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Epistemo-somática

versão impressa ISSN 1980-2005

Epistemo-somática v.4 n.2 Belo Horizonte dez. 2007

 

ARTIGOS

 

Do "desejo à criança" à "criança-produzida"

 

From the "desire of a child" to a "product-child"

 

Del "deseo al niño" al "niño producto"

 

Du "désir d'enfant" à "l'enfant-produit"

 

 

Martine Spiess *

Université Louis Pasteur - Strasbourg, France

 

 


RESUMO

Há várias décadas, a medicina obstétrica desenvolveu e reforçou seu dispositivo diagnóstico, preventivo e terapêutico para enquadrar a procriação: ela controla as etapas do processo gestacional e assegura uma responsabilização tecnicizada do parto; por outro lado, ela responde aos problemas da infertilidade mediante a implantação das técnicas de assistência médica para a procriação. Dispõe, hoje, de uma gama de conhecimentos e de meios que demonstram sua eficácia e domínio no campo da transmissão da vida. É em nome desse saber que ela impõe suas normas, suas prescrições, seu discurso. Apostando menos na dimensão do humano do que no domínio racional das coordenadas biológicas do corpo, a medicina do parto teria engajado a procriação na via da "fabricação" do vivo? Essa evolução suscita interrogações complexas que dizem respeito, notadamente: ao impacto de uma visão "mecanicista" do parto; à relação com a criança enquanto ideal de dominação que vem romper com o acolhimento da alteridade; aos riscos psíquicos da maternidade e da paternidade, que parecem ficar desconhecidos apesar das preocupações atuais com o período perinatal.

Palavras-chave: Procriação, Medicalização, Domínio, Subjetividade.


ABSTRACT

In the last decades, the obstetrics medicine developed and reinforced its diagnosis, preventive and therapeutic dispositive to fit the procreation: they control the steps of the gestation process and assurance a responsibility "technicisée" of the birth; otherwise, they respond to the infertility problems through the implantation of medical assistance technique for procreation. They dispose today of several knowledges and means that demonstrate their efficiency and domination in the fields of life transmission. In the name of this knowledge, they impose their rules, prescriptions and discourse. Believing less in the human dimension and more in the rational domination of the biological coordination of the body, the birth medicine would be committed with the procreation as a "fabrication" of the life? This evolution generates complex questions that notedly refers to: the impact of a "mechanicist" view of the birth; the relation with the child as an ideal of domination that breaks with the acceptation of the otherness; the psychic risks of maternity and paternity seems to be unknown, although the actual concerns with the perinatal period.

Keywords: Procreation, Medicalization, Domination, Subjective.


RESUMEN

Hace varias décadas, la medicina obstétrica desarrolló y reforzó su dispositivo diagnóstico, preventivo y terapéutico para encuadrar la procreación: ella controla las etapas del proceso de gestación y asegura una responsabilidad techniciseé del parto; por otro lado, ella responde a los problemas de la infertilidad a través de la implantación de las técnicas de asistencia médica para la procreación. Hoy en día disponemos de una gama de conocimientos y de medios que demuestran su eficacia y dominio en el campo de la transmisión de la vida. Es en nombre de ese saber que ella impone sus normas, sus prescripciones, su discurso. Apostando menos en la dimensión de las coordenadas biológicas del cuerpo, la medicina del parto ¿ habría comprometido la procreación en la vía de la" fabricación "del vivo? Esa evolución suscita interrogaciones complejas que dicen al respecto notablemente: al impacto de una visión "mecánica "del parto; a la relación con el niño mientras el ideal de dominación viene a romper con la inclusión de la alteridad; a los riesgos psíquicos de la maternidad y de la paternidad que parecen ser desconocidos, a pesar de las preocupaciones actuales con el periodo peri natal.

Palabras llave: Procreación, Medicalización, Dominio, Subjetividad.


RÉSUMÉ

Depuis plusieurs décennies, la médecine obstétricale a développé et renforcé son dispositif diagnostique, préventif et thérapeutique pour encadrer la procréation: elle contrôle les étapes du processus gestationnel et assure une prise en charge technicisée de l'accouchement; par ailleurs, elle répond aux problèmes d'infécondité à traves la mise en œuvre des techniques d'assistance médicale à la procréation. Elle dispose aujourd'hui d'une somme de connaissances et de moyens qui représente son état d'efficacité et de maîtrise dans le champ de la transmission de la vie. C'est au titre de ce savoir qu'elle impose ses normes, ses prescriptions, son discours. En pariant moins sur la dimension de l'humain que sur la maîtrise rationnelle des coordonnées biologiques du corps, la médecine de l'enfantement aurait-elle engagé la procréation dans la voie de la "fabrication" du vivant ? Cette évolution soulève des interrogations complexes concernant notamment: l'impact d'une vision "mécaniste" de l'enfantement; le rapport à l'enfant en tant que l'idéal de maîtrise vient entamer l'accueil de l'altérité; les enjeux psychiques de la maternité et de la paternité qui semblent rester méconnus malgré les préoccupations actuelles en périnatalité.

Mots clés: Procréation, Médicalisation, Maîtrise, Subjectivité.


 

 

C'est dans un environnement tout entier remodelé par les méthodes modernes de contrôle de la fécondité et par l'encadrement médical de la procréation que s'inscrit aujourd'hui la naissance d'un enfant. L'accès à la contraception et l'avortement légal ont amené dans le monde occidental une transformation considérable du rapport des hommes et des femmes à la procréation, en libérant l'exercice de la sexualité. Ces acquis font partie de l'histoire récente ; ils sont emblématiques du processus d'émancipation des femmes et ont pris place dans des mutations collectives orientées par une exigence de liberté individuelle et par un principe d'égalité entre les sexes.

La libération sociale a permis aux femmes d'accéder aux études, d'entreprendre et de réussir des carrières professionnelles jusqu'alors réservées aux hommes. Les valeurs contemporaines leur ont ouvert, en dehors de la fonction maternelle et de la sphère familiale, d'autres voies d'épanouissement; de nouvelles formes d'accomplissement de soi, socialement reconnues, sont diffusées partout aujourd'hui. En même temps et peut-être de façon paradoxale, l'expérience maternelle est actuellement largement revalorisée et occupe dans l'existence féminine une place privilégiée. Qu'elle soit jugée indispensable pour une pleine réalisation personnelle - cet impératif de notre société contemporaine-, qu'elle soit exaltée sur le versant de la puissance créatrice et du plaisir que procure une grossesse, elle donne une garantie de réussite et de bonheur. La représentation d'une maternité heureuse, comblante, va de pair avec l'intérêt social et médical de plus en plus soutenu porté à l'enfant et à la procréation elle-même. Enfant désiré, enfant précieux, enfant exigé, celui-ci est promu dans la maîtrise et la clarté des possibilités de la médecine, investi dans un statut d'enfant parfait pouvant satisfaire l'attente parentale. La signification qui lui est accordée a changé : elle tient moins à une projection dans l'avenir qu'aux réassurances et aux gratifications narcissiques immédiates qu'il apporte à ses parents. Si l'amour pour l'enfant puise aux sources inconscientes du narcissisme parental (FREUD, 1914/1969), encore faut-il pouvoir l'accueillir dans son altérité radicale. Or, idéalisé à l'extrême, il est devenu enfant promesse de jouissance, lieu illusoire d'une totale satisfaction des parents. On est passé d'un narcissisme qui permet d'investir l'enfant à " un narcissisme qui l'investit en tant que faire-valoir, trophée d'une réussite personnelle " (THOMPSON, 2004, p.143).

Au nom de l'enfant supposé " désiré " et sous l'effet d'une obligation éthique et d'un souci de prévention des risques gravidiques et périnataux, la médecine obstétricale assure une prise en charge rigoureuse des femmes enceintes et des parturientes dans une efficacité technique et diagnostique toujours plus poussée. Les techniques d'assistance médicale à la procréation constituent la réponse moderne de la science face à l'épreuve de l'infécondité masculine, féminine ou du couple et s'offrent à satisfaire une demande d'enfant qui a évolué. Mais l'idéal de maîtrise contenu dans l'obstétrique contemporaine opère au détriment de la dimension subjective et néglige le processus psychique complexe qui permet à tel homme, à telle femme de se constituer comme parent.

Les composantes de la transmission de la vie

Dans le champ de l'humain, la transmission de la vie est définie par trois composantes fondamentales qu'il s'agit brièvement de rappeler:

-la composante biologique concerne les processus physiologiques et biologiques de l'enfantement ; c'est sur ceux-ci que portent l'objectivation scientifique et l'action médicale.

-la composante anthropologique inscrit l'individu dans la structure de la filiation et de l'alliance et impose l'interdit de l'inceste comme organisateur symbolique qui règle et codifie les échanges entre humains, empêchant la confusion des générations et situant chacun à une place symbolique par rapport à deux lignées de filiation. Cette composante se retrouve concrètement dans les règles juridiques et sociales qui représentent l'existence de la loi.

-la composante psychique comporte un ensemble de problématiques intriquées : celle du désir comme désir sexuel non réductible au projet conscient d'avoir ou non un enfant, celle de l'identité, interrogée en termes de positions dans les générations et dans la relation amoureuse où s'éprouvent la différence et l'incomplétude, celle aussi du rapport à la mort, incontournablement liée à l'acte de donner vie et enfin celle de la mise en jeu du corps féminin dans la procréation, comme corps humanisé, lieu de souffrance, de plaisir et de jouissance.

Désir d'enfant et discours médical

Un des éléments nouveaux induits par le contrôle biomédical de la fécondité est que la procréation se soutient désormais d'un discours appuyé sur le " désir d'enfant ", conditionnant le rapport à l'enfantement. Ce qui s'y énonce communément mérite quelques remarques.

D'une part, cette expression " désir d'enfant " est très souvent ramenée au vœu conscient, au projet rationnel d'avoir un enfant ; le désir qu'on a de lui tend à être assimilé à la volonté et sa conception est censée résulter d'une décision délibérée. L'efficacité contraceptive a eu pour conséquence d'installer l'illusion d'un contrôle sans faille de la procréation et d'introduire la notion de programmation dans la réalisation du souhait d'enfant. Or la question du désir d'enfant n'est pas réductible aux termes d'une démarche volontaire mais renvoie à des enjeux ignorés, multiples et singuliers. Il y a, dans ce qui cause la venue d'un enfant, une a-maîtrise radicale, un ordre de l'aléatoire qu'imposent les déterminants inconscients du désir sexuel. Toute grossesse - et M.M. CHATEL y insiste - est pour ainsi dire accidentelle. Quelles que soient les circonstances de sa survenue, elle garde un caractère fortuit, une dimension d'imprévu, échappant ainsi à la raison et au savoir.

D'autre part, le " désir d'enfant " est posé comme incontestable voire irrésistible, si bien que le choix de ne pas procréer apparaît étrange, hors norme et que la stérilité est de moins en moins acceptée ou tolérée. Les femmes se doivent d'acquiescer à leur vocation d'être mères d'autant que la médecine est là pour pallier aux problèmes d'infécondité. Un constat néanmoins s'impose : l'agir médical, à travers notamment le développement des nouvelles techniques de procréation assistée, a créé des demandes liées à son entreprise de maîtrise et atteint la nature même de la parenté. L'enfant est réclamé quel qu'en soit le prix (celui-ci étant souvent considérable du point de vue de l'angoisse et de la souffrance que connaissent les femmes en cours de traitement), revendiqué jusque dans des situations extrêmes, aux limites du fantasme. L'idée d'un " droit à l'enfant " infiltre le discours ambiant et vient fonder aussi bien l'offre que la demande de fécondation artificielle. On est ainsi passé de la possibilité d'éviter une naissance à celle de mettre un enfant au monde malgré tout et si cette évolution témoigne de développements scientifiques positifs, porteurs d'espoir pour les couples stériles, elle soulève par ailleurs des interrogations complexes : quant au statut du corps humain et aux effets de sa soumission à des normes relevant de plus en plus exclusivement du biologique, quant à l'impact d'une vision " mécaniste " de l'enfantement, non plus référé à ses composantes humaines mais placé sous le signe de la rationalité et de la technicité ou quant à la place occupée par la médecine de la procréation devenue experte, performante et présumée toute-puissante…

Galvaudé, employé de manière ambiguë, le terme " désir d'enfant " sert à légitimer la recherche et l'action biomédicales, à entretenir la pression de conformité sociale, à accréditer l'idée d'une manifestation claire, consciemment affirmée de ce qui motive le fait de vouloir un enfant ou au contraire de ne pas l'envisager. La contraception généralisée a été au départ de cet intérêt renouvelé pour les notions de désir d'enfant ou d'enfant désiré avant que les pratiques d'assistance médicale à la procréation ne l'amplifient davantage encore et les représentations sociales actuelles mettent singulièrement à jour les confusions qui se sont installées, les glissements qui se sont opérés sous l'effet d'une conception toujours plus objectivante de l'enfantement. L'idéal de maîtrise, à partir duquel se conçoit l'enchaînement des mesures de contrôle sur les processus biologiques et physiologiques de la reproduction humaine, a diffusé dans l'imaginaire collectif de nouveaux modes de faire un enfant : maintenant on programme une naissance, on fabrique un bébé en toute visibilité sous l'œil des machines et le regard exercé du gynécologue, on revendique l'enfant qui ne se décide pas à venir sur le terrain du droit au vu des réussites de la médecine scientifique.

Les femmes sont impliquées dans ces évolutions : elles ont, les premières, requis le contrôle de leur fertilité et, au terme de leur combat d'émancipation, obtenu un gain de pouvoir sur la maternité. Mais le projet de maîtrise s'énonce désormais de façon sensiblement différente. Dans le contexte des luttes féministes, " la maîtrise de la reproduction que les femmes revendiquaient et revendiquent était la maîtrise d'une personne sur son propre destin et non la maîtrise en quelque sorte extra-personnelle d'un savoir et d'un pouvoir " (COLLIN, 1987, p.129 ). Autrement dit, l'enjeu était alors lié à une remise en cause des rapports sociaux entre les sexes passant par le refus de la maternité forcée en tant que forme ancestrale de la mise en tutelle des femmes par les hommes et par l'acquisition de droits fondamentaux pour celles-ci, leur garantissant le contrôle de leur corps, la libre détermination de leurs conduites et de leurs investissements. Or, en accroissant ses procédés de surveillance sur la grossesse, en développant ses technologies et en les portant à un haut niveau de sophistication, la médecine fait valoir le souci d'une toute autre maîtrise s'exerçant précisément sur le corps reproductif maternel. Il s'est ainsi produit un déplacement, de la maîtrise comme conquête par les femmes d'une autonomie légitime, à la maîtrise comme objectivation et rationalisation du corps féminin, de la sexualité, de la procréation. On a de fait " glissé progressivement de la contestation des modèles sociaux coercitifs pour les femmes et dénoncés par elles (…) à la croyance en la capacité toute puissante de la science et des techniques bio-médicales pour solutionner magiquement, non plus tant les rapports sociaux de sexes, incriminés oppressifs par les femmes, mais la biologie des femmes (GAVARINI, 1986, p.199). Il y aurait eu corrélativement, toujours selon cet auteur, rabattement du mouvement social sur le progrès scientifique et technique dont on souligne le pouvoir libérateur.

L'obstétrique moderne : entre assistance et emprise

On ne peut que reconnaître l'importance qu'a prise l'intervention médicale dans la sphère du sexuel et de la procréation mais peut-être faut-il dans le même temps en rappeler les limites. La médecine prend en charge le réel du corps et de la reproduction humaine ; elle encadre la physiologie des femmes, surveille à l'aide de critères précis la croissance du fœtus, sait pallier certaines déficiences somatiques. C'est là son champ de compétence qui n'est pas absolu par rapport aux composantes de la transmission de la vie chez l'humain. Il reste qu'au titre de ce savoir assuré sur le corps-organisme et ses lois de fonctionnement, l'autorité médicale impose ses normes, ses techniques, son discours. En ce sens, le problème réside dans l'exercice d'un pouvoir qui soumet les individus à ses visées propres, en s'appuyant sur la détention d'un savoir présenté comme seule référence valide. Cependant, si la trajectoire qui va de la contraception médicalisée aux nouvelles techniques de reproduction, en passant par la gestion calculée des risques gravidiques ou périnataux, marque bien la progression d'une maîtrise en quelque sorte prévisible et attendue dans le cours des évolutions scientifiques et de leurs applications médicales, il existe entre ces diverses pratiques de contrôle des différences notables au regard de leurs incidences et de leurs finalités.

La fécondité maîtrisée

Dans les années 1960-1970, la médecine s'est alignée sur la volonté de changement exprimée par les femmes et a apporté des réponses techniciennes sûres et salvatrices : les techniques modernes de contraception et d'interruption volontaire de grossesse ont mis fin à l'angoisse perpétuelle de grossesses non voulues ainsi qu'aux ravages des avortements clandestins ; elles se sont développées en prise avec la demande des personnes et en vue d'un gain sanitaire, d'une amélioration des conditions de naissance. La sûreté de la contraception n'a pas pou autant résolu les problèmes existentiels de l'enfantement ; les hommes et les femmes ont à se débrouiller aujourd'hui avec un " libre-choix " qui relève de leur responsabilité et de leur propre jugement. Ceci les amène à une confrontation bien plus directe avec la question de leur désir et avec les interrogations, les hésitations, les inquiétudes qui accompagnent leur projet de vie et leurs engagements affectifs. Mais l'avènement de la contraception médicale a, de manière incontestable, ouvert une ère radicalement nouvelle ; tout a changé dès lors qu'a été acquise une certaine maîtrise de la fertilité féminine et on s'aperçoit, avec le recul, qu'à côtés des bénéfices procurés, il s'est construit par rapport à la sexualité et à la procréation des schémas dominés par l'objectivation et la programmation, suspendus aux impératifs d'une société " libérée " et libérale.

Médicalisation de la grossesse

Concernant la surveillance médicale de la gestation, l'intervention des médecins s'est faite plus incisive grâce à la multiplication des techniques d'investigation prénatales ; durant la grossesse et au cours de l'accouchement, le corps maternel est désormais sous le contrôle d'une médecine qui, à travers l'application systématique de ses modes de prise en charge, est devenue extrêmement normalisante pour les femmes. De plus, en orientant ses actes vers l'amélioration constante de la grossesse et de l'enfant à naître, elle tend à assimiler ce dernier à un "enfant-produit ", fabriqué selon des critères standardisés, garanti conforme aux exigences parentales.

Cette surveillance médicalisée et technicisée de la gestation et de la naissance a permis d'augmenter considérablement la sécurité de faire naître et d'accoucher. Mais elle a pour corollaire de laisser en marge ce qu'il en est, pour telle femme et tel homme, au plan subjectif, de transmettre la vie. La médecine, en effet, vient privilégier les seules coordonnées physiologiques et biologiques du processus gestationnel. L'exclusion de la femme enceinte comme sujet traduit un glissement de la compétence à l'emprise du discours médical - comme si celui-ci rendait compte, à lui seul, du tout de l'enfantement -. Par rapport à ce mouvement d'emprise, la femme devient objet scientifique, ventre " transparent ", contenant ; il s'agit de sonder, d'explorer, d'éclairer le corps maternel. Ce corps est considéré comme un " écran " (TORT, 1992, p.109) qui est à traverser pour saisir le développement du fœtus. Ceci n'est pas sans induire ou renforcer pour la femme enceinte un sentiment de non-possession et d'étrangeté à l'égard de l'enfant qu'elle porte, ni sans susciter le doute quant à ses capacités de donner vie ou sans dévaloriser ses perceptions propres. Le fœtus, quant à lui, s'offre comme " isolable " de la matrice, comme accessible pendant la grossesse ; il acquiert ainsi un statut d'enfant " parfait ", revendiqué et investi comme tel, répondant au " produit bébé idéal " calibré, normé par le propos médical.

Les techniques de procréation artificielle

A un autre niveau, la mise en œuvre des techniques d'assistance médicale à la procréation permet de traiter les problèmes de stérilité ou d'infécondité. Leur particularité tient au fait qu'elles réalisent un morcellement du cycle de la reproduction en opérant sur des organes, des cellules et en contrôlant chaque séquence de la gestation mais aussi qu'elles " peuvent isoler, hors de toute personne, le moment de la fécondation et celui des premiers stades de l'embryon de telle sorte qu'il s'agit d'une opération technique de laboratoire ayant pour objet un matériau vivant parmi d'autres, susceptible de manipulations et de transformations " (COLLIN, 1987, p.123). Ces méthodes relaient le corps organique défaillant ; elles placent la fécondation au seul plan du réel corporel, évincent ce que la conception d'un enfant incarne du désir dans le rapport à l'autre et engagent la procréation dans la voie de la fabrication, de la production de l'humain avec tout ce que cela implique d'instrumental et d'expérimental.

D'abord préoccupée par la santé de la mère et de l'enfant, alliée des femmes dans leur combat pour l'égalité, la médecine de l'enfantement s'est lancée dans une course au progrès en pariant moins sur la dimension de l'humain dans l'assistance et le soin à autrui que sur la maîtrise rationnelle des coordonnées biologiques et physiologiques du corps. Devenue médecine de l'exploit amplement mise en scène par les médias, elle est en position d'éclairer et de contrôler la venue au monde d'un enfant ; les pratiques désormais banales de fécondation in vitro qui permettent de contourner l'obstacle organique signalent des transformations majeures : la vie peut débuter dissociée de la sexualité et à l'extérieur du corps maternel, au fond d'une éprouvette de laboratoire. On assiste, depuis les premières victoires sur la stérilité, à une escalade des moyens en matière de procréation artificielle ; des champs nouveaux s'ouvrent à l'imaginaire mais aussi au malaise, à l'inquiétude devant une puissance d'intervention apparaissant sans limite et touchant aux origines de la vie humaine:

- Ainsi, avec la naissance de la brebis Dolly en 1996, la possibilité du clonage humain reproductif (fermement interdit par la loi en France) n'est pas sans mobiliser des fantasmes inquiétants, renvoyant au thème du même et du double : en effet, " il s'agirait de fabriquer du même, c'est-à-dire, d'atténuer ce que chaque enfant présente d'altérité à la naissance, non seulement parce qu'il serait à l'image d'un autre déjà identifié, mais parce qu'il serait un produit quasi manufacturé de notre industrie scientifique " (SAURET, 2006, p.23). L'idée de production du même ne peut que susciter l'effroi par l'effacement de l'altérité qu'elle indique…Ce serait là l'ordre d'une atteinte majeure de la composante anthropologique de la transmission de la vie chez l'humain, autrement dit de la loi primordiale de l'interdit de l'inceste que supporte la fonction paternelle et qui permet la socialisation du désir humain dans son nouage avec la loi et la constitution du sujet, inscrit dans la différence des sexes et des générations.

- Tout récemment, Henri Atlan, médecin et biologiste, annonce " l'utérus artificiel " comme prochaine étape après la contraception médicale, l'insémination artificielle et la fécondation in vitro. Même si son ouvrage débute avec une référence au roman de science-fiction d' Aldous Huxley " Le meilleur des mondes " dans lequel l'ectogenèse occupe une place centrale, il révèle que ce projet de " mère-machine " est déjà en voie de réalisation à travers le recensement des travaux préliminaires de divers laboratoires de pointe. Henri Atlan évalue la réalité possible de l'utérus artificiel dans un délai d'à peine un siècle et situe cette semi-fiction dans la suite logique de la contraception et de l'avortement, à travers le droit de toutes les femmes à disposer de leur corps. " L'utérus artificiel achèvera la libération sociale des femmes en les rendant égales aux hommes devant les contraintes physiologiques inhérentes à la procréation (ATLAN, 2005, p.115). On a du mal à penser une telle perspective tant elle fait apparaître un univers glacé, mécaniste et organise la disparition de la différence des sexes par rapport à leur " asymétrie immémoriale " (ATLAN, 2005, p.126) dans la fonction de procréation.

Délire, cauchemar, monstruosité ? interrogeait Monette Vacquin devant les projets de clonage, d'ectogenèse et autres manipulations avec l'embryon. Comment comprendre un tel emballement dans la mesure où la médicalisation à outrance du désir d'enfant ne répond à aucune urgence humaine ? Et quel en est l'impact sur la filiation ? (VACQUIN, 1999).

Pour une prise en compte des enjeux psychiques de la naissance

Le processus physio- biologique réel de la reproduction que la science médicale contrôle et maîtrise toujours davantage ne suffit pas à définir le phénomène humain de la transmission de la vie. Au fur et à mesure que s'alourdit la médicalisation et que se perfectionnent les techniques, " l'écart se creuse entre la prise en charge médicale, qui est d'une grande qualité, et la non prise en considération de l'état psychique des patientes " (MARINOPOULOS, 2005, p.12). A côté de la toute-puissance du savoir-faire de la médecine, se découvrent la solitude des femmes enceintes et accouchées ainsi qu'une méconnaissance des enjeux psychiques de la grossesse et de la naissance. " La procréation, nous rappelle la psychanalyste Piera Aulagnier, est avant tout procréation selon l'esprit, selon le désir ; celle de la chair n'y a sa place que par surcroît " (AULAGNIER, 1981, p.57). C'est dire que pour le sujet humain, l'acte de transmettre la vie n'a rien de naturel ni de rationnel mais s'ordonne à partir d'éléments symboliques qui questionnent chacun, homme et femme, dans son être, son identité sexuée, sa filiation, son désir.

La théorie psychanalytique a mis à jour la complexité du désir d'enfant, sa dimension d'inconscient et a situé son origine dans l'infantile. Pour une femme, ce désir s'élabore dans son destin sexué. En établissant que la différence sexuelle s'ordonne, au plan subjectif, selon un unique symbole, le phallus, Freud a souligné la dissymétrie des sexes concernant la question de la castration. Les conséquences psychiques de la différence anatomique se présentent pour le garçon comme menace de castration et pour la fille comme manque de pénis. Et dans les textes tardifs où il ramasse sa réflexion sur la féminité, Freud reconnaît que c'est une voie très sinueuse qui conduit l'enfant-fille à la relation oedipienne et qui l'amène à se détourner de la mère pour investir le père comme nouvel objet d'amour. La découverte de la castration, le ressentiment et le dépit qui en découlent, en constituent les motifs. Au cœur de ces changements et transformations, Freud a inscrit le rôle structural du Pénisneid, terme irréductible selon lui de la sexualité féminine. L'envie de pénis trace le chemin vers la féminité et la position féminine sera réalisée lorsque s'y substituera le désir d'enfant en fonction de l'équivalence symbolique pénis = enfant. Lacan élaborera la fonction de l'enfant comme objet phallique pour la mère, en donnant au phallus sa pleine valeur de signifiant. Si l'expérience maternelle réactualise la problématique oedipienne de la castration, elle réveille aussi le tout premier attachement, ce lien premier d'une fille à sa mère dont Freud souligne vers la fin de son œuvre toute la puissance et l'inaltérabilité.

L'écoute de femmes enceintes et de jeunes mères et une pratique clinique de plusieurs années dans un service hospitalier d'obstétrique, m'ont appris combien la maternité est une expérience fragilisante et éprouvante, appelant dans la durée de la grossesse et du post-partum un processus d'élaboration symbolique, à partir du réel du corps. Il en va pour une femme d'un travail psychique complexe, difficile, qui peut ne pas être évident alors même que l'enfant était désiré, " voulu ", " programmé ". Même très attendue, la grossesse une fois attestée se révèle source de trouble et d'ambivalence et provoque en chaque femme une mise en question de son désir et de son identité. Elle la sollicite dans les termes singuliers de sa filiation et de son histoire et découvre les enjeux de sa relation primordiale à sa mère. Elle la confronte au remaniement de son image et de son corps et favorise des fantasmes de totalité, des rêves de fusion qu'il faut abandonner pour laisser place à l'altérité de l'enfant, pour le laisser advenir comme autre que soi, en le référant aussi au désir du conjoint. Cela implique pour elle de pouvoir renoncer à la complétude imaginaire qu'a pu lui apporter un temps la grossesse et de faire le deuil de cet enfant-phallus. Cela relève d'une épreuve de perte et d'incomplétude, renvoyant la femme à son manque essentiel.

La parole des femmes enseigne que la maternité ne va pas de soi, qu'elle n'est jamais déjà établie mais s'élabore au contraire différemment pour chaque enfant à naître. Au regard du caractère particulièrement mobilisateur et somme toute périlleux de l'enfantement au plan psychique, il y a lieu de prendre en compte cette dimension et de prêter attention aux manifestations de souffrance qui peuvent surgir pendant la grossesse. Les préoccupations actuelles dans le champ de la périnatalité, en matière de prévention précoce des troubles de la relation parents-enfant, ont abouti à des " Recommandations professionnelles pour la préparation à la naissance et à la parentalité " qui se déclinent, pour la grossesse et la naissance, sur un versant médical et, pour la femme ou le couple, sur un programme d'éducation à la fonction parentale. L'objectivation et la raison sont ainsi privilégiées et l'impasse est faite sur les problématiques psychiques singulières de celle et de celui qui s'apprêtent à devenir parents. Dès lors, des questions, dont la simplicité n'est qu'apparente, s'imposent : Qu'est-ce qu'un père? Qu'est-ce qu'une mère? Comment être parent? Et qu'est-ce que le désir d'enfant?

 

Bibliographie

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Recebido em: 04/07/2007
Aprovado em: 14/07/2007

 

 

Sobre a autora:

* Professor Adjunto em Psicologia e Psicopatologia Clínica Faculdade de Psicologia e de Ciências da Educação, Universidade Louis Pasteur, Strasbourg 1, France. Endereço para correspondência: 7, rue de la Poutrelle 67100, Strasbourg, France. Endereço eletrônico: m.spiess@wanadoo.fr.

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