SciELO - Scientific Electronic Library Online

 
vol.2 número1-2Sistemas lógicos e sistemas de significação na obra de Jean Piaget índice de autoresíndice de assuntospesquisa de artigos
Home Pagelista alfabética de periódicos  

Psicologia USP

versão On-line ISSN 1678-5177

Psicol. USP v.2 n.1-2 São Paulo  1991

 

ARTIGOS ORIGINAIS

 

Figurativite et operativite dans la pensée operatoire concrète

 

Os aspectos figurativo e operatório no pensamento operatório concreto

 

Figurativity and operativity on the concrete operational thinking

 

 

Jean-Marie Dolle

Docteur en lettres et sciences humaines. Laboratoire de psychologie génétique et cognitive de terrain de l'Université Lumière (Lyon II), France

 

 


RESUMÉ

Le développement cognitif s'effectue toujours selon l'alternance
(figuratif >operatif) <—> (opératif > figuratif)
Ce qui signifie que l' on se place dans une dialectique selon laquelle il n'y a pas de figuratif sans opératif et réciproquement mais où la dominance effective de l'un potentialise celle de l' autre et ainsi de suite. (En macrogenèse et en microgènese.) De là des rythmes. Mais aussi, selon les moments du développement et selon les modalités des interactions avec le réel, des oscillations. Nous appelons oscillations cognitives le passage d'un niveau à un autre, d' une modalité figurative à une modalité opérative et ainsi de suite

Descripteurs: Pensée operatoire concrete. Figurativité. Échec scolaire. Jean Piaget.


RESUMO

O desenvolvimento cognitivo ocorre sempre segundo a alternância
(figurativo> operativo <—> (operativo > figurativo).
O que significa que nos situamos em uma dialética segundo a qual não há (o aspecto) figurativo sem o operatório e reciprocamente, mas onde a dominância efetiva de um deles potencializa a do outro e assim por diante. (Em macrogênese e em microgênese). Daí os ritmos. As oscilações ocorrem também em função dos momentos do desenvolvimento e segundo as modalidades das interações com o real. Chamamos oscilações cognitivas a passagem de um nível a outro, de uma modalidade figurativa a uma modalidade operativa e assim por diante.

Descritores: Pensamento operatório concreto. Pensamento imagético. Fracasso escolar. Jean Piaget.


ABSTRACT

Cognitive development always happens according to the following alternating structure
(figurative > operative <—> (operative > figurative)
It means that we are within a dialectic according to which there is no figurative aspect without the corresponding operative one and viceversa, but where the effective dominance of one of them potentilizes the other dominance and so on. (In macrogenesis and microgenesis). There lies the origin of rhytms. The oscillations also depend on the level of development and on the modes of the interactions with the real. We call cognitive oscillations the passage from one level to the other, from the figurative mode to the operative and so on.

Index terms: Concrete operational thinking. School Failure. Jean Piaget.


 

 

En procédant au diagnostic opératoire de dix enfants (entre 6,00 et 14.06) placés dans un Institut médico-pédagogique pour cas sociaux dont deux dans un Institut Médico-Professionnel, et présentant, à des degrés divers, des retards scolaires, nous avons été frappé par le fait que la plupart d'entre eux accusaient un déficit dans les structurations logico-mathématiques et infra-logiques, d'autant plus grand d'ailleurs qu'ils étaient plus âgés, sans pour autant que puisse être remarquée, de ce point de vue, une quelconque homogénéité entre ces différents sujets.

Si, en effet, dans le secteur des activités logico-mathématiques, — qui structurent tout ce qui concerne les rapports entre objects — peu allaient au-delà des classifications, des sériations et des correspondances terme à terme, aucun ne parvenait de lui-même à constituer des classes hiérarchiques. Les sériations étaient plus facilement réussies, encore que les tâtonnements y soient nombreux et surtout que les intercalations présentent de réelles difficultés. Curieusement, la quantification de l'inclusion: fleurs et perles ne paraît pas faire problème chez la plupart, les plus jeunes mis à part cela s'entend. Paradoxe puisque l'acquisition des classes se mesure à la capacité de quantifier l'inclusion. En revanche, les quantificateurs intensifs "tous", "quelques", "un" et "aucun" ne sont presque jamais maîtrisés. Pas davantage la réalisation des dichotomies. Les classifications multiplicatives constituaient un obstacle quasi infranchissable, les convenances figurales se substituant le plus souvent aux multiplications de critères. Et lorsque celles-ci étaient possibles, elles s'étendaient rarement à trois.

Si les enfants s'avéraient incapables de nommer les classes et de grouper les objets ou les figures selon un critère logique commun, ils acceptaient très bien en revanche les propositions que nous leur faisions, comme s'ils reconnaissaient ce qu'ils ne sont par ailleurs pas en mesure d'établir par eux-mêmes. Par exemple, «est-ce qu'on peut mettre ensemble la moto, l'avion, la bicyclette, l'auto, la voiture d'enfants, le camion? — Non, seulement le camion, l'auto, la voiture d'enfants. — Pourquoi? — parce qu' ils ont quatre roues, - Et si je dis : ce sont des véhicules, ou, si tu veux, des moyens de transport? - Ah oui!». Les groupements s'effectuent plus volontiers selon la convenance fonctionnelle, par exemple, «ça roule», ou bien «ça a quatre roues», ou bien encore, «elles (les dames) ont toutes un sac (en fait elles portent toutes quelque chose qui comporte une anse)». Ce caractère commun, généralement descriptif, renvoie l'activité perceptive et procède du constat, ou de l'observation. Mais — plus rarement il est vrai, — les sujets désignent chaque objet selon son appartenance à quelque chose de collectif comme, par exemple, c'est pour écrire, c'est pour l'école, etc». Ainsi des crayons, des stylos, des crayons-feutres, des feuilles, des gommes, etc. ce "tout pour écrire" ou "tout pour dessiner", réalise ce que CARBONNEL a étudié sous le terme de classes collectives en référence à la logique de LESNIEWSKI ou méréologie.

Sans doute, le caractère plus ou moins figuratif des objets et surtout des images que l'on propose aux enfants pour réaliser des classifications favorise-t-il les groupements scion des critères purement figuraux ou fonctionnels ou de convenance, etc. La difficulté de la formulation de la consigne: «mettre ensemble, mettre les mêmes avec les mêmes, grouper ceux qui se ressemblent bien, etc», n'incite pas non plus à des rassemblement selon des critères logiques. Et, là-dessus, les recherches de CARBONNEL, mais aussi et surtout de J.BIDEAUD, en disent plus long que nous ne le pourrions. Mais pourquoi tous les enfants ne répondent-ils pas spontanément de la même manère et pourquoi ne parviennent-ils pas tous à se placer dans le référentiel des classes quand on les y incite? Sans nous prononcer sur ce problème pourtant fondamental, nous remarquerons que bien des sujets que nous avons interrogés acceptaient souvent d'entrer dans un système de classifications, mais ne s'y maintenaient pas, moins à cause de leur incapacité d'y accéder que de leur habitude acquise de "raisonner" de manière figurative.

Le domaine de l'infra-logique qui, on le sait, structure l'objet en tant que tel ou dans ses parties, n' ést pas mieux construit si l'on se place là aussi, au strict point de vue structural. La conservation de la substance paraît le plus souvent acquise, sauf pour le plus petit; mais pour ce qui concerne le poids, beaucoup se situent à un niveau intermédiaire. Le volume, lorsqu'il est construit, l'est par le poids, la dissociation poids/ volume n'étant pas opérée. Les conservations spatiales sont les moins bien structurées. Beaucoup ne dépassent pas la simple conservation des longueurs. La conservation de l'horizontale et de la verticale est l'exception. Quant au volume spatial, la compensation est péniblement admise et ce n'est qu'après de nombreuses suggestions qu'un volume identique au volume témoin peut être élaboré puis difficilement reconstruit. Notre expérience antérieure, acquise notamment auprès des élèves de L.E.P. éprouvant des difficultés dans l'apprentissage du dessin technique, nous conduit à penser qu'une des causes de l'échec scolaire tient, en particulier, à la non-construction de l'espace représentatif ou à son inachèvement. Mais cette question est à reprendre.

*
* *

Si nous nous livrions à um bilan de nos diagnostics sur ces dix enfants limité à la seule considération des structures acquises référées à ce qui paraît la norme à âge comparable, nous serions tenté par des conclusions pour le moins pessimistes: débilité mentale, arriération mentale, etc. Mais ce serait, sans doute possible, céder à la facilité parce qu'alors il n'y aurait plus rien à chercher. D'autant que, dans leur grande majorité, ces enfants nous paraissent intelligents et même parfois d'une grande vivacité d'esprit. Point de vue subjectif, nous en conviendrons, mais suffisamment fort pour nous permettre de douter de la valeur de tout bilan, fondé seulement sur des performances. Eu tout cas, pour certains de ces enfants, le Q.I.WECHSLER ou le Q.I. à la N.E.M.I. se révèle en désaccord avec les fails que nous avons recueillis; pour d'autres il les confirme. Or, pour un psychologue non prévenu, un enfant présentant ,95 de Q.I. - performance au WECHSLER peut-il être considéré comme ne disposant pas des moyens intellectuels lui permettant de réussir dans les apprentissages scolaires? En cette occurrence la recherche de l'explication le conduit ordinairement ailleurs (affectivité, milieu socio-professionnel, relations maître-élève, etc.). Et la nécessité de thérapie (ou de remédiation) l'oriente vers autre chose que l'activité de connaissance.

Nous nous sommes donc interrogé sur la façon dont ces enfants s'y prenaient pour résoudre les situations-problèmes qui leur étaient proposées et nous avons procédé à une étude systématique des protocoles de leurs réponses (point de vue fonctionnel). Ce que nous avons obtenu nous conduit aux propositions suivantes:

1º - Les enfants constituant notre population privilégient les aspects figuratifs de la connaissance sur les aspects opératifs. Plus sensibles en effet aux configurations qu'aux opérations les ayant produites ou les modifiant, ils procèdent exclusivement par abstraction empirique, ou davantage, que par abstraction réfléchissante, au moins dans sa modalité abstraction pseudo-empirique

2º - L'histoire de ces enfants explique en grande partie ce fait, dans ta mesure où, selon le professeur Zélia RAMOZZI-CHIAROTTlNO de l'Université de São Paulo (Brésil), ils ont été empêchés d'agir sur le monde des objets, pour de multiples raisons que nous ne détaillerons pas et n'ont pas, de ce fait, construit le réel.

Si nous considérons en effet que le sujet est, à chaque moment synchronique de son développement diachronique, le produit des interactions qu'il a lui-même établies avec son (ses) milicu(x), il convient, pour tout diagnostic de développement devant déboucher sur une remédiation, de procéder à une recherche anamnestique, en fonction des trois éléments constituant tout milieu: personnes, règles, objets (naturels et artificiels) en interactions complexes les uns avec les autres (ainsi que nous l'avons établi dans notre livre: Au delà de Freud et Piaget), afin d'établir quels sont les éléments qui ont fait défaut à ses structurations en interaction. La prise en compte de l'histoire cognitive personnelle du sujet constituera ainsi une nouveauté en pychologie et épistémologie génétiques en ce qu'elle permettra de mettre en oeuvre des remédiations (rééducations) favorisant l'achèvement de la construction du réel au plan de la représentation [Par construction du réel, nous entendons l'élaboration des structurations de l'espace, du temps, de la causalité, etc.].

Nous ne nous attacherons pas, dans cette étude, à cet aspect anamnestiquc, nous limitant, ainsi que nous l'avons déjà dit, à la manière dont ces enfants s'y prennent pour résoudre les problèmes qui leur sont posés, par conséquent, à une approche fonctionnelle.

*
* *

L'étude des réponses des enfants au diagnostic desquels nous avons procédé nous a conduit a les organiser en une hiérarchie dont les variations d'un sujet à l'autre et chez un même sujet s'effectuent dans l'ordre suivant: figurativité (nous appellerons fïgurativité la forme que prend l'activité cognitive de ces enfants se fondant sur la perception et l'évocation imagée, par mémoire d'évocation) comportant 1º des critères de perception, 2º des critères d'févocation (2a, 2b, 2c) puis opérativité.

 

I-FIGURATIVITE

1 - Critères de perception

Les réponses les plus élémentaires prennent la forme de constats perceptifs. Ceux-ci peuvent correspondre à la vérité des faits ou non. Tous se fondent sur la lecture de l'expérience (abstraction simple ou empirique).

Cyril (6;00)

«Est-ce qu' íl y a pareil beaucoup de copains en haut et en bas (correspondance terme à terme)?

- Non, y'a pas pareil.

- Parce que quoi?

- Parce que c'est pas pareil (il touche un des carreaux qui est un peu plus épais et dont la couleur est légèrement plus pâle).

- Et si je change celui-ci et celui-ci qui est plus épais?

- Oui, maintenant, c'est pareil».

Linda (08;00)

«Je le vois» (égalité des boules de pâte).

«Parce que c'est pareil » (égalité de la boule el du boudin).

Sandrine (09;06)

«Là c'est gros et là c'est petit » (boule et galette);

«Parce que là c'est grand (affirmation de l'égalité de quantité du spaghetti et de la boule)».

Philippe (09;06)

(Il anticipe), «Ah je sais, ça va peser plus lourd là (plateau avec la boule) parce que la galette, c'est tout mince comme un fil.

- Est-ce que ça va peser pareil

- Non, parce qu'elle est maîgre la galette, ça pèse pas pareil.

- Oui, mais on n'a pas enlevé de pâte, alors est-ce que ça va peser pareil?

- Non».

Hada (11;00)

«Y' én a parcil.

- Pourquoi?

- Parce que la pâte elle s'allonge» (boule-spaghetti).

Olivier (11;00)

- «Parce que j'y vois» (Les íles).

- «Parce que je le sais» (conservation du poids).

- «C'est grand et c'est maîgre» (Boule-spaghetti).

- «On sait!» (parce qu' ón l'a constaté).

- «Parce que c'est un plomb et ça pèse plus lourd» (dissociation poids-volume).

Karine (12;06)

- «Celui-là est moins haut et plus long. C'est pareil»(boule-boudin).

- «Pas vrai, c'est pareil»:(boule-boudin).

- «Pareil. C'est peut-être grand - maîgre, mais là, c'est petit-gros».

Nathalie (14;06)

- «Ils ont fait le même chemin (conservation des longueurs).

- Pourquoi? Comment tu sais?

- J' ái regardé».

Bien qu' íl soit possible d'établir une taxinomie de toutes ces réponses, différentes par leur forme, ce que frappe le plus c'est que les arguments s'élaborent sur un constat perceptif et construisent leur certitude sur la simple lecture de l éxpérience. On pourrait croire que des procédures opératoires sont à l'oeuvre dans les argument de Karine. Or, In compensation exprimée n'est pas celle d' úne opération mentale, mais d' úne lecture active de l' éxpérience qui induit chez elle l'égalité et fait apparaître indirectement l'opération identique ou nulle. Même remarque pour Hada qui fournit la compensation en acte. On remarque bien, par là-même, que les structures de l'activité sont en oeuvre dans ces lectures perceptives, mais que les aspects figuraux y prévalent et déterminent les jugements.

Critères d'évocation:

Les enfants fondent cette fois leurs réponses sur l'évocation des transformations qui ont été constatées dans le passage de l'état initial à l'état final. Les arguments suivent ainsi le sens de la transformation physique. Autrement dit, si la galette a "pareil de pâte", c'ést parce qu'on l'avait aplatie. Plus généralement, chaque nouvel état configurai actuel de la matière est référé à l'état initial ou à la transformation qui l'a conduit à ce qu' il est "ici et maintenant". Mais, dans un premier temps, les enfants rappellent l'état initial sautant en quelque sorte de celui-ci à l'étal final. Puis, ils commencent à justifier l'état actuel par la transformation qui l'a produit le considérant en quelque sorte comme le résultat d'une transformation, celle-ci étant évoquée (mémoire d'évocation) comme telle, sans plus. Mais entre celle qui justifie l'état actuel et l'état initial, toute une série de transitions se remarquent. En effet:

2a - Evocation de l'état initial face à l'état actuel du dispositif

Les enfants, dans cette situation, évoquent l'état antérieur et transfèrent ce qu' íls avaient constaté auparavant à l'état actuel. c'est ainsi que, par le fait qu' íl y avait deux boules égales, íl y a maintenant pareil de pâte.

Linda (08;00)

«Parce que c'était la même boule» (égalité de pâte dans la boule et la galette).

Sandrine (09;06)

«Avant y'avait une boule, et puis c'est la même grosseur, mais c'est long [!] (substance).

Philippe (09;06)

«Y'en a à égalité, parce que celle-là était en boule et celle-là aussi (substance).

«Qu'est-ce que lu dis toi, (après contre-suggestion)?

- Que c'était pareil, parce qu'avant elle était en boule celle-là. Celle-là elle est plate et celle-là est ronde», (boule-galette) (arg 1). «Ben, parce que c'était la même boule», (poids).

«On boit pareil parce que c'était à égalité tout à l'heure», (liquides).

Olivier (11;06)

«Parce qu'avant elle était en boule et ça pesait pareil».

«Avant, elle était en boule».

«Avant, c'était en boule et c'est le même poids», (conservation du volume).

Karine (12;06)

«Parce que tout à l'heure c'était pareil. Ils étaient tous les deux en boule.

Y'avait la même la même chose de pâte», (boule-boudin),

«Y z'étaient pareils avant », (volume-galette).

Nathalie B. (14;00)

«C'est toujours pareil, car tout à ['heure, y'avait pareil dans le long spaghetti», (conservation de la matière).

2b - Evocation de la transformation ayant abouti à l'état initial

Cette fois l'argumentation devient plus déliée et s'appuie principalement sur les transformations, se bornant toutefois à nommer celle qui a abouti a l'état initial. Mais on trouve aussi des arguments de niveaux inférieus dans les réponses que nous noterons, ainsi que nous avons déjà commencé à le faire en 2a).

Linda (08:00)

«Parce que t'as mis pareil tout à l' heure», (égalité de quantité de pâte boule-serpent après retour à boule-boule).

«C'est parce qu' on avait mis pareil à manger, parce que quand c'était en boule je le savais», (idem).

«Parce que quand on les avait mis en rang, c'était pareil», (correspondance terme à terme).

«Parce que quand je les ai pris, j'ai fait comme ça (congruence dans la construction des baguettes déplacées)».

Michaël (09;06)

«Là ils sont en ligne (arg. 1) pendant que ceux-la t'as fait (2b) comme un S, pendant que, au début (2a), y avait autant de soldats que, ceux-là».

Sandrine (09;06)

«On avait fait des boules et maintenant on a un boudin, mais c'est pareil (arg. 1).

«Si, c'est pareil, parce qu'on avait fait deux grosses boules et puis c'est pareil (maintenant), (arg.1)».

«Pareil d'eau, parce qu'on avait mis là-dedans et c'était à égalité (arg. 1), (baguettes sectionées)».

Hada(11;00)

«Tu penses qu'il y a la même place? Comment est-on sûr?

- Parce que là, j'avais pris tous les cubes et j'avais ta même maison (même volume que le volume témoin).

- El il y a la même place que dans la maison (initiale)?

- Oui, parce que, tout a l'heure, j'avais la même chose et je l'avais mise en grandeur (hauteur), [compensation]. La, j'ai mis 3 et c'est pareil, sauf que c'est en hauteur».

2c - evocation de la (des) transformation(s) ayant abouti à l'état final

En suivant l'ordre des transformations récles ou physiques, les enfants passent maintenant à l'évocation de celles qui ont abouti à l'état final.

Linda (08;00)

«Ah non! Non! Parce qu'ils étaient en boule, sauf qu'on a coupé».

«Parce qu'on a aplati»

Michaël (09;00)

«Mais y'en a pareil quand même (arg. 1), parce qu'on avait mis pareil (arg. 2) et lu l'as écrasé. On a toujours pareil».

«Pareil, parce qu'il y a pareil de pâte. La pâte était là, on l'a pris, et on a fait des petites boules, mais y'a pareil»

Sandrine (09;06)

«Oui, parce qu'on avait la même boule (arg, 2a). On a fait un boudin, une crêpe, un serpent, mais c'est pareil parce que... (passage de E1 à E2, à E3, à E4).

«Attends, Ca que je veux dire, c'est que c'est des petites boules (arg. 1), mais on avait la même grosse boule (arg 2a), et puis on a fail des petites boules (arg. 2c et c'est pareil».

«Au début, on avait pareil d'eau (2a) et on l'a mis dedans (2c). Alors il y a pareil parce qu'on n'a rien enlevé et rien ajouté (opération identique ou nulle, Mais permet - elle de se prononcer en faveur d'un argument de réversibilité opératoire?).

«Parce qu'on avait fait un boudin (E1 a E2), après, on a fait une galette (état final). Alors ça doit être pareil parce qu'on n'en a pas enlevé, (affirmation de la nécessité logique en vertu de l'identité opératoire)».

«Pareil, parce que, au début c'était une boule, c'était pareil (arg. 1), après on a Tait un boudin, c'était pareil (E1 à E2). Après, on a fail la galette. c'était pareil (E2 a E3). Et puis le serpent, c'était pareil (E3 à E4)».

Olivier (11;00)

«Y'a pareil de pâte parce qu'on l'a rapetissée, (substance : boule-boudin)».

«Ça, c'est maîgre (arg. 1) parce qu'on l'a agrandie, (substance: boule-serpent))».

«Pareil. On les a mis en rond, (correspondance terme à terme)».

«On a fait une galette. Avant, elle était en boule (arg. 2a)».

Hada(11;00)

«Comment tu sais? — Parce que j'ai compté».

«Aussi haut parce que c'est la même boule, mais sauf qu'on l'a changée de forme (conservation du volume)».

«Aussi haut parce que c'était la même boule (arg. 1) sauf qu'on Ta élargie (Volume). Comment peut-on expliquer? - Parce qu'on n'enlève pas de pâte, (opération identique ou nulle).»

Nathalie B. (14;00)

«Pourquoi? C'est long! — Parce qu'on l'a allongé, mais dedans, c'est pareil. Tout à l'heure, on a mis la même quantité (boule-spaghetti)».

Nathalie M. (14;06)

«Pareil, plus ou moins de pâte? — Il y a pareil — Comment lu peux expliquer?

- Parce que je l'ai transformée en galette».

«Dans la saucisse y'a pareil que dans la boule bleue? — Euh, non! C'est pareil.

- Pourquoi est-ce pareil? — Parce que c'est la même quantité — Comment pourrais-tu expliquer? - Tout à l'heure, c'était une boule rouge, puis on l'transformée en saucisse». <Avec tous les petits bouts, est-ce qu'il y a pareil, plus ou moins de pâte?

- C'est pareil — Pourquoi? — Parce qu'on les a coupées — Comment tu fais pour être sûre qu'il y a pareil de pâte? — Parce qu'on n'a pas rajouté de pâte (opération identique ou nulle)».

«Elle pèse le même poids (la galette). — Pourquoi? — On l'a juste aplatie — Oui, mais elle est plus grande que la boule. C'est toujours pareil».

3 - Transformation possible de l'état initial en état final

Nous avons rencontré deux cas de transformation particuliers qui constituent peut-être une transition entre la figurativité et l'opérativité chez des enfants qui pensent pouvoir obtenir la preuve qu'il y a la même quantité de pâte dans la galette que dans la boule témoin en transformant cette dernière en galette. II s'agit bien là d'une transformation équivalente, du point de vue formel, mais qui va dans le sens des mouvements de transformation irréversibles de l'activité physique (de E1 à E2).

Il nes'agit plus d'une évocation, mais d'une action possible exécutable maintenant, c'est-à-direau présent.

Linda (08;00)

«Si on fait la galette (avec la boule témoin, c'est pareil».

Olivier (09;00).

«Il est pareil le trait (il appelle ainsi le spaghetti). Je peux faire pareil avec la boule (témoin), l'aplatir et en faire un irait».

 

II - OPERATIVITE

4 - Passage possible de l'état final à l'état initial, mais au présent

Maintenant, les arguments des enfants ne se contentent plus de suivre l'ordre des transformations naturelles évoquées; ils en effectuent d'autres, de sens inverse, en pensée. Cette fois nous avons affaire au-thentiquement à l'opération mentale ou action exécutée en pensée et annulant la transformation physique par une autre de sens inverse (réversibilité). Toutefois, cette opération possible, envisagée et éventuellement exécutable, ne sait s'exprimer que dans le temps présent, restriction qui nous paraît en limiter !a mobilité à l'action en cours, mais dont la généralisation n'est pas assurée ou certaine. Nous en donnerons quelques exemples :

Linda (08;00).

«Si on tire, ça sera pareil, (transformation de la baguette sectionnée en ligne droite».

Michaël (09;00).

«Y'en a quand même pareil, parce que si on les rassemble comme ça... (geste)».

[ici, correspondance terme a terme]

«C'est le même long chemin. Si ceux-la on les met tout droits (en ligne), ils auront le même chemin à faire».

Sandrine, (09;06).

«Parce qu'avant, y'avait égalité d'eau (arg. 2a) et si on remet dedans, ça va faire égalité».

Philippe (09:06)

«C'est à égalité. Parce que si celle-la on fait en boule, c'est la même.

- Pourtant, il est grand celui-ci! — Oui, mais si on remet en boule, y'a pareil».

«Il font le même long chemin parce que si on met ce báton là, eh bien, c'est pareil.

- Oui, mais elles font tout ça en plus.

- Non, c'est pareil si on met comme ça (il jointle geste à la parole).

«Parce que si on y met là (dans le verre initial), ça fait pareil».

Olivier (11;00)

«On la met en boule» ; «Mettre en boule» ; «On met en boule».

«Si je le mets en boule». «C'est pareil, parce que si on les remet en boule ça fera pareil».

Hada (11:00)

«Parce que si on refait la boule c'est pareil. Si c'est en triangle ou n'importe quelle autre forme, c'est pareil. On n'en a pas enlevé».

«Parce que, si on le remet en boule, c'est pareil».

«Cela ne fait rien si on en a beaucoup? — Ça change pas parce que si on les remet en boule, comme tout à l'heure, c'était les mêmes boules».

«Et tous ces cubes, si on les met dessus? — Ah! Ça fera pareil parce qu'on n'en a pas enlevé (elle construit la maison). — Est-ce qu'on est sûr qu'on a la même place?

Parce que tout à l'heure je l'avais mis la même grosseur (que le volume initial) avec les cubes que j'ai. — Tu crois? Comment on sait? — Si on les remet comme celle-là (volume initial), y'a pareil ». (Les ile).

Nathalie B.,(14;00)

«Y'a pareil? — Oui, car on a mis la même quantité quand on a fait la boule...

Pourquoi? Je ne sais pas — Qu'est-ce qu'on peut faire pour être sûr? — On peut refaire la boule».

5 - Opération possible de retour à l'état initial depuis l'état final, mais au conditionnel

Cette fois, il semblerait que l'opération réversible s'étende à un éventuel qui, contrairement au cas précédent peu distant d'une action renversable quoique simplement possible, est envisageable mais qu'il n'est pas nécessaire d'accomplir cornpte-tenu de son caractère de nécessité.

Michael (09;00).

«Si le saucisson on le remet en boule y aura pareil de pâte que l'autre. C'est curieux quand même, parce que le saucisson il est long là. Alors?

- C'est pareil, parce que ça c'est pareil que si je prenais et que je refaisais la boule, y aura pareil.

- Tu es sûr? Comment lu fais pour être sûr?

- Parce qu'au début on avait mis autant de pâte à l'autre».

Karine(12;06).

«Si on les rassemblait, on verrait». (boule-boulettes).

En rassemblant les responses des enfants quantifiées selon leur nature, nous obtenons, en bleau, les répartitions suivantes:

On aura remarqué que les réponses caractéristiques de la figurativité sont dominantes dans le propos des enfants. Elles s'opposent à celles d'opérativité a 88 (soit 66,67%) contre 42 (31,82%) soit à deux contre une dans le rapport 2/3 — 1/3. Mais si l'on totalise les réparutions selon 1, 2 et 4-5, on découvre que les réponses se distribuent ainsi: 38 en 1 (28,79%), 50 en 2 (37,88%) et 42 en 4-5 (31,82%). Soit, fort curieusement, à peu près un tiers pour chaque catégorie, avec néanmoins une légère dominance des évocations(2).

 

 

Comment interprfiter ces faits d'observation?

Nous avons pu constater que les réponses des enfant s'étageaient de 1 à 5, avec subdivisions en 2 (2a, 2b, 2c), dans une hiérarchie intégralive do complexité croissante. Celle-ci se fonde à la fois sur la théorie et sur l'observation. Le dispositif passe en effet de l'cuu initial (E1) à létal final (E ), avec intermédiaires E1, E2, E3, C'est pourquoi le sujet commence par considérer l'état final (perception) avant d'évoquer l'état initial puis les transformations qui ont produit l'étal final, avant de refaire le trajet inverse en pensée, ce'st-à-dire le parcours partant de l' étal final (E4 ) pour rejoindre l'état initial (E1). Mais l'analyse des réponses des enfants révèle aussi que chaque nouvel argument s'ajoute aux précédents dans le sens de la hiérarchie précitée.

D'après ces remarques, il semblerait que, au niveau des opérations concrètes, nous puissions rencontrer une dominanec figurative — que nous appelons Figurativité — précédant puis sous-tendant une domi-nanec opérative ultérieure se substituant à elle, mais en tant que prévalcntc. La figurativité pourrait suffire à acquérir la plupart des conservations infra-logiques et des structurations logico-mathématiques. C'est du moins ce que nous avons pu constater dans les protocoles que nous avons recueillis. Mais elle ne pourrait permettre l'acquisition de la plupart des connaissances cscolaircs, comme c'est le cas pour les sujets de notre pouplaiion.

En première approximillion, nous avions pensé que les enfants demeuraient fixés aux formes symboliques et à la pensée liée aux tableaux imagés évoqués mentalement, si caractéristique de la période précédente. Mais c'eût été une pensée symbolique sans l'égocentrisme correspondant cl sans ses corrélats animistes et artificialistes, etc. I'l ne pouvait donc s'agir que de loul autre chose. Or, si l'on y fait bien attention, on s'aperçoir que la figurativité présente qualques-uns des caractères de la pensée symbolique: fixation sur les états au détriment tics transformations, ccnlraiion sur le point de vue. Mais, à la période symbolique, la représentation imagée correspondait à la réélaboration, principalement par l'effet de l'imitation intériorisée, des objets, des situations, etc. rendues ainsi transposables en pensée en évocables en leur absence, alors qu' a la période des opérations concrètes, la réélaboratiion de la représentation imagée devient la figurativité, c'est-à-dire la capacité de se remémorer cl de reconstruire les aspects figuratifs de l'activité de connaissance. La figurativité se fonde sur la perception qui lui sert de support pour se représenter les états, les configurations et les mouvements de transformation les ayant produits. Mais elle n'est d'aucun secours pour penser les transformations en tant que telles. L'évocation des états antérieurs ou des transformations ayant conduit à l'état final ou actuel met en jeu la représentation imagée des configurations globales comportant l'état initial se superposant, de façon imagée, à l'état final actuellement perçu. Il y a donc, dans la perception de l'état actuel, quelque chose de son état antérieur ou initial cl des transitions s'intercalant entre eux qui le double dans la représentation et qui peut suffire pour affirmer une conservation, mais qui ne permet pas de penser les transformations en tant que telles, c'est-a-dire de les effectuer. La figurativité se donnerait donc comme la capacité du reproduire — en ce sens, évoquer une transformation antérieurement constatée n'est pas l'exécuter; il ne s'agit là que d'imitation — les états et les transformations et non comme la capacité de les produire quels qu'ils soient. Mais, de la perception à l'évocation, on assisterait à l'apparition de certaines des propriétés les plus générales des structures de l'activité opératoire concrète, comme la réversibilité par inversion, qui caractérisent le groupement des opérations concrètes que Piaget a tenté de formaliser.

Ces opérations, dans leur forme générale, suivraient donc une évolution qui, de la perception jusqu'à la réversibilité dans sa plus grande mobilité, les organiserait en système d'ensemble équilibré. Ainsi la compensation apparaîtrait, dès la lecture perceptive, comme en attestent les jugements des enfants : HADA (11;00); «Y'en a pareil (...) parce que la pâte elle s'allonge»; Olivier (11;00); c'est grand et c'est maîgre»; Karine (12;06); «Pareil. c'est peut-être grand-maîgre, mais là, c'est petit-gros», etc. La simple constatation empirique (par abstraction simple) pourrait donc suffire pour affirmer la conservation physique. Toutefois, cette compensation ne saurait prendre sens et cohérence que si l'on n'en a pas enlevé ni ajouté. Or, il semblerait que les enfants en fassent l'expérience à ce niveau, mais sans la possibilité de le formuler. Ce n'est qu'avec les évocations qu'apparaît ce type d'argument, comme si le sujet était enfin apte à dire qu'une transformation consistant à ne rien transformer avait été constatée pendant les transformations antérieures et permettait de justifier le jugement de conservation affirmé. Mais si la compensation se constate comme résultat d'une transformation, l'opération identique : on en a ni enlevé ni ajouté, concerne la transformation comme telle en tant qu'une autre transformation ne lui est pas appliquée pendant qu'elle est en cours. Constat sans doute, mais qui n'est possible qu'après coup, lorsque le résultat est acquis. De là son expression au niveau de l'évocation. Au surplus, opération de compensation et opération identique s'articulent à la transformation physique, qu'on les exprime a propos du résultat ou de la transformation en tant que telle. L'opération inverse, quant à elle, remonte, par une transformation exécutée en pensée, de l'état final à l'étal initial, annulant ainsi, dans une action mentale, la transformation physique. c'est elle seule qui clôt le système grâce à l'inversion et par là compose l'opération directe avec l'opération inverse, d'où l'opération identique ou nulle. L'opération associative n'étant pas susceptible d'apparaître dans ces épreuves, nous n'en pouvons, évidemment, rien dire encore.

Nous assistons ainsi — si nous ne nous sommes ni abusé ni trompé — à la "genèse" des opérations les plus générales du groupement des opérations concrètes et — ce qu'on avait uraiment cherché jusqu'à ce jour — à la mise en place progressive de la réversibilité logique.

Si le sujet doit passer de la dominance figurative à la dominance operative permettant la mobilité de la pensée (essentiellement transformatrice), cela signifie qu'il superpose, en tant qu'il substitue, d'abord à une forme d'activité dominée par la perception une autre activité dominée par l'évocation ou représentation imagée évoquée. A l'"ici et maintenant" perceptif s'ajoute la prise en compte des conditions, des circonstances et des étapes de sa production dans l'assujettissement au sens temporo-causal dans lequel il s'est constitué. A cette dominance et à cette substitution et superposition s'en surimpose ensuite une autre : l'opération mentale réversible, forme d'activité en "survol" pouvant penser les transformations dans les deux sens du parcours (rétroactions et anticipations corrélatives), par delà les configurations. De là deux aspects. D'abord la "migration" des structures de l'activité, au travers de la perception et des diverses évocations, et leur épanouissement au niveau de l'opérativité. Ensuite, cette hiérarchie intégrative et ces rapports complexes entre l'opérativité et la figurativité. S'il y a une "micro-genèse" de la figurativité et de l'opérativité au niveau des opérations concrètes, cela signifie l'élaboration d'une forme de pensée différente, mais la prolongeant et l'épanouissant, de la pensée symbolique. En effet, autant la représentation imagée double la perception et permet l'évocation de l'objet absent, autant la figurativité accompagne la perception des états par l'évocation des conditions et des circonstances de leur production. Autrement dit, elle situe le présent dans son passé, le justifiant et le légitimant en quelque sorte par celui-ci.

Mais, dans la mesure où le passé se superpose au présent, cet ensemble ainsi constitué favorise et privilégie le constat et la justification par l'évocation des modalités de la production de l'état actuel. Ce constat de la production et du produit des transformations sert de justification, mais en aucun cas d'explication. Seule l'opérativité, en tant qu'elle est transformation, peut donner la raison, ou l'explication, de la constitution des états, par les transformations les ayant produits, et de la succession des états, Autrtment dit, elle substitue à la constatation l'explication par les règles de la production. C'est pourquoi elle peut, de façon mobile, inverser le sens des transformations en revenant a l'état initial, rétro-agir tout en anticipant et réciproquement. Mais, ce faisant, elle se "détache" des configurations pour ne penser que la transformation en tant que telle, ou sa loi, ou sa raison, ou l'enchaînement de ses raisons comme on voudra. Cependant, le rapport de l'opérativité et de la figurativité s'exprime bien dans le fait que, si l'opérativité peut ainsi survoler, en s'en détachant, les états, et exprimer les règles et le sens des transformations et en inverser le cours de façon virtuelle, elle ne le peut que sur la base de la figurativité (aspects perceptifs et imagés) qui constitue le support relativement constant, le quasi-in variant, grâce auquel peuvent s'effectuer les transformations. Ce support, dans sa particularité et sa singularité, sert de tremplin pour penser la généralité. Cela signifie que les schèmes de l'activité se constituent à partir de l'exercice des réflexes, sur un nombre restreint d'objets particuliers pour s'étendre, peu à peu, à des objets de plus en plus diversifiés. Mais cette extension des schèmes à cíes objets toujours plus nombreux et différents contribue non seulement à les affermir, mais à les dégager des contenus particuliers. Si les schèmes sont, au départ, étroitement liés aux contenus particuliers, ils s'en dégagent peu à peu, pour devenir des formes susceptibles de contenir tous les contenus possibles compatibles avec leurs propriétés. Ce processus de formalisation se construit et se reconstruit en paliers d'équilibres finaux successifs et intégratifs. Ainsi, les schèmes sensori-moteurs deviennent-ils, par construction et reconstruction, les schèmes opératoires de la période des opérations concrètes. Au niveau sensori-moteur, puis au niveau des opérations concrètes, il leur faut se constituer de la particularité à la généralité, dans un mouvement de formalisation toujours plus ouvert, mais limité aux possibilités du système qu'ils contribuent à construire et dans lequel ils s'inscrivent. Ainsi, la formalisation des opérations concrètes permet-elle de dépasser le réel dans la direction du possible, mais de très peu, comme cela se remarque dans les anticipations et rétro-actions d'états ou d'opérations sur le concret. Nous pensons donc que, s'il y a "migration" des formes de la pensée opératoire concrète, par analogie avec ce qui se produit en embryologie pour les cellules nerveuses, cette "migration" des schèmes s'effectue au travers des contenus perceptifs puis des contenus évoqués, les transmuant en formes susceptibles d'organiser n'importe quel contenu compatible avec leurs propriétés individuelles : classer, sérier, ordonner, inclure, etc... Ce processus de formalisation se poursuivant conduira à la pensée s'appuyant principalement sur ces formes. «Les structures logiques constituent ainsi une hiérarchie de structures telle que chacune joue le rôle de forme par rapport aux inférieures et de contenu par rapport aux supérieures (Piaget, J., Traité de logique, A. Colin, 1949, p. 43)>>. Chaque palier atteint s'organise progressivement en un système d'ensemble réalisant un équilibre de plus en plus mobile dont la réversibilité apparaît comme une des propriétés les plus générales et comme une activité : "en survol", mise en oeuvre de la fonction d'équilibration du système d'ensemble lui-même.

 

CONCLUSION

L'enfermement relatif dans la particularité des contenus caractérise les enfants ayant fait l'objet de cette étude. Il tient en grande partie à ce que, par habitude, ils se sont installés dans la considération des états, se laissant capter par les configurations au détriment des transformations : spectateurs du réel cl non acteurs sur le réel. Sans doute agissent-ils. Mais s'il s'agit d'une activité mettant en oeuvre des structures d'un niveau d'élaboration assez élevé, celle-ci se borne à la lecture de l'expérience qui se contente d'en faire l'inventaire. Ce qui manque, c'est l'activité de transformation favorisant la prise de conscience de ses propriétés et l'abstraction réfléchissante qui. seule, permet la mise en relation de formes clans une sorte de "survol" ou de dépassement correspondant à la considération de ce qu'il y a de commun à toutes les particularités réunies, a la logique de l'ordre des modifications, etc. L'équilibre du système des opérations concrètes, qui est en même temps l'affirmation la plus haute de leur maîtrise, s'exprime dans la réversibilité par inversion et réciprocité.

On n'a peut-être pas fait suffisamment attention aux changements profonds que comporte la mise en oeuvre de l'opération inverse dans le fonctionnement cognitif des sujets. En particulier, le passage de la figurativité a l'opérativité entraîne une modification non encore nommée et pourtant évidente. En effet, la figurativité enferme le sujet dans un présent qui se double du passé qui lui correspond, mais où la causalité des événements, l'ordre des faits, le temps s'imposent au sujet dans leur cours "ici et maintenant". Avec l'opération inverse et les compositions qu'elle permet, non seulement le sujet peut, en pensée, remonter le déroulement et l'enchaînement des faits, mais il peut anticiper les états auxquels ils vont parvenir, les transformations qu'ils mettent en oeuvre, celles qu'il faut entreprendre, etc. Cette mobilité de la pensée atteignant ainsi un palier d'equilibre grâce aux compensations qu'elle peut effectuer fail passer du temps irréversible au temps réversible. Qui plus est, le temps irréversible étant inscrit dans l'espace présent privilégie l'espace dans un rapport espace-temps irréversible. En revanche, avec la réversibilité de la pensée, ce rapport s'inverse et le temps-espace réversible libère des contraintes de l'espace-temps présent pour penser le passé, le présent et le futur, en vertu de la nécessité logique. Et la causalité physique, du type "cause-effet", accède alors à son niveau de plein épanouissement en devenant l'implication logique. Le réel est construit, au plan de la représentation, lorsque les catégories qui permettent de le penser, c'est-à-dire de le transformer en pensée, s'intrègrent aux structures d'ensemble, et fonctionnent selon les combinaisons souples et mobiles des opérations d'inversion de réciprocité, de compensation, d'identité, etc. Le possible dépasse l'actuel de très peu encore, mais il le dépasse. Et c'est la condition de sa maîtrise.

Si les enfants se révèlent capables de la réversibilité, 40 propos de réversibilité au temps présent sur 132 et 2 seulement de réversibilité au conditionnel, cela signifie d'abord qu'ils ont la capacité d'atteindre le palier d'équilibre des opérations concrètes dans sa plus grande mobilité, ensuite qu'ils ne se sont pas encore détaches des contenus particuliers pour atteindre les formes. Mais, comme il leur est plus facile, parce que plus habituel, d'agir comme ils le font, il n'y a pas grand espoir qu'ils sortent de leur enfermement et qu'ils améliorent leurs performances scolaires si une remediation ne les place pas dans les conditions d'opérer des abstractions réfléchissantes. Pour déférer à cette exigence, il convient de susciter des situations propres à favoriser de telles abstractions dans une inventivité sans cesse renouvelée parce que cliniquement fondée, c'est-à-dire appropriée à chaque cas. Cet aspect de l'application de la psychologie de Piaget retient toute l'attention d'un chercheur de notre laboratoire,

 

ADDITA

(Jean-Marie DOLLE et Philippe GAY)

Pour éprouver la pertinence de la notion de figurativité, nous avons incité un de nos étudiants à entreprendre une recherche sur des enfants en situation d'échec scolaire. A cet effet, deux groupes d'enfants ont été constitués dont les uns échouent là où les autres réussissent selon les critères de réussite pédagogiques ordinaires.

Le premier groupe comportait 9 enfants de 7;02 a 9;00 ans et le second 9 enfants de 7 à 9; 11 ans. Ils ont tous été soumis aux mêmes épreuves. D'une part il s'agissait d'épreuves logico-mathématiques comprenant les correspondances terme à terme, l'échange un contre un et la classification hiérarchique des animaux. D'autre part des épreuves infralogiques devaient apprécier la conservation de la substance cl celle du poids.

Chaque protocole est analysé d'un point de vue structuro-fonctionnel et donne lieu à un compte-rendu clinique très fouillé où sont décrites toutes les modalités du raisonnement. Mais celles-ci nous importent moins ici que les quantifications concernant les aspects figuratifs et les aspects opératifs de la connaissance.

De ce point de vue, en effet, un premier comptage révèle que, sur le groupe en échec, 348 propos relèvent des aspects figuratifs contre 5 des aspects opératifs — qui sont le fait d'un seul et même enfant dont les raisons de l'échec scolaire ne sont pas imputables exclusivement à un défaut de structuration cognitive, mais qui, la remarque est intéressante, sont tout donnés au présent. En revanche, les élèves qui réussissent fournissent 205 propos de type figuratif contre 52 de nature opératoire.

 

 

Si nous traduisons ces données en un tableau, nous obtenons les éléments suivants.

La différence entre les enfants qui n'apprennent pas et ceux qui apprennent tient toute entière dans le fait que ces derniers donnent chacun au moins un argument de réversibilité dans l'ensemble de leurs réponses et que chez eux les procédés fituratifs ont évolué vers l'évocation. Preuve indirecte que la taxinomie presente une certaine pertinence et que, plus on se détache des conditions perceptives, plus on s'approche des opérations réversibles. En tout état de cause, ce qui frappe le plus, c'est que les aspects figuratifs de I connaissance restent très importants même chez les sujets en situation de réussite scolaire. Autant dire que l'appellation opérations concrètes y trouve une justification inattendue et nouvelle. En tout état de cause, le chemin reste long encore à parcourir pour parvenir à la pensée formelle où, à en croire Piaget, la distinction entre les aspects figuratifs et les aspects opératifs de la connaissance ne se justifie plus. Ce dont nous nous permettons de douter. Dans l'usage commun du moins.

 

 

Nous remercions Gérard Greppo pour l'accueil qu'il nous a réservé dans l'établissement dont il assume la direction.

 

BIBLIOGRAPHIE

1. ARTAUD, J.; DEBORDE, R.; DOLLE, J.M.; JOUVENET, L.P.; PRIEUR, J. & SIGNORI. M. Logiques des stratégies en oeuvre dans l'usinage d'une pièce par des élèves de première année de mécanique générale en Lycée d'enseignement professionnel. Bulletin de Psychologie, 34 (352):833-42, 1980/81.        [ Links ]

2. BANG, V. & FLUCKIGER, I. Contribution à l'étude tie la réversibilité opératoire. Éludes sur ta symetrie. Archives de Psychologie, 44 (171): 1-17, 1976. Numero especial: Hommage à Jean Piaget.        [ Links ]

3. BIDEAU, J. L'acquisition de la notion d'inclusion. Paris Centre National de la Recherche Scientifique, 1976.        [ Links ]

4. CARBONNEL, S, Classes collectives et classes logiques dans la pensée naturelle. Archives de Psychologie. Paris, 46:1-19,1978.        [ Links ]

5. DOLLE, J.M. Logiques du sujet en situation d'apprentissage sur le tour à metal. In: La pensée naturelle, structures, procédures et logique du sujet. Paris, P.U.F., 1983. p.115-23        [ Links ]

6. DOLLE, J.M. Pour comprendre Jean Piaget. 7 ed. Toulouse, Privat, 1987.        [ Links ]

7. DOLLE, J.M. Les procédures cognitives et les difficultés rencontrées dans la lecture et l'écriture du dessin technique en 3a année de C.A.P. en Lycée d'enseignement professionnel. In: Maitrise des rapports avec l'espace physique: repérage dans l'espace et projection orthogonale; rapport de recherche. Paris, C.N.R.S. (Laboratoire structures discrètes et didactique, I.M.A.G., BP 53X, 38041, Grenoble cedex, 1988).        [ Links ]

8. DOLLE, J. M. &. BELLANO. D. Ces enfants qui n'apprennent pas: diagnostic et remédiations. Paris, Centurion, 1989.        [ Links ]

9. DOLLE, J. M. Activités cognitivos dans l'apprentissage et l'utilisation du dessin technique: état des travaux. In: Didatique et acquisition des connaissances scientifiques. Actes du Colloque de Sèvres, mai, 1987. La Pensée Sauvage, 1988.        [ Links ]

10. DOLLE, J.M. Analyse de quelques procédures cognitives d'élèves de L.E.P. en situation de lecture - écriture du dessin technique. Bulletin de Psychologie. Paris, 38 (369): 335-45, 1984/85.        [ Links ]

11. DOLLE. J.M. Au-delà de Freud et Piaget. Toulouse, Privat, 1987.        [ Links ]

12. DOLLE, J.M. Reflexions épístémologiques concernant la représentation graphique de l'espace tridimensionnel. In: RABARDEL. P. & WEIL-FASSINA, A. Le dessin technique. Paris. Hermes. 1987.        [ Links ]

13. PIAGET, J. Traité de logique. Paris, Armand Colin, 1949.        [ Links ]

14. RAMOZZI-CHIAROTTINO, Z. Em busca do sentido da obra de Jean Piaget. São Paulo, SP, Ática, 1984. Traduction française de Jean-Marie Dolle: De la théorie de Piaget à ses applications. Paris, Le Centurion, 1989.        [ Links ]

 

 

* Avec la collaboration de Michèle GARDE, Geneviève GOUROUNAS et Denis BE LLANO.