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Trivium - Estudos Interdisciplinares

versão On-line ISSN 2176-4891

Trivium vol.9 no.2 Rio de Janeiro jul./dez. 2017

http://dx.doi.org/10.18379/2176-4891.2017v2p.210 

ARTIGOS TEMÁTICOS

 

Le rêve, une robe cousue de langage

 

The dream, a sewn dress of language

 

O sonho, um vestido cosido de linguagem

 

 

Ludivine Beillard-Robert

Doctorante en psychologie Université Rennes II - Haute Bretagne. Membre du Laboratoire de « Recherche en psychopathologie nouveaux symptômes et lien social» Equipe d'accueil 4050. Psychologue clinicienne, Endereço: Place Recteur Henri le Moal, 35000 Rennes, França. E-mail: ludivine.beillardrobert@gmail.com

 

 


Résumé

En prennant compte des fils du langage qui tissent le rêve comme formation de l'inconscient, nous nous proposons à considérer le lien du langage à la couture et aux vêtements. Puisque nous savons que certaines expressions font partie du langage de vestiaire, nous considérons que l'usage étimologique des mots, du vestiaire au langage courant, ou du langage courant au vestiaire, offre un tableau de reférences pour les habits. Ça veut dire qu'à partir de cette incursion dans les rêves du classique de la couture et du vestiaire, nous pouvons intérroger la pénétration du langage de vestiaire dans l'inconscient.

Mots-clé: VESTIAIRE, LANGAGE, RÊVE, PSYCHANALYSE.


ABSTRACT

We rely on the linguistic threads that weave the dream as the formation of the unconscious. Our aim is to consider the link that language maintains with sewing and clothing. Since, in addition to the expressions making use of the field of clothing, there are as many uses of words and etymological slides which, from clothing to common language, or from language common to clothing, offer a panel of references to clothing. So that from this incursion of the lexicon of sewing and clothing into the dream, we will question the impregnation of the clothing language in the unconscious.

Keywords: CLOTHING, LANGUAGE, DREAM, PSYCHOANLYSIS.


RESUMO

Se tivermos em conta os fios da linguagem que tecem o sonho como formação da inconsciência, o nosso propósito tem por finalidade considerar a ligação que a linguagem tem com a costura e a vestimenta. Sabendo que certas expressões fazem parte integrante do vestimentário, consideramos que também o uso de palavras etimológicas, que do vestuário à linguagem corrente, ou da linguagem corrente ao vestuário, oferecem um painel de referências às roupas. De maneira que, a partir desta incursão do clássico da costura e do vestuário nos sonhos, possamos interrogar a penetração da linguagem vestimentária no inconciente.

Palavras-chave: VESTUARIO, LINGUAEM, SONHO, PSICANALISE.


 

 

Au fil de l'écriture d'une thèse sur la robe, un pan s'est dévoilé, pan qui, dans l'après-coup, s'impose comme une évidence et que je propose de déplier. Il en va du lien que le langage entretient avec la couture et l'habillement. Pour preuve, la multiplicité des expressions qui de « tailler un costard à porter la culotte », ou « se prendre une veste », usent du vocabulaire de l'habillement, pour former ce que l'on pourrait nommer les « idiotismes vestimentaires » de la langue. Outre les expressions, se sont autant d'usages de mots et de glissements étymologiques qui, du vêtement au langage courant, ou du langage courant au vêtement, offrent un panel de références à l'habit. De sorte qu'à partir de cette incursion du lexique de la couture et de l'habillement dans le langage, nous puissions interroger l'imprégnation du langage vestimentaire dans l'inconscient.

D'abord, un repérage historique. Il est notable que dans les prémices de la théorisation freudienne, la naissance de la psychanalyse dépende d'un intérêt pour le langage. De sa « Contribution à la conception des aphasies » (1893), au texte « L'Inconscient » (1915), Freud met en évidence la centralité langagière dans l'inconscient, et se soutient notamment sur ce point de la particularité du rapport au langage dans le rêve. Les mots du rêve étant isolés de leurs connexions discursives, privilégiés en tant que signes linguistiques, fragmentés et assemblés indépendamment de toute logique grammaticale.

 

 

Deux mécanismes s'y montrent particulièrement remarquables. La condensation et le déplacement, qui offrent à chaque représentation inconsciente d'être surdéterminée par une pluralité de lignes associatives organisées en réseaux, dont l'exploration des associations conduit à une multitude de sens. Freud, à ce titre, compare dans « Le rêve de la monographie botanique » (1900), ce phénomène au travail du tisserand, alors qu'il élève le signifiant botanique au rang de point nodal « où se rejoignent pour donner le rêve d'innombrables cheminements de pensée qui, dans cette conversation, sont entrés en corrélation de façon justifiée. On se trouve ici au beau milieu d'une fabrique de pensées, dans laquelle, comme pour réaliser le chef-d'œuvre du tisserand, ''Une pression du pied met en mouvement mille fils, les navettes vont et viennent à vive allure, les fils glissent sans qu'on les voie, un seul coup donne mille liaisons'' ». A tel point, que le désir qui se trouve à la source du rêve, et alors recouvert par le mot et la multiplicité de ses sens, peut ainsi échapper à la censure. S'agissant de l'effet de recouvrement du langage dans le rêve, une formule de Freud attire notre attention. Celle-ci s'appuie sur un conte d'Andersen (1837) : « Les habits neufs de l'empereur ». Dans ce conte, deux imposteurs tissent pour l'empereur un vêtement précieux, mais de telle manière que seuls les sujets bons et loyaux peuvent le voir. L'empereur sort, vêtu de la robe invisible, et chacun des passants, effrayés par le pouvoir révélateur du tissu, feint de ne pas s'apercevoir qu'il est nu. Freud (1900) indique qu'il s'agit d'une allégorie de la situation du rêve, telle qu'elle « fourni une incitation à inventer un habillage dans lequel la situation qui se présente au souvenir devient riche de sens.». Voici qui n'est pas sans résonner avec notre propos, d'autant que la formule que Freud (1900) en déduit s'énonce comme suit : « Le rêve est l'imposteur, et l'empereur est le rêveur qui se promène nu en public habillé par une robe invisible. »

Avec cette métaphore du rêve-imposteur Freud montre que le rêve enrobe, qu'il enveloppe, c'est même sa fonction de figuration signifiante. Le rêve est la robe qui couvre et découvre la nudité du réel, que seul le recourt au symbolique du signifiant peut cerner. Du réel, le rêveur ne perçoit que ce qui a été relevé et imaginarisé par le langage, de sorte que le rêveur se trouve coupé de ce réel qui constitue l'ombilic de son rêve. Le réel, disait Lacan (1964/1986), « c'est au-delà du rêve que nous avons à le chercher — dans ce que le rêve a enrobé, a enveloppé, nous a caché, demeure le manque de la représentation dont il n'y a là qu'un tenant-lieu ». De fait, les manifestations de l'inconscient sont à chercher dans les processus qui conduisent le sujet au symbolique, puisqu'il est articulé au langage. Nous pourrions dès lors pousser la métaphore freudienne, en faisant du rêve, une robe cousue de langage. De sorte que, s'agissant du langage vestimentaire, le vêtement et ses déclinaisons, en tant que matériau langagier se constituent comme matière symbolique, habillage de signification qui se veut accessoire d'un tissu de sens et de métaphores. Les rêves en témoignent, tel celui de cet homme, patient de Freud, extrait de « L'Interprétation des rêves » (1900) :

« Celui-ci a rêvé qu'il remettait son manteau d'hiver, ce qui est terrible. (...) La première chose qui vient à l'esprit lors de l'analyse est le souvenir d'une dame qui lui a dit hier en confidence que son dernier enfant devait la vie à un condom déchiré. Il reconstruit ainsi ses pensées : un condom mince est dangereux, un condom épais est mauvais. Le condom peut à bon droit être nommé par-dessus, on le met en effet par-dessus ; c'est le nom que l'on donne aussi à un manteau léger. S'il arrivait à ce célibataire ce que la dame lui a raconté, ce serait en effet terrible pour lui. »

Nous pouvons ici reconnaître la manière dont le langage use des mots du vêtement, détournés de leurs formes figurées, pour s'offrir comme support à la métaphore. Alors que la métaphore, en son principe, est le fruit des rapports de similitudes et de substitution des signifiants dans le discours, elle s'atèle à une « substitution signifiante » (1957) telle que le nomme Lacan, à savoir, désigner un signifiant par un autre signifiant, un « manteau » pour un « condom ». Dans la mesure où la métaphore montre que les signifiés ne tirent leur cohérence que du réseau des signifiants, le caractère de cette substitution signifiante démontre l'autonomie du signifiant par rapport au signifié et, par conséquent, « la suprématie du signifiant » (1973). Dans ce rêve, la mutation du « condom » remplacé par le « par-dessus » et le « manteau », renvoie à la manière dont le sujet se trouve agit par le langage, à son insu, dans son rapport avec l'inconscient. La suprématie du signifiant prend consistance dans une domination du signifiant sur le sujet qui le prédétermine, là où ce dernier croit se soustraire à toute détermination de ce langage qu'il croit maîtriser. C'est en tant qu'il signifie, que le vêtement se joue de la signification et devient support à la métaphore. Et qui mieux que le vêtement pour s'inscrire comme métaphore du corps alors que c'est de lui, que le sujet s'habille. Tout comme le langage, puisqu'en tant que langage, l'inconscient se grime du signifiant vestimentaire, et des mots de la couture, comme autant de supports possibles à la constitution de lapsus ou, de représentations dans le rêve, autant de vêtements que d'habillages du sujet de l'inconscient. La présence du mot de la couture et du vêtement s'y trouve donc à entendre dans sa singularité de mot. Si bien que l'on peut dire du langage vestimentaire et de sa fonction signifiante qu'il participe de ce qui scelle le sujet à son discours, en tant que sujet de l'inconscient.

Rien d'étonnant alors qu'outre la présence accordée aux vêtements dans le matériel du rêve, l'interprétation en élargisse l'emploi. En tant que l'interprétation, comme l'indique Henri Rey-Flaud (2000), « consiste à « prêter du sens » dans l'espace vide qui se trouve entre deux langues. » De sorte qu'elle « conserve l'écart entre le dit et le dire, soit du contenu manifeste au contenu latent, comme elle le fait du contenu latent à la source du signifiant. » Prêtant du sens, l'interprétation s'atèle à une tentative de déchiffrage des intentions de signification de l'inconscient, mais par là même, confirme que le sujet ne pourra jamais échapper au signifiant. Alors, ayant établi que le vêtement n'était autre que du signifiant, observons ce que l'interprétation d'un rêve peut faire d'un vêtement. Appuyons nous sur un autre rêve extrait du texte freudien (1900), celui dit du piano, dont voici le récit. « Son mari demande : Ne faudrait-il pas faire accorder le piano ? Elle : Ce n'est pas la peine, il faut d'abord le faire recouvrir. » Contrairement au précédent rêve du manteau, nous entendons que ce rêve ne présente aucun signifiant vestimentaire clairement figuré, mais voyons comment l'énonciation et les associations y feront pourtant apparaître une veste.

Dans un premier temps du travail associatif, émerge l'idée du piano comme une « boîte dégoûtante qui donne un mauvais son », cependant la solution émerge pour Freud avec la phrase : « Ce n'est pas la peine. » Phrase prononcée la veille alors que la jeune femme se trouve en visite chez une amie. « On l'engageait à enlever sa veste, elle s'y est refusée en disant : « Ce n'est pas la peine, je m'en vais tout de suite. » C'est à cette seconde scène que Freud associe un geste produit par la patiente en analyse, celui de porter brusquement « la main à sa veste dont un bouton venait de s'ouvrir ». Freud (1900) d'analyser « c'était comme si elle avait dit : « Je vous en prie, ne regardez pas de ce côté, ce n'est pas la peine. » », et de cette manière, par le jeu de la métonymie, elle remplace le signifiant « boîte : Kasten » par « poitrine : Brust-kasten », que Freud renvoie à l'amorce juvénile de l'insatisfaction de sa patiente, à l'égard de sa poitrine, alors jugée « dégoutante ». Dans ce rêve, la métonymie impose un transfert de dénomination dans lequel un nouveau signifiant, « piano », entre dans un rapport de contiguïté avec un signifiant antérieur « poitrine » qu'il remplace. Si bien que, pour Lacan (1957/1966) la métonymie « marque l'irréductibilité où se constitue dans les rapports de signifiant au signifié, la résistance à la signification. » C'est par ce jeu de résistance des effets de glissement signifiants qu'apparaît la main au bouton de la veste et l'habillage du corps. Un corps qu'il ne s'agit à aucun moment de dévoiler, puisqu'il n'est pas question pour elle de tomber la veste. Bien au contraire. Alors que la poitrine est associée à un vécu de dégoût, la veste offre la voie d'accès au processus métonymique. C'est la veste qui permet de faire tenir quelque chose du côté d'un habillage. L'habillage de l'affect de dégoût qui se voit représenté dans le rêve du piano.

Entendons alors les termes choisis par Freud (1900) pour désigner le déplacement, il parle de travestissement ou de déguisement du sens. Il semble que nous puissions cerner le poids des termes choisis Freud, comme un appel aux signifiants de l'habillement. Puisqu'il s'agit pour le rêve d'habiller le réel là où celui-ci, dans le rêve, tendrait à vouloir se montrer de façon trop crue, dénudée de son tissu signifiant. A sa manière, le rêve signifie, et ce dans un battement entre montrer et cacher. Au moment où il énonce, le rêve cache, puis dans celui où il traduit, il se réfugie dans le refoulement. « L'interprétation du rêve n'est pas plus le rêve que le rêve n'est l'inconscient », rappelait Freud (1900) à ses élèves, reprécisant alors que le rêve ne se réduisait pas à un texte dont l'interprétation délivrerait au sujet une vérité inconnue de lui-même. Si bien que le rêve s'apparente à ce qui pourrait être un pur discours de l'inconscient, pur discours qui ne dit, ni ne cache, mais signifie. Le rêve au même titre que la parole, le rêve comme pure énonciation.

C'est alors à partir de la mise en évidence des liens entre inconscient et langage, qu'il nous semble pouvoir entrevoir le motif des irruptions du vêtement et de la couture dans le rêve et donc dans le discours. A ce titre il importante de souligner que la lecture de « L'Interprétation des rêves » abonde de mots du vêtement. Robes, chemises, poches, gants, chapeaux, etc. s'y trouvent amplement déployés à travers les rêves et les interprétations qui en sont faites. Si bien que nous ne puissions entrevoir qu'une telle représentation vestimentaire, outre les effets de signification dont elle découle, ne soit sans lien avec le corps, le corps comme réel.

Posant cela, il apparaît que la particularité de certains rêves nous permette de faire ce pas supplémentaire. Du rêve, nous l'avons vu, Freud enseigne qu'il est la voie royale qui mène à l'inconscient, qu'il n'est que pur langage. Ce que Lacan (1955/1981) reprend et poursuit d'un « ''le rêve vous dit quelque chose'' Et la seule chose qui nous intéresse, c'est cette élaboration à travers laquelle il dit quelque chose, il dit quelque chose comme on parle. » Que penser alors des rêves de nudité ? De quoi parlent-ils ? Les rêves de nudité, ces rêves caractéristiques des rêves que Freud nomme « typiques ». Typiques dans le sens où Freud (1900) remarque « que presque tout le monde [les] a fait de la même manière, et dont nous avons coutume d'admettre qu'ils ont aussi le même sens chez tout le monde ». Dans ces rêves, le rêveur, qui se trouve en situation d'arriver à l'école en pyjama, ou bien d'être en tenue négligée au travail ou en publique, explique vouloir « prendre la fuite ou se cacher et se retrouve alors victime de cette inhibition caractéristique qui fait [qu'il] n'arrive pas à bouger de là et [qu'il] se sent incapable de rien changer à cette situation pénible. »

Freud (1900) indique qu'en dépit de la liberté que chacun y manifeste, les rêves typiques « méritent une attention toute particulière, parce qu'ils ont probablement les mêmes sources chez tous les hommes et peuvent nous fournir des indications sur ces sources. » Il apparaît que cette « source » soit le langage et, ce dont ils parlent, et bien, c'est de vêtements. De vêtements absents, révélant la nudité d'un rêveur, de vêtements totalement inappropriés à la circonstance dans le rêve, ou encore, de vêtements qui ne couvrent pas assez le corps du rêveur. Bref, de vêtement comme marque du langage sur le corps.

Une autre note de Freud (1900) attire notre attention, puisqu'il y met l'accent sur l'association entre nudité et honte comme se trouvant au primat de la typicité du rêve. Il indique en effet que les rêves de nudité ne méritent un intérêt que dans la mesure où ils se trouvent associés à « de la honte et de la gêne », et à partir de là, il repère que ce n'est que « dans cette association que le rêve est typique. » Si bien qu'un autre point s'avance pour nous : ce qui se trouve représenté dans ces rêves est la nudité, et puis, l'Autre. L'Autre témoin du défaut d'habillement, l'Autre qui voit.

Cela renvoie au défaut d'habillage du corps et à l'embarras qu'en éprouve le sujet dans son rapport à l'Autre. L'Autre qui, pour Jacques Lacan se pose comme trésor des signifiants. Des signifiants comme préalables nécessaires à la constitution d'un sujet, et qui, en cela opèrent une marque sur le corps, lui donnent consistance mais toujours sous couvert d'un ratage. Des signifiants tels des habits qui recouvrent la nudité du sujet. Puisqu'aux prémices de l'advenue du sujet il est déjà vêtu des mots, ceux de l'Autre. Parlé avant la naissance. Si bien que la nudité jaillie dans les signifiants de l'Autre, là où pour soi-même elle est inexistante. Le rêveur ne se trouve jamais seul. Freud (1900) rapporte un rêve de nudité, celui d'un soldat déshabillé par les dires d'un adjudant ayant vu qu'il avait perdu un bouton et s'exclamant « Vous êtes nu ! ».

Au cœur des rêves de nudité, baigne l'empreinte laissée par la morsure du langage sur le corps, puisque de l'habit, il manque un bout. Jamais la tenue n'est au complet. Sans pantalon, sans bouton ou sans maquillage, toujours le corps se trouve empreint d'un manque. Celui que laisse la castration du langage. Un corps qui, dépouillé de ses habillages dans le rêve, laisse le sujet nu, sans le secours du langage et de la métaphore signifiante qu'il constitue pour le sujet. Freud (1916-1917) effectue une analogie entre le rêve typique et le symptôme typique, indiquant qu'il existe « des symptômes individuels et des symptômes typiques, comme pour les rêves, mais il n'y a pas de différences fondamentales entre les deux ; les symptômes typiques s'expliquent par la communauté des situations humaines » Il en va donc de même pour le rêve. Et ce qui fonde la communauté des situations humaines sont le langage et le corps. Un corps que le sujet nécessite d'habiller puisque comme l'énonce Lacan (1973/1974) « le sujet de l'inconscient ne touche à l'âme que par le corps, d'y introduire la pensée. (...) Il pense de ce qu'une structure, celle du langage - le mot le comporte - de ce qu'une structure découpe son corps, et qui n'a rien à faire avec l'anatomie. » De fait, le vêtement s'envisage comme une découpe signifiante laissée par l'inconscient sur le corps, découpe signifiante qui offre au sujet de se tenir, par le langage, d'une tenue vestimentaire.

Considérant le vêtement pour sa valeur signifiante et les nouages qu'il entretient de fait avec l'inconscient, s'engage pour nous la nécessité d'un appel à la linguistique comme fil constitutif de notre élaboration. Alors que la littérature romanesque fait émerger une forme de langage vestimentaire, la question interpelle les linguistes, Roland Barthes en tête. « Le vêtement est un de ces objets de communication, comme la nourriture, les gestes, les comportements, la conversation, que j'ai toujours eu une joie profonde à interroger parce que, d'une part, il possède une existence quotidienne et représente pour moi une possibilité de connaissance de moi-même au niveau le plus immédiat car je m'y investis dans ma vie propre, et parce que, d'autre part, il possède une existence intellectuelle et s'offre à une analyse systématique par des moyens formels. » (1981) Ce qui l'interpelle est la rapidité qui conduit à qualifier le vêtement de langage, et l'effet de raccourci que cela engage par le même temps. Il indique sur ce point qu'il s'agit d'« une langue à la fois parlée par tout le monde et inconnue de tous. » (1981)

Barthes déplie les mécanismes en jeu dans le langage de la mode, et repère que l'écriture vestimentaire relève de la poésie, de la poésie en tant qu'elle est une forme de recouvrement symbolique. Signifiant du code vestimentaire, Barthes remarque que le vêtement se veut rencontre entre matière et langage ; et en cela qu'il peut être le lieu d'une connotation rhétorique à valeur poétique, puisqu'il tient sa spécialité de la nature matérielle de l'objet qui s'y trouve décrit. Certes, il peut « y avoir imposition d'un langage à un objet sans pour autant avoir affaire à la poétique. (...) On peut décrire techniquement une machine par simple nomenclature de ses éléments et de ses fonctions » (1967). Néanmoins, s'agissant de la rhétorique vestimentaire, un renversement poétique s'applique sous couvert d'un passage « de la fonction réelle » du vêtement « au spectacle, même lorsque ce spectacle se déguise sous les apparences d'une fonction. » En somme, pour Barthes, c'est en décrivant un objet matériel en dehors du champ de la construction, que la rhétorique vestimentaire passe dans la poétique. Glissant de l'objet technique à la poésie, l'écriture de mode déshabille le tissu et sa coupe de leur superbe, et trouve fait de poésie en ce que le vêtement est objet qui se « déguise sous les apparences d'une fonction », lui offrant ainsi « un sens second » (1967).

Repérons que là où la sémiologie barthésienne inscrit le vêtement comme langage, l'apport psychanalytique semble pouvoir avancer quelques solutions à ce que recouvre la poétique de la mode. Lacan (1977), qui aura su s'appuyer sur la linguistique pour aborder le lien entre langage et inconscient, n'aura de cesse de s'intéresser à l'écriture, y repérant un moyen « d'atteindre le langage ». Si bien qu'avec Lacan, une approche psychanalytique enrichie de la linguistique structurale, permet de pousser plus loin la question premièrement soulevée par Barthes, d'un vêtement comme langage, ce à partir de ce que Lacan soulève de l'impact du langage sur le corps.

Avec son « Discours de Rome » (1966), Lacan trace la place centrale qu'occupent la parole et le langage dans l'inconscient. De la parole une partie manque toujours. Là se trouve l'effet produit par la castration, elle creuse le sillon du malentendu en tant que fait de structure que la psychopathologie de la vie quotidienne montre sans cesse. Le rêve de vêtement nous en aura dévoilé un pan. Les formations de l'inconscient ne peuvent être évoquées que par l'entremise de la parole, or, l'effet du signifiant, qui représente toujours le sujet auprès d'un autre signifiant, engage le sujet pris dans le langage, à toucher de façon intime à la castration. Barthes suppose que le langage de mode n'existe que par la fonction rhétorique qu'il détient. Nous apercevons en réalité comment Barthes touche ce faisant à l'impasse d'une analyse du discours de la mode, en ce que tout ne peut être dit s'agissant du langage.

La particularité du vêtement est qu'il touche aux deux faces du réel. Le en tant qu'il laisse le langage de mode dans l'impossibilité de tout dire, tout autant qu'au réel que cache ce qui résiste à la symbolisation. Le réel qui fait trou dans le symbolique. Le réel dans son extrême radicalité de rien. Or, ce qui rend compte du rien, dans l'expérience du parlêtre, c'est le trauma. Avec l'entrée dans le langage, l'homme rencontre le réel comme trauma notamment du sexuel. Il fait irruption pour le sujet, comme une extériorité, un corps étranger qu'il est impossible de résorber, et qui peut précipiter le sujet dans l'effroi par l'irruption de la pulsion et du désir. Alors que la morsure du langage fraye le parlêtre dans un au-delà des signifiants de l'Autre, quelque chose de lalangue se déverse dans la jouissance de la parole et impacte le corps. Lacan analyse l'inconscient à partir de la dimension de la parole, en tant que le sujet comme parlêtre s'en trouve imprégné, marqué à la culotte avant sa naissance. Ce qu'une tradition pas si ancienne transpose d'ailleurs, imposant que l'on brode le prénom de l'enfant à naître sur sa layette, façonnant ainsi un habillage signifiant pour l'enfant à venir. Repérons comment ce marquage se déplie de la Genèse à l'époque contemporaine.

De la Genèse émerge un point crucial qui fait que dans notre culture, la nudité se trouve inséparable de son empreinte théologique. C'est après avoir commis le péché originel que la nudité frappe Adam et Eve : « Alors chacun ouvrit les yeux et ils virent qu'ils étaient nus ». Ce que rappelle le théologien Erik Peterson (1943), qui fut le seul à écrire sur la nudité : « Il n'y a de nudité qu'après le péché. Avant le péché, il y avait absence de vêtement mais cette absence n'est pas encore une véritable nudité. La nudité présuppose l'absence de vêtements, mais elle ne se confond pas avec elle. La perception de la nudité est liée à cet acte spirituel que l'Ecriture sacrée définit comme l'ouverture des yeux. La nudité est quelque chose qu'on aperçoit, tandis que l'absence de vêtements passe inaperçue. » Giorgio Agamben de repérer à son tour, dans son essai « Nudité » (2009), qu'« avant la chute, et bien qu'ils ne fussent recouverts d'aucun vêtement, Adam et Eve n'étaient pas nus : ils étaient recouverts d'un vêtement de grâce, qui collait à leur corps comme un vêtement de gloire. (...) Et c'est de ce vêtement surnaturel que le péché les prive. Et les voici dénudés, obligés de se couvrir en confectionnant de leurs mains un pagne en feuilles de figuier. »

Si bien qu'au commencement ne se trouve pas la morsure de la pomme, mais comme l'indique le prologue de l'Evangile selon Saint Jean, « au commencement était le verbe ». La morsure qui préexiste n'est autre que celle du langage, celle qui induit qu'il y a absence de vêtement et donc méconnaissance de la nudité. Reconnaissons qu'en dehors du langage, la nudité ne possède pas d'existence, il n'en existe aucune représentation. Il aura fallu le langage pour atteindre une représentation de la nudité par le biais de l'appel au signifiant « nu », et l'indécence qui s'y associe. Or, de quelle manière se figure la nudité avec la Genèse, si ce n'est par l'appel à la feuille de figuier comme voile poser sur l'indicible. C'est dans le langage que se situent les prémices de l'habit, le langage qui donne consistance au corps et engage la nécessité à s'habiller. Au commencement se trouvait donc le langage, par lequel la rencontre avec son manque fut connectée une nécessité d'en habiller l'angoissant effet. De sorte que mordus par le langage de l'Autre divin, qui nomme pour eux l'interdit du péché, Adam et Eve furent contraints de s'affubler d'une feuille comme marque distinctive les représentants.

Une marque. Celle même qui aujourd'hui batifole avec la mode, pourvue qu'elle face signe d'une inscription. Celle du logo qui offre au sujet, adolescent (mais pas que) de se loger dans les signifiants d'un Autre, autre que parental. « C'est de la marque ? » se jauge-t-on, afin de reconnaître la valeur d'une appartenance. Face à quoi les parents s'insurgent, parce que la marque à la mode, ça a un prix ! Autre marque de la castration. Choix est à faire pour le sujet, entre la soumission au désir d'un Autre parental, qui dit son insatisfaction à devoir payer le prix d'un langage vestimentaire auquel il ne comprend rien ; ou la soumission à l'Autre du groupe social, prêt à tout, même à la laideur ou au ridicule, pour se conformer à son Autre de la mode. Au commencement vestimentaire donc, était le langage, qui aujourd'hui s'inscrit en toutes lettres sur nos sweat-shirts à la mode.

 

Referências

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Recebido em: 22/03/2017
Aprovado em: 13/07/2017

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