. 492)

Lacan avec cette définition de l'interprétation dans L'étourdit : « je ne te le fais pas dire » veut dire deux choses bien distinctes qu'il explique très en détail. D'une part, « tu l'as dit », et d'autre part, « tu ne vas pas m'imputer d'avoir dit ce que tu dis », tendance naturelle contre laquelle cette équivoque prétend lutter et qui implique ce qu'on appelle transfert. C'est pourquoi il n'est pas d'interprétation qui ne soit interprétation du transfert, et toujours dans le même sens, bien freudien, et qui distingue la psychanalyse des autres méthodes de traitement, et qui est que cette dimension du transfert doive être dénoncée, corrigée en même temps qu'elle est un moteur de la cure. A l'opposé du prestidigitateur il s'agit de faire savoir d'où vient le lapin qu'on aura tiré du chapeau. Tout ceci est indiqué dans la formule. Mais me dira-t-on où est le réel ?

Ici il faut placer notre extrait là où il apparait dans le texte de L'étourdit lorsqu'il est question de l'équivoque interprétative :

Ces équivoques dont s'inscrit l'à-côté d'une énonciation, se concentrent de trois points-nœuds.

Je commence par l'homophonie.

Je tiens que tous les coups sont là permis pour la raison que quiconque étant à leur portée sans pouvoir s'y reconnaître, ce sont eux qui nous jouent. Sauf à ce que les poètes en fassent calcul et que le psychanalyste s'en serve là où il convient.

Qu'il soit clair que l'interprétation lacanienne ne se résume pas à l'équivoque signifiante même s'il faut lui donner tout son poids, puisqu'il y a trois points. Le second est la grammaire, et c'est à cet endroit que nous est donnée la définition de l'interprétation exposée plus haut.

Car l'interprétation se seconde ici de la grammaire. A quoi, dans ce cas comme dans les autres, Freud ne se prive pas de recourir. Je ne reviens pas ici sur ce que je souligne de cette pratique avouée en maints exemples.

Cette question de la grammaire me parait un point essentiel de la géographie lacanienne sans doute pas suffisamment éclairci. Pour bien préciser le point, Lacan m'a répondu à deux questions que je lui ai posées - je précise que je n'ai pas été en analyse avec lui, ni en contrôle, il s'agit d'une conversation - la première concernait les textes de Freud qu'il fallait lire, à quoi il a répondu avec ce que j'ai pu vérifier par la suite comme étant ceux qu'il considérait comme fondateurs de l'inconscient, la science des rêves, psychopathologie de la vie quotidienne et le mot d'esprit. La seconde était de savoir s'il était bien d'accord avec l'ordonnancement des deux topiques freudiennes avec la sienne, soit conscient, préconscient, inconscient, puis moi, ça, surmoi avec la sienne donc, imaginaire, réel, symbolique, dans cet ordre, ce qu'il a confirmé d'un bien sûr en me gratifiant d'un sourire.

Et j'ai retrouvé bien des confirmations de cette dimension réelle de la grammaire ainsi que de ce lien qui peut paraitre étrange avec le préconscient comme avec le ça freudiens. Mais, par exemple, pour faire entendre ce point, n'a-t-il jamais été question de la grammaire de la pulsion ?

Lacan ne cesse de nous entretenir de l'inaccessibilité du point d'origine du langage, qui n'est ni vrai ni faux. Ce texte, L'étourdit, on sait qu'il commence avec l'étude très grammaticale de la phrase « qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend ». Je ne reprendrai pas le détail de son examen, pour m'en tenir à ceci : une fois de plus, il insiste sur la précision de sa formule, sur « qu'on dise » et l'usage du subjonctif. On peut dire que le réel, c'est le subjonctif, à proprement parler, c'est ce qui est nécessairement oublié, le fait de dire est oublié et l'on ne retient que le contenu. Je voudrais donner un exemple de cet oubli. Lorsqu'après les attentats parisiens le président de le République, François Hollande, a tenu un discours devant les députés il a proposé que les terroristes soient déchus de la nationalité. Ce discours a été très applaudi, une fois n'est pas coutume, par tous les députés. Seulement un peu plus tard on s'est aperçu que cette déchéance de nationalité était irréalisable constitutionnellement parce qu'on ne peut déchoir de la nationalité quelqu'un qui n'en a pas d'autre, quelqu'un qui est né français et en butte aux critiques, Hollande a mis un certain temps avant d'admettre son erreur. En somme, on avait oublié son dire, la pertinence du dire au moment où il a été prononcé, l'acte de dire, et peu importait son dit.

J'ajoute ici quelque chose qui me parait important sur le double usage de ce dire selon qu'il s'agisse de l'énonciation, dimension classique chez Lacan ou du discours qui soutient cette énonciation, comme dans L'étourdit. Manifestement, les deux coexistent jusqu'au bout et notamment dans le même texte. Et pour approcher ce qu'est l'oubli du dire il me semble que le statut de l'hallucination peut être pris comme contre-exemple, là où ce « qu'on dise » ne s'oublie pas, comme si la voix était toujours en train d'être énoncée. Je crois que l'expérience la plus courante permet de vérifier ce statut toujours actuel, hors temps, de la voix hallucinée.

Et si le préconscient est le réel et que son attribut essentiel est la grammaire, cela nécessite de poursuivre avec les différentes modalités de la négation.

Cette distinction pourra être visitée grâce à une spécificité du français qui utilise la présence d'un étrange dédoublement dans la négation, ne et pas, qu'on trouve rarement dans d'autres langues. Ici, la négation qui nous intéresse est celle du discordantiel - dans le discours dont peut-être on perçoit la proximité au discord - puisque c'est celle qui fait apparaître le sujet comme divisé. Le ne discordantiel dont parle Lacan est celui qu'on voit dans la formule de l'Homme aux rats, Je crains qu'il ne meure, et qui pour lui marque le désir, et même le définit. Ce ne est ce qui divise le sujet et l'interprétation s'intéresse tout spécialement à ce ne qui constitue la trace persistante du dire dans le dit, soit sur ce qui est réel.

Disons que la phrase, qui sert de matériau à son article, est faite pour qu'on n'oublie pas qu'elle doive être prononcée pour exister. Pour la faire exister il y a d'abord le recours au discours direct. D'où l'accent mis sur le subjonctif, qu'on dise, de sorte qu'elle donne l'illusion d'être toujours en train d'être dite. C'est ce moment que l'analyse est sensée reconstruire et c'est cet impossible-là que Lacan appelle le réel, voire la science du réel. Jusqu'ici rien qui le distingue de Freud, il ne fait que rappeler ce qu'implique le concept d'inconscient, soit la prise en compte des formations de l'inconscient, lapsus, acte manqué, rêve ou mot d'esprit au cours desquels le dire se trahit un court instant.

J'essaie d'aborder la chose avec la plus grande prudence en tentant de tresser des éléments forts différents. Lacan utilise les mêmes mots, discordantiel et forclusif, pour parler de choses bien distinctes : la grammaire, la clinique de la névrose et de la psychose et, enfin, la différence homme-femme. On peut supposer sans doute que le pas-tout est discordantiel et qu'il est du côté des femmes, de même que le pour tout forclusif est du côté des hommes. Lorsque Lacan dira « les femmes sont folles, c'est-à-dire pas folles du tout », il apparaît qu'elles sont folles en quelque sorte au titre de la discordance, plus marquée chez elles du fait de l'ambigüité du statut de la castration côté femme - qui implique cette discordance -, alors que, côté homme, la fonction de la castration implique l'acceptation ou le rejet en bloc, d'où le pousse-à-la-femme qui est l'un des résultats chez l'homme lorsque la fonction discordantielle ne vient pas s'inviter en parasite de cette acceptation.

Ce « non » va permettre d'aller vers une conception nouvelle de l'acte analytique, qui distingue véritablement l'action de l'analyste de l'interprétation par rapport à la façon dont elle était pensée jusque-là. Ce qui se précise n'est pas une modification de son rapport au transfert mais ce qui se déduit quant au statut du transfert lui-même. L'interprétation est toujours interprétation du transfert pour la raison que l'interprétation ne se conçoit que dans le contexte de la cure, avec l'adresse à quelqu'un de présent, et si toute interprétation est interprétation du transfert, c'est à condition de remettre le transfert à sa place, c'est-à-dire de le considérer pour ce qu'il est.

Le dire que non, le propre de l'analyste qui dit toujours « non », n'est pas à comprendre dans le registre de la frustration. Il ne s'agit pas de tourmenter l'analysant mais que l'analyste prenne position. Dès lors, il ne peut pas se contenter de se taire. En effet, s'il se tait toujours, au nom d'une neutralité « frustrante » qu'il conserverait face aux dires de son patient, il s'exposera de fait aux malentendus. Il peut toujours s'imaginer que l'analysant prend son silence pour une non- -acceptation, mais c'est faux. Le plus souvent, si l'analyste ne dit rien, l'analysant pense que l'analyste est d'accord, non seulement sur le fait de dire, mais aussi sur le contenu de ce qui a été énoncé. Être d'accord avec ce qui est dit implique d'être d'accord avec l'intention de ce qui est dit, soit avec le discours qui sous-tend ce dit. L'interprétation, au contraire, consiste à faire valoir que ce qui est dit n'a pas nécessairement le sens imaginé par celui qui le dit. Si l'analysant fait un lapsus, lui faire remarquer son lapsus est vraiment le minimum de ce que l'analyste peut faire. Pourtant ce n'est pas suffisant parce que manquerait le « je ne te le fais pas dire » qui interprète le transfert, l'adresse à l'analyste. Comment le faire savoir ? Ici il n'y a pas de réponse préétablie et la charge en incombe à l'analyste sans qu'une règle puisse valoir pour tous les cas.

On comprend pourquoi Lacan souligne qu'il est plus libre en ce qui concerne la tactique, titre de ces journées, mais j'insiste ici sur ce que le malentendu est fréquent quant à ce que l'analysant sait sur l'analyse. Que cet analysant au début de son aventure ait idée de l'existence du transfert est une chose, et qu'il puisse interpréter ce qu'il dit dans le cadre du transfert est, comme l'Œdipe, sans doute déjà présent dans le discours courant, mais qu'il sache à quoi ça correspond vraiment est bien différent. Lacan rappelle que l'analyste face à chaque analysant doit renouveler l'énoncé de la règle fondamentale à sa façon, preuve que ça ne va pas de soi. Il est très attentif à l'oubli de ce qui ordonne la psychanalyse et son séminaire était là, comme les textes de Freud, pour ranimer l'inconscient et ses conséquences. Aujourd'hui bien des notions qui paraissaient acquises semblent remises en question, y compris la science et sa démonstration mathématique, par exemple Darwin ou l'évolution du climat. On en voit les effets dans la politique. La psychanalyse n'allait de soi à aucun moment de son histoire, aujourd'hui pas moins.

Un autre exemple qui implique le statut de la négation est celui du rêve lu par Freud dans son article sur la dénégation (Die Verneinung), « ce n'est pas ma mère ». Il sert de fondement au débat avec Hyppolite sur la négation. C'est l'exemple paradigmatique que Lacan cite lors de son premier séminaire, ce rêve où apparaît une femme inconnue dont le rêveur dit en réponse à la question - qui est-ce ? « ce n'est pas ma mère ». Lacan insiste sur le fait que la négation est la seule façon d'accéder au vrai, c'est-à-dire que non seulement « ce n'est pas ma mère » veut dire c'est ma mère, mais que c'est même la seule façon de s'assurer que c'est bien elle, à condition toutefois de s'y retrouver dans la variété des formes de négation, et c'est en cela que réside la difficulté. Ceci nous permet d'arriver à la troisième modalité qui est la logique :

Chiffre 3 maintenant : c'est la logique, sans laquelle l'interprétation serait imbécile, les premiers à s'en servir étant bien entendu ceux qui, pour de l'inconscient transcendantaliser l'existence, s'arment du propos de Freud qu'il soit insensible à la contradiction.

La question qui vient maintenant est de savoir comment ces trois modalités s'articulent. Il apparait qu'on ne peut pas simplement s'en tenir à une répartition selon les registres lacaniens, symbolique imaginaire et réel, même si l'accent est mis sur le réel à propos de la grammaire. Très clairement le réel est quelque chose auquel on n'a pas d'accès direct quel que soit le point par lequel il s'attrape. Dès lors il nous faut organiser homophonie, grammaire et logique autrement. L'homophonie est le point de départ, quelque chose a été énoncé et qui est équivoque. C'est un réel qui constitue l'expérience analytique, très clairement rappelé par Lacan depuis Fonction et champ de la parole et du langage, une parole pleine que l'analyste a à reconnaitre dans un fatras de paroles vides. Mais pour que l'homophonie ait un sens encore faut-il qu'elle soit articulée, placée dans son contexte, adressée à quelqu'un susceptible de l'entendre, telle est la fonction de la grammaire. Enfin à partir de cet ensemble reste à en saisir la logique, ce que Lacan appelle dans ce texte le dire, soit le discours qui donne son sens à la parole articulée et adressée. Chaque fois c'est un réel que l'ensemble doit décrypter et qu'on appelle interprétation.

Pour bien faire saisir ce dont il s'agit on peut suivre Lacan et sa démonstration topologique dans ce même texte :

Un tore, comme je l'ai démontré il y a dix ans à des gens en mal de m'envaser de leur contrebande à eux, c'est la structure de la névrose en tant que le désir peut, de la ré-pétition indéfiniment énumérable de la demande, se boucler en deux tours. C'est à cette condition du moins que s'en décide la contrebande du sujet - dans ce dire qui s'appelle l'interprétation. (Lacan, 2001a, p. 486)

Mais on peut aussi en donner une version plus pragmatique. La répétition évoquée ici, le double tour qui justifie le titre, Les tours du dit, peut aussi être entendue comme le temps du Tu l'as dit doive se compléter d'un deuxième tour avec la question, D'où vient que tu l'aies dit ? C'est là le deuxième tour du dit que la dimension transférentielle - Je le prends d'autant moins à ma charge que, chose pareille, je ne te l'ai par quiconque fait dire - vient souvent masquer, comme si c'était l'analyste qui était la cause de ce qui a été dit et ce d'autant plus que ce n'est pas complètement faux, qu'il n'est pas pour rien dans le fait que ça ait été dit. Sans l'analyse cette chose n'aurait pas été dite, ou au moins n'aurait pas été relevée. Il s'en déduit qu'il s'agit de contrer cet effet du transfert pour approcher ce pourquoi telle chose a été dite. On saisit ici la complexité de l'opération. Ce n'est pas que Lacan complique à plaisir, c'est que franchir l'impasse transférentielle exige à la fois son interprétation dans ce cadre transférentiel et la poursuite de la question qui s'y est déposée. L'usage du signifiant - Lacan dit asémantique mais c'est une sorte de pléonasme, le signifiant est asémantique par définition puisqu'il n'opère pour un sujet qu'à condition d'être lié à un autre signifiant et de perdre sa signification propre.

Pour saisir la différence en question et à partir de ce qui a introduit Lacan dans cette direction, soit son intérêt pour la psychose, le néologisme se caractérise moins comme mot nouveau que comme ayant une signification telle qu'elle ne permet pas l'équivoque, une signification fixée et qui d'ailleurs demande chaque fois à être précisée, de la même façon que le rire immotivé n'est immotivé que pour le spectateur, pas pour celui qui rit. On se souviendra aussi de l'exemple que j'avais donné du fou et de la pomme.

C'est aussi le cas du concept auquel on donne une définition précise. On pourrait dire qu'il perd alors en même temps que l'équivoque de la langue sa fonction signifiante. C'est ainsi que l'exercice à la lecture de Lacan se révèle d'autant plus délicat qu'il choisit comme concept des mots de lalangue, ces mêmes mots qu'il utilise aussi dans leur usage courant. C'est ainsi que « sujet » est selon le contexte le sujet de l'inconscient, le sujet divisé ou la personne dont il parle, et bien d'autres choses encore.

C'est dans ce sens qu'il convient de lire la phrase : « ...ça nous suffit à voir que l'interprétation est du sens et va contre la signification » (Lacan, 2001b, p. 480).

Il me semble qu'existe ici un malentendu sur ce que veut dire Lacan. Il rappelle comme une donnée ce qu'il avait énoncé très tôt du signifiant asémantique. Pour que l'interprétation respecte le sens il faut qu'elle suive le fil dans cet ordre, homophonie, grammaire, logique, faute de quoi elle s'égare dans la signification, au sens où on détacherait chaque élément en lui donnant le sens que le préjugé lui attribuerait. En réalité la critique est la même que celle de Freud contre Jung. Donner une signification a priori est identique à l'archétype pour lequel le sens est prédéfini, toujours le même, là où pour Freud il s'agit chaque fois de vérifier ce que tel mot veut dire pour un sujet donné.

C'est ainsi que Lacan en vient à la fin de son texte à stigmatiser ceux qui, comme il dit, m'ovalisent : « ...c'est ce que je centrerais du motvalise... On m'ovalise depuis un moment à perte de vue et ce n'est hélas ! pas sans m'en devoir un bout ».

La critique s'adresse cette fois à ses élèves qui ont pris le jeu de mot en l'isolant comme étant la recette du lacanisme. Il est très clair là-dessus car cet effet du malentendu provoqué par son enseignement même, Freud l'a rencontré aussi : « Qui reprocherait à Freud un tel effet d'obscurantisme et les nuées de ténèbres qu'il a aussitôt, de Jung à Abraham, accumulées à lui répondre ? - Certes pas moi qui ai aussi, à cet endroit (de mon envers), quelques responsabilités » (Lacan, 2001b, p. 492).

La référence à Jung comme on le voit ici est explicite. Les ténèbres d'Abraham sont moins évidentes, sans doute proviennent-elles d'un ordonnancement trop stéréotypé dans la succession des stades préœdipiens ou plutôt de cette insistance à vouloir absolument que tel objet oral ou anal soit la cause de la mélancolie là où Freud essayait sans succès de l'intéresser au mécanisme en jeu.

Il range ainsi dos à dos la sémantophilie de ceux qui anticipent la signification en fonction de leurs préjugés et ceux qui mot-valisent au nom du tuyau de poêle lacanien.

Le réel que vise l'interprétation n'est au-delà du langage que dans la mesure où, à l'instar du dire - le dire de Freud est : il n'y a pas de rapport sexuel, un dire qui se déduit de l'ensemble de son œuvre -, il peut être déduit de l'ensemble des éléments articulés. N'y voyons donc pas un retour de l'ineffable, le réel, ou du préverbal, la lalangue. Ça viendrait en contradiction avec l'ensemble de la conception qui commande la psychanalyse de Freud à Lacan et je n'y adhère donc pas.

 

Références bibliographiques

Lacan, J. (1998a). Função e campo da fala e da linguagem em psicanálise. In J. Lacan. Escritos (pp. 238-324). Rio de Janeiro: Zahar. (Trabalho original publicado em 1953)        [ Links ]

Lacan, J. (1998b). Situação da psicanálise em 1956. In J. Lacan. Escritos (pp. 461-495). Rio de Janeiro: Zahar. (Trabalho original publicado em 1956)        [ Links ]

Lacan, J. (2003a). O aturdito. In J. Lacan. Outros escritos (pp. 448-497). Rio de Janeiro: Zahar. (Trabalho original publicado em 1972)        [ Links ]

Lacan, J. (2003b). Televisão. In J. Lacan. Outros escritos (pp. 508-543). Rio de Janeiro: Zahar. (Trabalho original publicado em 1973)        [ Links ]

 

 

Recebido: 30/04/2019
Aprovado: 30/04/2019

 

1 Conférence donnée à São Paulo le 10 novembre 2018 lors de la XIXe Réunion Nationale de l'Ecole de Psychanalyse des Forums du Champ Lacanien (EPFCL-Brasil), Brésil.

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