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Epistemo-somática

versión impresa ISSN 1980-2005

Epistemo-somática v.4 n.2 Belo Horizonte dic. 2007

 

ARTIGOS

 

A elisão do sujeito no "palavrório" tecnocientífico da medicina

 

The subject's suppression in the techoscience "idle talk" of the medicine

 

La elisión del sujeto en el "palabreado" tecnocientífico de la medicina

 

L'évacuation du sujet dans les " parlottes " techno médicales

 

 

Serge Lesourd *

Université Louis Pasteur - Strasbourg, France

 

 


RESUMO

O poder de dominação do discurso médico no mundo atual, construído com base no modelo do palavrório, transforma a relação do sujeito ao outro, ao laço social e à idealidade. Neste texto, tratamos de explorar, em exemplos da psicopatologia ordinária, os efeitos dessa dominação do "palavrório" (parlottes) tecnocientífico da medicina sobre a subjetivação.

Palavras-chave: Subjetividade, Palavrório, Laço social, Psicanálise.


ABSTRACT

The power of domination of doctors' discourses in the actual word built from a model of "idle talk", transforms the relation of the subject to an other, a social bond and an ideality. In this text, we explore, from examples of the ordinary psychopathology, the effects of this technoscience "idle talk" ("parlottes") domination of the medicine in the subjectivization process.

Keywords: Subjective, "Idle talk", Social bond, Psychoanalysis.


RESUMEN

El poder de la dominación del discurso médico a partir del modelo del palabreado, transforma la relación del sujeto al otro, al lazo social, y a idealidad. En este texto, tratamos de explorar, a partir de ejemplos de la psicopatología ordinaria, los efectos de esa denominación del" palabreado" (parlottes) tecnocientífico de la medicina sobre la subjetividad.

Palabras llave: Subjetividad, Palabreado, Lazo social, Psicoanálisis.


RÉSUMÉ

La domination du discours médical dans le monde actuel, discours construit sur le modèle des parlottes, transforme le rapport du sujet à l'autre, au lien social et à l'idéalité. Il s'agira d'explorer, à partir d'exemples de la psychopathologie ordinaire, les effets sur la subjectivation de cette domination des parlottes techno médicales.

Mots clés: Subjectivité, parlottes, Lien social, psychanalyse.


 

 

La culture au sens freudien du terme (FREUD, 1929/1971), est une mise en forme, une régulation des désirs subjectifs au travers des interdits posés par les lois sociales, souvent différentes d'une culture à l'autre, et au travers des lois symboliques toujours les mêmes dans le temps et l'espace. Rappelons que les lois symboliques sont celles de l'interdit de l'inceste qui construit la différence des générations, de l'interdit du meurtre qui interdit la destruction de l'autre, et de l'interdit cannibalique qui empêche la dévoration par l'autre. Ces interdits inventent l'humain dans son rapport au désir, toujours de manque. La fonction de la culture est donc de donner des modèles de réponses aux deux questions fondamentales du sujet humain dans ses rapports aux autres. Première question, quelle est la jouissance espérée par l'Autre ? C'est-à-dire comment puis-je le satisfaire afin qu'il ne me détruise pas ? Deuxième question, quel est le désir de l'Autre, sa volonté à mon égard ? Afin que je puisse obtenir, en me glissant dans son désir la satisfaction que j'attends.

Ces questions sont fondamentales pour le néotène humain, ce sujet né trop tôt, impuissant face aux forces du monde et faiblement armé pour sa survie. Le néotène humain dépend entièrement de cet Autre, ce grand Autre qui, au départ est l'Autre maternel (privatif de chaque sujet) et devient ensuite l'Autre social, celui de la culture d'appartenance. Cette question du désir de l'Autre, reste toujours plus ou moins énigmatique, sans réponse vraie, c'est ce que la psychanalyse a nommé manque ou castration. Ce manque fondamental et incomblable creuse les échanges entre humains, rendant impossible la jouissance absolue. Pour le parlêtre, le langage va prendre en charge cette part de ratage, dans l'impossible à tout dire, dans l'impuissance à parler totalement le corps et la jouissance qui lui est consubstantielle. Toute culture humaine, toute culture du parlêtre, est une tentative de rendre compte de cette impossible réalisation désirante, et c'est donc au travers de l'échange langagier que se transmettent les lois de régulations du désir, comme le dit depuis longtemps une certaine philosophie, et comme l'a démontré, scientifiquement, la psychanalyse. Le langage devient ainsi, pour l'humain, le lieu même de la culture, le lieu de son humanisation. C'est ce qu'avance Lacan dans sa théorie des discours (LACAN, 1970/1991) en mettant comme moteur de chaque discours la place exclue, celle de la vérité, qui ne peut jamais être atteinte par la production discursive.

Or, il semble qu'il existe de nos jours une bascule dans le champ de la parole et du langage qui, en prenant appui sur les techno sciences, vient faire croire que le discours pourrait atteindre à la vérité, et donc que le sujet parlant pourrait atteindre la jouissance pleine. Notre monde moderne s'organise à partir de la foi libérale, au sens le plus religieux du terme, qui assure que la réalisation de toute la satisfaction individuelle est possible, et enviable. Seule la loi du marché vient réguler cette organisation du monde dans lequel l'individu existe par la consommation de l'objet. La loi du marché repose sur ce " théorème " qui dit que la régulation des échanges inter humains provient de la loi de l'offre et de la demande et uniquement de celle-ci. Aucun interdit, qu'il soit moral, politique ou religieux, ne peut venir entraver le libre échange des objets. Ce théorème est faux comme le démontre merveilleusement bien l'économiste Jacques Généreux dans son dernier ouvrage La dissociété (GENEREUX, 2000, 2006). Il était nécessaire pour soutenir ce projet social, rendu possible grâce aux avancées des techno-sciences, de proposer un nouveau mode d'articulation langagière, des nouvelles formes de " discours " en adéquation avec le projet libéral. Ces nouveaux modes discursifs, dont Lacan avait énoncé la structure (celle du discours du Capitaliste) dans sa lettre aux italiens (LACAN, 1978), je les ai nommé des parlottes (LESOURD, 2006).

Le but des parlottes

La parlotte en français, c'est une forme particulière de discours dans laquelle le sujet parle pour ne rien dire. Le contenu de sa parole n'a pas d'importance, ce qui compte c'est que le fait même de parler fait exister le sujet, d'abord pour lui-même dans un mouvement narcissique, ensuite pour l'autre qui écoute sa parlotte. La parlotte, comme le chante Jacques Brel, " c'est elle qui vraiment s'installe quand on n'a plus rien à se dire. " (BREL, 1963), mais elle soutient la possibilité d'une jouissance. Ainsi les parlottes post-modernes sont un mode langagier particulier d'organisation des rapports de jouissance qui refuse l'énigme dans le désir de l'Autre. Le but des parlottes est non seulement de " saturer " le manque cause du désir, ce que fait déjà le fantasme, mais encore de transformer cet objet réel et irreprésentable du manque, en produit de la réalité capable donc de s'inclure dans l'échange interhumain. Ce que soutiennent les parlottes, c'est que le rapport entre le sujet et l'objet cause du désir serait possible, et par voie de conséquence, la réalisation du fantasme semble, si ce n'est assurée, au moins réalisable et souvent promise.

Que l'on pense ici à l'envahissement de notre quotidien par les discours publicitaires qui tentent de prouver que tel objet serait celui qui viendrait non seulement combler le manque, mais encore donner statut au sujet qui le possède. L'exemple suivant est merveilleusement parlant. Il s'agit d'une publicité pour une voiture quelconque dans laquelle un enfant est filmé d'abord en poussette à côté d'une autre poussette qu'il dépasse, puis dans une voiture à pédale en train de foncer sur un trottoir, enfin il arrive près de la vraie voiture qu'il caresse en disant : Il n'a pas d'âge pour avoir une belle voiture. C'est ici un des interdits fondamentaux, celui de la différence des générations qui est dénié. Ce procédé langagier de déni des différences semble une évidence du discours publicitaire, car son but est justement de " faire croire " au tout possible de la réalisation désirante. Mais cela devient un peu plus compliqué, voire dangereux, quand ce même processus de déni porté aux interdits fondamentaux est véhiculé par les discours politiques (STIEGLER, 2006 ; LEBRUN, 2007), ou par les discours médico-préventifs. Les lois de prévention sur la santé (loi anti-tabac, loi sur la prévention de l'alcoolisme, rapport sur les troubles des conduites, etc.) qui gèrent la " santé totalitaire " (GORI & DEL VOLGO, 2005) en prônant une disparition des troubles qu'elles sont chargées d'encadrer sont de ce registre. Il s'agit de prévenir pour que le bonheur collectif, et individuel soit accordé à tous.

Ce discours est relayé de manière plus insidieuse par les différents médias populaires dans leurs émissions politiques qui ramènent la politique à une série de promesses de futures satisfactions adressées individuellement à chacune des catégories représentées. L'émission politique " 100 questions pour un candidat " de la compagne électorale présidentielle en France qui est construite sur le modèle des émissions de jeux " questions pour un champion " ou " le mur ", le démontre à l'envie. Cette émission, fort populaire au demeurant, n'est que la forme édulcorée du discours courant des médias populaires qui structurent leurs programmes autour de la monstration de la réalisation de nombreux fantasmes fondamentaux, nous allons y revenir.

La jouissance que prônent les parlottes n'est donc pas une jouissance limitée, bornée, parce qu'interdite avec l'objet fondamental, mais bien une jouissance sans borne, illimitée, capable de récupérer l'objet perdu. La jouissance promise, par la structure des parlottes, serait donc une jouissance totale, une jouissance pleine. Cette jouissance totale, la psychanalyse, à la suite d'ailleurs de la philosophie, a appris à la décrypter comme la jouissance archaïque de la mère, la jouissance de la Chose, qui pourtant reste une jouissance interdite et impossible au sujet du fait de l'arrimage subjectif au langage. D'être assujetti au langage, et donc aux représentations, l'être humain est radicalement séparé de son objet premier qu'il ne peut que " retrouver " (FREUD, 1905/1987) sous d'autres formes non parfaites. L'objet adéquat à la jouissance est ainsi vecteur du désir mais ne peut être atteint ; ce qui rend cet objet réel en le sortant de la réalité du monde. L'objet cause du désir est donc perdu depuis toujours, mais efficace pour toujours. La castration qui humanise le sujet humain, telle qu'en parle la psychanalyse, repose sur cette base.

Les modalités modernes de monstration de la jouissance

Les parlottes tentent de contourner cette contradiction logique qui est l'essence même de l'humain, d'une manière tout à fait subtile en proposant à l'être humain un catalogue des modalités perverses de la jouissance.

Tomemos um exemplo do desvio de um dos interditos fundamentais, estruturando o desejo: o interdito da devoração e, conseqüentemente, do domínio sobre o outro, pelas parlottes modernas, lembra que numerosas psicopatologias modernas estão presas nesse domínio, essa devoração do outro. Para citar somente algumas, das mais leves às mais graves, todas em recrudescência: a violência contra o outro (conjugal, familial ou social, contra um professor, por exemplo, em nome do direito a si); o seqüestro, como instrumento político e econômico; o atentado, suicida ou não, como expressão de seu direito a ser.

Prenons un exemple de ce contournement d'un des interdits fondamentaux, structurant le désir : l'interdit de la dévoration et donc de la maîtrise de l'autre, par les parlottes modernes, en rappelant que de nombreuses psychopathologies modernes sont prises dans cette maîtrise, cette dévoration de l'autre. Pour n'en citer que quelques unes des plus légères aux plus graves, toutes en recrudescence : la violence contre l'autre (conjugale, familiale ou sociale contre un enseignant par exemple, au nom de son droit à soi), la prise d'otage comme outil politique et économique, l'attentat, suicide ou non, comme expression de son droit à être. Ces violences sont prises dans un discours social de négation de l'interdit de la maîtrise de l'autre, qui se propose tous les jours comme une distraction dans les jeux télévisés. Un grand nombre d'émissions de télévision actuelles mettent en scène la réalisation d'un fantasme pervers de maîtrise de l'autre pour la plus grande jouissance du spectateur post-moderne. L'efficacité, et l'audience, des réality-show ou des émissions de jeux dans lesquels le candidat subit les sarcasmes de l'animateur repose sur ce fonctionnement. Que nous montrent ces émissions ? La mise en scène d'une réalisation fantasmatique perverse de soumission du sujet à l'agent du discours. L'animateur, ou le concepteur que l'animateur incarne, désigne un signifiant à partir duquel doit se réaliser l'émission (sex-symbol dans le Loft, militaire dans la 1ère section, fermier dans " la ferme aux célébrités ", etc.). A partir de ce signifiant, le participant, doit alors produire un savoir sur l'être qu'il devrait être dans ce signifiant qui le désigne. Ce savoir s'avère, bien sûr, toujours un savoir incomplet. Le participant ainsi doit faire montre d'un manque qui va faire " jouir " l'animateur, et le spectateur, mis lui-même par identification en place d'agent de ce discours. C'est le manque du participant qui est visé dans ce circuit, afin de faire jouir l'agent. Penser ici par exemple à l'émission " Le Maillon faible " dans laquelle il s'agit, sous les sarcasmes de l'animatrice, de désigner ceux qu'il faut éliminer, tuer pour arriver enfin à la cible. Ce dispositif dans lequel un sujet (l'animateur) met l'autre en position d'objet pour en tirer sa propre jouissance est celui que Freud et Lacan ont décrit comme étant celui de la structure perverse. Bien d'autres modèles sociaux fonctionnent dans ce registre de la monstration perverse dans notre lien social moderne. Dans le registre du sexuel, la norme est celle du récit pornographique qui sert de plus en plus de modèle à la réalisation du rapport sexuel non seulement pour les adultes1, mais aussi pour nombres d'adolescents qui commencent leur " vie amoureuse " par des agieren sexuels parfois éminemment " hard ". Dans le registre du corporel, la monstration du corps et des inscriptions sur celui-ci tiennent aujourd'hui lieu de norme, allant parfois jusqu'à la modification du corps pour le faire correspondre à son souhait intime (Que l'on pense ici aux transsexuels ou au perfomer Orlan). Enfin, dans le registre de l'identité sexuelle où le tout possible règle le fonctionnement social. L'identité sexuelle n'est plus en aucune façon déterminée par le réel sexuel d'un individu, mais par sa position personnelle face au sexuel, quitte à mettre le corps en accord avec le fantasme si nécessaire comme dans le cas des transsexuels, et la loi au service de sa réalisation comme dans le cas des " parentalités homosexuelles ".

Dans ces divers registres, les monstrations des modes possibles des jouissances perverses sont le plus banal et classique des passe-temps.

Qualifier ces modalités de communications et de satisfaction de jouissances perverses nécessite d'en dire un peu plus sur la façon dont se conçoit la perversion dans le cadre psychanalytique. La perversion, que Freud inscrit, dès 1905 comme première partie de ses Trois essais sur la théorie sexuelle (FREUD, 1905/1987) sous le titre les Aberrations sexuelles, n'a aucun point commun avec le sens commun de la perversion qui emporte avec lui une réprobation morale. La perversion est un mode particulier de rapport à la jouissance, partagé par l'ensemble de l'humanité, qui vient opposer un refus à la limite faite à la jouissance. La perversion, en son sens psychanalytique, est la façon dont un sujet, dans un domaine précis de son rapport au semblable, refuse, nie, désavoue, l'impossibilité de la jouissance pleine et totale. C'est sur ce refus que se construit le dynamique fantasmatique du sujet et sa croyance intime en un bonheur enfin réalisable. C'est ce refus qui s'exprime dans le fantasme ($¯a) et dans la croyance en sa réalisation. Freud disait cela quand il nommait l'enfant de pervers polymorphe, il signifiait par là que l'enfant cherche d'abord la satisfaction, et qu'il l'a cherche par tous les moyens pulsionnels possibles (dévoration orale, rétention anale, phallicisme œdipien, rêverie latente, agir adolescent, maîtrise de l'autre, etc.). Le rôle du social est de brider, mettre en ordre, refouler, interdire, l'expression brute de la satisfaction pulsionnelle, pour en construire une satisfaction substitutive tolérable pour les autres et pour le sujet. En effet la pulsion, comme le montre bien l'enfant livré à lui-même, finit par détruire l'objet de satisfaction, par l'anéantir pour le plaisir du sujet.

Le lien social tissé par les parlottes post-modernes a bien retenu une des leçons de la psychanalyse : la satisfaction subjective est le but égoïste de toute vie humaine. Mais il a oublié la deuxième : toute jouissance ne peut être qu'incomplète pour préserver la cohésion du groupe social. Le modèle dominant du lien social, le libéralisme économique (FRANCE, 2006) propose au parlêtre de réaliser son but, la jouissance en comptant sur la régulation du marché par l'offre et la demande. Pour ce faire il fait de l'offre, il propose au sujet de voir, de regarder les différents possibles de la réalisation fantasmatique. De la monstration du meurtre à celle de la domination totale de l'autre, en passant par les diverses modalités de la réalisation sexuelle, toutes les expressions fantasmatiques trouvent droit de citer sur les divers moyens de communications à disposition des humains. Au nom du " droit à la parole et à la différence ", aucun mode de jouissance ne peut être interdit. Seules les jouissances pédophiles et nécrophiliques, provoquent encore des oppositions massives car elles touchent au plus profond de la destructivité inhérente à l'homme. Pour les autres elles sont devenues non seulement tolérables, mais encore revendicables par les sujets qui les pratiquent.

Dans ce cadre général, les discours technologiques de la médecine moderne ont pris une place centrale, la médecine ayant à charge de procurer, comme l'affirme l'OMS, la santé pour tous. Santé qui n'est plus définie comme le faisait Bichat par " un état précaire qui ne présage rien de bon ", ou comme le faisait Claude Bernard " par l'ensemble des forces qui résistent à la mort " mais comme " un état de bien-être physique, moral et social ". Dans ce glissement de définition trois éléments sont à repérer. Le premier est la disparition de la mort (le rien de bon de Bichat, la résistance de Claude Bernard) et donc le déni du lien consubstantiel entre la vie et la mort ; le déni qu'il n'existe pas de vie sans finitude, sans mort. Nous allons y revenir en parlant des programmes de soins palliatifs et des campagnes de prévention. Notons pourtant dès maintenant que les parlottes techno médicales refusent, non plus symboliquement comme cela était le cas dans les religions, mais dans la réalité la fonction de la mort comme limite, sa fonction d'impossible nécessaire.

Le deuxième élément remarquable de la nouvelle définition de la Santé est la promesse, libérale en diable, d'un état de bien-être, soit d'un état de jouissance. Pour la médecine moderne, il ne s'agit plus de pallier aux défaillances normales et inévitables d'un organisme humain, mais bien de construire un état de santé généralisé. De curative la médecine, sous la poussée des techno sciences biologiques et exploratoires, est devenue prédictive. Prenons l'exemple de cette nouvelle parue l'année dernière (2006) dans les quotidiens médicaux. Un couple porteur d'une maladie héréditaire génétique a eu recours à la FIV pour que soit implanter un embryon non porteur de la maladie, tout cela après tri génétique des embryons (il faut au moins 16 cellules) et sans que le couple soit stérile. L'enfant doit donc être conçu comme répondant aux normes désirantes parentales, celles d'avoir un enfant idéal d'une part, aux normes économiques d'autre part, le coût de la FIV étant largement inférieur aux coûts des traitements prévisibles en cas de naissance d'un enfant héréditairement malade.

Cet exemple, un parmi de nombreux autres, est structuré selon les modalités modernes des parlottes, celui de la complétude perverse entre sujet et objet. Il n'est pourtant que la face la plus apparente de l'iceberg des techno sciences biomédicales modernes.

Le troisième élément remarquable est liée au langage dans lequel s'inscrit le discours techno médicale, celui de la Science, qui repose sur des énoncés démontrables et randomisables, c'est-à-dire sur des énoncés dans lesquels la place de l'énonciateur disparaît, des énoncés sans énonciation. Prenons un exemple. Il est affirmé, ce qui est vrai et démontrable, que la deuxième cause de mortalité en France est le cancer, la première étant les AVC. Réduire la mortalité implique donc de diminuer les causes de cancer, ce qui est toujours vrai. Le tabac, comme l'alcool sont des causes importantes des cancers, ce qui est toujours démontrable dans certaines circonstances. Donc il faut supprimer l'usage du tabac. C'est ici que la généralisation scientifique, prise comme un diktat légalisant, évacue la dimension du sujet dans sa singularité tant biologique que psychique. La Science, ou plutôt ses avatars technologiques créent ainsi, au nom de la norme statistique une dictature sanitaire du tous pareils.

Cette normalisation subjective, patente dans les lois nouvelles françaises dont vous parlerons mes collègues, n'est pas sans effet sur la subjectivation elle-même, car elle rejoint le fond psychique du parlêtre, celui que la psychanalyse a mis au jour, l'incroyance en la mort et la quête effrénée de bonheur qui constituent l'inconscient. Si comme l'affirme Freud la " quête du bonheur " est le but de l'homme, alors les techno sciences médicales soutiennent cette quête et, elles peuvent être considérées comme des " bienfaitrices " de l'humanité. Mais c'est oublier la deuxième leçon freudienne, inséparable de cette quête du bonheur, et que Jacques Lacan a mis en exergue de toute son œuvre, la réalisation pleine du bonheur est impossible, la " jouissance espérée est celle qu'il ne faut pas " (LACAN, 1973/1983). Et s'il ne la faut pas cette jouissance, si elle doit être interdite au parlêtre, c'est parce qu'elle mène, dans un au-delà du principe de plaisir, directement à la mort, par la destruction de l'objet, et donc du sujet. Le Kultur arbeit (FREUD, 1929/1971) est de limiter la jouissance humaine en transmutant celle-ci en désir, c'est-à-dire en liant l'obtention de son plaisir à l'autre de la relation, en subjectivant l'autre. Les parlottes modernes, et la parlotte techno médicale au premier rang, viennent mettre à mal ce travail de la culture qui construit la subjectivité, dans plusieurs champs du socius.

Du coté du refus de la mort qui tente de faire croire à une immortalité du sujet. Cette incroyance en la mort est une trace de l'infantile en l'homme, une trace de sa toute puissance créatrice des premières rencontres avec le monde. Ce n'est pas pour rien que le roman La mécanique des tubes (NOTHOMB, 1995) est devenu un tel succès, car il décrit cette toute-puissance autistique de l'enfant s'égalant à Dieu. Ce que produit la maîtrise biotechnologique sur les corps c'est le non refoulement des processus archaïques de toute puissance et le maintien actif de la fonction du moi-idéal mégalomaniaque de la toute petite enfance.

Nous en voyons des effets nombreux dans le nouveau rapport du sujet humain à son corps qui n'est plus, comme le disait Freud, un destin, mais un objet à façonner, à construire selon son désir. Les biotechnologies médicales permettent aujourd'hui non seulement de réparer un corps abîmé, mais aussi de transformer un corps vécu comme non conforme à l'idéal individuel. Cela est vrai dans la mise en forme du corps selon un modèle idéalisé que proposent les diverses formes de régimes, le body-building, ou la chirurgie esthétique. Cela est toujours vrai dans la mise en conformité de son corps avec une identité de sexe autoproclamée comme dans le transsexualisme. Cela devient possible dans la génération d'un corps nouveau parfait, comme dans l'exemple cité plus haut. Dans ce dernier exemple un saut éthique a lieu, car il ne s'agit plus de construire son corps selon un modèle idéal, mais bien de construire le corps de l'autre, celui de l'enfant, selon le modèle idéal des parents. La dictature du " bien de l'autre ", n'est pas loin.

Il reste deux aspects promus par la parlotte des biotechnologies modernes que je voudrais évoquer avant de conclure. Le premier est lié à la promesse de bonheur que prône le discours médical. Certes, tous les discours sociaux ont toujours promis à l'homme un accès au bonheur, cela s'appelait le paradis. Il y avait une seule condition avant cet accès à la félicité éternelle, il fallait " quitter cette vallée de larmes ", il fallait mourir. La biotechnologie refuse ce passage vers la félicité, il faut qu'elle soit réalisée ici bas. Ce maintien de la promesse du bonheur, équivalent pour le sujet à la promesse œdipienne, entrave fortement le passage adolescent et l'acceptation de la castration qu'il comporte (LESOURD, 2005). Les sujets restent alors pris dans une éternisation de la latence, dans une promesse éternelle un peu infantile.

Reste un dernier aspect des parlottes qui doit être évoqué, et ce n'est pas le moindre. Les parlottes, dans leur structure même, impliquent un refus de la consistance de l'Autre comme maître de la parole et de l'énonciation. Le soutien qu'elles prennent dans le discours de la démonstration et de la preuve scientifique par les énoncés, produit chez le sujet " l'incertitude de l'être ". Face à l'absence d'un Autre consistant capable de garantir à minima sa place et sa nomination, le sujet cherche désespérément un discours auquel s'accrocher, un autre qui viendrait incarner l'Autre à la fois protecteur et sévère, un Autre dont le désir soit repérable. Dans ce lieu se glissent aussi bien les médecins qui sauvent, les psys de tout poils qui savent, voire les gourous. Les coachs (GORI & LE COZ, 2006), comme les experts, sont l'expression moderne de cette figure particulière du grand Autre que véhiculent les parlottes modernes. Au nom du savoir, ils viennent dire au sujet ce qu'il doit faire, ce qu'il doit être, pour avoir accès à la jouissance. En cela médecins, coachs, experts, mais aussi dealers fonctionnent dans la même parole, celle de la promesse du bonheur, à condition que l'on suive les voies qu'ils préconisent. Face à cet appel de l'Autre qui sait, à cette injonction, les sujets se trouvent pris dans une logique toujours infantile d'impuissance. Soit ils acceptent cette soumission en entrant alors dans les rets de la parlotte biomédicale espérant ainsi atteindre le bonheur promis, soit ils sont échec face à cette réalisation du bonheur. Dans ce cas le plus souvent, ils reprennent à leur compte la carence de l'Autre, et c'est alors le Moi qui est affecté par cette impuissance. La recrudescence des troubles à forme dépressive est la conséquence logique de cette vacuité de l'Autre garant de la vérité que les experts ont remplacé. Cette dépressivité chronique du sujet, que j'appelle avec O. Douville la mélancolisation du sujet, a plusieurs conséquences possibles.

Soit le sujet prend à son compte cette carence de l'Autre, et c'est alors sur le moi que tombe l'ombre de l'objet perdu, amenant les effets de la dépression vraie que sont l'inhibition à penser et agir, la tristesse dévalorisante et dans les cas extrêmes le passage à l'acte suicidaire par identification à l'objet perdu.

Soit le sujet tente désespérément de retrouver une figure de l'Autre qui tienne le coup. C'est en ce point de panne de l'Autre que les parlottes modernes trouvent leur point d'accrochage avec la dynamique subjective individuelle. La parlotte de la technologie en proposant la direction de la vie du sujet à partir d'un savoir scientifique semble proposer une réponse adéquate à la panne de l'Autre. Cependant l'arrimage de ce savoir n'est en rien enraciné dans une subjectivation, il est produit par des démonstrations d'énoncés. Le sujet reste alors soumis au savoir de la technique et n'a plus comme solution que de se conformer en acte aux prescriptions de la science. Quand celle-ci, comme les techno sciences médicales, proposent en sus une réparation de la mélancolisation par une prise de médicament, la boucle est bouclée. Le sujet devient consommateur d'antidépresseur, et la cause initiale de sa dépression, la vacance de l'Autre, se trouve radicalement évacuée.

Mais le sujet peut aussi trouver une autre fausse issue à la rencontre de la panne de l'Autre dans les parlottes modernes. Face à sa plainte, le sujet peut croire que ceux qui construisent leur propre savoir, les gourous modernes, tiennent place d'incarnation imaginaire de l'Autre. Le gourou devient ainsi un nouveau modèle, une nouvelle figure de la vérité dont il faut suivre les enseignements. L'entrée dans une secte est d'ailleurs, au moins symptomatologiquement, une façon de " guérir " de la mélancolisation liée à la panne de l'Autre. Le savoir du gourou prend la place du savoir de l'Autre, la place de la garantie. La secte devient ainsi pour le sujet mélancolisé, un lien où d'une part l'Autre retrouve une figure identifiable et admirable, d'autre part un lieu où l'individu peut être reconnu par les pairs et par l'incarnation de l'Autre, s'il se soumet aux règles de la secte. Là encore est bouclée, et le sujet aliéné à la parlotte du gourou peut se croire guéri de sa mélancolie par recréation de l'Autre complet. La dépression grave qui suit la sortie des adeptes des diverses sectes qui fleurissent dans le lien social post-moderne témoigne de l'effet masque que possède la secte et son organisation sur le fonctionnement psychique des sujets qui s'y engagent.

Les coachs, voir certains psychologues je pense bien sûr aux comportementalistes mais aussi à certains se référant à la psychanalyse, fonctionnent dans le même registre en proposant une savoir être au sujet auquel celui-ci doit se soumettre pour assurer son bonheur.

On le voit les parlottes modernes, dont le techno médical est le paradigme, construisent un monde matriciel, que le film Matrix décrit parfaitement. C'est d'ailleurs dans ce film que l'on peut repérer la dernière façon qu'a le sujet de se positionner face à cette disparition de l'Autre et à la dictature des experts techno scientifiques : la résistance par la violence de l'agressivité. Quand elle est symbolisée, comme dans le film, elle est création du sujet, quand elle reste purement agie, comme dans de nombreux actes modernes, elle devient soit destructrice de l'Autre (LESOURD, 2006) soit du sujet lui-même.

C'est en ce lieu que la psychanalyse, et pas seulement à l'hôpital, peut trouver sa place, celle de la résistance du sujet à une parlotte techno médicale qui promeut un sujet sans subjectivité, un sujet " matriciel ".

 

Bibliographie

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Stiegler, B. (2006). La télécratie contre la démocratie. Paris: Flammarion.

 

 

Recebido em: 11/07/2007
Aprovado em: 20/07/2007

 

 

Sobre o autor:

* Psicanalista, professor de psicopatologia clínica e diretor da Unidade de Pesquisa em Psicologia: Subjetividade, Conhecimentos e Laço Social. Universidade Louis Pasteur. Strasbourg - France. Endereço eletrônico: serge.lesourd@psycho-ulp.u-strasbg.

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