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Psicologia USP

On-line version ISSN 1678-5177

Psicol. USP vol.1 no.1 São Paulo June 1990

 

ARTIGOS ORIGINAIS

 

Transformations de la psychologie génétique cognitive et de l'epistémologie génétique

 

Transformações da psicologia genética cognitiva e da epistemologia genética

 

The changes of genetic cognitive psychology and of genetic epistemology

 

 

Jean-Marie Dolle

Docteur ès Lettres et Sciences Humaines. Université Lumière. Lyon II. France

 

 


RESUMÉ

Cet article met en cause le rapport entre l'Epistémologie Génétique et la Psychologie Génétique tel qu'il a été conçue dans certains travaux récents realisés par ceux qui ont continué l'ouvre de Jean Piaget. Ces travaux soulignent le rôle du milieu dans le processus d'abstraction réflechissante à partir du quel l'individu connaît et interprète le monde où il vit. Le but de cet article est justement d'apporter de nouvelles précisions au concept d'environment pour la Psychologie Génétique. Notre discussion s'inspire des recherches de Zelia Ramozzi-Chiarottino sur l'enfant qui n'apprend pas sans que l'on sache le pourquoi du trouble.

Descripteurs: Epistémologie génétique. Processus cognitifs.


RESUMO

O artigo põe em causa a relação entre a Epistemologia Genética e a Psicologia Genética tal qual tem sido posta em prática em alguns trabalhos dos últimos anos pelos continuadores de Jean Piaget. Esses trabalhos ressaltam o papel do meio no processo de abstração reflexiva que leva o indivíduo a conhecer e interpretar o seu mundo. Neste artigo procura-se lançar novas luzes sobre a noção de ambiente em psicologia genética. A discussão inspira-se nas pesquisas de Zélia Ramozzi-Chiarottino sobre a criança que não aprende sem que se saiba o porquê do distúrbio.

Descritores: Epistemologia genética. Processos Cognitivos.


ABSTRACT

The purpose of the present essay is to bring to the foreground the relation between genetic epistemology and genetic psychology as it has been put to work in some books and articles recently published. These books and articles enphasize the role of the environement in the process of reflexive abstraction — that alows the individual to know and to interpret his world. Here we try to shed new light upon the concept of "environment" in genetic psychology. The discussion is based on research done by Professor Zelia Ramozzi-Chiarottino, who has studied questions related to the children that do not learn, without a known reason.

Index Terms: Genetic Epistemology. Cognitive Processes.


 

 

La psychologie génétique cognitive qu'a fondée Jean Piaget (1896-1980) a connu une première transformation, dans les dernières années de sa vie lorsque les chercheurs ont commencé à s'attacher davantage aux aspects fonctionnels qu'aux aspects structuraux de I' activité cognitive (recherches sur les procédures sous la direction de B. INHELDER) et surtout lorsque les psychologues ont quitté le laboratoire pour la pratique et la recherche dans la pratique clinique (SCHMITT notamment, RAMOZZI-CHIAROTTINO, etc). On s'est aperçu particulièrement que les sujets concrets ne corroboraient pas les belles constructions théoriques du maître de Genève du point de vue structural et du point de vue génétique. Les diagnostics du développement génétique révélaient que les organisations structurales étaient dysharmoniques (GIBELLO) contrairement à ce que l'on supposait. Au surplus, les effets de contenu et de contexte paraissaient infiniment plus importants qu'on ne le pensait (pensée naturelle: cf. travaux de CARBONNEL, de LONGEOT, COLOQUE DE ROUEN, etc.) puisque la structure était supposée s'appliquer à tout contenu quel qu'il soit, comme une forme à une matière. C'est pourquoi on acquit la conviction qu'il était impossible de séparer l'une de l'autre. Par extension, la théorie paraissait irréductiblement enfermée dans des affirmations générales et plutôt myope sur les interactions avec le milieu.

Nous ne pourrons pas rappeler tous les travaux afférents à ces différents points. En revanche, nous nous proposons d'insister sur ce qui nous paraît avoir contribué à ouvrir le système piagétien là où, sans présenter de réelle fermeture, il n'avait cependant pas poussé suffisamment ses analyses.

Pour Piaget, le développement s'effectue dans le contexte de l'adaptation du sujet au milieu (S M). Tout part, en effet, de structures initiales innées Celles-ci fonctionnent dans un champ limité, par assimilation. L'ouverture de ce champ correspond à la rencontre avec des éléments inassimilables provoquant une accommodation qui se traduit par la construction de structures nouvelles d'ouverture plus grande et permettant une meilleure adaptation. Ainsi, de proche en proche, assiste-t-on à une filiation de structures par auto-transformation. L'ouverture que présent chacune correspond néanmoins à un certain taux de fermeture. De là leur organisation en systèmes d'ensemble equilibrés à l'intérieur d'eux-mêmes par rapport aux éléments qui les composent et, à l'extérieur, par rapport à ceux sur lesquels ils s'exercent. Ces systèmes d'ensemble obéissent à des proprietés correspondant à celles du groupe en mathématique: directe, inverse, identique ou nulle, associative.

La constitution de ce système paraît de plus obéir à une logique de filiations stricte, comme, par exemple, la construction de classes et de séries précédant celle du nombre, la conservation de la substance apparaissant avant elle du poids, celle-ci avant celle du volume, l'acquisition de la conservation des longueurs avant celle des surfaces, qui précède celle des coordonnées de la hauteur et l'horizontale, elles-mêmes antérieures à la conservation du volume spatial, etc. Mais, chaque système donne naissance à un autre de niveau supérieur, dans lequel il s'integre Ainsi, l'ensemble des structures de l'activité sensori-motrice se reconstruit-il au plan de la représentation sous la forme des opérations réversibles, elles-mêmes s'intégrant dans les opérations formelles (combinatoire et double réversibilité). De là un developpement en stades intégratifs successifs d'équilibre toujours plus large: filiation par reconstruction et restructuration à des niveaux intégratifs de plus en plus complexes.

La recherche des structures et de leur filiation ayant occupé Piaget et ses collaborateurs pendant de nombreuses années a contribué à l'élaboration du modèle du sujet epistémique, c'est-à-dire du sujet universel ou quelconque tel qu'il se structure indépendamment des conditions particulières où il le fait et de la manière dont il le fait. Aussi bien, diagnostiquer, par exemple, le niveau de développement atteint correspond, em première approximation, à chercher quelles sont les structures actuellement repérables. Mais les problèmes commencent à se poser sérieusement, premièrement si l'on constate que manquent celles que l'on s'attend a rencontrer; deuxièmement si l'on a idée d'en favoriser l'acquisition par apprentissage.

La première question concernant les retards de stucturation — mais cela vaut pour leur avance tout aussi bien — appelle explication. Et c'est de la pertinence de celle-ci que dépendra, sans doute, la remédiation appropriée (apprentissage opératoire).

S'étant atachée à étudier les enfants des favelas de São Paulo principalement et d'autres d'origines diverses qui n'apprennent pas sans que l'on sache pourquoi ("e não se sabe por quê"), RAMOZZI-CHIAROTTINO, a fait appel au milieu, sans céder toutefois à la tentation behavioriste, c'est-à-dire sans lui attribuer la responsabilité totale et entière des troubles qu'elle observait chez le sujet et sans accorder aux conditions sociales.

Crianças que não aprendem e não se sabe por quê existem em todas as classes sociais, embora, na maioria das vezes, pertençam às camadas menos favorecidas, em termos econômicos, (p.74).

um rôle qu'elles ne sauraient avoir en tant que totalités complexes. Autrement dit, RAMOZZI-CHIAROTTINO en piagetienne conséquence, prend la théorie au mot en replaçant le sujet dans l'interaction avec le milieu. Ce qui signifie qu'elle cherche à rendre compte des interactions du sujet qu'elle observe avec le milieu qui est ou a été le sien.

Si nous reprenons à notre manière le raisonnement de la psychologie génétique , nous dirons que le développement des connaissances consiste à construire et à reconstruire le réel La période sensori-motrice le fait par l'action exercée directement sur lui et la période suivante le reconstruit au plan de la représentation. En plus de l'action directe s'exerce, en pensée, une autre action sur la représentation qui en a été élaborée.

La psychologie congnitive, ou l'epistémologie génétique, étudiant la manière dont se forment et s'accroissent nos connaissances met donc en évidence ies diverses étapes de la construction du réel.

On saisit ainsi la difficulté de la notion de milieux — sur laquelle nous reviendrons et qui est peut-être trop générale pour l'état actuel du développement de la psychologie génétique — quand on s'aperçoit que l'on a glissé d'une terminologie à l'autre. Le réel s'est en effet substitué au milieu.

Avant donc que nous ne revenions sur ce point, reprenons la définition et l'explicitation que donne du réel RAMOZZI-CHIAROTTINO lorsqu'elle écrit:

o real é o mundo dos objetos e dos acontecimentos, estruturado pela criança graças à aplicação (a este mundo) de seus esquemas de ação. É por intermédio desses esquemas, como já vimos, que a criança entende as propriedades dos objetos, as regularidades da Natureza e o alcance ou os limites de suas ações em relação ao seu mundo (ou seja, o mundo no qual ela age). É graças à ação que exerce sobre o meio que a criança se insere no espaço e no tempo e percebe as relações causais. Sem essa organização, a representação do mundo não será adequada (p. 75).

Il faut donc de 10 à 12 années à l'enfant pour construire le réel en deux étapes: d'abord au plan sensori-moteur; au plan de la représentation ensuite. Comment s'y prend-il?

En interagissant avec son milieu, l'enfant met en oeuvre ses schemes et en construit d'autres ainsi que nous le savons. Mais, ce faisant, il découvre des propriétés appartenant à l'objet: son poids, sa forme, sa consistance, etc. Piaget nomme cette activité abstraction empirique Il la distingue d'une autre qui lui est complémentaire: l'abstraction réfléchissante, c'est-à-dire, l'abstraction des propriétés de l'action du sujet s'exerçant sur l'objet. Aux propriétés des objets s'appliquent en effet celles de l'action du sujet qui les transforme et dont il fait l'expérience Or, cette abstraction réfléchissante se manifeste dès que le bébé s'avère capable, afin de résoudre un problème nouveau, d'utiliser certaines structures construites et coordonnées entre elles pour les réorganiser en fonction de faits nouveaux Mais, lorsqu'il aura atteint le niveau de la représentation, l'enfant pourra transposer sur ce nouveau plan ce qu'il a retiré du plan antérieur (en le réfléchissant au sens physique du terme, ce que Piaget appelle réfléchissement) Et, en réfléchissant (au sens de la réflexion mentale) sur ces constructions, l'enfant établira des relations entre représentations et formes de l'activité intériorisée. Ainsi, par l'effet de l'abstraction empirique, l'enfant apprend les propriétés du réel et parvient à les utiliser; par l'abstraction réfléchissante, il le connaît parce qu'il en saisit l'organisation par les transformations qu'il lui impose. Ainsi, connaître, c'est comprendre et distinguer les relations nécessaires des contigentes et, selon l'heureuse formulation de RAMOZZI-CHIAROTTINO: "atribuir significado às coisas no sentido mais amplo da palavra, ou seja, levando em conta não só o atual e explicito como o passado, o possível e o implícito" (p. 73).

Si les structures de la connaissance et la connaissance elle-même s'élaborent par abstraction réfléchissante, le problème de l'apprentissage, c'est-à-dire celui le l'action efficace, de l'action qui réussit se trouve alors renvoyé, plus profondément, à celui de la connaissance et de ses processus. C'est pourquoi RAMOZZI-CHIAROTTINO, à propos des enfants qui n'apprennent pas et sans que l'on sache pourquoi ("e não se sabe por quê") et selon laquelle ces enfants n'ont pas construit ou insuffisamment construit le réel: "não construção do.real; não estruturação do real" s'avère des plus pertinentes Et la conclusion à laquelle ses travaux l'ont conduite paraît bien propre à renforcer la pertinence même de la théorie piagetienne, lorsqu'elle écrit:

... chegamos a conclusão de que os distúrbios de aprendizagem são determinados por deficiências no aspecto endógeno do processo da cognição e de que a natureza de tais deficiências depende do meio no qual a criança vive e de suas possibilidades de ação neste meio, num período crítico de zero a sete anos (p. 83).

Si les déficits d'apprentissage sont imputables à "não construção do real", et s'ils s'expliquent par l'absence ou la faiblesse des échanges avec le milieu, soit parce que celui-ci s'avère pauvre en sollicitations, soit parce qu'il est artificiellement appauvri comme dans le phénomène de surprotection (over protection), alors il nous faut pousser l'hypothèse jusqu'à ses plus extrêmes conséquences épistémologiques en disant que l'enfant, et, plus généralement, le sujet, est, à tout moment de son existence, le résultat des interactions qu'il a établies avec son ses milieux. Ce qui — conséquence décisive — valorise, dans la psychologie génétique cognitive, le point de vue ontogénétique ou, si l'on veut, historique du sujet et lui confère valeur explicative. A condition que l'anamnèse soit bien conduite, ce facteur pourra permettre de construire la remédiation elle-même. Autrement dit, le diagnostic, devenu synchro-diachronique, renvoie à l'histoire individuelle pour determiner dans quelles conditions de milieu l'enfant a agi. Ce qui revient à s'interroger sur ce qui lui a manqué et à préciser quels types d'interactions il n'a pas eu la possibilité d'établir. RAMOZZI-CHIAROTTINO écrit en efet:

... as crianças que são incapazes de aprender, de conhecer ou de atribuir significado devem, por hipótese, ter alguma deficiência em algum dos "elementos" ou em algum dos momentos que formam o processo cognitivo, o qual se explica na construção endógena das estruturas mentais em suas relações com a organização do real, a capacidade de representação e a linguagem (p. 74).

Ce recours à l'anamnèse des interactions avec le milieu doit, nous venons de le dire, conduire à structurer les remédiations appropriées. Ce qui fait ressortir cette autre hypothèse, implicite jusque là, selon laquelle il est possible de reprendre les interactions là ou elles ont cessé ou de les susciter et d'en favoriser la mise en place en suivant la ligne du développement génétique de la connaissance, celle-là même que la constructions du sujet epistémique décrit dans ses plus grandes lignes. On voit donc que la fécondité d'une hypothèse se prouve, non pas seulement par les faits qu'elle permet de construire dans leur cohérence, mais aussi par sa capacité d'en engendrer d'autres. Mais le mérite de RAMOZZI-CHIAROTTINO ne se mesure pas seulement ici; il se lit aussi dans le fait qu'elle développe, en toute logique, les thèses mêmes de Piaget. Car ses hypothèses se trouvent comprises dans la théorie. A son insu. Mais il fallait quelqu'un comme RAMOZZI-CHIAROTTINO pour s'en apercevoir.

L'apport de RAMOZZI-CHIAROTTINO restitue, enfin, à la psychologie génétique, sa valeur dischronique envisagée, non plus comme simple genèse (descriptive), mais comme raison de l'état actuel des structurations. Le recours au milieu permet en outre de sortir le sujet épistémique de son splendide isolement car, à lire Piaget, on ne sait pas vraiment quelle part il lui accorde dans ia struturation du sujet Nous avons déjà noté que le milieu avait été réduit au réel, comme si Piaget voulait laisser de côté la dimension sociologique dans laquelle le sujet se développe. Mais on s'aperçoit que, du point de vue de la connaissance, on assiste à une réduction encore plus étroite lorsqu'il le limite à l'objet Celui-ci n'est jamais considéré qu'en tant qu'il sert de "faire-valoir" du sujet. Et il importe si peu qu'il ne revêt jamais, dans les experiences de Piaget, de significations particulières. Il est aussi quelconque que possible, aussi "abstrait" ou "épuré" de connotations ou de significations particulières qu'il se peut Ce qui en limite véritablement la portée.

La restriction constante du milieu operée par Piaget correspond aux limitations qu'il s'est successivemente imposées dans le cours de sa carrière scientifique pour cerner le sujet épistémique. Or, le sujet dont nous traitons dans la pratique ne présente pas les caractéristiques du sujet abstrait et genéral, du sujet quelconque, modélisable. Il s'agit du sujet concret dans la complexité des myriades d'interactions qu'il établit, non pas seulement avec les objets quelconques ou le réel considéré comme "monde des objets et des événements", mais du mileu dans toute sa complexite de système hypercomplexe.

Si nous voulons tenir un discours scientifique concernant l'interaction "Sujet Milieu" qui constitue le référentiel — infiniment vaste — de la psychologie piagétienne, nous devons réfléchir à la fois au sujet et au milieu et en tirer les consequences pour la psychologie toute entière Ce qui veut dire sortir de la "créode" cognitiviste et ouvrir au champ de la complexité en tant que telle.

Le milieu ne saurait être pris comme une entité possédant des "vertus", à l'instar du pavot dont la "virtus dormitiva" bien connue explique l'effet hypnotique, mais comme un système de rapports Au surplus, la diversité des milieux réels appelle une épuration de la notion telle que les caractérisations qu'on en pourra donner soient susceptibles de s'appliquer à tout milieu, quel qu'il soit: milieu familial, milieu professionnel, milieu social, milieu culturel, milieu politique, milieu syndical, milieu universitaire, etc. Aussi, pour déférer à cette exigence, nous dirons qu'en tout milieu se rencontrent des objets naturels (plantes, nature en géneral, éléments végétaux, minéraux, animaux, etc ) et des objets artificiels produits par l'art et la technique humaines: machines, objets divers, mais aussi lettres, sciences et arts, etc La nature et la quantité des objets disponibles pour l'individu peut varier d'un milieu à un autre en fonction des possibilites qui sont les siennes de les acquérir ou de les multiplier et de les varier. Certains peuvent être valorisés et d'autres ignorés ou éliminés. Question d'options propres au milieu et de moyens (financiers entre autres).

Dans tout milieu se rencontrent également des personnes exerçant des activités diverses en nombre et en importance, assumant des responsabilités importantes, limitées ou nulles, etc. Ce que sont ces personnes et leur capacité à établir et à élargir les échanges détermine la qualité des interrelations susceptibles d'être nouées avec elles. Ce que sont les gens dans leur milieu dépend de ce qu'ils se sont faits, compte-tenu de ce qu'est leur milieu. Mais cela ne suffit pas encore à caracteriser un milieu. Car toutes les relations humaines sont condifiées comme sont codifiées les modalités d'emploi et d'usage des objets. De là l'existence de règles.

Tout milieu, du plus humble au plus élevé, comprend donc des objets naturels et artificiels, des personnes (sujets) et des règles.

Si nous rassemblons ces éléments, nous obtenons un graphe exprimant le système hypercomplexe des interactions qui structurent et définissent le milieu:

 

 

Il va sans dire que la définition que l'on peut donner de chaque milieu particulier variera selon ce qui l'institue ce que'elle est. Par exemple, le milieu universitaire se crée autour de l'éducation et de la recherche, alors que le milieu familial se noue sur des liens de sang et donc de parenté. De là une interpénétration des milieux dans une hiérarchie d'une complexité infinie. Mais, à tout le moins, pour définir un milieu, quel qu'il soit, indépendamment de ses liens avec d'autres, les repères que nous venons de donner devraient suffire. De même qu'ils devraient en permettre l'approche scientifique.

S'agissant des enfants que RAMOZZI-CHIAROTTINO a approchés, leur milieux peuvent être définis et différenciés, sans pour autant que l'on considère qu'ils exercent sur eux une pression uniforme produisant des effets uniformes. Le milieu carencé favorise sans doute la carence, mais chaque sujet le composant "se" carence si l'on peut dire d'une façon qui lui est propre. La carence n'est pas automatique et sa nature peut être différent d'un sujet à l'autre. S'il y a des lois générales, celles-ci sont en quelque sorte modulées selon les individus. C'est pourquoi, en dépit de la pertinence de la psychologie théorique, il ne saurait y avoir de psychologie que du sujet concret en interactions avec son/ses milieux. Ce qui veut dire que la pratique de la psychologie ne saurait être que clinique, comme la médecine.

Il est fort judicieux sans doute de rapporter toute la psychologie au sujet, dont elle ne saurait tirer que son unité. Mais qu'est-ce que le sujet? A défaut de pouvoir répondre à cette question et sachant que, de toute façon, la réponse ne serait pas univoque, nous affirmerons — le risque n'est pas grand — que, de même que le milieu, il forme un système hypercomplexe de relations entre éléments en interactions entre eux et avec le milieu dans sa composition hypercomplexe.

Avec les approximations, inévitables au niveau de généralité où nous nous plaçons, nous adopterons donc un point de vue descriptif en ramenant le sujet à quatre composantes: biophysiologique, affective, cognitive, sociale, toutes en interaction entre elles et avec le milieu. Le graphe que nous en donnons en indique assez les intrications:

 

 

Si bien que l'interaction "Sujet Milieu" prenant la forme d'un graphe developpé révèle ainsi toute son extension:

 

 

La psychologie piagetienne, limitée aux interactions Sujet Objet et, de plus en plus restreinte aux interactions Sujet épistémique objets quelconques, comportait cette réduction comme une nécessité scientifique et méthodologique de cerner son objet, mais aussi cette ouverture.

Sujet Milieu

par quoi elle se dépasse elle-même pour s'ouvrir à la psychologie toute entière.

Bien que les fondements épistémologiques des psychologies actuellement développées ne soient pas les mêmes et que leurs méthodes différent considérablement — l'administration des tests par exemple enregistre simplement des performances alors que les épreuves piagetiennes permettent de décrire les procédures effectives des sujets, c'est-à-dire de lire leurs compétences — nous avons le loisir de les considérer comme autant de points de vue particuliers sur le sujet. De là le principe essentiel du relativisme du point de vue à confronter avec d'autres. La psychologie révèle donc ce qu'est le sujet: l'unité d'une multiplicité accessible uniquement par des voies multiples dont aucune ne peut prétendre à l'exclusivité quelle que soit la valeur et la pertinence de ses fondements et de ses méthodes. C'est pourquoi la pratique doit en être transformée.

Tout diagnostic s'effectue selon un point de vue. Mais un point de vue ne fait pas la totalité. Il ne faut donc pas prendre la partie pour le tout (pars pro toto). L'approche cognitiviste piagetienne est tout aussi particulière que l'approche freudienne, behavioriste, culturaliste, psychiatrique, etc. Et c'est ce dont doit se pénétrer tout psychologue.

Il nest donc temps que la psychologie — en l'espèce les psychologues qui la font et la pratiquent — adoptent une attitude réaliste par rapport à leur discipline et au sujet sur lequel ils l'exercent. Le complexe doit être saisi en tant que tel ainsi que le réclamait MORIN pour la biologie. Il y faut des méthodes elles-mêmes complexes. Ne pourrait-on alors grouper, autour d'un cas, et pour l'établir comme un fait scientifique afin d'en construire la remédiation appropriée, tous les spécialistes qu'il necessite, par exemple, pédopsychiatre, pédiatre, psychologue clinicien de l'affectivité, psychologue clinicien dela cognition, psychosociologue, orthophoniste, psychomotricien, etc. et qui, chacun dans sa spécialité ayant prononcé son diagnostic et énoncé ses propositions de remédiation particulières, confronteraient leur point de vue afin de constituer le cas dans sa complexité même? Cette confrontation dans la recherche de ce qui fait la particularité du cas à définir s'effectuant dans l'interdisciplinarité créerait les conditions de ce qui ne saurait prendre d'autre nom que la transdisciplinarité, parce qu'elle construirait un objet qui échappe, dans sa complexité et son originalité même aux disciplines particulières.

Fort de sa référence épistémologique, de sa théorie et de ses méthodologies, chacun, dans son éffort clinique pour comprendre le cas de son point de vue, se mettrait en condition d'effectuer une approche polylinique interdisciplinaire pour parvenir, collectivement, à une clinique transdisciplinaire.

On aura saisi toute l'importance des hypothèses de RAMOZZI-CHIAROTTINO lorsqu'on aura admis qu'elles permettent de fourni les raisons véritables des troubles et déficits d'apprentissage chez l'enfant. D'autant d'ailleurs que

para o diagnóstico do distúrbio focalizado, a Medicina e a Psicologia não dispõem, no momento, das categorias que, segundo nossa hipótese, levariam à causa do fenômeno. Que categorias são estas? A construção do real pela criança e sua representação através do único processo adequado: a abstração reflexiva (p. 75).

Nous avons, en procédant à des examens opératoires systématiques d'enfants (de 6 à 15 ans) en situation d'échec ou de difficultés d'apprentissage scolaire, confirmé les observations de RAMOZZI-CHIAROTTINO. Ces enfants sont enfermés dans "l'ici et maintenant", dans le présent de la perception actuelle et de l'évocation imagée. Faute d'abstraction réfléchissante, ces enfants ne pensent pas. Ils assistent à des spectacles internes (images, souvenirs imagés) et externes (télévision, réel) qui s'imposent à eux avec leur organisation propre, mais ils n'effectuent aucun rapprochement entre maintenant et auparavant, entre cet objet et cet autre, cet événement et cet autre, etc. pour établir entre eux des rapports de liaison et de différence. Or, ces rapports ne sont pas lisibles dans l'expérience. Ils sont produits par l'activité de réflexion du sujet et appliqués aux éléments du milieu. Faute de cette activité, ces enfants subissent tout ce qui leur arrive et n'agissent pas à proprement parler en ce sens qu'ils se contentent de reagir au coup par coup, sans prévision, sans prise en compte de l'expérience antérieure, etc. Ces enfants n'ont donc pas construit le temps, l'espace, la causalité, ne maîtrisent pas le langage, etc. de la même manière que les enfants décrits par RAMOZZI-CHIAROTTINO.

L'expérience nous a en outre enseigné que seule l'abstraction réfléchissante (et l'abstraction réfléchie qui la couronne) permettrait de sortir ces enfants de difficulté. Confirmation, à des milliers de kilomètres de distance, de la pertinence des travaux de RAMOZZI-CHIAROTTINO et notamment de ce qu'elle écrit:

No entanto, como acreditamos que a construção em nível endógeno se dá por um processo de abstração reflexiva, é absolutamente necessário que se refaça o processo de construção, geneticamente (p. 102).

Les développements théoriques auxquels nous nous sommes livré sur le sujet et le milieu devraient permettre — ils donnent actuellement lieu à des travaux de thèse —, comme ils nous le permettent déja, d'effectuer les recherches anamnéstiques les plus solides, en fonction de la nature des troubles et des descriptions fournis par l'observation, afin de construire les remédiations les plus appropriées.

Si, au surplus, nos propres déductions épistémologiques sont pertinentes, il semblerait possible, dans la continuité de ces travaux, d'ouvrir la psychologie à l'être humain pris comme totalité et de fonder une authentique science de l'homme, tout en maintenant et en favorisant, par la relativité du point de vue, l'approche partielle ou sectorielle de structures ou d'ensembles structurés "discrets" du sujet, pour un meilleur approfondissement des parties le composant dans l'harmonie du tout.

 

BIBLIOGRAPHIE

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