SciELO - Scientific Electronic Library Online

 
vol.4 número2El niño, el bonhomme y la familiaDel "deseo al niño" al "niño producto" índice de autoresíndice de materiabúsqueda de artículos
Home Pagelista alfabética de revistas  

Epistemo-somática

versión impresa ISSN 1980-2005

Epistemo-somática v.4 n.2 Belo Horizonte dic. 2007

 

ARTIGOS

 

Instabilidade psicomotora ou hiperatividade? riscos1 dos deslizamentos dos discursos sobre a psicopatologia infantil

 

Psychomotor instability or hyperactivity? risks of the mistakes in the discourses about child psychopathology

 

¿Inestabilidad psicomotora o hiperactividad? riesgos de los errores de los discursos sobre la psicopatología infantil

 

Instabilité psychomotrice ou hyperactivité? enjeux des glissements des discours sur la psychopathologie infantile

 

 

Anne Thevenot *; Claire Metz **

Université Louis Pasteur - Strasbourg, France

 

 


RESUMO

Há alguns anos novos significantes, tais como a hiperatividade, os tocs, dentre outros, aparecem no campo da psicopatologia infantil. Apresentada como uma nova patologia, a hiperatividade parece realmente remeter à instabilidade psicomotora. Esse novo termo caracteriza uma conduta centrada nos transtornos de comportamento e na redução deles, em detrimento de uma abordagem psicodinâmica complexa do sujeito. Ora, ligar-se apenas nas expressões comportamentais, sem levar em conta sua dimensão sintomática, leva a negligenciar a complexidade dos fenômenos conscientes e inconscientes, que agem no sujeito tomado na sua dimensão singular e familiar. Propomos, com base em uma pesquisa feita com uma população de crianças rotuladas "hiperativas", interrogar essa dimensão sintomática e assinalar em qual quadro essa mudança nosográfica intervém, bem como os riscos desse novo significante veiculado nos discursos sobre a psicopatologia infantil.

Palavras-chave: Psicopatologia infantil, Diagnóstico, Sintoma, Instabilidade psicomotora.


ABSTRACT

Some years ago new significants, as hyperactivity, and OCD, appeared in child psychopathology field. Presented as a new pathology, hyperactivity seems to really point to a psychomotor instability. This new term defines a behavior disorder and its decrease, in spite of a complex psychodynamic vision of the subject. Well, to pay attention only to behavior expressions, without considering its symptomatic dimension, leads to the neglect of the complexity of the conscious and unconscious phenomenons, that acts in the subject in his singular and familiar dimension. We propose, based in a research with a child population labelled as hyperactive, to question this symptomatic dimension and mark in which picture this nosography chance interfere and the risks of this new significant in the child psychopathology discourse.

Keywords: Child psychopathology, Diagnosis, Symptom, Psychomotor instability.


RESUMEN

Hay algunos nuevos significantes, tales como hiperactividad, los tocs.., aparecen en el campo de la psicopatología infantil>Presentada como una nueva patología ,la hiperactividad parece realmente remitir a la inestabilidad psicomotora. Este nuevo término caracteriza una conducta centrada en los trastornos del comportamiento y en la reducción de ellos, en detrimento de un abordaje psico-dinámico complejo del sujeto. Por un lado, apegarse apenas en las expresiones de comportamiento, sin tomar en cuenta su dimensión sintomática, lleva a descuidar la complejidad de los fenómenos conscientes e inconscientes, que actúan en el sujeto tomado por la dimensión singular y familiar. Proponemos , a partir de una investigación hecha con una población de niños rotulados "hiperactivos", interrogar esa dimensión sintomática y apuntar en cual cuadro ese cambio nosográfico interviene, y los riesgos de ese nuevo significante dirigido en los discursos sobre la psicopatología infantil.

Palabras llave: Psicopatología infantil, Diagnóstico, Síntoma, Inestabilidad psicomotora.


RÉSUMÉ

Depuis quelques années de nouveaux signifiants, tels que l'hyperactivité, les tocs…, apparaissent dans le champ de la psychopathologie infantile. Présentée comme une nouvelle pathologie, l'hyperactivité nous semble en fait renvoyer à l'instabilité psychomotrice. Ce nouveau terme caractérise une démarche centrée sur les troubles du comportement et leur réduction, au détriment d'une approche psychodynamique complexe du sujet. Or ne s'attacher qu'aux expressions comportementales sans prendre en compte leur dimension symptomatique conduit à négliger la complexité des phénomènes conscients et inconscients qui se jouent pour le sujet pris dans sa dimension singulière et familiale. Nous proposons, à partir d'une recherche menée sur une population d'enfants étiquetés "hyperactifs", d'interroger cette dimension symptomatique et de repérer dans quel cadre intervient ce changement nosographique et les enjeux de ce nouveau signifiant véhiculé dans les discours sur la psychopathologie infantile.

Mots clés: Psychopathologie infantile, Diagnostic, Symptôme, Instabilité psychomotrice.


 

 

Depuis quelques années de nouvelles terminologies sont apparues dans le champ de la psychopathologie infantile. Elles sont en lien avec l'usage du mot "trouble" qui connaît une importante inflation : "trouble" du comportement, "trouble" des conduites, "troubles" obsessionnels compulsifs (TOC), "troubles" oppositionnels avec provocation (TOP)… Présentée comme une nouvelle pathologie, l'hyperactivité qui spécifierait certains troubles du comportement nous semble en fait renvoyer à l'instabilité psychomotrice telle qu'elle a été décrite par différents auteurs (Winnicott, 1971 ; Berger, 2005). En 1925 déjà, Henri Wallon intitulait l'un de ses ouvrages "L'enfant turbulent". Cette "turbulence pathologique" de l'enfant n'est donc pas nouvelle (Mannoni, 1965 ; Ajuriaguerra, 1970), et dès le 19ème siècle les symptômes en sont décrits : "mobilité intellectuelle et physique extrême", "besoin d'une surveillance continuelle". La nouveauté réside dans la manière de conceptualiser cette "turbulence" dans le champ de la psychopathologie mais aussi dans le champ social. En France, le plan de prévention de la délinquance et le rapport Inserm sur les troubles des conduites chez l'enfant et l'adolescent en offrent des témoignages récents.

Ainsi la substitution de l'hyperactivité à l'instabilité psychomotrice ne résulte pas d'un simple changement de terme mais d'une autre conception de la psychopathologie en lien avec l'extension des classifications nosographiques internationales (DSM IV, CIM 10). Si comme le rappelle Serge Lesourd (2006a : 165) "le sujet de l'inconscient est effet du discours l'expression des ratages de la construction subjective se fera dans les formes recevables par le discours organisateur du lien social dans lequel il est pris", il nous semble important de nous interroger sur les enjeux cliniques et sociaux qui sous-tendent ces changements.

Trouble ou symptôme?

Aujourd'hui le trouble désigne "l'état de ce qui cesse d'être en ordre", son usage dans certains discours sociaux et médicaux nous interroge : de quel(s) désordre(s) témoignent nos patients ? Il semble qu'ainsi défini, le trouble est ce qui échappe au contrôle, à la maîtrise, autrement dit c'est plus l'ordre qui est troublé que le patient lui-même. Celui-ci n'est-il au fond qu'un trublion ? Le risque d'un contrôle social sous couvert médical a été largement perçu par les opposants, au-delà de la communauté des professionnels concernés, à l'expertise collective sur le "Trouble des conduites". Avec le DSM-IV, l'usage de la notion de "trouble" tend à s'imposer dans le champ de la psychopathologie : ne risque-t-on pas alors de psychiatriser ceux qui dérangent l'ordre social?

Outre cette première interrogation sur l'usage social de la notion de "trouble", nous nous demandons comment s'inscrivent les manifestations repérées dans l'organisation psychique du sujet. En effet, la notion de "trouble" correspond actuellement dans le rapport INSERM et le DSM IV à une quantification de comportements observables, au détriment d'une approche dynamique complexe du patient. Celle-ci prend en compte en particulier les concepts de structure psychique et de symptôme, expression d'un conflit inconscient qui reste à décrypter. Les modalités de prise en charge des sujets qui découlent de ces deux approches sont radicalement différentes.

En effet de récents débats ont lieu en France, à la fois scientifiques et politiques, ils mettent en évidence l'importance des présupposés adoptés pour traiter de la question des " troubles du comportement ". En particulier deux courants s'affrontent, lourds de conséquences sur la destinée des sujets concernés et sur la société de manière plus générale.

Un trouble à réduire?

Le courant exposé dans l'expertise Inserm relative au "trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent", largement débattu, considère que les "troubles du comportement" correspondent à un dysfonctionnement spécifique que révèle un ensemble de signes prétendument observables objectivement. Ces signes sont des symptômes au sens médical de ce terme : "Toute manifestation d'une affection ou d'une maladie contribuant au diagnostic, et plus particulièrement tout phénomène perçu comme tel par le malade" (Dictionnaire médical Larousse).

Le "trouble" dans ce cas n'est ni à élucider, ni à replacer dans un cadre général complexe et multidimensionnel, il est à réduire, au moyen de médicament éventuellement. Dans cette logique, il est important de pouvoir reconnaître les signes précoces de l'apparition des "troubles", ainsi le groupe d'experts du rapport Inserm préconise de repérer dès l'âge de trente-six mois les manifestations comportementales incriminées ("s'est bagarré", "refuse d'obéir"…) et de les inscrire dans le carnet de santé.

Une lecture étayée sur le modèle des neurosciences envisage donc ces troubles comme un dysfonctionnement et propose des prises en charge qui les réduisent, par le biais de médicaments et /ou de thérapies cognitives comportementales (TCC) : par une "démarche pragmatique, il s'agit de provoquer un changement de registre des pensées et des représentations mentales et d'accroître les possibilités d'autogestion du sujet /…/ avec une maîtrise des réactions émotionnelles" (Quotidien du médecin, 28/02/05). Dans cette approche, les repères psychopathologiques tels que les notions de structure, de symptôme, de modalités défensives… ne sont pas pris en compte (Bergeret, 1996).

Un symptôme à entendre

De nombreux psychanalystes (Julien, 1991 ; Hurstel, 1996, 2001 ; Lebrun, 1997, 2007 ; Lesourd, 2006) relient les formes actuelles d'expression de la psychopathologie à l'évolution de notre société, en particulier à une lente et progressive remise en cause d'un ordre social patriarcal décelable à travers l'évolution sur plus d'un siècle des statuts juridiques des hommes, des femmes et des enfants. Ainsi la symptomatologie serait à entendre comme une manifestation d'un malaise du sujet dans la culture. Cependant au-delà de l'impact de la culture, toute approche psychanalytique s'intéresse à la singularité de chaque sujet, le symptôme produit constituant l'expression d'un conflit inconscient.

Selon l'approche psychanalytique, les "désordres" du comportement ne sont pas des "troubles" au sens d'une maladie caractérisée, mais peuvent être des formations de l'inconscient. Pour Maud Mannoni (1967 : 48), "le symptôme vient à la place d'une parole qui manque créée à l'attention de l'interlocuteur". Contrairement à l'approche comportementale, le symptôme est ici une modalité d'expression du sujet. Supprimer le symptôme d'emblée revient à ne pas entendre son message.

De plus selon Jacques Lacan (1973 : 32), le symptôme contient sa part de jouissance : "Il est clair que ceux à qui nous avons affaire, les patients, ne se satisfont pas, comme on dit, de ce qu'ils sont. Et pourtant, nous savons que tout ce qu'ils sont, tout ce qu'ils vivent, leurs symptômes mêmes, relève de la satisfaction". Pour ces raisons, il ne s'agit pas de prendre de front le symptôme, mais de permettre aux sujets en souffrance d'accéder à leur parole : le symptôme peut alors céder.

Pour certains sujets, le symptôme a une fonction de prothèse en nouant le symbolique, le réel et l'imaginaire. Il est alors un effet de la structure du sujet, que Lacan nomme alors "sinthome". Il distingue ainsi le sinthome qui ne chute pas, du symptôme qui tombe "de surcroît" (Lacan, 1962, 70).

D'autre part il semble utile de rappeler que ces "désordres" comportementaux font souvent partie du développement ordinaire de l'enfant, et que la vigilance s'impose devant les risques d'un diagnostic hâtif. Ainsi il est nécessaire de situer ces manifestations dans l'organisation psychodynamique de la personnalité sinon, comme Roger Misès (2005) le précise, ce repérage par le symptôme "trouble du comportement" conduit à regrouper dans une même catégorie des sujets extrêmement différents du point de vue psychopathologique, et pour lesquels les prises en charge sont à différencier. Il insiste sur l'importance du repérage de la structure des sujets et de différencier les cadres d'inscription des manifestations symptomatiques : troubles réactionnels, troubles névrotiques, psychoses, pathologies limites ou narcissiques. Ne s'attacher qu'aux expressions comportementales sans prise en compte de la structure psychique, conduit à négliger la complexité des phénomènes conscients et inconscients qui se jouent pour le sujet pris dans sa dimension singulière et familiale, et à délaisser la nécessité d'un traitement multidimensionnel, crucial pour l'évolution du sujet.

Nous souhaitons conclure ce premier point en soulignant qu'il nous semble important de ne pas limiter notre questionnement à l'impact des changements de registres des discours sur la psychopathologie. Il s'agit également de nous interroger sur l'évolution de l'expression de la psychopathologie.

Nouveaux regard ou nouveau comportements?

En effet nous discernons une évolution dans notre pratique de psychologues en Centre Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP), lieu de consultations accueillant des parents et leurs enfants pour des difficultés relevant le plus souvent du registre de la psychopathologie de la vie quotidienne : depuis quelques années les difficultés de comportement des enfants et des adolescents constituent un motif croissant de consultation. Nous recevons de plus en plus de parents inquiets, désemparés devant le comportement de leur enfant, souvent à un âge de plus en plus précoce. Les parents se plaignent de désobéissance, de colère, de violences verbales, d'agitation, de manque de concentration…. "Il est hyperactif" disent-ils parfois.

Les enfants dont il est question sont le plus souvent de très jeunes enfants, de 4 - 5 ans, ou des enfants d'une dizaine d'années qui ne sont pas encore entrés dans les remaniements de l'adolescence. Notre observation converge avec ce qui s'observe au niveau national où les consultations pour de très jeunes enfants révèlent des symptomatologies plus fréquentes et plus précoces qu'auparavant : agitation, troubles attentionnels, agressivité, selon les résultats de l'enquête Eap menée en 2002 auprès de quatre-vingt treize psychologues de la petite enfance (Cognet, 2004).

Outre les comportements incriminés, ce qui nous interroge dans la plupart de ces situations ce sont le désarroi, l'angoisse, l'impuissance de l'un, voire des deux parents face à de très jeunes enfants. Plusieurs de ces parents font d'eux-mêmes le lien avec le spectre de l'adolescence : "si déjà maintenant il est comme cela / comment ferons-nous quand il sera grand ?" Ainsi, les difficultés actuelles et la crainte de tourments à venir les motivent à consulter.

Nous allons maintenant, à partir d'une recherche menée auprès d'une population d'enfants diagnostiqués "hyperactifs" par des neuropsychiatres, interroger cette dimension symptomatique et repérer les enjeux de ce nouveau signifiant véhiculé dans les discours sur la psychopathologie infantile.

Présentation de la recherche1

Par le biais d'associations de parents, nous avons rencontré 20 familles dont au moins un enfant pour lequel un diagnostic d'hyperactivité (en référence au DSM IV) a été posé. Au moment de l'enquête, les enfants étaient âgés de 8 à 12 ans, il y a 4 filles et 16 garçons (répartition qui correspond aux chiffres nationaux). Les données de cette recherche sont en cours d'analyse, nous n'en présenterons que des résultats partiels.

 

 

Pour chaque famille, nous avons rencontré les parents (parfois un seul) avec lesquels nous avons mené un entretien semi-directif. Dans un second temps nous avons eu un entretien et réalisé des épreuves projectives avec l'enfant : le Rorschach et le TAT (les fables de Düss pour les enfants de moins de 10 ans).

Les enfants ont tous un parcours médico-psychologique relativement complexe : souvent plusieurs tentatives de psychothérapie, des rééducations orthoptiques et/ou psychomotrices, de l'orthophonie pendant plusieurs années et depuis l'âge de 6 ans tous ont été ou sont encore sous traitement médicamenteux (ritaline).

 

 

Si dans un après-coup les parents soulignent la précocité des difficultés rencontrées avec leur enfant "il ne dormait pas, il bougeait beaucoup, il était agité…", cependant c'est presque toujours l'école qui a suscité les consultations. Dans la plupart des situations, c'est ce signalement de l'institution scolaire qui semble faire point d'origine de la maladie : "c'est en grande section de maternelle que l'on nous a dit" / "quand il est entré au CP la maîtresse a dit qu'il fallait consulter"… Ensuite les difficultés d'adaptation et d'intégration de leur enfant dans le système scolaire vont cristalliser l'ensemble des propos tenus sur leur enfant. Certes de manière générale les années scolaires servent souvent de repères temporels pour les parents, or dans ces entretiens le rapport à l'école est omniprésent. C'est d'autant plus impressionnant que pour cette recherche nous avons rencontré enfants et parents hors de tout cadre scolaire et pendant les vacances. Dans le discours de leur parent, l'enfant apparaît donc d'abord comme élève avant d'être enfant. Nous pouvons peut-être déjà ici repérer un effet d'un discours social, celui du champ scolaire étant particulièrement normatif, sur la manière dont des parents peuvent appréhender leur enfant.

Nous allons maintenant, à partir des analyses des entretiens réalisés avec les parents, nous centrer sur les effets de ce diagnostic d'hyperactivité dans la représentation de leur enfant qui, selon nous, va influer sur la relation avec lui. Pour cet exposé, nous avons retenu trois points caractéristiques de l'ensemble des entretiens : le discours des parents met en avant un clivage de l'enfant, sa disparition en tant que sujet et un apaisement de leur culpabilité parentale.

Un clivage de l'enfant

Compte tenu des présupposés neuroscientifiques du DSM IV, le diagnostic d'hyperactivité implique presque automatiquement un traitement médicamenteux. Il en a été ainsi pour l'ensemble des enfants rencontrés, une prescription de ritaline a suivi de près le diagnostic médical. La plupart des enfants (17 sur 20) sont sous médicament depuis l'âge de 6 ans. Ce type de médicament a pour particularité de modifier considérablement le comportement de l'enfant, du moins pendant sa durée d'action. Les parents évoquent en effet un enfant qui présente deux visages : d'une part un enfant idéal, d'autre part un enfant déchaîné "c'était le jour et la nuit/ la maîtresse ne la reconnaissait plus et nous non plus" dit, par exemple, la maman de Célia. Cet enfant à deux visages apparaît à deux niveaux dans le discours parental selon qu'il est question d'avant ou pendant le traitement, mais aussi au cours de chaque journée selon la durée d'action du médicament : "quand il est pas sous ritaline il est trop vivant/ et quand il est sous ritaline il devient particulièrement calme", ces propos de la maman de Louis nous laissent percevoir le sentiment d'étrangeté qui l'envahit face à son fils "trop vivant/ particulièrement calme". D'autres parents, comme ceux de Célia, recherchent à l'extérieur des solutions pour prendre en charge leur fille : "comme la ritaline ne faisait plus effet quand elle rentrait de l'école/ et comme pour les devoirs c'était un conflit permanent/ on a trouvé une solution/ on l'a mise à l'aide aux devoirs avec d'autres enfants…".

Nous pouvons aussi nous interroger sur l'effet de ce discours parental sur la construction subjective de leur enfant. Les parents se constituent ainsi une représentation clivée de leur enfant considéré comme un bon ou un mauvais objet selon qu'il est ou non sous l'effet du traitement : "il le prend à 7 heures le matin/ ça fait effet à 8 heures/ à 15 heures c'était fini quoi/ il saute partout/ il court partout/ il crie partout" (mère de Louis). Ici le "bon" enfant n'est pas seulement celui qui est calme et ne se fait plus remarquer à l'école, mais encore un enfant docile qui ne s'oppose plus aux exigences des adultes. Ce dernier aspect nous conduit à une deuxième caractéristique des discours parentaux qui est une certaine objectivation de leur enfant.

Une disparition du sujet

Un certain nombre de travaux soulignent l'effet objectivant de la nosographie du DSM IV qui réduit certaines productions infantiles à des troubles comportementaux. Si nous n'ignorons pas que solliciter des parents à propos de leur enfant dans le cadre d'une recherche, peut avoir pour effet de placer l'enfant en "objet d'étude", nous avons néanmoins été questionnées par le peu de place que ces parents accordaient à la parole et au ressenti de leur enfant. En effet dans nos entretiens les parents évoquent essentiellement les comportements de leur enfant, ces comportements qu'ils décrivent sans jamais les interroger. Les parents ne se questionnent pas et ne paraissent pas questionner leur enfant, aussi est-il acteur sans être auteur de ses actes : "quand votre fils vous traite de putain enfin de choses assez difficiles à entendre/ bon il/ c'est qu'il ne sait pas bien qu'il ne faut pas". Si ces injures font souffrir la mère de Thibaut, elle n'interroge pas pour autant ce qui peut se jouer entre elle-même et son fils. Ou encore lorsque la maman de Louis rencontre l'institutrice ou l'entraîneur sportif pour "expliquer" le comportement de son fils "j'avais beau lui avoir expliqué et lui dire d'expliquer ça aux autres (camarades)/ ben elle n'a pas bien géré les choses", elle ne semble pas envisager d'interpeller Louis pour parler avec lui de ce qui se passe avec ses camarades ou ses enseignants. Elle multiplie les démarches pour parler de son fils à ceux qui vont avoir à "le gérer", et les difficultés leur sont attribuées car ils n'ont pas compris ou pas voulu comprendre "sa maladie". Ainsi le discours sur l'enfant se substitue à la parole de l'enfant. Dans beaucoup d'entretiens l'enfant est présenté comme "incapable" de se concentrer, "incapable" de ne pas s'agiter, les parents semblent face à un enfant agi par son hyperactivité, un enfant qui ne peut répondre de ses actes. Le comportement instable, qui pourrait être envisagé comme une conséquence symptomatique d'un conflit psychique inconscient, est ici renversé en cause des difficultés de l'enfant. C'est l'hyperactivité qui devient seule responsable de ses problèmes : "c'est sa maladie" nous disent plusieurs parents.

Nous pouvons nous demander si cet effacement de l'enfant en tant que sujet de son discours est un effet du diagnostic d'hyperactivité ou s'il préexistait auparavant, le diagnostic ne faisant que renforcer cet effacement. En effet certaines situations nous ont interrogées quant à la particularité du nouage du lien mère/enfant dès les premières semaines de la vie de leur enfant, "on a une relation très fusionnelle" disent, non sans une certaine complaisance, plusieurs mères. On peut se demander si la réduction de l'enfant à son comportement ne contribue pas à laisser l'enfant en place d'objet de la mère. "elle venait la nuit à partir de décembre dans mon lit et elle est devenue somnambule la nuit / mais comme je l'ai retrouvée quatre à cinq fois en train de dormir dans le couloir sur le carrelage par terre/ au pas de ma porte/ donc elle a attrapé une pneumonie et donc j'ai fini par accepter car je me suis dit qu'un jour il va lui arriver des grosses bricoles alors j'ai choisi le moindre et je l'ai prise dans mon lit/ que quand elle venait/ je ne l'ai pas prise d'office" La fin de cette citation de la maman d'Emilie nous laisse entendre que celle-ci n'ignore pas la réprobation pesant sur le parent qui accepte son enfant dans son lit, c'est pourquoi elle s'en défend et le justifie. Ce dernier élément nous amène à évoquer la question de la culpabilité des parents face aux difficultés de leur enfant.

Un évitement de la culpabilité parentale

Paradoxalement la théorisation de l'hyperactivité proposée par le DSM IV en objectivant et l'enfant et ses troubles contribue à déculpabiliser les parents : "elle m'a complètement rassurée en me disant que probablement Louis avait un problème d'hyperkinésie…/ le diagnostic du docteur X est tombé en disant que c'était un enfant qui avait un problème de déficit de l'attention avec hyperactivité". L'hyperactivité est alors une maladie et l'enfant un malade. Si les parents ne paraissent pas particulièrement effrayés par les conséquences de ce diagnostic, c'est probablement parce qu'il introduit une cause apparemment organique aux difficultés de leur enfant. Il est intéressant de repérer qu'aucun des parents ne souligne que le diagnostic et le traitement qui l'accompagne ont résolu leurs difficultés. La ritaline assagit temporairement leur enfant, mais les difficultés sont toujours là. La satisfaction apportée par le diagnostic est essentiellement liée au fait que celui-ci leur donne une réponse objective. Il n'est pas étonnant que ces parents disent avoir souvent mal vécu un autre type de discours qui tentait de les impliquer dans les troubles de leur enfant : "le psychiatre m'a dit on ne peut pas dire que votre fils a quelque chose/ si moi j'avais des problèmes avec lui j'avais qu'à me faire soigner/ voilà/ ça a été fort agréable" (mère de Thibaut) ; "c'est vraiment/ tout est de la faute de la maman/ donc je me suis pris une claque d'entrée tout de suite/ c'est/ mon fils était un enfant médecin/ un enfant guérisseur il appelait ça" (mère de Louis). Ils se sont sentis mis en cause, voir accusés, ne comprenant pas la démarche thérapeutique lorsque le psychothérapeute ne souhaitait travailler qu'avec les seuls parents "il parlait jamais à mon fils/ c'était à moi uniquement". S'il semble clair que la perspective du DSM-IV convient mieux à certains parents qui ne se sentent pas alors remis en cause, il serait néanmoins utile de s'interroger sur la manière dont il est possible d'impliquer les parents dans le travail thérapeutique. La manière dont nous allons entendre leur plainte, sans prendre de front le symptôme, est fondamentale.

 

Conclusion

Le discours sur l'hyperactivité prend place comme effet des mutations sociales, les modalités d'expression de la construction subjective (ici les désordres comportementaux) se font dans les formes recevables par le discours organisateur du lien social. Les premiers résultats de cette recherche nous montrent comment parents et enfants se trouvent pris dans les signifiants qui leur sont proposés et comment ceux-ci vont être à l'œuvre dans leurs relations.

De plus, même si nous ne l'avons pas développé dans cet écrit, l'analyse des entretiens et des tests effectués avec les enfants indique que les symptômes développés par chacun s'inscrivent dans une problématique et une structure psychique particulières. L'exemple d'Emilie montre que ses troubles attentionnels ont un sens qui est d'échapper à une émergence répétée de processus primaires, composés d'idées profondément angoissantes qui s'imposent à son esprit. Les troubles de l'attention prennent place ici dans un cadre plus général de troubles de la personnalité, qu'un médicament ne saurait supprimer. Alors que l'agitation de Thibaut s'inscrit dans un registre névrotique, celle-ci venant mettre en scène des angoisses liées à un questionnement sur la mort.

L'approche comportementale et neuroscientifique qui sous-tend ces nouvelles classifications se fait au détriment de la prise en compte de la singularité de tout sujet humain. La notion d'hyperactivité consistant à prendre en charge la difficulté présentée par l'enfant ou ses parents comme l'expression d'un dérèglement fonctionnel ou organique alors qu'il s'agit de l'expression d'un conflit psychique, risque de déplacer ou de renforcer le symptôme au lieu de soulager la souffrance psychique. Nous préférons donc la notion d'instabilité psychomotrice qui conserve la dimension symptomatique des désordres comportementaux. La dimension familiale du symptôme, souligne la complexité des enjeux contenus dans ce symptôme et le danger de vouloir l'éradiquer d'emblée, danger d'autant plus grand dans la clinique de l'enfant qu'est négligée la dimension inconsciente du symptôme non seulement chez l'enfant mais aussi chez ses parents.

 

Bibliographie

Ajuriaguerra, J. de (1970). Manuel de psychiatrie de l'enfant. Paris: Masson.

Bergeret, J., (1996). La personnalité normale et pathologique: Les structures mentales, le caractère, les symptômes. (3ème edition). Paris: Dunod.

Berger, M. (2005). L'enfant instabl: Approche clinique et thérapeutique (2ème edition). Paris: Dunod.

Brun, D. (1998). Du discours sur l'enfant au discours de l'enfant. In L'entretien en Clinique. Paris: In press éditions, 281-287.

Cognet, G. (2004). Les nouvelles symptomatologies de l'enfant. Psycho Média, 1, 19-24.

Freud, S. (1909/1990). Cinq psychanalyses. Paris: PUF.

Hurstel, F. (1996). La déchirure paternelle. Paris: PUF.

Hurstel, F. (2001). Quelle autorité pour les parents aujourd'hui?. Comprendre, 2, 207-222.

Julien, P. (1991). Le manteau de Noé: Essai sur la paternité. Paris: Desclée de Brouwer.

Lacan, J. (1962). Le séminaire. Livre X: L'angoisse. Paris: Seuil.

Lacan, J. (1973). Le séminaire. Livre XI: Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris: Seuil.

Lacan, J. (1986). Deux notes sur l'enfant. Ornicar? Revue du Champ Freudien, 37, 13-14.

Lebrun, J. P. (1997). Un monde sans limite: Essai pour une clinique psychanalytique du social, Ramonville-Saint-Agne, Erès.

Lebrun, J. P. (2007). La perversion ordinaire: Vivre ensemble sans autrui. Paris: Denoël.

Lesourd S. (2006). Comment taire le sujet? Des discours aux parlottes libérales. Paris: Erès.

Mannoni, M. (1965). Premier rendez-vous avec le psychanalyste. Paris: Denoël.

Mannoni, M. (1967). L'enfant, sa maladie et les autres. Paris: Seuil.

Misès, R. (2005). A propos de l'expertise INSERM relative au "trouble des conduites chez l'enfant et chez l'adolescent. La Lettre de Psychiatrie Française, 149, 13-15.

Théry, I. (1993). Le démariage. Paris: Odile Jacob.

Wallon H. (1925). L'enfant turbulent. Paris: PUF.

Wallon H. (1949). Les origines du caractère de l'enfant Paris: PUF.

Winnicott D.W. (1971). L'enfant et sa famille. Paris: Petite Bibliothèque Payot.

 

 

Recebido em: 22/05/2007
Aprovado em: 30/05/2007

 

 

Sobre as autoras:

* Anne Thevenot -Professor Adjunto em psicologia clínica, HDR, Unidade de Pesquisa em Psicologia : Subjetividade, Conhecimentos e Laço Social (EA 3071), Universidade Louis Pasteur. Strasbourg - France. Endereço eletrônico: anne.thevenot@psycho-ulp.u-strasbg.br.
** Claire Metz -Professor Adjunto da IUFM, psicóloga, psicanalista. Unidade de Pesquisa em Psicologia : Subjetividade, Conhecimentos e Laço Social (EA 3071), Universidade Louis Pasteur. Strasbourg - France. Endereço eletrônico: anne.thevenot@psycho-ulp.u-strasbg.br.
1 Etude effectuée dans le cadre de la recherche coordonnée par le Pr. Demont (ULP) portant sur les "Difficultés dans l'Apprentissage de la Lecture & Troubles de l'Attention avec Hyperactivité. Les enfants hyperactifs sont-ils tous de mauvais lecteurs?"

Ajuriaguerra, J. de (1970). Manuel de psychiatrie de l'enfant. Paris: Masson.        [ Links ]

Bergeret, J., (1996). La personnalité normale et pathologique: Les structures mentales, le caractère, les symptômes. (3ème edition). Paris: Dunod.         [ Links ]

Berger, M. (2005). L'enfant instabl: Approche clinique et thérapeutique (2ème edition). Paris: Dunod.        [ Links ]

Brun, D. (1998). Du discours sur l'enfant au discours de l'enfant. In L'entretien en Clinique. Paris: In press éditions, 281-287.        [ Links ]

Cognet, G. (2004). Les nouvelles symptomatologies de l'enfant. Psycho Média, 1, 19-24.        [ Links ]

Freud, S. (1909/1990). Cinq psychanalyses. Paris: PUF.        [ Links ]

Hurstel, F. (1996). La déchirure paternelle. Paris: PUF.        [ Links ]

Hurstel, F. (2001). Quelle autorité pour les parents aujourd'hui?. Comprendre, 2, 207-222.        [ Links ]

Julien, P. (1991). Le manteau de Noé: Essai sur la paternité. Paris: Desclée de Brouwer.        [ Links ]

Lacan, J. (1962). Le séminaire. Livre X: L'angoisse. Paris: Seuil.        [ Links ]

Lacan, J. (1973). Le séminaire. Livre XI: Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris: Seuil.        [ Links ]

Lacan, J. (1986). Deux notes sur l'enfant. Ornicar? Revue du Champ Freudien, 37, 13-14.        [ Links ]

Lebrun, J. P. (1997). Un monde sans limite: Essai pour une clinique psychanalytique du social, Ramonville-Saint-Agne, Erès.        [ Links ]

Lebrun, J. P. (2007). La perversion ordinaire: Vivre ensemble sans autrui. Paris: Denoël.        [ Links ]

Lesourd S. (2006). Comment taire le sujet? Des discours aux parlottes libérales. Paris: Erès.        [ Links ]

Mannoni, M. (1965). Premier rendez-vous avec le psychanalyste. Paris: Denoël.        [ Links ]

Mannoni, M. (1967). L'enfant, sa maladie et les autres. Paris: Seuil.        [ Links ]

Misès, R. (2005). A propos de l'expertise INSERM relative au "trouble des conduites chez l'enfant et chez l'adolescent. La Lettre de Psychiatrie Française, 149, 13-15.        [ Links ]

Théry, I. (1993). Le démariage. Paris: Odile Jacob.        [ Links ]

Wallon H. (1925). L'enfant turbulent. Paris: PUF.        [ Links ]

Wallon H. (1949). Les origines du caractère de l'enfant Paris: PUF.        [ Links ]

Winnicott D.W. (1971). L'enfant et sa famille. Paris: Petite Bibliothèque Payot.        [ Links ]

Creative Commons License