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Estudos e Pesquisas em Psicologia

versão On-line ISSN 1808-4281

Estud. pesqui. psicol. v.9 n.1 Rio de Janeiro abr. 2009

 

ARTIGOS

 

Le champ organisme/environnement * – En arrière-plan du concept

 

The field organism/environment - a last plan about this concept

 

O campo organismo/ambiente – uma última perspectiva do conceito

 

 

Jean-Marie Robine

Gestalt-thérapeute didacticien, fondateur de l’Institut Français de Gestalt-thérapie – Bordeaux, France

Correspondance

 

 


RÉSUMÉ

Le but de cet article est d'examiner le concept champ organisme / environnement cités les travaux de Perls et Goodman, sans prétention de développer de nouvelles perspectives sur la même. Il est souligné l'importance de ce concept, qui n'est pas simplement l'idée de l'homme / monde, mais se réfère à l'un des concepts fondamentaux de la Gestalt-thérapie: la frontière de contact. Pour discuter de cette question, se racheter dans les concepts de champ en  K. Lewin et organisme en Goldstein, les considérant comme des processus dynamiques, et non pas seulement un espace physique ou un état physiologique du corps. L'accent est mis sur l'expérience de la personne  de la compréhension phénoménologique de ce processus comme un tout contexte. L'importance de ce paradigme pour gestalt thérapeutes traduit dans la pratique clinique, dans l'action pour la reconnaissance des formes de contact établi par le client, en fournissant de la déconstruction et actualisation d’un figure fixe lemprisonné, souvent sur une fausse prémisse de la sécurité et de protection.

Mot-clés:  Champ , Organisme/environnement , Gestalt-thérapie.


ABSTRACT

The proposal of this article is revises the concept of Field Organism / environment quoted in the work of Perls and Goodman, without claims of developing new perspectives about the same thing. Emphasize the importance of this concept, which does not represent simply the idea of Man / world, but  refers to one of the basic concepts of the Gestalt-Terapia: Frontier of Contact. To talk about this subject, the concepts of Field are rescued in K. Lewin and Organism in K. Goldstein, considering them like dynamic processes, when a physical space was not reduced to or to a physiologic body. The emphasis is in the experience of the person, in the  phenomenological sense  and  understanding of this process like a totality.. For the gestalt therapists , the importance of this paradigm in the clinical practice, appears by the action of recognizing  contact forms established by the client, favoring the destruction and the updating of the fixed figures that imprison it, very often in a false premise of security and protection.

Keywords: Field, Organism/environment, Gestalt–therapy.


RESUMO

A proposta deste artigo é rever o conceito de Campo Organismo/ambiente citado na obra de Perls e Goodman, sem pretensões de desenvolver novas perspectivas acerca do mesmo. Ressalta-se a importância desse conceito, que não representa simplesmente a idéia de Homem/Mundo, mas sim refere-se à um dos conceitos fundamentais da Gestalt-Terapia : Fronteira de Contato. Para discorrer sobre este tema, resgatam-se os conceitos de Campo em K. Lewin e Organismo em K. Goldstein, considerando-os como processos dinâmicos, não reduzidos à um espaço físico ou à um corpo fisiológico. A ênfase está na experiência da pessoa, no sentido fenomenológico e na compreensão deste processo como uma totalidade contextualizada. A importância deste paradigma para os gestalt terapêutas reflete-se na prática clínica, na ação de reconhecimento das formas de contato estabelecida pelo cliente, propiciando a desconstrução e a atualização das figuras fixas que o aprisionam, muitas vezes numa falsa premissa de segurança e proteção.

Palavras-chave: Campo, Organismo/ambiente, Gestalt-terapia.


 

 

Lorsqu’ils parlent du champ, Perls et Goodman précisent qu’ils parlent du champ organisme/environnement. Ce faisant, ils nous livrent quelques évidences qui se trouvent repliées dans cette expression, sans nul doute de façon trop implicite; mon propos est de tenter ici de les mettre à jour, sans pour autant viser à élaborer ou développer de nouvelles directions:

– Tout champ est le champ ‘de…’. Ici : d’un organisme donné et de son environnement. “LE champ”, en tant que tel, n’est pas un concept opératoire car il est nécessaire de préciser le champ de qui ou de quoi. Il y a toujours un principe organisateur du champ : le champ visuel de l’œil, le champ de conscience d’une conscience, le champ de la psychologie, avec la psychologie abordée comme organisateur d’un domaine, le champ de bataille d’une guerre donnée, etc.

– L’usage du terme “organisme” et non “personne” ou “sujet” implique le passage par le corps pour définir ce champ. Tout environnement ne prend sens que par le corps, dans la chair, par un contact continué.

– Dire “champ organisme/environnement” n’équivaut pas à dire ”champ soi/monde”, c’est-à-dire que n’est pas postulée, par cette expression, la seule référence à soi-même. Il devient ainsi possible d’évoquer le champ de telle personne ou tel client (organisme) et de son environnement. Nous sommes ici confrontés à ce qui pourrait être considéré comme paradoxal mais qui n’est qu’une dimension de la complexité des Sciences Humaines, telle qu’Edgar Morin a pu la formaliser : on fait partie et on ne fait pas partie. Pour pouvoir se voir dans la nature, montre-t-il en effet, il faut “s’en retirer”. Etre agent ET observateur. Je peux me représenter qu’autrui est organisme et qu’il dispose d’un environnement ; toutefois, dans mon expérience, il est et ne peut être qu’environnement, partie de mon environnement. La posture constructiviste doit donc être associée à la posture objectiviste en une tension dialectique de l’ordre du va-et-vient, et non dans une synthèse impossible.

– Poser “champ organisme/environnement”, c’est souligner qu’il existe une articulation entre l’organisme et son environnement indiquée par la barre oblique. Le lieu de cette expérience entre les deux pôles du champ est appelé “frontière-contact” puisqu’il est le siège des mouvements de différenciation et d’intégration qui animent le champ, à la fois l’unifient en une totalité et le limitent en traçant des contours propres. Ce sont ces opérations que la Gestalt-thérapie désigne sous le terme de “contact”, concept fondamental de notre approche.

 

1. Champ ou champ de…

L’entrée du concept de champ dans les Sciences Humaines en général, et en psychologie en particulier, s’est faite grâce aux Gestalt-psychologues (Köhler, Koffka, Wertheimer). Ils l’empruntaient à la physique pour souligner que les percepts (unités de perception), pour pouvoir être compris, devaient être référés à un champ perceptuel plus large. Tout percept n’a de sens qu’en relation aux autres, le champ de perception doit être considéré comme un tout.

Plus tard, ce sera Lewin, un de leurs collègues de l’Institut de Psychologie1 qui élargira ce concept au domaine de la psychologie sociale. Il définira le champ comme « une totalité de faits coexistants qui sont conçus comme mutuellement dépendants »2. Une des conséquences qu’il en fait découler et qui a ouvert à l’époque d’importantes polémiques est son affirmation selon laquelle le comportement peut être défini comme une fonction qui relève à la fois de la personnalité et de l’environnement, et même que l’environnement est une fonction de la personnalité et la personnalité une fonction de l’environnement. Affirmations qui relèvent presque de l’évidence pour le Gestalt-thérapeute d’aujourd’hui.

Lewin décrit le champ au moyen d’un certain nombre de principes. Malcolm Parlett3  a mis en évidence cinq de ces principes essentiels que j’invite le lecteur à reconsidérer avec attention. Aussi ne ferai-je qu’évoquer ici que quelques dimensions complémentaires :

Pour Lewin, le concept de champ équivaut à un “espace de vie” tel qu’il est phénoménologiquement vécu par un sujet donné. Cet espace de vie, malgré mais aussi avec toute l’ambiguïté introduite par l’idée d’espace, est pour Lewin fondamentalement affectif ; ainsi tout ce qui se produit dans cet espace de vie est immédiatement perçu comme désirable ou non. Le champ est construit par les valences que possèdent les êtres et les objets : la valence est une force qui attire ou repousse. Mais Lewin localisait la valence “dans la tête” du sujet considéré, plus que dans l’environnement proprement dit ou dans l’interaction entre organisme et environnement. Ce n’était donc pas telle personne qui serait désirable et posséderait une certaine valence, mais le désir, par exemple sexuel, d’un sujet à l’égard de cette personne. On retrouve bien là l’opposition entre une conception du ça selon le modèle freudien de la pulsion et une conception goodmanienne qui délocalise dans le “ça de la situation”. C’est pourquoi, pour développer ce concept de “ça de la situation”, me suis-je appuyé sur Gibson, un continuateur de Lewin, qui précisera cette approche de la valence en ajoutant le concept d’affordance, c’est-à-dire la désirabilité, l’accessibilité, la disponibilité, l’ustensilité des éléments de l’environnement4.

Chez Lewin, l’organisme (humain ou animal) dispose d’une liberté de mouvement à l’intérieur de son champ. À nouveau, nous retrouvons ici l’ambiguïté relevée plus haut et qui mènera inéluctablement à la superposition et à la confusion entre deux types d’espace, l’espace phénoménologique de vie et l’espace physique. Mais, comme l’ont fait remarquer maints commentateurs ultérieurs, c’est la vie elle-même et non pas Lewin qui superpose volontiers notre expérience de l’espace avec notre expérience de champ.

Puisque le champ est constitué d’un organisme (perpétuellement en mouvement) et d’un environnement (dont la perception est également dynamique),  le champ est animé d’un processus sans cesse changeant. Ce changement est autant le fait des mouvements que l’organisme y imprime que des variations de l’environnement et de l’évolution des situations. Le comportement doit alors être compris non pas comme le produit direct du passé mais comme celui de la totalité de la situation en cours (principe de contemporanéïté).

Le champ est constitué de tout ce qui est pertinent pour un sujet à un moment donné : « Ce qui est réel est ce qui a des effets », écrivait Lewin5. Mais étant donné que Lewin se rendait bien compte que les sujets ne connaissaient pas toujours tous les facteurs qui pouvaient s’avérer pertinents et affecter leur expérience, il fut contraint d’admettre que le champ (qu’il voulait subjectif, “dans la tête” du sujet considéré) pouvait comporter des éléments complètement en dehors de la psyché de la personne. Je pourrais illustrer ceci en prenant l’exemple de l’amiante dont les effets dans “l’espace de vie” de nombreuses personnes sont restés longtemps totalement ignorés et non conscientisés. Il n’empêche que cela faisait partie de leur champ. Certains avancent une hypothèse du même type à propos des ondes radio et téléphoniques qui nous traversent en permanence avec la multiplication des émetteurs et des récepteurs autour de nous. Est-ce que le champ d’un sujet donné se limite à son champ de conscience ou peut-on l’élargir à son champ d’expérience, si toutefois on veut bien poser que, tel l’anneau de Moebius, il n’est pas de séparation entre l’expérience consciente et celle qui ne l’est pas ? 

De ce survol de l’approche lewinienne du champ, je retiens que le champ est toujours champ de [quelqu’un, par exemple]. Mais dire que le champ est le champ de quelqu’un n’équivaut pas à considérer que son champ n’est que son champ de conscience. Au même titre qu’un spécialiste peut identifier la présence d’amiante dans l’espace de vie d’un sujet qui n’en est pas conscient, un “tiers-instruit” peut relever dans le champ d’un sujet donné la présence d’éléments ou de facteurs qui vont affecter son comportement bien que ce sujet n’en soit pas conscient.

Je retiens également que certaines formulations lewiniennes (champ=espace, par exemple) peuvent conduire à considérer le champ comme une entité, comme s’il pouvait exister indépendamment de quelqu’un qui le constituerait. En cela, ma lecture de Lewin diffère un peu de celle que Frank Staemmler nous propose dans “La tour de Babel”6 , et plus encore de celle de Gilles Delisle qui parle des ‘micro-champs introjetés’ et transforme ainsi le champ en une entité. Le champ a à être pensé en tant qu’expérience. On n’introjette pas une expérience puisque c’est l’introjection qui est elle-même modalité d’expérience.

Enfin, si le champ doit toujours être considéré comme “le champ de” quelqu’un, il devient inenvisageable de considérer que le champ de l’un puisse être commun avec le champ d’un autre. Dans leur champ perceptuel, par exemple, ou dans leur champ de conscience, peut être notée la présence d’éléments communs, mais si on accepte la définition du champ telle que proposée aussi bien par les Gestalt-psychologues et évoquée plus haut (“Tout percept n’a de sens qu’en relation aux autres, le champ de perception doit être considéré comme un tout”) que par Lewin ou par la Gestalt-thérapie, ces éléments dits communs, extraits d’un tout unifié et unifiant, ne sauraient en tant que tels suffire à constituer un champ bipersonnel, sauf à passer d’un niveau psychologique à un niveau sociologique dans la définition même du champ.

 

2. Organisme

Le passage par le concept d’organisme, si cher à K. Goldstein7  qui fût grandement influencé, bien avant Lewin, par la Gestalt-psychologie et dont Perls fût quelque temps l’assistant, peut paraître quelque peu déroutant. Nous pourrions être tentés de lui préférer ceux de sujet, personne, agent, individu etc., qui nous sont plus familiers. Je comprends pourtant l’usage de ce concept comme lié à l’intention de se démarquer d’une conception mentalisée du champ (peut-être le : “dans la tête” de Lewin) pour se placer dans une position incarnée. Lewin déjà, nous l’avons vu, parlait d’affect. Pourrait-on penser l’affect sans le corps ? Il parlait aussi de l’espace au sein duquel l’animal ou l’humain pouvait se mouvoir. La motricité peut-elle s’envisager sans le corps ? La structuration du champ, autrement dit la construction du rapport figure/fond, autrement dit encore le contact, comporte toujours une composante motrice : ne serait-ce qu’orienter le regard ou tendre l’oreille.

On retrouvera le même souci chez Merleau-Ponty qui insiste, avec son concept de chair8 , sur le rapport que le corps entretient avec le monde (en particulier par l’acte perceptif et par ma motricité) et qui fait surgir du sens.

Le corps est au centre de toute expérience, alpha et oméga. Une idée s’est peu à peu forgée parmi les Gestalt-thérapeutes depuis que le concept de “ça de la situation” est sorti de l’ombre, idée qui constitue à mes yeux un contresens : le ça de la situation serait un “ça commun”, ne relevant ni de l’un ni de l’autre. Certes dans le ça de la situation existe de l’indifférencié. Indifférencié ne signifie nullement ‘commun’ puisqu’il ne peut y avoir de champ commun. Le concept de ça de la situation, tel que je le comprends &— mais il représente une telle rupture paradigmatique par rapport à notre contexte culturel que les mécompréhensions sont aisées – établit que l’origine des désirs, pulsions, appétits, directions de sens est à rechercher dans la situation ici-et-maintenant et non “au plus profond de l’être humain” comme le localisaient Groddeck et Freud avec leur hypothèse d’un “réservoir des pulsions”9. Cette délocalisation va de pair avec le principe de contemporaneïté évoqué plus haut. Mais ces désirs, pulsions, appétits… ne peuvent ex-sister que s’ils sont éprouvés corporellement sous forme de sensations qui, peu à peu, vont devenir direction de sens.

Une autre erreur, commune elle aussi, confond le corps et le ça, voire même l’émotion et le ça. Le corps est certes en fond de toute expérience, et plus particulièrement le corps désirant dans toute construction de gestalt. Mais pour détourner l’expression que Freud utilisait pour parler du rêve, “voie royale” d’accès à l’inconscient, je dirais volontiers que le corps est la “voie royale” d’accès au ça. Le chemin qui mène à Rome n’est pas Rome, la voie d’accès n’est pas “le ça” et, de toute façon, le ça toujours échappera puisqu’il ne peut être rencontré qu’au travers de l’une des formes qui lui aura été construite, en particulier par la fonction-personnalité du self et dans le contact avec l’environnement.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’inscription de notre pratique dans une référence à la perspective de champ nous contraint à une attention encore plus aiguë à l’égard du corps, en particulier des sensations (proprioceptions), des perceptions et des activités motrices. Là encore, l’approche des composantes somatiques de l’expérience se fera en cohérence avec le principe de contemporaneïté, c’est-à-dire que l’expérience corporelle sera regardée comme produit de la situation ET productrice de la situation.

À ce titre, l’attention que le Gestalt-thérapeute porte à l’éprouvé, d’instant en instant, prend tout son sens. L’éprouvé corporel en effet est le point de départ de l’expérience vécue (même elle s’origine dans la situation) et deviendra forme dans et par le contact, c’est-à-dire émotion, sentiment, pensée, image, geste, action, représentation, fantasme, création etc. J’utiliserais volontiers l’expression de Malraux10 qui parlait de “déformation cohérente” qui devient, chez Merleau-Ponty11  : « Il y a signification lorsque les données du monde sont par nous soumises à une déformation cohérente ».

Si nous acceptons l’hypothèse lewinienne selon laquelle le champ est un processus sans cesse changeant, l’éprouvé ne peut être lui-même que sans cesse changeant. Pourtant, les fixations, les systèmes d’habitudes, les représentations figées que le sujet peut avoir de lui-même vont considérablement réduire les possibilités de sens construites à partir de la sensation. C’est pourquoi la focalisation sur l’éprouvé, aussi dépouillé que possible de la mise en forme et en sens prématurée que la fonction personnalité peut lui ‘infliger’, rouvre le champ des possibles et la rencontre de la nouveauté transformatrice.

Cette transformation, c’est aussi ce que Perls et Goodman ont appelé le passage du physiologique au psychologique. Lorsque certains Gestalt-thérapeutes exposent ce qu’ils appellent parfois “le cycle du contact” et que j’appelle plus volontiers la séquence de construction-destruction d’une gestalt, ils utilisent volontiers l’exemple de la faim, la faim ressentie qui va donner lieu à une mise en contact, c’est-à-dire aux opérations nécessaires pour trouver une satisfaction et accéder ainsi au contact final et à sa conséquence, la survie de l’organisme. Ce faisant, nous pourrions ne pas être très éloignés de la simple description de l’arc-réflexe des comportementalistes. Parce que se trouve ainsi oubliée une phase fondamentale : la mutation de la faim en appétit, c’est-à-dire l’élaboration d’un fond physiologique en figure psychologique. Le concept d’appétit ouvre l’organisme à sa dimension psychologique et lui permet ainsi de redevenir totalité afin de ne pas nous limiter à ce que Goodman appelle des ‘abstractions’ telles que le corps, la psyché, l’environnement, c’est-à-dire des entités abstraites de leur contexte et qui ne peuvent exister que dans la globalité dont on les a méthodologiquement retirées pour les étudier. La même illustration pourrait s’évoquer à propos du passage de la vision au regard, comme Maldiney12  l’a mis en évidence.

 

3. Un champ soi/monde ?

Dire ‘champ organisme/environnement’ n’équivaut pas à dire ‘soi-même/monde’ mais à reconnaître qu’aucun organisme ne peut être séparé de son contexte. Dès lors, il importe de reconnaître et de prendre en compte que tout patient existe dans un contexte de vie qui lui est propre, c’est-à-dire qu’existe un champ constitué par ce patient et son environnement. De cette expérience, je ne suis certes pas le témoin, je ne puis qu’en percevoir certaines de ses modalités de structuration dans le moment de la rencontre thérapeutique avec moi, et éventuellement inférer certaines de ses modalités à l’extérieur de la situation à partir de sa narration et de l’hypothèse du transfert unifié de processus.

La superposition des récits produits par le patient en séance avec l’expérience immédiate qui apparaît au cours de la séance est d’un intérêt primordial. Certes le récit peut être regardé comme contenu mais, comme tout contenu, il est organisé par un processus que le thérapeute peut implicitement aborder comme figure (et le contenu proprement dit comme arrière-plan) même si, pour le patient, ce contenu demeurera ce qui fait figure.

L’analyse des processus mis en œuvre dans la construction des gestalts s’opère ainsi dans un va-et-vient : l’analyse des séquences de l’ici-maintenant offre un éclairage possible sur les séquences de l’ailleurs et/ou auparavant, de même que les processus du passé ou de l’ailleurs permettent de donner sens à certains des processus co-créés en séance avec le thérapeute. Je suis tenté ici d’utiliser le vocabulaire de la photographie qui parle de “profondeur de champ” pour désigner la zone dans laquelle doivent se placer les fifférentes figures pour présenter une image que l’œil acceptera comme nette. Dans l’épaisseur du moment présent se trouvent repliées l’histoire et les aspirations, le passé et le futur.

Autant, comme on le verra plus loin, c’est bien dans l’ici-maintenant que peut s’opérer l’essentiel du travail transformationnel de la thérapie, autant m’apparaît-il particulièrement maladroit de la part de certains thérapeutes de vouloir à tout prix amener le patient à ne parler quasi uniquement que de ce qui se vit dans l’instant de la relation avec le thérapeute. Cette mécompréhension d’une posture thérapeutique soi-disant référée à la perspective de champ dénote en outre une confusion entre le travail centré sur le contact, spécifique de la Gestalt-thérapie et un travail sur la relation qui ne constitue pas la colonne vertébrale de notre approche (à moins de confondre les deux concepts !).

 

4. Le contact organisme/environnement

La barre oblique qui relie organisme et environnement n’est bien entendu que très rarement une entité matérialisée. Perls et Goodman citent la peau en illustration, mais la plupart du temps, ce “lieu” est immatériel : nous l’appelons “frontière-contact. Il est un entre-deux qui, comme tout entre-deux, n’appartient ni à l’un ni à l’autre mais en même temps relève des deux, organisme comme environnement, sans que l’un puisse se prévaloir d’un quelconque titre de propriété. Dire “ma” frontière-contact n’a pas de sens puisque la frontière n’est propriété de personne. Il pourrait être dit “mon expérience en frontière-contact”, mais je crains que l’expression ne soit redondante puisque toute expérience est expérience en frontière-contact. Husserl nous avait déjà enseigné que “la conscience” n’existe pas mais qu’existe seulement la conscience “de…”13 . Être conscient de quelque chose, par la même opération, fait exister la chose en question ET fait exister ma conscience. Être conscient de mes doigts sur mon clavier fait exister mon clavier et, en même temps que cela, me révèle l’existence de mes doigts et, au delà, de ma conscience.

De la même façon, lorsque nous utilisons le terme “contact”14, devrions-nous systématiquement ajouter “avec quoi” et même, “par quel moyen” nous établissons ce contact. Les modalités de contact sont multiples et non équivalentes dans ce qu’elles peuvent mettre en œuvre : voir, entendre, toucher, sentir, goûter, se souvenir, penser, imaginer, écrire, parler, anticiper, rêver etc. sont des modes de contact, ainsi que projeter, introjeter, rétroflechir… J’aime me rappeler régulièrement cette phrase qui appartient à l’introduction générale de Gestalt Therapy15 : « L’individu qui regarde une peinture moderne peut croire qu’il est en contact avec le tableau, alors qu’en fait il est en contact avec le critique d’art de son journal favori. ». Cette simple interrogation contient implicitement nombre de constituants essentiels du concept de contact : le contact est un concept distinct de celui de “relation”, il postule la nécessité de savoir “avec quoi”, et donc que les modalités seront différentes : le “contact” avec le critique d’art évoqué ici est médiatisé par la pensée, voire par une référence non-consciente (donc un contact non-conscient ?), alors que le contact “immédiat” (sans médiation) avec le tableau pourrait être visuel et conscient.

Toute expérience pourrait être pensée comme intrapsychique, alors que la Gestalt-thérapie la délocalise en tant qu’expérience de frontière-contact. C’est lourd de conséquences au niveau de la pratique de la psychothérapie. Le patient décrit son vécu en termes de culpabilité, honte, colère, haine, abandon, rejet, conflit et ainsi de suite, vécus qui lui servent à caractériser sa psyché, alors que ces vécus peuvent être abordés directement comme des expériences de contact. La psyché n’est que la conséquence sédimentée des contacts antérieurs et leur structuration. La psychothérapie n’a aucun accès direct à la psyché susceptible de s’avérer modificateur ; c’est à partir de l’expérience vécue dans le contact que le patient pourra en assimiler des éléments et, par là, transformer le contenu et l’organisation de sa psyché.

Dans cette conception, l’épistémologie de champ est d’une importance essentielle puisqu’elle est l’une des rares à permettre d’aborder l’être humain autrement qu’en isolation.

 

Conclusions pratiques : Qu’est-ce-que pratiquer dans un paradigme de champ ?

Les conséquences pour la pratique de l’inscription de la Gestalt-thérapie dans un paradigme de champ sont immenses et dépassent largement la portée de cette étude.

Si le champ n’est pas une entité fixe, c’est qu’il n’existe qu’en tant que maintenant sans cesse changeant, c’est-à-dire une situation. L’enracinement gestaltiste dans le maintenant, différent du ”moment présent” cher à Daniel Stern16, est une focalisation du praticien sur la situation, les modalités du contacter, les processus mis en œuvre, les affects mobilisés de part et d’autre. Cette focalisation permet en outre d’entrevoir le “ça de la situation”, c’est-à-dire comment le désir se génère dans la situation au lieu de se voir attribuer une source enfouie dans la profondeur des entrailles d’un sujet.

Le Gestalt-thérapeute s’appuie en outre sur la fiction (les représentations qui lui sont adressées) pour comprendre le contacter actuel, et sur le contacter dans le maintenant pour comprendre les représentations que le sujet a construites de son histoire.

La fonction-personnalité du self fournit la sécurité ontologique en assurant la liaison d’un contact à l’autre en un processus qui se veut cohérent et qui devient rapidement structure.

La psychothérapie, c’est alors la chance de déconstruction de cette sécurité au profit d’une ouverture à l’inconnu du maintenant, c’est-à-dire à la prise en considération de paramètres du maintenant  perçus mais non sus .

 

Referências Bibliográficas

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ROBINE, J.-M. L’intentionalité en chair et en os. Reédité in S’apparaître à l’occasion d’un autre. Bordeaux: L’exprimerie, 2004.

STERN, D. N. Le moment présent en psychothérapie. Paris: Odile Jacob, 2003.        [ Links ]

 

 

Correspondance
Jean-Marie Robine
E-mail: jm.robine@free.fr

Recebido em: 15/02/2009
Aceito para publicação: 02/03/2009
Acompanhamento do processo editorial: Laura Cristina de Toledo Quadros

 

 

Notas

* Uma versão inicial deste artigo foi publicada no jornal « Cahiers de Gestalt-thérapie, número 22 , 2008, Ed l’exprimerie, France.
1 Voir la biographie de Lewin par Marrow (1969), Kurt Lewin, sa vie et son œuvre, trad. franç. ESF, Paris 1972
2 Lewin, 1951, Field Theory in Social Science, Dorwin Cartwright, Tavistock Pub. LDT, London. p. 240 (trad. libre de l’auteur)
3 Parlett M., : « Réflexions sur la théorie du champ », trad. franç. in Cahiers de Gestalt-thérapie, n°5, 1999
4 Robine J.-M. (2002), “L’intentionalité en chair et en os”, reédité in S’apparaître à l’occasion d’un autre, L’exprimerie, Bordeaux, 2004
5 Lewin K. (1936), Principles of Topological Psychology, McGraw-Hill Book Company, New York & London
6 voir dans ce même numéro.
7 Goldstein K. (1934), La structure de l’organisme, trad. franç., Gallimard, Paris 1951
(1940) Human Nature in the light of psychopathology,Schocken Bookks, New York 1963
voir également : Hall C.S. & LINDZEY G. (1957) Theories of Personality, John Wiley & sons, New York : “Organismic theory” pp. 296-335, trad. franç. « La théorie organismique de Kurt Goldstein », MiniBibliothèque IFGT n°68, Bordeaux, 1993
8 voir en particulier Merleau-Ponty M. Le visible et l’invible, Gallimard, Paris, 1964
9 Groddeck G. (1923) Au fond de l’homme, cela (Le livre du ça). Trad. franç. Gallimard, Paris 1963
- (1970) Ça et Moi, trad. franç. Gallimard, Paris 1977
- Freud S. (1923), “Le moi et le ça”, in Œuvres complètes t. XV1, trad. franç. PUF, Paris 1991
10 Malraux A. La psychologie de l’art, t.II, La Pleiade
11 Merleau-Ponty M. Signes, Gallimard, Paris, 1960
12 Maldiney H. Regard, parole, espace, Lausanne, L’âge d’homme, 1994
13 Husserl E. (1913) Idées directrices pour une phénoménologie, Gallimard, Paris, 1950
14 Pour un étude plus approfondie du terme de ‘contact’ en Gestalt-thérapie, le lecteur est invité à se reporter par exemple au DVD réalisé sur ce thème par GTin en 2002, dans lequel débattent M.V. Miller, Gary Yontef, Ph. Lichtenberg, M. Spagnuolo-Lobb, P. Philippson, L. Frazao et moi-même (Ed. l’exprimerie, Bordeaux).
Signalons également le dossier consacré au « Contact » dans le n°2 de la revue Studies in Gestalt Therapy (Hiver 2007), dans lequel je débats sur ce thème avec Joe Melnick et Mary Lou Scharke, sous la houlette de Dan Bloom, du New York Institute for Gestalt Therapy et de Ernesto Spinelli, professeur de psychothérapie phénoménologique à Londres.
15 Perls F.S., Hefferline R. & Goodman P. (1951), Gestalt-thérapie, trad. franç. l’exprimerie, Bordeaux, 2001, p. 39
16 Stern D. N. (2003), Le moment présent en psychothérapie, trad. franç. Odile Jacob, Paris.

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