Services on Demand
article
Indicators
Share
Epistemo-somática
Print version ISSN 1980-2005
Epistemo-somática vol.4 no.1 Belo Horizonte July 2007
ARTIGOS
Prévention précoce et dépistages en psychiatrie infantile: la psychanalyse a-t-elle quelque chose a apporter au débat actuel?
Childhood and discourse: the ethics of psychoanalysis
Infancia y discurso: la ética del psicoanálisis
Claude Schauder
Universté Louis Pasteur Strasbourg, France
RESUMÉ
Confrontés aux politiques de prévention et de dépistage que la psychiatrie moderne met en uvre un peu partout dans le monde et de plus en plus précocement, les psychanalystes, peuvent-ils faire autre chose que de rendre la communauté scientifique ainsi que les intervenants sanitaires et sociaux, attentifs à ce à quoi ils sont, volens nolens, associés et de quoi ils risquent de se faire les complices ? Après avoir rappelé un certains nombre darguments susceptibles détayer les analyses épistémologiques, éthiques et politiques de ces initiatives, nous brosserons un tableau des quelques pistes sur lesquelles nous croyons indispensable que des psychanalystes continuent davancer , partant de lidée quen soutenant dès sa naissance un être humain dans son identité, son espace, son temps, ses lignées paternelle et maternelle , en lui offrant les médiations imaginaires qui soutiennent la symbolisation des relations humaines ou en laccompagnant sur le chemin qui le conduira à inscrire ses relations aux autres dans des rapports de parole, nous pouvons bien souvent éviter les complications quentraînent généralement les troubles relationnels précoces et faire ce faisant uvre de prévention.
Mots-clés: Psychanalyse, Prévention, Dépistage, Troubles relationnels précoces, DSM.
ABSTRACT
Confronted by prevention and tracing politics used by modern psychiatry all over the world and each day earlier, can psychoanalysts do anything else besides turning the scientific community and sanitary interventionists, attentive to what they are, volens noles, associated with and risk to become accessories? After reminding some arguments liable to support epistemological, ethical and political analyses of these initiatives, well outline a picture believed indispensable using some hints so psychoanalysts keep on advancing, starting from the idea that, supporting a human being in his identity, his space, his time, his paternal and maternal ascendancy, since his birth, offering him imaginary mediations which withstand the human relations symbolization, or accompanying him on the path that will lead him to inscribe his relations with the others through the word, we can frequently avoid complications that generally lead up to early relation disorders, when doing a prevention work from this.
Keywords: Psychoanalysis, Prevention, Tracing, Early relation disorder, DSM.
RESUMEN
Enfrentados a políticas de prevención y rastreo, que la psiquiatría moderna emplea en todo el mundo un poco, y cada vez más precozmente, pueden los psicoanalistas hacer otra cosa, además de volver la comunidad científica, así como los interventores sanitarios , atentos a lo que ellos están, volens nolens , asociados y corren el riesgo de ser cómplices? Tras haber recordado cierto número de argumentos susceptibles de apoyar los análisis epistemológicos, éticos y políticas de estas iniciativas, vamos a esbozar un cuadro, que creemos indispensable, con algunas pistas, para que los psicoanalistas continúen avanzando, partiendo de la idea de que, manteniendo desde su nacimiento a un ser humano en su identidad, su espacio, su tiempo, sus ascendencias paterna y materna, ofreciéndole las mediaciones imaginarias que sustentan la simbolización de las relaciones humanas, o acompañándolo por el camino que lo conducirá a inscribir sus relaciones con los otros por la palabra, podemos con frecuencia evitar las complicaciones que llevan generalmente a trastornos de relaciones precoces, al hacer de ello trabajo de prevención.
Palavras clave: Psicoanálisis, Prevención, Rastreamiento, Transtornos de relación precoz, DSM.
I) DU DEPISTAGE PRECOCE DES TROUBLES DES CONDUITES
Sil est un domaine de la vie sociale actuelle où des transformations se révèlent liées à la domination du discours de la Science et du libéralisme et sont susceptibles de questionner les psychanalystes, cest bien celui de la prévention et du dépistage médicales précoces. Cest tout particulièrement le cas de la prévention et du dépistage précoces des troubles du comportement et des conduites quun peu partout dans le monde " occidental ", les pouvoirs publics ont rendu obligatoires ou sapprêtent à rendre obligatoires.
La mise en uvre de ces politiques auxquelles sont associés psychiatres, psychologues, travailleurs sanitaires et sociaux, chercheurs et industriels de la pharmacie, non seulement questionnent et inquiètent les psychanalystes, mais leur lancent également un défi à la fois théorique, clinique et institutionnel que ceux-ci ne peuvent plus ignorer avec mépris car nétant pas de leur ressort comme ils le crurent si souvent par le passé. Pourquoi ? Mais parce que les enjeux de ce défi sont désormais vitaux pour le devenir de la subjectivité de millions denfants, (cest à dire dadultes en devenir !), mais également pour la démocratie.
De quoi sagit-il exactement ? Un peu partout dans le monde, là où le bacille de la peste quun certain Freud voulait inoculer à lAmérique na pas fait durablement souche, mais également là où il réussit à sinstaller et à proliférer, voire à muter, ceux qui ne parvinrent pas à accepter le scandale de la sexualité infantile et lobscénité de lexistence de la pulsion de mort, ont bataillé sans relâche pour que la psychiatrie réintègre le giron de la médecine.
Comme lon montré R. Gori et M. J. Del Volgo, (Gori & Del Volgo, 2005), ce mouvement sest considérablement intensifié et accéléré depuis une vingtaine dannées et plus particulièrement depuis lapparition du DSM 3 et de sa domination absolue sur lensemble de la littérature internationale comme sur toutes les évaluations qui sy réfèrent. On assiste en effet depuis à une véritable mutation anthropologique avec laffirmation du postulat idéologique quil ny a pas de distinction fondamentale entre les troubles mentaux et les affections médicales générales. Ceci conduit à un véritable gommage anthropologique du fait psychiatrique que constitue le démantèlement des grandes entités psychopathologiques, comme celle de névrose ou de mélancolie, " au profit de la notion molle et flexible de "troubles du comportement" qui permet á la fois d'étendre á l'infini le champ du pathologique en fonction des valeurs éthiques d'une société et en même temps d'immuniser les systèmes de classification des DSM contre les critiques épistémologiques en augmentant sans cesse le nombre de troubles du comportement recensés. Nous entrons de plein-pied dans une psychiatrie post-moderne qui au nom du positivisme et du pragmatisme établit une flexibilité, une précarité, une liquidité des critères classificatoires de la psychiatrie permettant son instrumentation idéologique et politique tout en favorisant les industries de la santé mentale ". (Gori, 2006, p.16)
Cette recomposition du champ de la santé mentale et la remédicalisation de la psychiatrie, où celle-ci perd toute autonomie conceptuelle et toute possibilité de reconnaître aux symptômes leur dimension discursive, est tout particulièrement soutenue et encouragée par lindustrie pharmaceutique qui sait faire valoir les progrès et lefficacité de ses traitements symptomatologiques.
Dûment reconverties en pathologies reconnues par la médecine et justifiant donc de traitements médicamenteux, les conduites qui inquiètent ou perturbent la tranquillité des adultes, font ainsi lobjet de toutes les attentions des laboratoires pharmaceutiques dont elles font laffaire (Blech, 2005). Cest par millions (plus de vingt-trois en 2004, rien quaux USA) et vraisemblablement par dizaines de millions, quon compte à travers le monde1 les petits consommateurs de lamphétamine méthylphénidate, que vous connaissez peut-être sous le jolie nom de ritaline® ou de concerta®, ou dune molécule voisine appelée dexédrine. En principe réservés à des situations psychopathologiques et neurologiques très spécifiques, ces produits ont de plus en plus souvent prescrits sans discernement et sans laccompagnement psychothérapique qui devrait y être obligatoirement associé. Dune redoutable efficacité, ils transforment les enfants agités en sages à lécole et les petits frondeurs distraits et bavards, en disciplinés et consciencieux , durant le temps où agit le produit, évidemment ! Sils effacent les effets, cest à dire les symptômes, ils naffectent bien entendu en rien leurs causes et créent, dans bien des cas, de véritables dépendances au même titre que nimporte lequel de ces drogues que Freud nommait si joliment " briseur de soucis " (" Sorgenbrecher ") (Freud, 1929/ 1986, p. 23)
On sait que parfois ce sont des enseignants excédés et épuisés que viennent les demandes, voire, et cest là un coup de maître, des enfants eux-mêmes !
Tous aussi désespérés que leurs parents et mis en condition par des publicités bien faites, ils en viennent parfois à réclamer eux mêmes la pilule de lobéissance qui les muselle et " règle " leurs problèmes de petit être humain inscrit demblée dans le langage mais déserté des paroles vraies qui bornent lexistence et permettent de grandir sans trop dangoisses.
Les stratégies de cette industrie qui assurent la récupération marchande et le recyclage industriel de ces manifestations intempestives des malaises existentiels désormais rebaptisées " troubles déficitaires de lattention " (TDA) avec ou sans hyperactivité (dans ce cas il sagit de TDAH) et autres "troubles oppositionnels avec provocation (les TOP), permettent à cette médecine, comme à lensemble du groupe social qui la mandate pour ce faire, de se faire léconomie dune réflexion de fond relative aux causes réelles des malaises en cause
Si ses inventions ne sont pas encore en mesure de couvrir lensemble du champ comportemental susceptible de se faire le témoin de la souffrance des petits dhommes, gageons que, face à ce marché prometteur, lindustrie pharmaceutique ne ménagera pas ses efforts pour étendre sa couverture sans que personne ny trouve bientôt plus à y redire. On devine en effet le scandale et les campagnes (évidemment financée par les grands groupes pharmaceutiques réunis) que déclencherait le fait de remettre en question et de vouloir priver nos chers petits du traitement de maladies aussi invalidantes et coûteuses pour notre société que les troubles déficitaires de lattention (TDA) et autres TOP !!!
Cette recomposition du champ de la santé mentale et la remédicalisation de la psychiatrie conduit également les tenants de cette psychiatrie aux aspirations scientifiques à mettre en uvre le dépistage et la prévention des troubles mentaux.
En attendant des résultats probants relatifs à la démonstration de létiologie biologique ou génétique de ces pathologies (lesquels tardent bien évidemment à venir !), ces praticiens se tournent vers ces troubles redéfinis par les DSM et dits des conduites ou des comportements. Forts des déclarations de certains chercheurs qui, comme Barbara Koening, présidente du comité d'éthique de l'Université de Stanford, pouvait annoncer en 2002, lors d'un colloque consacré á la " neuroéthique ", que " les neurobiologistes vont bientôt avoir la charge d'évaluer les risques de survenue de troubles cognitifs, les potentialités de réussite scolaire et professionnelle, la prédilection pour la violence et la consommation de drogue " (cité par Vidal,, 2006, p. 68), ces praticiens mettent en place dès le plus jeune âge et même durant la période prénatale des programmes de dépistage, et la promotion de " bonnes pratiques " (best practices) ou de pratiques fondées sur des données probantes (evidence-based practices) à partir dapproches positivistes telles que la biopsychologie (en quête des déterminants neurophysiologiques et génétiques du développement et du comportement) ou lécologie du développement (qui étudie les déterminants comportementaux et environnementaux agissant sur le développement). Leur ambition est bien entendue la prédiction et la modification du cours de lévolution du développement des enfants dépistés, en vue dune adaptation sociale aux exigences de leur environnement.
En France un rapport de lINSERM2 de 2005, intitulé " Trouble des conduites chez lenfant et ladolescent " préconise ainsi le dépistage dès 36 mois des " troubles des conduites " censées annoncer un devenir délinquant. Les professionnels y sont invités à repérer des facteurs de risque prénataux et périnataux, génétiques, environnementaux et liés au tempérament et á la personnalité. Ce rapport évoque ainsi à propos de jeunes enfants "des traits de caractère " tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme et la notion d'héritabilité [génétique] du trouble des conduites. Il insiste sur le dépistage á 36 mois des signes suivants : indocilité, hétéroagressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice de moralité bas, etc. .Une fois dépistés, les " porteurs " de ces symptômes doivent être soumis à une batterie de tests élaborés sur la base des théories de neuropsychologie comportementaliste permettant de repérer toute déviance à une norme établie selon les critères de la littérature scientifique anglo-saxonne Suivant un implacable principe de linéarité, cette approche déterministe conduit à faire du moindre geste comme des moindres bêtises d'enfant, l'expression d'une personnalité pathologique qu'il convient de neutraliser au plus vite. Ce rapport se termine par des recommandations relatives à la prise en charge de ces enfants associant rééducation, psychothérapie et médicaments tels que ceux évoqués plus haut.
On conviendra, avec les auteurs de lAppel que diffusa à la suite de la publication de ce rapport de lINSERM, le " Collectif Pas de 0 de conduite "3 , qu" en médicalisant á l'extrême des phénomènes d'ordres éducatif, psychologique et social, (ce rapport) entretient en fait la confusion entre malaise social et souffrance psychique, voire maladie héréditaire. En stigmatisant comme pathologique toute manifestation vive d'opposition inhérente au développement psychique de l'enfant, en isolant les symptômes de leur signification dans le parcours de chacun, en les considérant comme facteurs prédictifs de délinquance, l'abord du développement singulier de l'être humain est nié et la pensée soignante robotisée ". (Collectif Pas de 0 de conduite, 2006, p. 12-16)
En synthèse du travail quil consacre à la situation au Québec, Parazelli (2003, 2006a ; 2OO6b) peut quant à lui affirmer que toutes " ces approches bio-psychologiques et écologiques imposent leurs "vérités" aux individus sans considérer le débat démocratique sur les choix normatifs d'une société comme une nécessité.
- Les responsables politiques et les gestionnaires institutionnels transmettent un message d'incompétence non seulement aux jeunes mères ciblées á risque. mais aux professionnels dont le jugement et l'expérience ne sont pas sollicités voire dévalorisés si ceux-ci s'éloignent de l'orientation et de la mise en oeuvre des programmes étatiques conçus par des experts
- Les conditions de vie et les enjeux socio-politiques ne figurent jamais dans, les stratégies d'actions des programmes ; les recherches á l'origine des, programmes de prévention précoce demeurant axées sur létude des comportements individuels et sociaux d'où l'idée selon laquelle la pauvreté serait traitée comme une maladie.
- Le dépistage des groupes á risque favorise une stigmatisation des individus créant ainsi d'autres problèmes sociaux ainsi qu'un sentiment dinsécurité face á l'exercice de la parentalité. On crée aussi une nouvelle catégorie sociale juvénile : l'adolescence virtuelle á risque de délinquance ! On réduit le parcours biographique d'un individu à une trajectoire probabiliste qui qualifie son destin ce qui a pour effet de stigmatiser l'enfant en le désignant à risque avant même qu'il manifeste les comportements appréhendés.
- L'intégration des acteurs associatifs dans la distribution de services associés aux programmes de prévention précoce crée un détournement de leur mission première, celle de soutenir les personnes dans leurs initiatives de façon collective. La dimension " communautaire " des programmes de prévention précoce se réduit á la mobilisation locale des organismes sociaux afin que la " communauté " puisse contribuer aux activités du programme de prévention précoce. " (Parazelli, 2006b, p.76-77)
Parmi dautres, essentiellement produits par la littérature anglo-saxonne, le rapport de l'INSERM révèle par ailleurs jusqu'à l'obscène la complicité objective qui peut exister entre dérives scientistes et des idéologies sécuritaires (Gori & Del Volgo 2005) et on peut constater avec Gori, " quen médicalisant les déviances sociales ou les troubles des conduites, on justifie le caractère naturel des normes et on disculpe dans le même mouvement l'environnement des symptômes qui affectent le sujet. Cest ce désaveu de lAutre qui uvre dans la transformation des symptômes, des souffrances psychiques ou sociales en troubles du comportement. Le sujet se trouve réduit à la somme de ses comportements et ses déviances sociales procèdent d'une mauvaise gestion de son économie psychique. Cette économie psychique se trouve réduite à un dysfonctionnement neuronal, á un déficit neuro-développemental ou à de mauvaises habitudes éducatives. Nous sommes ici en présence d'une nouvelle phrénologie qui puise ses racines dans les théories déterministes du XIXe. siècle dont l'idéologie a justifié dans les systèmes totalitaires les pires pratiques du déshumain. " Les modèles qui rendent compte des troubles en termes de dysfonctionnement neuronal ou d'anomalie génétique justifient davantage le " biopouvoir", la " biopolitique" des populations. Ici la déviance devient naturelle. Et ce modèle fait marcher l'économie tout en encourageant " la servitude libérale ". Cette médicalisation des souffrances repose sur un postulat simple sans cesse martelé comme une évidence par les promoteurs de ce type de santé mentale : " Notre position est que les enjeux éthiques de ce traitement préventif sont, en psychiatrie les mêmes que pour toutes /es interventions précoces en médecine". " (Gori, 2006, p.18)
On ne sera pas étonné dapprendre que dans cette même logique des initiatives se développent un peu partout dans le monde afin de mettre encore plus tôt en uvre ces dépistages, dès la naissance et même avant, durant la grossesse comme cest par exemple le cas en France où des initiatives aussi généreuses que celles de mieux accompagner les femmes enceintes en souffrance, inquiètes, ou simplement isolées, en leur offrant un soutient plus chaleureux et plus humain, se sont récemment transformées en un programme officiel prévoyant un entretien psycho-social systématique au 4e mois de grossesse, dont personne ne sait à lheure actuelle ce qui garantira sa confidentialité et en quoi il servira davantage les intérêts des intéressées que ceux de services sociaux chargés de mieux surveiller les populations . (Dugnat & Douzon, 2007)
Confrontés à cette situation, les psychanalystes, ont-ils autre chose à proposer que ce que doivent faire tous les citoyens quand ils saperçoivent que les libertés fondamentales et donc la démocratie sont en péril ? Peuvent-ils faire autre chose que de rendre attentifs la communauté scientifique ainsi que les intervenants sanitaires et sociaux à ce à quoi elle est associée et de quoi elle se rend complice ? Ont-ils dautres arguments à faire valoir que ceux qui permettent détayer les analyses épistémologiques, éthiques et politiques, comme je viens den synthétiser quelques unes ?
II) .A LA PREVENTION DES TROUBLES RELATIONNELS PRECOCES:
Aujourdhui plus que jamais , je crois possible de répondre oui à cette question. Et si les propositions quil est possible de faire ne prétendent pas au statut de panacée universelle, je pense quelles nen sont pas moins susceptibles dapporter une contribution importante au mouvement de résistance quimpose la situation actuelle.
Ces propositions sont en fait de trois types :
1) Prévention des troubles relationnels précoces en consultation
La première des modalités de travail de prévention à laquelle les psychanalystes, (comme les psychologues et les psychiatres formés à la psychanalyse et travaillant dans les différents lieux daccueil et de soins de la petite enfance), peuvent participer est celle qui consiste à travailler non seulement avec des parents en difficultés mais également avec des enfants et plus particulièrement des tout petits.
a) Travail avec les tout-petits
Sintéresser au moment de leur apparition, in situ, aux troubles relationnels que présente un enfant, plutôt que dattendre les effets et conséquences pathogènes et les séquelles qui peuvent en résulter, a bien évidemment des effets préventifs.
Ces troubles apparaissent généralement au cours dune période qui se situe entre la naissance et lâge de ldipe, cest à dire dans un temps de prématuration où la parole est inscrite à la croisée des sensations corporelles et des mots, un temps où la croissance et le devenir du tout petit dépendent encore totalement de cette parole. La clinique nous a enseigné que durant cette période lenfant y joue ou agit ce qui le questionne ou le met en souffrance. Sa quête est, à ce niveau, dabord et avant tout identitaire. En labsence de réponse, il réagit par des troubles fonctionnels ou physiques, ce qui témoigne, du moins dans un premier temps, de sa bonne santé psychique.
Ce nest quultérieurement, sil est resté frustré de cette réponse qui lui est indispensable pour poursuivre ses progrès, que celle-ci sorganisera en symptôme. En attendant, il renonce aux avancées quil avait entamées et régresse à un stade déquilibre, ou plus exactement revient, à une image inconsciente du corps antérieure plus sécure. (Dolto, 1984 ; Schauder, C.(eds), 2004). Cest donc parce que les troubles relationnels précoces apparaissent dans ces premiers temps de la vie auxquels il faut pouvoir revenir dans maintes cures dadultes (Burkas, 2005), ceci avec les difficultés et les résistances que lon sait, que nous estimons indispensable que des psychanalystes sy intéressent au moment de leur apparition, plutôt que dattendre les effets et conséquences pathogènes et les séquelles qui peuvent en résulter.
Pour y parvenir, il faut que ces psychanalystes soient prêts à communiquer avec ce quil y a de plus archaïque chez lenfant. (voir plus particulièrement Malendrin, M.H. 2004 et 2005 et Yvert, N., Lariau T., Dupont-Link A., Moatti, R. et Grosser, A., 2005)
En fait il sagit de communiquer avec ce quil y a de plus régressé en lui, mais sans complaisance pour cette régression, sans jamais jouir de cet archaïque si souvent fascinant pour les adultes. Il sagit daller chercher lautre, de laccompagner ou encore de laider à trouver les moyens susceptibles de lui rendre possible la vie dans la communauté des humains et lui permettre ce faisant, de dépasser hic et nunc la difficulté à laquelle il se heurte. Cest ça qui est pour nous prioritaire et qui se révèle, à terme, à la fois thérapeutique de la souffrance et préventif des symptômes qui peuvent en résulter
b) Travail avec les parents
Faute de pouvoir développer cet aspect du travail, on notera toutefois que cest durant cette période précoce où lenfant développe ces troubles relationnels que les analystes peuvent constater les tendances à la régression que présentent certains des adultes qui doivent assurer la tutelle de ces enfants. En raison de la proximité, tant psychique que physique, à laquelle cette prise en charge les conduit, ces adultes sont en effet parfois amenés à revivre inconsciemment du "déjà vécu" et insuffisamment symbolisé lors de leur propre enfance. (Hamad, A.M., 2004)
Ces accompagnements psychanalytiques que nous voulons voir exister encore, qui ne sont pas des consultations de guidance et nont rien à voir avec les programmes de guidance et déducation à la parentalité qui fleurissent un peu partout, peuvent leur permettre d'y revenir afin d'en assumer le surgissement. Ce faisant ils en déchargent leur petit et lui permettent de repartir vers lavant. Cest là que sinscrit lefficace de ce que Dolto nomme " parole vraie ", quand celle-ci autorise lenfant en souffrance à retrouver son désir, y prendre appuie pour continuer sa route et sortir des impasses affolantes des non-dits et des mensonges.
2) Diffusion des connaissances relatives à la construction et aux conditions de la subjectivité
Tous les enfants nont pas nécessairement ni besoin, ni les moyens daccéder à des psychanalystes. Leurs parents non plus !
En effet, bien souvent, les souffrances des tout-petits résultent seulement de méconnaissances relatives à leur fonctionnement ou à leurs besoins
La seconde des propositions dont il est question ici veut rappeler limportance de poursuivre le travail de diffusion des connaissances relatives à la construction et aux conditions de la subjectivité, commencé en son temps par Freud. On sait quen 1933, cest à dire bien après sa découverte de la pulsion de mort, celui-ci affirmait toujours quil est un thème qui lui semblait "avoir la plus grande importance, vu les magnifiques perspectives quil offre pour lavenir. A savoir lapplication de la psychanalyse à la pédagogie, à léducation de la génération à venir! " (Freud, 1933). Freud conservait en effet cette idée, en dépit des conclusions auxquelles sa deuxième topique lavait conduit en matière de prévention des troubles mentaux et de manière plus générale à propos des chances de voir lhomme saméliorer, certaines difficultés quil est appelé à rencontrer étant intimement liées à son essence et ne pouvant céder à aucune tentative de réforme. (Freud, 1929/1986).
Freud connaissait également le risque " de tomber dans le préjugé selon lequel culture équivaudrait à progrès et tracerait à lhomme la voie de la perfection " (Freud, 1921/1986, p. 46). Nous le reconnaissons bien évidement aussi. Mais parce que nous navons pas cette ambition et quà linstar de F. Dolto, nous avons seulement celle de minimiser les souffrances partiellement dues à lignorance (Dolto, 1981), nous continuons à penser quil est indispensable de lutter contre elles en transmettant ce que nous avons appris à propos de la construction et des conditions de la subjectivité. (Schauder, C. (eds), 2004 ; Schauder, C., (eds) 2005).
La clinique montre en effet que cest parce quils ont été rendus attentifs à certaines de ces conditions que parents et professionnels peuvent sinterroger quand lenfant tente de faire entendre sa souffrance, au lieu de se précipiter pour le (la) faire taire, comme ils y sont de plus en plus souvent invités aujourdhui.
Dans la foulée de la relecture de linfantile à laquelle Freud nous a invité et grâce aux enseignements de la psychanalyse, certaines violences autrefois communément infligées aux enfants se sont faites, depuis les années 70, plus rares. Certains secrets de famille et autres silence, lourds de conséquences, sont désormais plus souvent levés et il est à présent fréquent de voir arriver dans nos consultations des parents anxieux de ne pas comprendre quelque manifestation de mal-être de leur petit. Nombreux sont ceux qui savent ainsi reconnaître quil y a là quelque chose dimportant pour leur enfant quils souhaitent comprendre et surtout aider à mieux vivre.. Un peu partout on entend parler des bébés et aux bébés comme à des personnes et non plus comme des animaux à dresser. Dans de nombreux endroits du monde les enfants ne sont, grâce à ces apports, plus accueillis et traités comme ils létaient si souvent autrefois.
Sans doute ces informations peuvent-elles parfois également servir à élaborer des raisonnements destinés à tout expliquer et, comme tous discours scientistes, à colmater les brèches quelles pourraient ouvrir. Les exemples de parents et de professionnels prompts à en faire de nouveaux dogmes ou de redoutables armes contribuant à asseoir leur pouvoir ne manquent pas. Ils nous furent souvent opposés avec raison par le passé.
Mais quen sera-t-il demain quand il ny aura plus personne pour dire, ou rappeler, quun enfant est, dès sa naissance, un être de langage, et donc un sujet ? Quen sera-t-il de ces enfants quon bourrera de psychotropes et autres amphétamines à lapparition du moindre symptôme au lieu de se demander ce qui ne va pas ? Quen sera-t-il quand plus personne ne sera plus intéressé à entendre et à faire entendre sa voix et pour montrer que cest lui qui pâtit des diktat du marché de la pharmacologie et des rééducations cognitivo-comportementales?
3) La Maison Verte
Face aux limites de la diffusion de ces savoirs (Schauder, C.,2006), face aux résistances que linconscient peut opposer à la raison et aux choix éclairés par les découvertes de la psychanalyse et face à celles qui se manifestent si souvent quand il est question pour les adultes de se mettre à lécoute de ce que disent les enfants, les psychanalystes peuvent également contribuer au travail de prévention en participant à des expériences telle que celle, quavec quelques autres comme Marie Hélène Malendrin ou Annie Grosser4, Françoise Dolto a initiée à Paris en janvier 1979 : La " Maison Verte " est en effet un lieu de prévention dont le modèle a depuis essaimé un peu partout dans le monde. Lieu daccueil et de loisirs pour tout-petits obligatoirement et constamment accompagnés dun familier responsable (mère, père, grand-parent, nourrice etc. ), on y vient anonymement, quand on veut et le temps quon le désire, sans rendez-vous, ni ordonnances ou dossier médical. Il ne sy pratique aucune consultation et on y vient pour se parler entre adultes en présence des enfants qui vont et viennent librement et y découvrent la relation sociale et les échanges avec dautres que les familiers. Les accueillants, psychanalystes et professionnels analysés, sy tiennent à la disposition de ceux, petits et grands, qui fréquentent ce lieu pour écouter et parler, relancer, et au besoin faire entendre ce qui vient de se dire ou de se montrer. Il sagit donc dun lieu où on peut mettre des mots sur ce dont peut souffrir lenfant et où peut être reconnu avec compassion qu'il en souffre. (Dolto, 1987, p. 104 ; Schauder, N. , 1988 ; Schauder, C.& Schauder, N., 1991)
La question de la symbolisation y est en permanence à "l'ordre du jour" et "au travail." Les frustrations que lenfant a à vivre y sont parlées et de ce fait les castrations qu'il doit y recevoir n'apparaissent jamais comme le fait d'un prince tout puissant, sadique et surtout dispensé de se plier aux lois de tous.
Des règles - peu nombreuses mais intangibles y servent de support à la confrontation de l'enfant (mais aussi des adultes) aux limites qui, par les paroles qui les accompagnent, ont vocation à être structurantes. L'interdit y prend ainsi valeur d'inter-dit (Vasse, 1995, p. 93-110) et l'exercice de la fonction parentale y trouve son sens et sa finalité.
Dans la mesure où à la Maison Verte la présence des parents garantit à l'enfant sa sécurité de base mais lui permet aussi de s'entendre nommé, interpellé, voire situé dans sa propre filiation (quand celle-ci vient à être évoquée et que les accueillants invitent les adultes à associer leur petit à ce qui se dit là d'essentiel pour lui), le dispositif offert se propose également comme un lieu de repérage dans l'ordre des générations et de cette inscription qui barre la route à l'arbitraire et aux trains plus ou moins fous de l'autofondation et de la confusion.
La conception psychanalytique de la socialisation précoce dans une société de plus en plus souvent marquée par la solitude, la rupture des liens familiaux ainsi que la disparition des traditions et des repères (ce que Dolto appelait la "lèpre symbolique"), conduit à faire que dans ce lieu soit offerte la possibilité pour l'enfant d'accéder aux autres dans la sécurité, la confiance, en étant accompagné, jusqu'à ce que le monde des autres ne soit plus vécu comme menaçant, et qu'il accepte, de lui-même, de s'éloigner, pour finalement exister hors de la présence de sa mère. (Dolto, 1987). C'est pourquoi Dolto voulait que ce lieu soit intermédiaire entre le foyer familial et le monde social et qu' avant toute séparation et avant d'entrer à la crèche ou à l'école maternelle, l'enfant puisse s'y préparer à côtoyer d'autres petits et grands. Un lieu dans lequel il peut aussi "se "vacciner" contre les incidents et les émotions de ces rencontres, grâce à la présence sécurisante et récupératrice de l'adulte tutélaire connu de lui. " (Dolto, 1987)
La socialisation précoce que permet la Maison Verte, se présente donc comme une offre d'inscription symbolique du petit d'homme, non seulement par rapport à son intimité familiale mais aussi par rapport à toute la collectivité qui le reçoit et doit lui faire une place. (Schauder, 2000). C'est du reste ce à quoi l'invite la première chose qui y est faite quand il y pénètre : l'inscription au tableau (ou sur le papier situé à l'entrée) de son prénom, trace écrite de sa présence singulière puis de son passage dans ce lieu.
Parce que la rencontre du tout-petit avec les autres s'y opère à la fois dans la sécurité et dans la dynamique que déclenchent les castrations symboligènes, la socialisation qui y est rendue possible s'inscrit dans la suite logique des mutations qui conduisent le petit d'homme à chercher ailleurs ce qui lui est refusé au sein de ce que Vasse (1995, p.103) appelle le "jardin dipien". Permettre à l'enfant d'entrer dans le "jardin social", c'est en effet lui permettre de trouver un intérêt à d'autres que ceux du familier, d'autres que ceux que permet de côtoyer le noyau de lintime. Et c'est ainsi qu'en se fermant, la porte, qui doit lentement mais sûrement interdire l'accès au "jardin dipien", ouvre le passage vers celui de tous. Les modalités d'accueil que propose la Maison Verte se présentent ainsi comme un cadre susceptible de donner à la socialisation précoce sa pleine mesure et de se révéler ce qu'elle devrait être partout : l'opération qui permet au petit d'homme de prendre place dans le groupe auquel il appartient en tant que sujet, c'est à dire être de paroles et de filiation symbolique.
Une vignette clinique va illustrer ce qui peut se passer de préventif dans ce type de lieu.
La scène se passe à la Maison Verte. Marie, doit avoir 18 mois ou deux ans. Annie Grosser qui travaille ce jour là, la connaît un peu Elle est au téléphone quand elle croise le regard de Marie. Celle-ci la regarde et tandis quAnnie discute, Marie déborde du tableau et écrit sur le mur. L'accueillante gronde de l'index et continue sa conversation. Elle relève la tête, Marie recroise son regard et remet ça !
Fin de la conversation téléphonique. Annie va vers Marie : " Quest-ce que tu as à me dire aujourdhui ? Moi je ne te connais pas comme ça. Quest-ce que tu veux me raconter en griffonnant sur le mur? " Marie regarde au fond de la pièce. Annie poursuit : " Ah, tu nes pas venue avec ta nounou, tu es venue avec ton papa. " Du papa on ne voit que deux pieds et des jambes ; il a déplié "Le Monde" et il est caché derrière. Alors Annie dit à Marie : " Ah, cest ça. Tu veux que je fasse connaissance de ton papa. Allons-y ". Elle la prend par la main, fait toc-toc sur le journal du papa et dit : " Bonjour Monsieur, je mappelle Annie GROSSER ; Marie a envie quon fasse connaissance ". Lui : " Comment vous savez ça ? ". Annie : " Elle a débordé du tableau, ce nest pas son habitude ; elle écrit sur les murs, je ne la connais pas comme ça " Lui : " Un tableau, un mur, enfin, Madame Elle est petite encore...! " Annie, rigolant : " Ah je navais pas encore remarqué que Marie était un peu limitée intellectuellement !" Lui : " Pourquoi vous dites ça ? " Annie : " Si vous dites que Marie nest pas capable de faire la différence entre un tableau et un mur, peut-être quelle est un peu limitée ! " Évidemment, il nest pas content et répond : " Mais je nai jamais dit ça ! " Annie veut le rassurer et lui dire quelle plaisante mais Marie l'arrête alors de son regard, prend son feutre et griffonne le journal de son papa. Celui-ci, assez fier : " Vous voyez bien, elle fait nimporte quoi. Elle griffonne ! " Annie : " Non, Marie est en train de me demander quelque chose, mais je ne sais pas encore quoi. "
Et à ce moment là Marie la regarde encore plus sérieusement et Annie est comme appelée à soutenir ce regard et à dire "Oui !". Marie prend son feutre et griffonne sur le pantalon de son papa. Alors ce monsieur a un mouvement à la fois violent, surpris et fâché. Annie se prend à espérer : il va se passer quelque chose. Marie peut-être aussi. Et alors, ce papa "séclipse" et dit : " Vous savez à cet âge là ". Marie commente doucement: "Papa pas non " Le père, comme Annie, intercepte alors dans les yeux de l'enfant un regard de désespoir immense. Dans un murmure, il commence: " Mon père, c'était les coups de ceinture ! " et s'effondre en larmes
Marie a fini son travail. Celui de son papa peut maintenant commencer.
Si dans cette séquence, l'analyste se rend entièrement disponible à la séméiologie (principale caractéristique du travail psychanalytique avec les enfants qui ne parlent pas encore), si l'analyste se pose la question de ce qui se passe ici et maintenant, si elle s'interroge sur ce qui se donne à voir et à entendre, si elle accorde à lexpression du corps, y compris du sien pris dans la relation transférentielle, une place privilégiée, c'est non pas en observatrice behawioriste ou comportementaliste à la manière des babywatchers mais d'abord, et avant tout, parce qu'elle est en quête et à l'écoute du petit sujet qui, quoique sans mot, cherche à se faire entendre d'elle. C'est à lui qu'elle est attentive. (Golder, 2005). Ici c'est l'imputation de sujet (dont Dolto a fait le socle de toute sa pratique et que reprend à son compte Annie) que l'on voit à l'uvre et dont on peut mesurer la portée.
C'est parce que Marie veut entendre quelque chose de son père mais que ce père ne peut ni prendre la parole, ni agir, (car pour lui, battre et parler, c'est la même chose), qu'elle va chercher Annie qui elle, non seulement la regarde mais également la voit Non seulement l'écoute mais aussi l'entend.
Et que cherchet-il à faire entendre cet enfant ? Qu'il appelle son père ou plutôt qu'il en appelle au père. Cest par le relais qu'Annie sera pour Marie qu'elle arrivera à ses fins et que celui-ci en retrouvera la voie(x) Cest en effet grâce à cette manuvre que cet homme pourra se constituer alors comme père de son enfant
L'analyste est ici attentif à un appel à la parole du père dont Dolto avait repérée la fonction singulière dès 1946, c'est à dire, comme le rappelle Solange Faladé , bien avant que Lacan ne pense à la théoriser. (Faladé, 1993, p.557) Il sagit pour Dolto dun père dont elle fait un des garants essentiels des castrations symboligènes.
Mais pour que le papa de Marie puisse en arriver là, pour qu'il puisse occuper cette place où Marie le convoque; il faut que quelque chose advienne, que quelque chose s'ouvre en lui, que quelque chose dun autre temps se réveille, quelque chose dune autre instance, précisément celle de lenfant encore en lui, à laquelle il n'a plus accès ou dont il cherche à se protéger.
Dolto a montré que cest bien souvent dans cette rencontre avec l'infans que se réveillent parfois chez l'adulte des souffrances dune ampleur insoupçonnée et susceptibles de le mettre en difficultés. Dans cette rencontre il est en effet dabord question du petit que les adultes ont été eux et, plus précisément encore, du fait que " le langage de lenfant a cela de linquiétante étrangeté ou familiarité quil nous touche dans ce que nous avons de plus intime, de plus secret (heimlich), et qui est, en même temps devenu étranger à notre pensée dadulte. Ce langage trouve une résonance dans notre langage denfant, qui est lui, muet, enfoui, mais qui répond à travers notre corps, notre ressenti parfois innommable. Mais ce nest pas parce que ce ressenti est innommable pour ladulte, le parent, quil na pas de représentation. Généralement cette représentation est de lordre de linscription dans le corps. Cest elle en nous qui se fait écho, qui se réveille au contact du bébé qui nous émeut." (Hamad, A.M.2004, p.29)
Ajoutons que la clinique montre que dans ces cas là, c'est à dire quand il y a une barre infranchissable entre les adultes qui en ont la charge et l'enfant qui appelle, quand il n'y a personne au numéro que demandent les enfants en quête de parents, ou alors quand ils n'y trouvent qu'une formalité, c'est à dire un père ou une mère purement formel, voire carrément informe, la souffrance qui apparaît alors n'est pas longue à se transformer en pathologie
A l'analyste confronté à ce type de situation, Dolto assigne un rôle de passerelle, de passeur entre deux êtres qui sont dans limpossibilité de se rencontrer sans sa médiation. Mais ce trait dunion ne pourra s'inscrire sur cette partition que si l'analyste trouve, avec l'enfant, le chemin vers cet autre en l'autre. C'est ce faisant que Dolto, respectivement ses élèves, comme ici Annie Grosser, font uvre de prévention.
CONCLUSION
Voici donc, rapidement brossé, un tableau des quelques pistes sur lesquelles je crois indispensable que des psychanalystes continuent davancer.
En soutenant dès sa naissance un être humain dans son identité, son espace, son temps, ses lignées paternelle et maternelle , en lui offrant les médiations imaginaires qui soutiennent la symbolisation des relations humaines (Dolto, 1985), ou en accompagnant le sujet sur le chemin qui le conduira à inscrire ses relations aux autres dans des rapports de parole, (en tant que ceux-ci ne cessent de créer l'autre dans son altérité), ces initiatives évitent dans bien des cas les complications quentraînent très souvent les troubles relationnels précoces .
Parce quelles intègrent les enseignements de la psychanalyse et s'inscrivent dans son éthique, elles offrent une véritable alternative aux politiques préventives que veulent imposer les tenants de la psychiatrie médicale et à leurs conséquences délétères.
Reste à savoir si les psychanalystes voudront relever ce défit !
Bibliographie
BLECH, J. Les inventeurs de maladies, Arles, Actes Sud, 2005.
BURKAS, C. Maltrait. Quand dans la cure de ladulte, hurle lenfant, 2005.
SCHAUDER, C. (eds). Françoise Dolto et le transfert dans le travail avec les enfants. Ramonville St Agne, Érès, 2005.
DOLTO, F. La difficulté de vivre, Paris, InterEditions, 1981.
DOLTO, F. Limage inconsciente du corps , Paris, Seuil, 1984.
DOLTO,F. La Maison Verte , Conférence au CFRP, 17.10.1985 (inédit).
DOLTO ,F. Dialogues québecois. Paris, Seuil, 1987.
LE COLLECTIF PAS DE 0 DE CONDUITE, Appel en réponse à lexpertise INSERM sur le trouble des conduites chez lenfant, in: Le Collectif, Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans. Ramonville St. Agne, Érès, 2006.
DEL VOLGO, M. J., GORI, R. La santé totalitaire. Paris, Denoël, 2005.
DUGNAT, M. & DOUZON, M. Pas de zéro de conduite pour les femmes enceintes et les foetus de 3 mois: pour un entretien prénatal précoce prévenant Spirale, 1, n.41, 2007, p.43-60.
HAMAD, A. M. Le statut du sujet dans le langage et dans la parole. in: SCHAUDER, C (eds). Lire Dolto aujourdhui, Ramonville Saint Agne, Érès, 2004.
HAMAD,N.& NAJMANT T. Malaises dans la famille, Ramonville St. Agne, Érès, 2006.
FALADÉ, S. Ce que Dolto ma enseigné. in: Lenfant et la psychanalyse, Paris, CRFP Ed Esquisses Psychanalytiques, 1993.
FREUD, S. (1929). Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1986.
FREUD, S. (1933). Nouvelles conférences dintroduction à la psychanalyse, Idées/Galimard, n.247.
GOLDER, E. M. Clínica da primeira entrevista. Rio de Janeiro, Jorge Zahar, Transmissão da psicanálise, 2000.
GOLDER,E.M. Au seuil du texte : le sujet . Ramonville St Agne, Érès, 2005.
GORI, R. Dérives scientistes et idéologie sécuritaire, in: Société Française de Santé Publique, Prévention, dépistage des troubles du comportement chez lenfant?. Paris Collection Santé et Société, SFSP, 2006.
MALENDRIN, M. H. Le papa est celui qui dit. in: SCHAUDER, C. (eds). Lire Dolto aujourdhui. Ramonville St Agne, Érès, 2004.
MALENDRIN, M. H. Le transfert : clef de voûte pour un dispositif daccueil du jeune enfant. in: SCHAUDER, C. (eds). Françoise Dolto et le transfert dans le travail avec les enfants. Ramonville St Agne, Érès, 2005.
YVERT, N., LARIAU, T., DUPONT-LINK, A., MOATTI, R. ET GROSSER, A. LE TRANSFERT IMMÉDIAT. IN: SCHAUDER, C. (EDS). FRANÇOISE DOLTO ET LE TRANSFERT DANS LE TRAVAIL AVEC LES ENFANTS. RAMONVILLE ST AGNE, ÉRÈS, 2005.
PARAZELLI, M. et coll. Les programes de prevention précoce.Fondements thériques et pièges démocratiques. ServiceSocial, v.50, 2003, p.81-121 (consultable à ladresse suivante: http://www.svs.ulaval.ca/revueservicesocial/pdf/500104-Parazelli.pdf).
PARAZELLI, M. (b) La prévention précoce au Québec : prélude à une biologie de la pauvreté. in: Société Française de Santé Publique, Prévention, dépistage des troubles du comportement chez lenfant? Paris, Collection Santé ET Société, SFSP, 2006.
SCHAUDER, C. et SCHAUDER, N. Un enfant reconnu comme sujet. in: Maison Verte . Dix ans après ,quel avenir? Paris, Fondation de France, 1991.
SCHAUDER, C. La socialisation précoce au risque de la psychanalyse. in: Françoise Dolto aujourdhui présente, Paris, Gallimard, 2000.
SCHAUDER, C. (eds) Lire Dolto aujourdhui. Ramonville St Agne, Érès, 2004.
SCHAUDER, C. (eds) Françoise Dolto et le transfert dans le travail avec les enfants. Ramonville St Agne, Érès, 2005.
SCHAUDER, C. Enjeux cliniques de la filiation dans loeuvre de Françoise Dolto. in: Le féminin: filiations, etc. Paris, Gallimard, 2005.
SCHAUDER, C. La question de la prévention chez Françoise Dolto. in: NEYRAND, G., DUGNAT, M. et coll. (eds). Familles et petite enfance .Ramonville St. Agne, Érès, 2006.
SCHAUDER,N. La Maisonnée. Un lieu de prévention des troubles relationnels précoces par lécoute et la parole. Thèse Doctorat em Médecine. Faculté de Médecine de Strasbourg, 1988.
VASSE, D., Essai sur la limite vivante. Des limites au Jardin Couvert aux frontières entre les peuples. in: Se tenir debout et marcher . Paris, Galimard, 1995.
VIDAL, C. De la plasticité du cerveau. in: Société Française de Santé Publique, Prévention, dépistage des troubles du comportement chez lenfant? Paris, Collection Santé et Société, SFSP, 2006.
Recebido em: 03/07/2007
Aprovado em: 11/07/2007
1 170 000 boîtes remboursées en France en 2004, soit trois fois plus quen 2000 (cf. Cécile PRIEUR, " Des enfants sages sur ordonnance ", Le Monde, 23.11.2005)
2 Créé en 1964, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale est un établissement public à caractère scientifique et technologique, placé sous la double tutelle du ministère de la Santé et du ministère de la Recherche. Il est en France le seul organisme public de recherche entièrement dédié à la santé humaine. Ses chercheurs ont pour vocation l'étude de toutes les maladies des plus fréquentes aux plus rares, à travers leurs travaux de recherches biologiques, médicales et en santé des populations. (cf site internet INSERM France)
(INSERM, 2005) Le rapport intégral " Trouble des conduites chez lenfant et ladolescent " (septembre 2005) peut être consulté sur : http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble-conduites.html
3 Ce manifeste recueillit en quelques mois plus de 200 000 signatures et fut finalement désavoués par les plus haute instances scientifiques de notre pays.
4 Nous remercions ici Annie Grosser, psychanalyste et accueillante à la Maison Verte d'avoir bien voulu nous autoriser à publier cette vignette présentée lors des Journées d'études de la SPF " Psychanalyse avec les enfants : questions actuelles " Marseille, 13 et 14.10.2001.
BLECH, J. Les inventeurs de maladies, Arles, Actes Sud, 2005. [ Links ]
BURKAS, C. Maltrait. Quand dans la cure de ladulte, hurle lenfant, 2005. [ Links ]
SCHAUDER, C. (eds). Françoise Dolto et le transfert dans le travail avec les enfants. Ramonville St Agne, Érès, 2005. [ Links ]
DOLTO, F. La difficulté de vivre, Paris, InterEditions, 1981. [ Links ]
DOLTO, F. Limage inconsciente du corps , Paris, Seuil, 1984. [ Links ]
DOLTO,F. La Maison Verte , Conférence au CFRP, 17.10.1985 (inédit). [ Links ]
DOLTO ,F. Dialogues québecois. Paris, Seuil, 1987. [ Links ]
LE COLLECTIF PAS DE 0 DE CONDUITE, Appel en réponse à lexpertise INSERM sur le trouble des conduites chez lenfant, in: Le Collectif, Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans. Ramonville St. Agne, Érès, 2006. [ Links ]
DEL VOLGO, M. J., GORI, R. La santé totalitaire. Paris, Denoël, 2005. [ Links ]
DUGNAT, M. & DOUZON, M. Pas de zéro de conduite pour les femmes enceintes et les foetus de 3 mois: pour un entretien prénatal précoce prévenant Spirale, 1, n.41, 2007, p.43-60. [ Links ]
HAMAD, A. M. Le statut du sujet dans le langage et dans la parole. in: SCHAUDER, C (eds). Lire Dolto aujourdhui, Ramonville Saint Agne, Érès, 2004. [ Links ]
HAMAD,N.& NAJMANT T. Malaises dans la famille, Ramonville St. Agne, Érès, 2006. [ Links ]
FALADÉ, S. Ce que Dolto ma enseigné. in: Lenfant et la psychanalyse, Paris, CRFP Ed Esquisses Psychanalytiques, 1993. [ Links ]
FREUD, S. (1929). Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1986. [ Links ]
FREUD, S. (1933). Nouvelles conférences dintroduction à la psychanalyse, Idées/Galimard, n.247. [ Links ]
GOLDER, E. M. Clínica da primeira entrevista. Rio de Janeiro, Jorge Zahar, Transmissão da psicanálise, 2000. [ Links ]
GOLDER,E.M. Au seuil du texte : le sujet . Ramonville St Agne, Érès, 2005. [ Links ]
GORI, R. Dérives scientistes et idéologie sécuritaire, in: Société Française de Santé Publique, Prévention, dépistage des troubles du comportement chez lenfant?. Paris Collection Santé et Société, SFSP, 2006. [ Links ]
MALENDRIN, M. H. Le papa est celui qui dit. in: SCHAUDER, C. (eds). Lire Dolto aujourdhui. Ramonville St Agne, Érès, 2004. [ Links ]
MALENDRIN, M. H. Le transfert : clef de voûte pour un dispositif daccueil du jeune enfant. in: SCHAUDER, C. (eds). Françoise Dolto et le transfert dans le travail avec les enfants. Ramonville St Agne, Érès, 2005. [ Links ]
YVERT, N., LARIAU, T., DUPONT-LINK, A., MOATTI, R. ET GROSSER, A. LE TRANSFERT IMMÉDIAT. IN: SCHAUDER, C. (EDS). FRANÇOISE DOLTO ET LE TRANSFERT DANS LE TRAVAIL AVEC LES ENFANTS. RAMONVILLE ST AGNE, ÉRÈS, 2005. [ Links ]
PARAZELLI, M. et coll. Les programes de prevention précoce.Fondements thériques et pièges démocratiques. ServiceSocial, v.50, 2003, p.81-121 (consultable à ladresse suivante: http://www.svs.ulaval.ca/revueservicesocial/pdf/500104-Parazelli.pdf). [ Links ]
PARAZELLI, M. (b) La prévention précoce au Québec : prélude à une biologie de la pauvreté. in: Société Française de Santé Publique, Prévention, dépistage des troubles du comportement chez lenfant? Paris, Collection Santé ET Société, SFSP, 2006. [ Links ]
SCHAUDER, C. et SCHAUDER, N. Un enfant reconnu comme sujet. in: Maison Verte . Dix ans après ,quel avenir? Paris, Fondation de France, 1991. [ Links ]
SCHAUDER, C. La socialisation précoce au risque de la psychanalyse. in: Françoise Dolto aujourdhui présente, Paris, Gallimard, 2000. [ Links ]
SCHAUDER, C. (eds) Lire Dolto aujourdhui. Ramonville St Agne, Érès, 2004. [ Links ]
SCHAUDER, C. (eds) Françoise Dolto et le transfert dans le travail avec les enfants. Ramonville St Agne, Érès, 2005. [ Links ]
SCHAUDER, C. Enjeux cliniques de la filiation dans loeuvre de Françoise Dolto. in: Le féminin: filiations, etc. Paris, Gallimard, 2005. [ Links ]
SCHAUDER, C. La question de la prévention chez Françoise Dolto. in: NEYRAND, G., DUGNAT, M. et coll. (eds). Familles et petite enfance .Ramonville St. Agne, Érès, 2006. [ Links ]
SCHAUDER,N. La Maisonnée. Un lieu de prévention des troubles relationnels précoces par lécoute et la parole. Thèse Doctorat em Médecine. Faculté de Médecine de Strasbourg, 1988. [ Links ]
VASSE, D., Essai sur la limite vivante. Des limites au Jardin Couvert aux frontières entre les peuples. in: Se tenir debout et marcher . Paris, Galimard, 1995. [ Links ]
VIDAL, C. De la plasticité du cerveau. in: Société Française de Santé Publique, Prévention, dépistage des troubles du comportement chez lenfant? Paris, Collection Santé et Société, SFSP, 2006. [ Links ]