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Latin American Journal of Fundamental Psychopathology On Line

versão On-line ISSN 1677-0358

Lat. Am. j. fundam. psychopathol. on line v.5 n.1 São Paulo maio 2008

 

ARTIGOS

 

Corps contemporains. Création et faits de culture – Le corps extrême: corps inhumain, corps posthumain ou corps trop humain?

 

Corpos contemporâneos. Criação e feitos de cultura – O corpo extremo: corpo desnaturado, corpo pós-humano ou corpo humano demais?

 

 

Simone Korff Sausse*

Paris 7
Société Psychanalytique de Paris

Adresse pour correspondance

 

 


RESUMO

O autor propõe uma reflexão sobre o corpo contemporâneo a partir de uma dupla abordagem, a clínica e a estética. Sintoma ou criação? Objetiva-se comparar, por um lado, os processos dos artistas contemporâneos que reservam um espaço amplo ao corpo nas suas obras ou performances que, apesar da aparente desumanização, alcançam verdadeiras criações e, por outro lado, os aspectos clínicos que se manifestam nas somatizações no corpo dos pacientes, em particular aqueles que pertencem à categoria que o autor denomina de "corpos extremos". O autor conclui que a desumanização do corpo seria uma maneira paradoxal e subversiva de perseguir o que o ser humano possui de irredutível.

Palavras-chave: Pós-humano, Corpos, Handicap, Arte Contemporânea 


ABSTRACT

In this paper the author will be reflecting on the contemporary body from both the clinical and aesthetic points of view. Links will be explored between the artistic productions of contemporary artists and the vicissitudes of the body in clinical practice. Symptom or creation? The author concludes that the dehumanisation of the body may be said to be a paradoxical and subversive way of revealing that which is irreducible in the human. In this sense, the post-human body, just like the extreme body, is a too human body.

Keywords: Post-human, Body, Handicap. Contemporary Art


RESUMÉ

L'auteur propose une réflexion sur le corps contemporain à partir d'une double approche: clinique et esthétique. Symptôme ou création? Il s'agit de comparer d'une part les démarches d'artistes contemporains qui font une grande place au corps dans leurs œuvres ou performances, et qui malgré l'apparente déshumanisation parviennent à des créations véritables, et d'autre part les enjeux cliniques qui sont mobilisés dans les atteintes somatiques du corps chez les patients, en particulier ceux qui entrent dans la catégorie de ce que l'auteur désigne comme «corps extrêmes». L'auteur conclut que la déshumanisation du corps serait une manière paradoxale et subversive de traquer ce que l'humain a d'irréductible.

Mots clés: Post-humain, Corps, Handicap, Art Contemporain


RESUMEN

El autor propone una reflexión sobre el cuerpo contemporáneo a partir de un doble abordaje, clínico y estético. Síntoma o creación? Se trata de comparar, por un lado, los procesos de los artistas contemporáneos que reservan un espacio amplio al cuerpo en sus obras o performances que, a pesar de la aparente deshumanización, alcanzan verdaderas creaciones y por otro lado, los aspectos clínicos que se manifiestan en las somatizaciones en el cuerpo de los pacientes, en particular aquellos que pertenecen a la categoría denominada "cuerpos extremos". El autor concluye que la deshumanización del cuerpo seria la manera paradoxal y subversiva de perseguir lo que el ser humano posee de irreductible.

Palabras clave: Post-humano, Cuerpos, Handicap, Arte Contemporánea.


 

 

Je propose une réflexion sur le corps contemporain à partir d'une double approche: clinique et esthétique. Il s'agit d'effectuer des croisements entre les productions artistiques des artistes contemporains et les destins du corps dans la clinique. Symptôme ou création? Où est la frontière? (Korff-Sausse, 2006 ), Aurait-on à faire dans la modernité à un homme réduit techniquement à ses organes? Un corps qui serait un produit fabriqué? Peut-on dire que l'assujettissement de l'humain sous le rouleau compresseur d'une idéologie réductrice de l'humain, soumis à la maîtrise évaluatrice et l'idéal de la performance, fait qu'il n'y aurait plus de sujet dans la culture et plus de patient dans la clinique? Ce serait l'hypothèse pessimiste. Nous tenterons de dégager une hypothèse plus optimiste en cherchant des analogies fécondes entre:

– d 'une part les démarches d'artistes contemporains qui font une grande place au corps dans leurs œuvres ou performances, et qui malgré l'apparente déshumanisation parviennent à des créations véritables.

– et d'autre part les enjeux cliniques qui sont mobilisés dans les atteintes somatiques du corps chez les patients. Je rassemble sous la notion de «corps extrêmes» un certain nombre de situations du corps (corps handicapé, corps du grand prématuré, corps blessé, corps réanimé, corps du grand brûlé, corps du vieillard, corps transsexuel, corps en phase terminale…), qui ont en commun de nous amener aux frontières  de l'humain. Mais à l'intérieur de ce champ, il faut différencier les atteintes volontaires et les atteintes involontaires. En plus, il convient de différencier aussi les mouvements opposés de désymbolisation et de symbolisation. Les corps extrêmes sont à la fois l'objet de déconstruction symbolique et de déshumanisation, mais aussi le lieu de symbolisations inattendues et insolites permettant de ré-humaniser le sujet.

Lorsque le corps est sain, il y a concordance entre l'image de soi telle qu'elle apparaît dans le miroir ou dans le regard de l'autre et l'image de soi que le sujet porte à l'intérieur de lui. En cas d'accident, de mutilation, de défiguration, la concordance devient discordance.

Il y a discordance lorsque la laideur objective de l'apparence externe ne correspond pas à l'image interne investie positivement sur le plan narcissique. Ou lorsque le corps réel, c'est à dire celui du schéma corporel est source de dysfontionnements et de souffrances, alors le corps fantasmatique, celui de «l`image inconsciente du corps» (Françoise Dolto, 1984) est intacte. L'apparence externe devenue inhumaine ne correspond pas à l'image interne.

Mais il y a discordance aussi lorsqu'une personne d'apparence physique «normale» effectue des pratiques de transformation, voire de mutilation (opérations, tatouage, peircing, Eres, 2006), pour modifier un corps sain en un corps altéré, un corps qui s'écarte du modèle humain.

Dans ces situations, on est dans une dialectique du visible et de l'invisible, de l'apparence et de l'intériorité, de l'humain et de l'inhumain. (Grim R., Herrou C., Korff-Sausse S. et Stiker H.J., 2001) . On peut être beau à l'intérieur et laid à l'extérieur, tout comme on peut être laid à l'intérieur et beau à l'extérieur. C'est la dialectique du vilain petit canard et le cygne merveilleux. On peut être animal à l'extérieur et humain à l'intérieur (Le Belle et la Bête, la Métamorphose de Kafka). On peut être humain à l'extérieur et animal à l'intérieur (les grands monstres-tyrans de l'histoire politique du 20ème siècle…).

Des cas cliniques peuvent illustrer ces deux cas de figure qui s'opposent sur la plan de la psychopathologie, obéissant à deux logiques distinctes: l'une met en jeu des attitudes de réparation, l'autre des comportements de destruction/mutilation.

Dans le premier cas, le sujet est confronté à un changement d'apparence et une souffrance du corps qui lui est imposé par la vie (maladie, handicap, accident), dont il est en quelque sorte la victime, mais avec laquelle il devra se confronter activement et qu'il cherche éventuellement à réparer. On est dans la théorie du trauma.

Dans le deuxième cas, le sujet cherche lui-même ce changement d'apparence. Il en est l'acteur. En ce sens, il défie et transgresse les données biologiques de la réalité du corps. Il est donc soit en position perverse, soit dans une dimension délirante psychotique.

I – Dans le premier cas, en cas de maladie, handicap, accident, vieillissement, le corps qui paraît aller de soi, vécu avec un sentiment d'unité et de continuité, source d'éprouvés naturels et non-questionnés, devient une figure de l'inquiétante étrangeté, un persécuteur, un ennemi (Sausse, 1996).

Sur le plan de la clinique, c'est ma rencontre avec des enfants atteints de graves handicaps qui m'a montré cela: d'une part ces enfants vivent avec un corps abîmé, défaillant, tellement trituré par des interventions chirurgicales et tellement appareillé, qu'il apparaît comme posthumain. Mais d'autre part, ils ont une image corporelle et identificatoire intacte sur le plan de la symbolisation, de la subjectivité et donc de l'humanité. Il y a un décalage quasi-insurmontable.

Le poète tétraplégique Joë Bousquet1 (1941) témoigne de ce décalage absolu lorsqu'un être humain du fait d'une maladie neurologique ou d'une grave infirmité motrice se retrouve dans un corps prison, privé de tous les moyens permettant de s'exprimer et de communiquer. Il donne alors aux autres l'apparence d'un corps inhabité, déshabité, d'une absence de sujet, alors qu'il a un monde interne de pensées, de fantasmes, d'affects, d'images, une présence subjective, mais qu'il ne peut ni formuler ni partager. Comme le formule Joë Bousquet il s'agit d'un "corps absurde", auquel il est lié par des liens insupportables mais indissociables. "Je me sentais pareil à un esprit attelé à un cadavre." Le corps handicapé provoque un clivage et devient un persécuteur. Ce corps ne lui appartient pas. Il en est dépossédé. Le corps est manipulé, soigné, parlé par les autres. "Est-il possible de vivre décemment avec un corps qui régresse et risque de devenir mon pire ennemi?" écrit Paul Melki (2004), un adolescent handicapé-écrivain, qui ne peut ni marcher ni parler.

Quel est le sujet de ce corps désubjectivé? Ce corps est marqué du sceau d'une altérité, dont on peut se demander si elle n'est pas irréductible, conduisant aux confins de l'humanité, l'inhumain, le post-humain, d'autant plus lorsque, avec les nouvelles technologies, ce corps est appareillé, ou équipé d'implants. De plus, les autres, et parfois les soignants, ont du mal à se dégager de la captation spéculaire fascinante et aliénante du corps extrême.(Korff Sausse, 2008) Il renvoie le sujet infirme ou difforme à ce douloureux clivage entre une humanité interne et une inhumanité externe.

II – Dans le deuxième cas, le sujet impose délibérément des atteintes à son corps. Ces situations cliniques recouvrent un spectre très large allant des opérations esthétiques banales à des transformations corporelles radicales et mutilantes. Il s'agit de modifier un aspect de l'apparence externe, vécu comme inesthétique ou non conforme à l'image de soi, afin de le faire coïncider avec cette image interne. Comment comprendre ces gestes? Création ou symptôme? Est-ce que cela s'inscrit dans une organisation psychopathologique ou dans une démarche esthétique, voire philosophique et existentielle?

Pour David Le Breton (1992), à propos des scarifications, elles ne sont pas à considérer comme une pathologie, mais une stratégie de survie, un remède, une manière de donner forme aux souffrances. C'est une manière de réappropriation du corps. Paradoxalement la douleur redonne existence à un corps qui se dérobe.

A moins qu'il ne s'agisse justement de faire concorder l'apparence du corps à une image interne abîmée, voire monstrueuse. Très curieusement, le sujet se reconnaît dans ce nouveau corps transformé, abîmé. Le corps qui lui a été donné, il ne s'y reconnaît pas, il dit souvent qu'il ne s'y est jamais reconnu. Il se construit un nouveau corps qui correspond à l'image interne et à son identité. L'exemple le plus spectaculaire et radical de cette démarche est celle des amputés volontaires: «pour la première fois de ma vie, j'ai eu l'impression que mon corps était complet, que c'est mon corps qui correspond à mon identité».

Chez ces personnes (peut-on utiliser le mot de patients?) le but est de rendre l'apparence du corps conforme à l'image interne. Le corps livré aux transformations est une surface de projection des objets internes destructeurs, clivés et mutilés.

III – De quelles identifications s'agit-il ici? On peut repérer à travers ces souhaits de transformations corporelles des images identificatoires au déchet, à l'animal, au prégénital bestial, au monstre. Chez ces adolescents, comme chez certains artistes, il s'agit de rendre l'extérieur en concordance avec l'intérieur. La saleté intérieure, déchet abject, doit être objectivée sur la surface visible du corps.

Dans le domaine des cliniques de l'extrême, on rencontre toujours la catégorie de l'animalité (Korff Sausse, 2007). Les êtres atteints d'un handicap, une anormalité du développement, une difformité, la déficience mentale, les phases terminales de la maladie, la grande prématurité, la vieillesse évoquent inévitablement des images de bestialité, au sens d'un débordement pulsionnel qui signerait le franchissement de la barrière anthropologique qui garantit la différence humain/animal. Le corps infirme réveille immanquablement des fantasmes de bestialité.

On peut faire ici un parallèle intéressant avec les démarches de nombre d'artistes contemporains qui ont recours à l'animalité. L'animalité permet d'explorer des mondes alternatifs et expérimentaux, d'aller au-delà des frontières, qu'elles soient esthétiques ou anthropologiques, pour dénoncer les fausses idéologies humanistes de la société. Il s'agit de sortir de l'opposition binaire homme/animal pour expérimenter d'autres agencements identitaires.

William Wegman fait de son chien baptisé Man Ray en hommage au photographe surréaliste, l'un des principaux sujets de son œuvre. Mais d'autres artistes vont plus loin: tel Oleg Koulik, qui, au cours d'une performance, s'exhibe nu, à quatre pattes, imitant un chien méchant. Pour lui, "il a montré ainsi le désarroi du peintre qui ne parvient plus à s'exprimer avec des toiles et des pinceaux, qui tombe à quatre pattes et qui n'a plus que des instincts d'animaux.» C'est une métaphore où l'artiste met à nu la nature animale de l'humain. Oleg Koulik dit encore que c'est à l'armée qu'il a découvert l'animalité des humains…

Ces artistes dévoilent la part de l'animalité en nous, les limites de l'humain. Mais paradoxalement l'animalité nous permet de penser quelque chose de l'humain, qui ne serait pas pensable autrement. Ce qui est difficile à penser ce n'est pas l'animal, c'est l'humain. L'animal est un miroir qui nous autorise une interrogation sur l'identité et la nature de l'humain. Preuve en est la figure d'animal dans certaines œuvres d'art remarquables: le chien de Goya, le chien de Miro, les chevaux de Franz Marc («Les chevaux rêvent-ils?», se demandait ce peintre), et puis ce chien décharné et famélique de Giacometti qu'on peut considérer comme un «étonnant, prodigieux, tragique autoportrait».

IV – La tendance à mettre en avant dans la création artistique la laideur et la souffrance du corps humain, qui est une tendance marquante de l'art contemporain, s'enracine dans l'iconographie chrétienne. C'est dès la fin du moyen âge que l'on voit se développer, dans la peinture et la sculpture, les corps extrêmes avec l'essor du thème de la Passion du Christ, à partir de l'œuvre déterminante qu'est le retable d'Issenheim de Grünewald, à Colmar.

Saints et martyrs flagellés, stigmatisés, désarticulés, brûlés, découpés, écorchés, sanguinolents, étripés, énuclées évoquent les corps scarifiés, tatoués, cannibalisés, fécalisés des artistes modernes. Job sur son tas de fumier, recouvert du haut en bas d'un ulcère malin, n'est plus qu'un corps puant et repoussant, tel que les actionnistes viennois en proposent au spectateur. Le corps criblé de flèches de Saint Sébastien, qui peuple les musées depuis des siècles, est intensément repris dans l'art contemporain, en particulier chez les artistes gays, comme icône de l'homosexualité.

Cette tradition atteste que l'art occidental s'enracine profondément dans le contexte du christianisme, même si les artistes contemporains (pas tous!) préfèrent oublier ou dénier cet ancrage. Le développement de la peinture est issu du débat entre iconophiles et iconoclastes. Ce qui permet de lever l'interdit de la représentation énoncé par les iconoclastes, c'est le principe théologique de l'incarnation, c'est-à-dire celle de la double nature du Christ.

«Rendre visible l'invisible», tel est le but qu'assigne Paul Klee à la peinture. En disant cela, Klee n'est peut-être pas conscient que cette affirmation prend source dans les débats qui, à la suite des iconophiles et des iconoclastes, ont traversé les siècles sur l'invisibilité du divin et la possibilité ou l'interdit de le représenter. Il s'agit d'un homme fait à l'image de Dieu, dont la représentation va rendre visible sous sa forme humaine la nature divine invisible. Le Christ est le visible du père, et le Père l'invisible du Christ. Si le Christ a une double nature humaine et divine, tout être humain participe à son tour de la nature divine.

C'est l'humanisation du Christ, à partir du principe de l'incarnation, qui rend possible la représentation de la laideur. En d'autres termes, la laideur est là pourévoquer le caractère humain du Christ. Autre point important: la laideur est associée à l'idée de la souffrance, que l'on va trouver dans l'art contemporain et en particulier dans le Body Art. Avec le principe de l'incarnation, la souffrance est en même temps celle de l'être divin et celle des humains. La laideur n'est plus ce qui vient déranger l'ordre du monde et l'idéal de Beauté, comme dans l'Antiquité, mais elle figure au contraire ce qui est proprement humain. De plus, ce personnage laid devient une figure d'identification, car il est représentatif de la condition humaine, ce qui va être mis en jeu dans les performances et actions corporelles.

V – Une étude plus approfondie de ces situations montre qu'elles ne s'opposent pas tant que ça. Dans les deux cas, les modifications corporelles imposées comme les modifications corporelles choisies, on peut trouver des points communs. D'abord les deux ont un rapport avec l'axe narcissique, même si le narcissisme n'est pas du tout mis en jeu de la même manière. De plus, ils activent l'un comme l'autre un fantasme d'auto-engendrement, dans un cas au moyen de la réparation, dans l'autre par l'autodestruction. Il y a donc des points de recouvrement entre ces deux démarches apparemment si contradictoires. En effet, la clinique nous montre que le trauma (dans ces cas: maladie, handicap) ne se réduit jamais à un sort destinal, car il produit des processus psychiques destinés à élaborer ce destin. Même si la raison de l'anormalité du corps est fortuite, due au hasard ou aux aléas imprévisibles et incontrôlables de la somatique, le sujet ressent la nécessité de réaliser une appropriation subjective de cet événement traumatique, ce qui passe parfois par le recours aux mécanismes pervers, afin de maîtriser une réalité imposée et inéluctable. On voit ainsi des enfants handicapés qui mettent en place des stratégies perverses face à l'impensable arbitraire du handicap: provocations, exhibitionnisme. On trouve une illustration ce cette position chez le peintre Toulouse-Lautrec et l'écrivain Mishima2, ainsi que dans l'œuvre de Frida Kahlo.

Et dans le deuxième cas de figure, les frontières entre réparation et auto-destruction ne sont pas toujours claires, montrant les passages et les intrications entre ces deux extrêmes. Le sujet qui s'auto-mutile tend peut-être à une forme paradoxale de réparation.

 

Conclusion

On peut se demander quel est le sens de la démarche de ces artistes contemporains qui interviennent sur le corps pour y infliger des aspects inhumains, voire d'en faire un objet post-humain, visant à déshumaniser le corps. Ils produisent un corps de douleur, comme le corps christique, dont ils deviennent le sujet ou le spectateur. Mais c'est un corps désacralisé, vidé de tout sens éthique, tournant en dérision ce qui en ferait une matière symbolique. N'est-ce pas un jeu avec les limites de l'humanité qui cherche apparemment à éliminer ce qu'il en est de l'humain, mais contribue aussi à le démontrer?

Mon hypothèse est que si le corps est post-humain, le sujet ne l'est pas, dans la mesure où, éthiquement parlant, on ne peut contester à aucun être humain son appartenance à l'humanité, sauf à vouloir le déshumaniser, ce qui est une pratique totalitaire qui conduit aux génocides.

La déshumanisation du corps serait une manière paradoxale et subversive de traquer ce que l'humain a d'irréductible. En ce sens, le corps post-humain, tout comme le corps extrême, est un corps trop humain, puisqu'il vient nous interroger douloureusement sur ce qu'il reste du sujet humain dans un corps inhumain.

La femme qui a reçu une greffe du visage a dit: «maintenant j'appartiens de nouveau au monde des humains».

 

Referências

BOUSQUET, J. (1941). Traduit du silence, Paris: L'imaginaire, Gallimard, 1968.         [ Links ]

LE BRETON, D. Des visages. Essai d'anthropologie. Paris: Editions Métailié, 1992.         [ Links ]

DOLTO, F. L'image inconsciente du corps, Paris: Seuil, 1984.         [ Links ]

GRIM, R.; Herrou, C.; Korff-Sausse, S.; Stiker, H. J. Quelques figures cachées de la monstruosité. Vanves-Paris: Ed. du CTNERHI, 2001.         [ Links ]

KAFKA. La Métamorphose. Actes Sud, s/d.         [ Links ]

KORFF-SAUSSE, S. D'Œdipe à Frankenstein. Figures du handicap, Desclée de Brouwer, 2000.         [ Links ]

_____. Le corps extrême dans l'art contemporain, Champ Psychosomatique, Esprit du Temps, n. 42, pp. 85-97, 2006.         [ Links ]

_____. Les métamorphoses du corps dans la clinique et l'art contemporain, in Desprats-Péquignot C. et Masson C. Métamorphoses contemporaines: enjeux psychiques de la création. L'Harmattan, p.25-39, 2008.        [ Links ]

MELKI, P. Journal de bord d'un détraqué moteur. Paris: Calmann-Lévy, 2004.         [ Links ]

____. Revue Enfances § Psy, Les marques du corps, n. 32, Erès, 2006.         [ Links ]

SAUSSE, S. Le miroir brisé. L'enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste. Paris: Calmann-Lévy, 1996.         [ Links ]

 

 

Adresse pour correspondance
146 Bd. du Montparnasse, 75014 Paris.

Recebido em dezembro de 2007
Aceito em janeiro de 2008

 

 

* Psychanalyste. Maître de conférences à l'UFR Sciences Humaines Cliniques de l'Université Denis Diderot, Paris 7. Membre de la Société Psychanalytique de Paris.
1 Le poète Joë Bousquet est atteint en 1918, à 21 ans, dans la bataille de Vailly, d'une balle dans la moelle qui le laisse tétraplégique. Jusqu'à sa mort en 1950, il passera son existence, immobilisé sur un lit qu'il ne quittera plus, dans une chambre aux volets clos. Là, viendront le voir des artistes et des poètes, hommes et femmes, avec lesquels il entretiendra des relations intenses. Là il ne cessera de produire des textes (journal, romans, poèmes, des correspondances amoureuses et un roman érotique).
2 Sur ces deux figures, ainsi que sur le vilain petit canard, je renvoie le lecteur aux études plus approfondies dont il font l'objet dans l'ouvrage Korff-Sausse S. (2000), D'Œdipe à Frankenstein. Figures du handicap, Desclée de Brouwer.

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