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Arquivos Brasileiros de Psicologia

versão On-line ISSN 1809-5267

Arq. bras. psicol. v.59 n.2 Rio de Janeiro dez. 2007

 

ARTIGOS

 

Apport du retour à la structure pour une clinique différentielle

 

Contribution of return in the structure for a differential clinical practice

 

 

Michel Grollier

Université Rennes 2

Adresse pour correspondance

 

 


RÉSUMÉ

En reprenant la construction de la question des psychoses dans la psychanalyse, ce travail remet en valeur les questions diagnostiques. Ce point est des plus important dans le champ psychiatrique à une époque où la nosographie se retrouve mise à mal par la mise en cause de ses modèles. Contre l’éclatement des références, l’auteur fait valoir le modèle structural, au sens psychanalytique, et démontre qu’il offre un outil qui répond aux contraintes de la clinique. En évoquant la rencontre ratée entre psychiatrie et psychanalyse, l’auteur repère à travers la question de la liberté, le point d’achoppement qui répond de cet echec. Mais ce travail démontre que malgré cette rencontre en partie ratée, cette référence structurale reste féconde pour l’accueil et le traitement des psychotiques et autistes. De plus cela permet une ouverture dynamique sur les questions spécifiques que nous posent les autistes. A partir de là, l’auteur repère en quoi ce modèle répond à la question moderne de l’organisme et son rôle, de ce qu’est le corps pour le sujet en évitant l’impasse imaginaire, question cruciale pour les autistes, et du langage comme organisateur des manifestations pathologiques. Les lois du langage sont ainsi les contraintes qui s’appliquent à tout être humain, y compris ceux qui ont le rapport le plus difficile avec lui.

Mots clès: Structure; Psychopathologie; Psychanalyse; Psychoses; Autisme; Langage.


ABSTRACT

Reworking the construction of the question of the psychoses in the psychoanalysis, this work show off to advantage the diagnostic questions. This point is the most importing in the psychiatric field in a time when the nosographie is in a very bad way by the questioning of its models. Against the explosion of the references, the author point out the structural model, to the psychoanalytical sense, and demonstrates that he offers a tool which answers the constraints of the clinical practice. By evoking the meeting missed between psychiatry and psychoanalysis, the author tracks down through the question of the freedom, the point of obstacle which answers of this echec. But this work demonstrates that in spite of this partially missed meeting, this structural reference remains fertile for the reception and the treatment of the psychotics and the autistics. Furthermore it allows a dynamic opening on the specific questions which put us the autistics. From there, the author tracks down in what this model answers the modern question of the body and its role, of the fact what is the body for the subject by avoiding the imaginary impasse, the crucial question for the autistics, and of the language as the organizer of the pathological outward sign. The laws of the language are so the constraints which apply to every human being, including those who have the most difficult relationship with him.

Keywords: Structure; Psychopathology; Psychoanalysis; Psychoses; Autism; Language.


 

 

«Je pense que de tels efforts déployés auprès de psychotiques apporteront beaucoup de connaissances, même s'ils ne sont couronnés d'aucun succès thérapeutique. »Freud S. Constructions dans l'analyse. In: Résultats, idées, problèmes. Paris: PUF, 1985, p. 280.

 

 « J’essaye comme psychotique d’instituer dans l’Autre ce désir qui ne m’est pas donné parce que je suis psychotique, parce que nulle part ne s’est produite cette métaphore essentielle qui donne au désir de l’Autre son signifiant primordial, le signifiant phallique »Lacan J.. Le Séminaire V, les formations de l’inconscient. Paris: Seuil, 1998, p.482.

 

« Il s’agit de savoir pourquoi il y a quelque chose chez l’autiste, ou chez celui qu’on appelle schizophrène, qui se gèle, si on peut dire ». Lacan J. Conférence à Genève sur le symptôme. In : Le Bloc-notes de la psychanalyse, 1985, n° 5, pp. 5-23 (p18).

 

La folie, en gagnant comme partenaire la science, s’est peu à peu transformée se situant entre maladie et handicap. L’application de la méthode clinique à la folie par la médecine a introduit dans ce champ un nouveau savoir. Cela a aboutit à une nouvelle description de ce qui s’écrit alors pathologie, psychopathologie. M. Foucault, dans son travail sur la folie(Foucault, 1972), a dénoncé une extraction de savoir du sujet fou par la psychiatrie. Reste que ce nouveau discours a élaboré une topologie de la folie, sémiologie puis nosographie raisonnée de ce qui s’inscrit comme trouble dans notre modernité. Ce discours à cherché a rester ancré dans une référence à la considération de ce que nous pouvons désigner comme être humain, et sur ce qui soutien le lien social. L’école germanique et l’école française rivalisèrent en ce domaine avec comme enjeu sous-jacent la question de la cause. Celle-ci divisa rapidement les élèves de Pinel entre organogénèse et psychogénèse. Le lien à la philosophie s’en est trouvé longtemps maintenu, et la proximité incarnée par des auteurs de double formation. L’essence de la folie se retrouvait ainsi au cœur de l’humanité même. La grande question portait sur l’idée de rupture ou de continuité entre le fou et l’homme social, du normal et du pathologique comme articulation raisonnée ou arbitraire. G. Canguilhem avait, en son temps, éclairé cette question(Canguilhem, [1966]2005). Si la psychanalyse a organisé cet écart de la névrose à la psychose, l’irruption de la référence structuraliste est venue à la fois justifier et brouiller cette construction. De l’usage phénoménologique du concept de structure au recours à la structure en référence au travail de C. Lévi Strauss(1967), il y a confusion, et il faut suivre J. Lacan dans sa référence, au-delà de C. Lévi Strauss et F. Boas, à R. Jakobson.

Plutôt que de parler de psychose, j’écris ainsi psychoses au pluriel, mais il me paraîtrait plus adéquat de parler de sujets psychotiques. J.C. Maleval a démontré dans les années 70 et 80 combien l’articulation psychose-névrose avait trouvé sa raison dans S. Freud et sa démonstration avec J. Lacan (Maleval 1981). Reste que par abus de langage nous parlons souvent de structure psychotique pour éclairer une situation subjective qui témoigne justement de sa non prise dans la structure. H. Ey, dans son questionnement sur les considérations psychopathologiques, s’interrogeait sur l’impact de la notion phénoménologique de structure(Ey, 1999). Dans son hommage au traité de psychopathologie de E. Minkowski (1998.), il montre combien peut se questionner le modèle structural intuitif que propose la phénoménologie à la psychiatrie. De fait H. Ey relève que « cela veut dire, me semble-t-il encore, que E. Minkowski admet une sorte de hiérarchie des formes de l’organisation de telle sorte que le corps, en tant que matière physique, est intégré par les fonctions même de la vie et que, et que celle-ci, en tant qu’organisme, constitue la base fonctionnelle du vécu, modèle structural qui parait bien en effet correspondre au plan de l’organisation de la vie psychique et, par conséquent, à sa désorganisation » (p.587). Le modèle structural de la psychiatrie se loge ainsi dans l’organisme, question qui traversera sans cesse aussi les travaux de H. Ey, articulation du biologique au psychique qui s’inscrit dans cette idée que la vie psychique n’est pas de l’ordre du corps mais de l’ordre de l’organisme. H. Ey rejoignait en partie E. Minkowski dans cette prégnance de la chose physique qui induisit, dans cette psychiatrie française qu’il contribua à refonder (Ey,1980), la notion de l’homme bio-psycho-social. L’interrogation centrale que propose la psychopathologie depuis toujours est cette question de l’éclairage qu’elle permet sur ce qu’est fondamentalement l’être humain. Depuis l’irruption de la psychanalyse dans ce champ, le discours s’est divisé encore plus fondamentalement, non pas sur une séparation du corps et de la psyché (S. Freud([2006]) introduisit sa psychologie scientifique d’un ancrage décidé dans le corps, et le langage même, qui recouvrait la chose par l’objet, se déduisait pour lui du corps, mais sur la position même du sujet humain, sa vérité. La trace nous en est laissée par ces débats répétés à intervalles réguliers entre J. Lacan et H. Ey, à Bonneval.

Nous voyons dans cette présentation l’écart entre les différentes conceptions de la folie, dont le recours au terme de structure dans des acceptions différentes ne simplifie pas le repérage. L’effet du retentissement scientifique de l’école structuraliste dans le champ des sciences humaines a exacerbé cet usage. Nous pouvons avancer que pour J. Lacan, malgré un usage diffus du terme de structure dans son œuvre, la structure en tant que telle reste le signifiant et son fondement du langage. Il s’agit là de la reprise, dans la structure de l’inconscient, de l’articulation œdipienne de S. Freud à partir de la castration comme opération symbolique. « Le registre du signifiant s’institue de ce qu’un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant. C’est la structure, rêve, lapsus et mot d’esprit, de toutes les formations de l’inconscient » (Lacan,1966,p. 840). Sous l’impulsion de F. Wahls qui réalisa la publication conjointe d’articles sur le structuralisme dans les sciences humaines, M. Safouan écrivit « Le structuralisme en psychanalyse »(1973) où il présentait, à partir de l’enseignement de J. Lacan, ce nouage de la structure à la loi oedipienne via le langage.

Cela a été encore plus mis en question par le surgissement de nouveaux débats issus de la confrontation à la clinique de l’autisme, comme le montre le travail de J.C. Maleval(2003). Mettre en question l’écart ou la communauté entre psychose et autisme a surtout mis à mal la référence psychanalytique dans sa visée holistique. Prendre la question du côté de l’opposition entre structure psychotique et ce qui n’en relèverait pas est une mise en cause même de la modélisation freudienne, voire de sa mise en forme logique telle que J. Lacan nous le propose. Rosine et Robert Lefort en ont montré la conséquence logique dans leur ouvrage au titre justement équivoque, « La distinction de l’autisme »(Lefort; Lefort ,2003). F. Tustin, à la fin de son enseignement sur l’autisme, insistait quant à elle sur la nécessité de différencier les pathologies autistiques (Tustin,2006a). Elle s’exprime ainsi « j’ai réalisé qu’il était important de différencier les psychopathologies autistiques des autres pathologies » (Ibid, p. 163). Cette position a des conséquences sur le soin et l’accompagnement que l’on peut offrir à ces enfants. L’autisme est ainsi d’emblée pour elle une position spécifique, ce qu’elle appuiera de sa critique de la conception d’un stade primaire de l’autisme chez l’enfant. Elle écrit ainsi « l’autisme est une aberration du développement et non un stade primaire » ((Tustin,2006b, p. 131), p. 131). Reste à repérer ce qui spécifie alors l’autisme, F. Tustin proposant « l’autisme est une réaction spécifique au traumatisme » (Tustin,2006a, p.156), ce qui nous semble poser la question même de ce qu’est le traumatisme à ce niveau, question que J. Lacan ramène à la rencontre du langage pour tout sujet.

Je propose donc de relativiser et spécifier sur quel point nous devons centrer cette structure et envisager dans quelle mesure cela permet de situer les positionnements subjectifs du psychotique et de l’autiste. Je précise de suite que, reprenant J. Lacan, je situerai l’articulation de ce que nous nommerons structure du côté du signifiant et des lois du langage, et articulerons les positions de chacun vis-à-vis de ce principe. Une clinique « structurale » spécifiera alors l’écart entre ceux qui usent du langage pour produire, dans leur parole, une forme de discours qui soutient un lien social (au prix du symptôme) et civilise ainsi la jouissance ; et ceux qui, toujours soumis en tant qu’être humain aux lois du langage, ne peuvent s’en saisir et en subissent différentes conséquences. Qu’il y ait des tableaux cliniques spécifiques pour ceux qui se retrouvent ainsi dans le champ de la psychose s’expliquerait par le rapport nécessaire à cet organisateur du monde qu’est le langage. Nous y reviendrons et cela nous conduira à interroger la place de l’objet dans la clinique, ce qui nous permettra de mieux aborder la question de l’autisme.

 

UN ETRE PARLANT, CORPS VIVANT

Pour répondre du choix de ne pas insister sur la notion de structure psychotique, voire de spectre de l’autisme, je propose de prendre la question non à partir de l’être dans sa dimension d’être vivant, que nous ne contestons pas (y compris dans ses causalités biologiques et physiologiques), mais dans sa dimension subjective. C’est la voie de l’humanisation, celle du langage qui rend présent à notre monde un sujet qui s’inscrit alors dans un lien social. C’est de plus la seule voie qui rende compte de cette présence à notre humanité.

Autismes et psychoses sont ainsi à situer dans leur rapport à cette communauté du langage et à ses règles et conditions d’inscriptions. Sans ainsi rentrer dans la causalité précise de ce qui fait embrouille ou plutôt ici impossible, nous proposons d’envisager les conséquences et les traitements possibles de ces conséquences. Ce qui particulariserait les sujets psychotiques et autistes, plutôt qu’une structure d’existence, serait l’inscription non advenue au langage, ou une prise qui ne peut s’articuler dans la chaîne et que le sujet doit contourner. De fait, cette structure conditionne une clinique des conséquences.

Nous pouvons alors considérer deux modalités du ratage de cette inscription dans le langage. Un temps qui correspond à la prise du sujet dans le signifiant, mais qui rate de ne pas disposer de l’outil d’articulation collectif que J. Lacan spécifie dans un signifiant du Nom-du-Père. Impossible alors de participer aux discours de la logique phallique et difficulté à produire l’énoncé de sa présence au monde hormis dans un semblant de discours (délire). Mais il y a aussi un ratage plus radical, plus primitif dans sa temporalité, celui du gel de l’être sous un signifiant, ou même l’impossible inscription de l’être sous un signifiant, rendant encore plus problématique la présence du sujet au monde.

Dans la première modalité du ratage, celle centrée sur la forclusion, l’être se heurte aux lois du langage pour tenter de produire un énoncé qui le présentifie au monde, sujet tentant de s’inscrire dans les lois du langage en l’absence de ce point de capiton qu’est un signifiant du Nom-du-Père(Lacan, 1966). Nous retrouvons là les mécanismes divers de la psychose, hallucinations auditives, envahissement de l’imaginaire dans les hallucinations visuelles, délires… Car le signifiant même n’est pas ancré dans la structure dont l’accès est conditionné d’un prix symbolique comme y insiste S. Freud. Nous retrouvons là l’idée d’une liberté qui met à mal le lien social et l’usage même du langage par le sujet. Ce thème de la liberté, nous devrons y revenir car il se révèle être le point d’achoppement dans la rencontre entre psychiatrie et psychanalyse sur le thème de la psychose.

Dans l’autre forme de ratage plus primitif que j’ai proposé, celui du gel de l’être sous un signifiant, l’être se trouve soit dans ce repli figé que décrit la schizophrénie (articulation langagière enchaînée de façon baroque et chute de l’être sur quelques signifiants qui les supportent alors seuls); soit dans cet à-côté du langage qu’illustre l’autisme, ou l’être doit s’inscrire par le biais d’outils déconcertants, objets élus dans la rencontre. Le signifiant qui, en barrant le sujet, « fait entrer en lui le sens de la mort » (Lacan,1966, p.848), de ne pas s’articuler comme signifiant impose le règne même de la mort hors de toute pulsion organisée. La dimension objectivée du langage (qui n’est pas absent mais plutôt sans prise) pourrait dans ce dernier cas se manifester dans l’usage associationniste que font ces sujets dans leurs premières tentatives pour manier le langage ; association d’énoncés holophrasiques à des évènements du monde(Grollier, 2007).

Dans ces impasses à civiliser la jouissance pour supporter la pulsion freudienne, les sujets doivent composer avec ce partenaire radical que J. Lacan dénomme l’Autre, lieu d’un désir alors impossible que le sujet cherche à traiter. Ce travail dans la psychose cherche à spécifier un objet propre à supporter le poids de la rencontre, l’encaisser. Le sujet autiste interroge quant à lui son altérité et les objets prennent dans ce cas une dimension étrange. Ce passage par l’objet nous paraît radical dans l’autisme, seul support envisageable pour constituer un semblant de pulsion qui organiserait la jouissance. J. Lacan se reconnaissait comme principal apport à la psychanalyse la construction de « l’objet a ». J. A. Miller propose de lire dans le séminaire « D’un Autre à l’autre » (Lacan, [1968-1969]2006) un déplacement, ce qu’il appelle alors « C’est le mythe scientifique d’une naissance du sujet préalable au signifiant ou qui est, avec le signifiant, dans des rapports complexes qui sont tissés avec beaucoup de délicatesse » ((Miller,2007, p. 121). Question du surgissement du sujet non pas du signifiant nous signale J. A. Miller, mais à ce moment « du rapport indicible à la jouissance » (Lacan, [1968-1969]2006, p. 327). Nous voyons ici combien la clinique de l’autisme nous conduit vers l’étude du J. Lacan des années soixante- dix, et ainsi vers une clinique de l’objet. F Tustin en avait eu l’intuition dès ses premiers travaux, et son interrogation de l’objet a eu le mérite de nous aider à tenir compte de cette présence. Les travaux de J. C. Maleval montre actuellement la richesse de cette voie, en dégageant notamment la notion d’objets complexes.(Maleval, 2007)

 

PSYCHOSE ET LIBERTE

Sur cette question de la considération de la psychose comme substitut de la folie, il paraît important de reprendre le débat constant dans la deuxième partie du XXème siècle entre la psychiatrie et la psychanalyse. Ce débat a été rythmé par des rencontres, celles de Bonneval notamment, qui ont vu la doctrine psychiatrique et le champ freudien se croiser sans véritablement se rencontrer. C’est par là que nous allons suivre la constitution de ce qui fonde la spécificité des psychoses et la nécessité d’une référence claire à la structure du signifiant et donc aux lois du langage comme opérateur.

Pour situer ce débat, je rappelle que H. Ey donne une définition de la maladie mentale qui inclut cette question de liberté : "la maladie mentale est une maladie de la réalité et de la liberté, comme le rêve, à une désorganisation de l'être conscient, c'est-à-dire que plus ou moins directement elle manifeste dans son aliénation l'inversion des rapports qui règlent organiquement l'être conscient à son inconscient". (Ey,1971), p. 256). Comme le rappelle T. Trémine dans son article (Trémine,1997, p. 703) la pensée de H. Ey, en visant la cohérence et la totalité a lutté contre le peu de cohésion interne au savoir psychiatrique. Dans les années 30, H. Ey a croisé les œuvres de Jackson et Bleuler "c'est dans cette rencontre entre Bleuler et Jackson que naît l'organodynamisme de Ey, où se profilent Janet et Freud". Pour H. Ey, le travail autour de la nosologie visait à délimiter le champ de la psychiatrie vis-à-vis de la neurologie, de la psychanalyse, voire plus tard de l'antipsychiatrie. Ainsi : "Chez Henri Ey, la maladie mentale est définie dans l'étude n°7 dans toutes ses formes et à tous ses degrés comme une affection de l'infrastructure somatique, qui altère et fait régresser la superstructure psychologique à un niveau inférieur, ou à une phase antérieure de son développement" (Ibid, p. 707).

De cet intérêt porté au somatique, certains ont pensé que H. Ey s'était plus interrogé à partir de la schizophrénie, contrairement aux psychanalystes qui s'en tiendraient à la paranoïa. Analysant la crise psychiatrique de 1945, H. Ey stigmatisait "la méconnaissance sinon le dédain dont témoigne le corps médical à l'égard du fait psychopathologique" (Ey, 1996, p. 307). Il s'en prend aux psychiatres qui "par un goût assez paradoxal du "hara-kiri" traitent les psychoses soit comme un développement purement psychogénétique, soit comme réduit à ses seuls déterminants cérébraux et humoraux" (Ibid, p. 307). Avec son souhait d’accrocher la psychiatrie à la médecine, H. Ey inscrivit cette nécessité de lier déterminant organique et déterminant psychologique. De cette logique il a déduit la psychopathologie comme une atteinte à l’intégrité humaine, une forme de privation donc.

H. Ey propose alors comme mission à la psychiatrie de libérer le fou de la folie qui l’entrave, sujet de son premier débat à Bonneval avec J. Lacan. Celui-ci lui répond d’emblée sur ce point : "Et l'être de l'homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l'être de l'homme s'il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté". (Lacan,1966, p. 176)

Dix ans après, en 1956, J. Lacan, dans le cadre de son travail sur la psychose, reprend le même passage qu'il précède de ce préambule : "Point où nous retrouvons (laissant à ceux qui s'occuperaient de nous plus tard le soin de savoir pourquoi nous l'avons laissé dix ans en suspens) le dire de notre dialogue avec Henri Ey :..."(Ibid, p. 531).

Il faut dire qu'il y a là, pour J. Lacan, une première mise en ordre qui vise à autoriser une pratique possible avec des psychotiques pour un psychanalyste. Pour J. Lacan il ne s'agit plus pour le psychanalyste de reculer systématiquement devant la psychose. Et un certain nombre de ses élèves le suivront, mettant en place plusieurs institutions se proposant d’accueillir des jeunes psychotiques et autistes. Dans le champ propre de la psychiatrie générale, des auteurs comme P. C. Racamier avancerons dans le cadre d'un travail avec le psychotique qui s'inspire de la psychanalyse(Racamier et al,1970). Mais toujours avec l'idée à ce moment d'une limite, voire une impossibilité, ce qui s'oppose à la position de J. Lacan.

En 1966, soit encore dix ans après, J. Lacan, toujours invité par H. Ey, dans le cadre du cercle d'études psychiatriques, énonce ce qu'on appelle "Petit discours aux psychiatres", le 10 novembre 1967 dans ce même cercle psychiatrique H. Ey - Sainte-Anne. "Quand on est en présence de ce qui, tout de même il faut le dire, est le cœur, le centre du champ du psychiatre et qu'il faut appeler par son nom: c'est le fou. Psychotique si vous voulez" (Lacan ,1967, p. 4).

Il précise déjà qu'il a bien remarqué que ce fondement n'est plus, et n'a jamais été l'unique préoccupation de la psychiatrie, mais il insiste, c'est là qu'est son objet comme science. D’ailleurs, pour marquer l’impact de la mission sociale qui est aussi celle de la psychiatrie il précise : "On peut parler d'un tas d'autres choses qui ne sont pas des fous, quoique ce soient des gens qui viennent dans les mêmes lieux que ceux où l'on soigne le fou, c'est des déments, des gens affaiblis, désintégrés, désagrégés, mis de façon passagère en état de moins-value mentale ; ça, ce n'est pas ça qui est à proprement parler l'objet du psychiatre" (Ibid, p. 4). Deux choses retiennent J. Lacan, d'abord que dans le cadre de ce rapport avec cet objet qu’est le fou, il n'y a pas eu, dans ce champ de la psychiatrie, la moindre découverte (Ibid, p. 28) . Puis reprenant ce qu'il assène depuis longtemps il ajoute : « les hommes libres, les vrais, ce sont précisément les fous » (Ibid, p. 24) et que ce fait pèse sur la psychiatrie au point que : « Et ce pourquoi vous êtes en sa présence à juste titre angoissés, c'est parce que le fou c'est l'homme libre ».

La folie est donc avec J. Lacan, au cœur même de l’humanité, et la liberté trace de l’absence de ce qui régit les fondements du lien social. Il faut mettre en lien cette articulation avec celle des lois du langage dans la psychose, travail que J. Lacan engage à la fin des années cinquante dans sa démonstration de la forclusion d’un signifiant du Nom-du-Père comme absence d’un possible capitonnage du rapport du sujet au langage.

La médecine, en acceptant de prendre la responsabilité sociale de la folie au nom de la science, a pris à son compte la charge de ce lieu d’asile que constitue l’hôpital, asile pour un sujet en proie à un univers féroce. La principale difficulté, qui transparaît dans le débat entre H. Ey et J. Lacan, tient au rapport singulier à la liberté de ces sujets. De fait, en suivant J. Lacan, nous comprenons que confronté à ces sujets perdus dans l’impossible liberté qui est la leur dans le rapport au langage, la psychiatrie a comme première action de limiter autoritairement celle-ci. Ce traitement a un effet apaisant car il permet d’originer un discours où le sujet peut se positionner ne serait-ce que comme persécuté par la psychiatrie. La manifestation subjective se retrouve alors dans ce que l’on pourrait appeler une protestation du psychotique(Grollier, 2002). De cette condition première du soin psychiatrique, il s’agit pour la médecine de tirer les conséquences, à savoir de faire consister un partenaire qui se révèle moins féroce que celui auquel à affaire le psychotique. Cela en gardant ouverte la possibilité d’élaboration et de création pour le sujet errant afin qu’il puisse constituer un appui à une nouvelle création plus inscriptible dans le lien social. Incarner donc un partenaire supportable pour le sujet, avec lequel se négocient ces objets que sont alors le social et la participation du sujet à celui-ci. De là, cette interrogation propre aux travailleurs de la psychiatrie de ne pas céder sur la pente de la maîtrise et du savoir pour conserver un désir que les patients élaborent une solution moins invalidante pour leur inscription dans un lien social minimum. C’est là l’art propre au psychiatre, qu’interroge l’accès à des molécules chimiques qui permettent toujours plus de contrôler les comportements. Nous voyons ainsi comment cliniquement cette position du sujet psychotique face à l’impossible du lien social doit se traiter à l’encontre de sa trop grande liberté dans le langage, et pour autoriser une certaine entrée, un certain maniement de celui-ci.

Nous voyons aussi se profiler le surgissement de ce nouvel horizon qu’introduit l’autisme, celui du sujet qui peine à se soutenir du langage. Que de suite, à partir de ce point d’angoisse comme le propose J. Lacan, advienne le recours à la causalité, causalité organique, n’est pas alors étonnant. Difficile de concevoir le sujet humain et ce qui le contient, avec sa répercussion sur la nosographie qui à partir d’une conception de l’autisme tente de recouvrir toute la psychopathologie.

 

LE SUJET DANS LE LANGAGE

J. Lacan a conservé de sa formation psychiatrique classique des outils qui au début s’expriment dans ses travaux avant d’être repris dans le discours psychanalytique. Ainsi pour la structure dans la psychose, il usera jusque dans les années 50-60 de ce terme de structure psychotique dans ses interventions. En 1931, à propos des paranoïaques, il écrit ainsi un article « Structure des psychoses paranoïaques » ou il se propose de formaliser la question des délires : « Nous le ferons en nous fondant sur la notion purement phénoménologique de la structure des états délirants »(Lacan, 1931). La bascule, à propos de la psychose, va se situer à la fin des années cinquante, entre son séminaire et le texte « D’une question préliminaire à tout traitement possible des psychoses » (Lacan, 1966) . Formaliser ce qui conduit le sujet à s’inscrire dans ce qui va permettre le lien social est alors la reprise, à l’aide des apports de la linguistique, de l’hypothèse freudienne sur la castration symbolique et son absence dans la psychose, articulation qu’il épingle sous le terme de forclusion (qui porte sur le « signifiant du Nom-du-Père »). Dans la suite de son enseignement, J. Lacan reviendra sur cette opération qui fait séparation dans l’accès au symbolique pour en venir au problème du nouage de ce symbolique avec les deux autres registres (imaginaire et réel). Il proposera à la fin de son enseignement d’autres façons de produire un nouage qui autorise une position subjective qui s’inscrive dans l’écriture d’un discours (Lacan, [1968-1969]2006). Avant de voir la question de l’objet et de l’Autre dans la psychose, nous allons suivre ce point spécifique que J. Lacan note comme fondamentalement la structure, c’est-à-dire le langage (d’où un inconscient alors structuré comme un langage).

Pour J. Lacan, dans son approche de la question que nous pose le sujet psychotique face au langage, à quoi répond ce qu’il désigne comme métaphore du signifiant du Nom-du-Père ? C’est ni plus ni moins qu’une stabilisation phallique du langage, dans laquelle un signifiant au moins s’inscrit de la communauté et vient capitonner le défilé signifiant et garantir au sujet un ordre partageable, loi du langage. Le langage peut alors présenter et dérouler cet enchaînement logique qui ouvre aux significations, lieu où peut se loger un sujet qui se présentifie dès lors dans le monde au-delà de ce qu’il est comme corps, un être, mais dans la limite même des lois du langage et des signifiants maître (S1) qui encadre son être. Ces S1 étant ces premiers éléments signifiants qui ont épinglé sa présence dans sa rencontre avec ses partenaires primitifs. Après une certaine hésitation qui a conduit des post-freudiens à parler de dyade mère-enfant, les auteurs contemporains prennent désormais en compte la construction singulière du sujet. Les auteurs parlent ainsi préférentiellement de rencontre première entre la mère et l’enfant, comme l’écrit A. Barbier (2007, p. 54). J. Lacan introduit d’ailleurs à ce temps premier le rôle de la « lalangue », substrat de jouissance du langage qui se note par exemple des lalations de plaisir du jeune enfant. Cette opération symbolique qui logifie la notion de castration pour S. Freud, emporte dans sa condition une perte pour le sujet qui institue un gain possible dans le lien social, ancrant le signifiant et autorisant par les lois du langage la mise en œuvre du lien social. Par la suite, J. Lacan écrira ce lien social en quatre formules (appelées discours) articulant des mathèmes. Ces discours, qui associent la chaîne signifiante, le sujet et son objet a, situent le sujet dans son rapport au monde et à sa jouissance (Lacan, 1969-1970[1991]). Cette construction est pour lui manifestation de ce qui fait lien social, ces formules ne s’écrivant pas dans l’intersubjectivité mais dans la prise du sujet dans le signifiant. Cela permet d’entendre en quoi le psychotique, dans sa présence non capitonnée dans le langage, se retrouve hors discours.

La question est donc bien dans le rapport du sujet au langage, soit qu’il y soit inscrit, perte qui lui assure la possibilité d’un dire qui le présentifie dans son malentendu même, soit qu’en y étant inscrit il ne peut s’assurer de l’accroche qui évite le glissement sans fin des signifiants. Position qui laisse le sujet dans l’obligation d’une création qui assure sur un point de certitude une articulation possible des signifiants. Au risque de les voir parfois décrocher et de le laisser dans l’expectative ou la chute. Pour le rapport à la langue, l’exemple de la poésie, chère à Lacan, peut nous orienter. La métaphore poétique ne produit son effet que si celui qui l’entend suppose une signification autre que littérale, et part à la quête de ce qui se trouve possiblement derrière le signifiant de l’énoncé. Énoncé, mais non dite dans le vers, il y a une présence que l’auditeur suppose sans qu’elle soit obligatoirement la source première. À trop prêter nous savons d’ailleurs que certains censeurs préférèrent interdire l’écrit de C. Baudelaire titré « les bijoux », derrière lequel se profilait trop fortement la jouissance d’une femme étrangère. C. Baudelaire pouvait ainsi par ailleurs écrire « Je suis comme le roi d’un pays pluvieux, Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux, … »(Baudelaire, 1975)

C’est aussi au gré de la métaphore que A. Rimbaud nous produit ce doux poème dit « le dormeur du val », ou le soldat jeune qui dort dans le frais cresson bleu présente aux derniers termes deux trous rouges au côté droit.

Dans la clinique, cela s’illustre dans la prise désespérée dans un lien assidu qui évite tout mouvement synchronique, perte d’une possibilité que signe pour le névrosé l’usage de l’équivoque. Ainsi pour ce patient qui sortait de l’institution pour le week-end et auquel l’éducateur enthousiaste adressa ce salut complice, « au revoir, jeune homme ! ». Qu’il soit relativement jeune n’entra pas là en ligne de compte, mais plutôt l’inquiétude qui nous saisit à le voir refuser de manger en référence à un ancien délire mystique. Que ce joyeux salut se soit transformé en implacable consigne nous fut révélé quelque temps plus tard par le patient lui-même, nous illustrant l’absence d’équivoque signifiante pour ce sujet psychotique.

Le sujet peut aussi retrouver son être gelé sous un signifiant duquel part toute son articulation langagière, prise dont la brisure retentit sur tout l’être du sujet, le laissant même sans l’être qui pourrait le supporter. Ainsi ce patient qui depuis quelques années paraissait stabilisé. Il venait régulièrement nous faire part des petits éléments de sa vie, lui l’invalide du travail et l’ancien combattant. Invalide, il ne l’était pas au sens où il le spécifiait d’une pathologie dermatologique, pas plus qu’il n’avait participé à aucune guerre, sauf à avoir été présent en Algérie durant l’époque où celle-ci se préparait. Mais sa participation assidue aux évènements liés aux commémorations dans son village l’installait dans une position identifiée et identifiable. Là, l’arrivée d’un ancien combattant avéré, qui lui contesta le droit de porter le drapeau, le conduisit illico à l’hôpital, hospitalisé dans un état catastrophique de repli catatonique. Nourri par le personnel, il fut entouré par l’équipe qui fit autour de lui conversation de ses activités habituelles, jusqu’au surgissement de sa voix au concert de ces menus évènements. De retour dans son village, il fut nécessaire de ménager les quelques espaces identificatoires qui lui permettaient de s’y faire une place, et de concourir alors à ce type de lien social qui le voyait manier les boules de pétanques pour le plus grand profit des tournois locaux.

Enfin il y a cette question que nous pose l’autiste, à coté de ce langage qu’il ne peut mettre en œuvre que dans une articulation décalée, rappel de cette manœuvre associationniste que décrivait L. Kanner : à un évènement s’associait une holophrase. Usage dès lors objectivé du langage, d’un sujet qui ne se reconnaît que de son absence, représenté par cet élément signifiant comme simple signe, un signe qu’il y a du sujet mais qui ne peut se présentifier dans une énonciation.

Ainsi Georges, à l’hôpital de jour où j’interviens, enfermé dans le travail sans fin de laisser tomber rythmiquement des cailloux sur le sol, ne peut supporter une présence trop proche. Au-delà de quelques cris et mimiques, il peut alors lancer un « je te laisse ! » visant la réalisation magique de notre disparition de son environnement. Il ne s’agit pas d’une interlocution qui s’adresserait. Il s’agit d’un traitement de la jouissance, de la même façon que celle dont l’enfant peut user avec un objet, condensateur de jouissance, tel que le propose E. Laurent (1997, p.44). Dans l’exemple, l’énoncé holophrasique s’interpose comme objet face à cette présence problématique. L’enfant peut utiliser de la même manière un objet pour s’interposer face à un autre objet menaçant (un crayon balancé devant les yeux de celui qui est là, et qui le regarde). Il s’agit donc pour nous de tenter de détourner cet usage pour introduire une rupture qui crée une petite différence permettant la mise en œuvre de l’association. Il peut y avoir sur cette base une articulation, ce que nous démontrent certains sujets, avec parfois un forçage dans l’entrée dans le langage.

S. Freud avait, dès sa rencontre avec la psychose, noté l’importance de ce qu’il appelait le mot, avec cette remarque sur le mot qui vaut pour la chose (Freud, 1976, p. 118), façon de dire l’absence d’équivoque et le collage artificiel du signifiant à une représentation (une chose). De même, sa lecture des mémoires de D. P. Schreiber lui a permis de décrire ces formations de langage, cette langue si singulière qui supporte le délire et rend compte des hallucinations. S. Freud disait ainsi que le psychotique par son délire tentait de reconstruire un monde possible pour exister (Freud, 1954, p. 311).

L’analyse par J. Lacan, reprenant S. Freud, de la projection dans la psychose, illustre ce lien spécifique du sujet au langage (Lacan,1966, p. 541 et Freud, 1954, p.311). Nous y retrouvons ce parcours de transformation dans la langue de ce qui se présente au sujet comme lui faisant retour dans un partenaire. Le « je te hais » visant alors un être qui, comme sujet, ne peut aimer. La démonstration, faussement grammaticale, illustre la torsion que le langage subit pour répondre de la certitude existentielle du sujet.

 

L’OBJET POUR L’AUTISTE ; LE LANGAGE TRAITE COMME OBJET. L’AUTRE ET LE DOUBLE ?

Nous pouvons saisir ici le fil que tire pour nous J. A. Miller de sa lecture du séminaire D’un Autre à l’autre de J. Lacan. « Il s’agit là de repérer dans le sujet un représentant qui est plus originel que le signifiant » (Miller,2007, p. 121), problème de la saisie de l’être du sujet dans sa rencontre de l’Autre et sa trace, un objet comme élément même de cette trace. Avec le sujet autiste nous voyons cette quête d’un objet qui puisse venir faire trace de l’être dans son lien à la jouissance toujours active. Il y a ainsi une voie ouverte pour tenter de soutenir ce que la pulsion n’organise pas à travers des objets qui remplissent plus ou moins la fonction des objets de la pulsion non constituée. De fait, ce que paraît nous indiquer le sujet autiste, c’est la voie nécessaire à constituer cette altérité minimale qui, en supposant la séparation, emporte avec elle l’aliénation logique du temps précédent. Comment retrouver l’écart que pour tout sujet les lieux des signifiants, que J. Lacan note lieu de l’Autre, représentent ; quel partenaire donc pour le sujet ? C’est de cette question qu’est issue la conception du double, à partir des témoignages des autistes dits savants (D. Williams(1994) par exemple). Sur la voie du double, nous retrouvons l’objet comme réel auquel se heurte l’être et qui, en s’animant, peut animer le sujet d’une position de double. Il me paraît intéressant de noter qu’un auteur comme G. Hautmann, réfléchissant à la question de la naissance psychique, croise le travail que M. Klein effectue avec l’enfant « psychotique » qu’elle nomme Richard et la construction d’un autre de ses analysants, W R. Bion, autour de la question du jumeau imaginaire ((Hautmann, 2007, p. 70). W. R. Bion(2002) écrivit un article sur le jumeau imaginaire en 1950à propos de la cure de trois patients, dont deux au moins très perturbés, et en tira à partir de son interrogation sur « la vue » ce que nous pourrions repérer comme prémisse de l’objet regard et traitement imaginaire du monde. Il y a là, la mise en question de la nécessité de l’écart que permet un partenaire pour la construction du sujet. Cet écart est une voie minimale pour arriver à loger une articulation qui peut donc être articulation dans la langue, si cette présence sonore du langage est supportable. Qu’en est-il alors de l’Autre pour un tel sujet ? La question est d’importance car elle nous introduit à un autre écart, celui de l’autisme à la psychose. Dans la psychose, il y a en effet un Autre qui s’incarne comme partenaire du sujet, avec plus ou moins de succès. Le débat se situe sur ce point chez un certain nombre d’auteurs pour décider d’un passage ou non de l’autisme à la psychose, élaboration pour laquelle seule la clinique pourra nous orienter.

Interrogeant la structure de langage comme fondement de l’inconscient, J. Lacan évoque cette dimension de « Béance, battement, une alternance, de succion pour suivre certaines indications de Freud, voilà ce dont il nous faut rendre compte, et c’est à quoi nous avons procédé à le fonder dans une topologie » (Lacan, 1966, p. 838). L’inconscient pensé métaphoriquement comme un lieu, comme l’écrit M. Safouan(1973), à travers cette évocation topologique interroge sa propre fermeture. J. Lacan propose ainsi d’y répondre : « La structure de ce qui se ferme, s’inscrit en effet dans une géométrie où l’espace se réduit à une combinatoire : elle est proprement ce qu’on y appelle un bord. » (Lacan, 1966, p. 839). Nous avons alors, par cette opération de séparation qui va fermer « la causation du sujet », ce que J. Lacan indique comme structure du bord dans sa fonction de limite. Aliénation &– séparation sont, dans l’autisme, des opérations non advenues. Le bord reste donc ce qui ne fait pas limite, et cela nous ramène à la clinique de l’autisme, où les sujets s’accrochent aux traits, bords, et se heurtent aux ouvertures en tant qu’elles séparent en place d’ouvrir. E. Laurent(2002) propose d’ailleurs de reconnaître dans l’autisme le retour de la jouissance sur les bords, seules marques qui s’inscrivent dans un univers inconsistant. La question alors se pose de cette pulsion fondamentale qu’est la pulsion de mort, alors que la pulsion n’est pas en place de se structurer pour le sujet. C’est alors la question de l’organisme qui surgit en effet, dont J. Lacan dit « L’important est de saisir où se fait l’enracinement de l’organisme dans la dialectique du sujet » (Lacan,1966, p. 849). Par l’interrogation du désir de l’Autre, le sujet fait surgir et circuler l’ensemble des objets, « les objets autres qui vont venir à cette place, en seront des substituts empruntés à ce qu’il perd, l’excrément, ou à ce qu’il trouve dans l’Autre qui soit support de son désir : son regard, sa voix » (Ibid, p. 849). En l’absence de la perte, de la séparation qui vient mettre sa mort au compte du désir de l’Autre, le sujet sans un Autre ne peut supporter ces objets et encore moins les perdre. D’où la terreur de ces enfants autistes à constater la disparition de leurs excréments, ou même dans l’alternance simplement de la voix.

Le parcours du côté de l’autisme nous montre que si la question de l’organisme est bien au fondement de l’autisme, il l’est dans sa constitution pour un sujet toujours en devenir. De même que la question de l’invention d’un partenaire au sujet est au cœur de la problématique de la subjectivation autiste. J. Lacan nous indique en effet que entre le sujet présupposé de l’inconscient et l’Autre comme dimension où s’affirme la parole il y a l’inconscient en tant que coupure en acte (Ibid, p. 839). C’est l’inconscient qui fait l’ourlet dirais-je. Et pour la psychanalyse, les psychanalystes font partie du concept de l’inconscient, puisqu’ils en constituent l’adresse (Ibid, p. 834). Inconscient et sujet s’instituent dans le langage, au même titre que le psychanalyste qui s’offre comme adresse. En panne avec le langage, l’autiste ne peut s’adresser, et pour celui qui s’offre, le risque est grand de prêter du sens ou de la « comprenette » à ce qui se situe en deçà. Le piège de l’adresse prend ici toute la valeur à laquelle J. Lacan nous a sensibilisé à propos du sujet autiste. D’un autre coté, prendre le parti de s’en tenir à un usage du signe pour soutenir le sujet autiste dans son inscription au monde laisse celui qui construit les signes maître de cette inscription. Ce dernier point sera à reprendre dans un travail spécifique à la question de l’autisme.

 

CONCLUSION

Ainsi, ce qui fondamentalement fait règle, et plus même, contrainte, c’est la structure du langage et sa logique combinatoire. Ses règles limitées, sa grammaire, autorise une possibilité infinie de création dans le champ de la signification. Au-delà de la dimension de communication qu’autorise bien d’autres supports, y compris dans le règne animal, le langage humain emporte avec lui l’équivoque du sujet, sa présence même au monde que ce même langage contribue à instituer. Le malentendu intrinsèque de tout langage humain est le reliquat de cette opération. S. Freud eut l’intuition de ce problème qu’il tenta de cerner dans sa poursuite d’une logique de l’inconscient accroché à son ancrage dans les mots, dans leur dimension proprement physique. J. Lacan, dans sa quête, sut saisir ce qu’offrait à notre réflexion la linguistique. Ainsi, la sanction symbolique que S. Freud repérait dans la castration, J. Lacan en saisit le mécanisme dans cette opération qui capitonne la présence du sujet au langage. L’opération de métaphorisation qu’autorise l’usage du signifiant du Nom-du-Père, permet ainsi d’articuler cette présence subjective de l’être à sa jouissance, ce qui lui permet d’en dire quelque chose et ainsi de fonder un lien social qui réponde du monde qui se présente alors à lui. La névrose est donc ce qui répond de ce nouage particulier qui produit une communauté et fait notre monde, structure ? Reste que pour ceux qui n’ont pas accès à cet outil qu’est pour J. Lacan le « signifiant du Nom-du-Père », l’ancrage dans le langage est problématique, et par là délicat de soutenir un lien social. J. Lacan d’ailleurs épinglera ce lien social dans ce qu’il écrira comme discours, articulation signifiante qui conjoint un signifiant maître au défilé signifiant, nouant ainsi le sujet à sa jouissance dans sa présence au monde. Le psychotique est ainsi hors discours, tenu de produire ce qui peut venir à la place de ces semblants faire lien social. Mais comme tout être humain, le psychotique ne peut produire sa subjectivité que dans un usage du langage qui soutient la présence du sujet au monde, dans une énonciation qu’il se doit de soutenir. Les lois intrinsèques du langage valent pour lui comme pour tout être humain et il se doit d’y participer. D’où ce système qui selon les possibilités de chacun, produit des effets semblables. Pseudo discours dans le délire ou arrêt sur un signifiant qui ne peut que faire point radical d’identification. Ainsi, ce qui paraît être une communauté n’est que la conséquence de la confrontation à un système contraignant, le langage lui-même, cet Autre que J. Lacan nous montre alors comme impitoyablement consistant pour le psychotique. Au point que parfois ce langage subit les craqués du forçage désespéré du sujet pour apparaître, phénomènes absurdes, néologisme, etc.… Cela induit des conséquences sur la position subjective du psychotique et sur les conditions de son accueil dans une rencontre, et plus encore, cela nous indique les impasses du sujet autiste dans son rapport au langage.

 

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Adresse pour correspondance

Michel Grollier
E-mail:michel.grollier@wanadoo.fr

 

 

Recebido em: 27/10/2006
Aprovado em: 27/11/2007
Revisado em: 27/11/2007

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