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Trivium - Estudos Interdisciplinares

versão On-line ISSN 2176-4891

Trivium vol.14 no.spe Rio de Janeiro abr. 2022

 

OS DISCURSOS E AS CAUSAS

 

La société scopique et l'état numérique

 

The scopic society and the digital state

 

A sociedade escópica e o estado digital

 

 

Antonio Quinet

Psicanalista. Docente do Programa de Pós-graduação stricto sensu em Psicanálise, Saúde e Sociedade (UVA). E-mail: quinet@openlink.com.br

 

 


RÉSUMÉ

Este artículo aborda la psicología de las masas en la era digital a partir del concepto de "sociedad escópica" desarrollado por el autor en su libro Um gaze a mais, que es la conjunción de la "sociedad del espectáculo" (Debord) con la "sociedad sociedad disciplinaria" (Foucault) a la luz de la pulsión escópica (Freud) y la mirada como objeto a (Lacan). La sociedad escópica se materializa en las redes sociales, promoviendo una gran fraternización del mundo donde todos son transparentes y vigilados por un Otro anónimo y también blanco de anuncios comerciales y políticos. En el puesto de mando está el lugar topológico del objeto Además-de-Mirada, que puede ser ocupado por cualquiera a todos los efectos.

Mots clés: PSYCHOLOGIE DE MASSE; SOCIÉTÉ DE SCOPIQUE; SOCIÉTÉ DISCIPLINAIRE; AFFICHER LA SOCIÉTÉ; PLUS-LE LOOK.


ABSTRACT

This article approaches the psychology of the masses in the digital age from the concept of "scopic society" developed by the author in his book Um gaze a mais, which is the conjunction of the "society of the spectacle" (Debord) with the "disciplinary society" ( Foucault) in the light of the scopic drive (Freud) and the gaze as object a (Lacan). The scopic society materializes in social networks, promoting a bigbrotherization of the world where everyone is transparent and watched by an anonymous Other and also targets of commercial and political advertisements. In the command post is the topological place of the Most-of-the-Look object, which can be occupied by anyone for all purposes.

Key words: MASS PSYCHOLOGY; SOCIETY OF SCOPIC; DISCIPLINARY SOCIETY; SHOW SOCIETY; MORE-THE LOOK.


RESUMO

Este artigo aborda a psicologia das massas na era digital a partir do conceito de "sociedade escópica" desenvolvido pelo autor em seu livro Um olhar a mais, que é a conjunção da "sociedade do espetáculo" (Debord) com a "sociedade disciplinar" (Foucault) à luz da pulsão escópica (Freud) e do olhar como objeto a (Lacan). A sociedade escópica se concretiza nas redes sócias, promovendo uma bigbrotherização do mundo onde todos são transparentes e vigiados por um Outro anônimo e também alvos de propagandas comerciais e políticas. No posto de comando encontra-se o lugar topológico do objeto Mais-de-olhar, o qual pode ser ocupado por qualquer um para todos os fins.

Palavras-chave: PSICOLOGIA DAS MASSAS; SOCIEDADE DE ESCÓPICA; SOCIEDADE DISCIPLINAR; SOCIEDADE DE ESPETÁCULO; MAIS-DE OLHAR.


 

 

En cette ère de connectivité, notre société s'est transformée en une « société numérique scopique » dans laquelle le regard prévaut, où voir et être vu est devenu une prérogative, en favorisant non seulement l'impératif de se montrer et l'esprit selfie qui prend possession des corps parlants, mais aussi la surveillance à laquelle nous sommes soumis en permanence par des caméras, GPS, localisateurs, robots, etc., favorisant une « paranoïsation » de masse. De nos jours, à l'ère d'Internet et des fuites de données, nous savons que nous sommes espionnés à de nombreuses fins différentes, à commencer par le marché. « Ils » savent qui sont nos amis, nos préférences politiques, idéologiques, musicales, cinématographiques, livres, vêtements, objets de consommation et aussi nos préférences sexuelles.

Dans plusieurs pays du monde, l'État utilise le dispositif de la « paranoïsation » pour contrôler, surveiller et punir les citoyens et les influencer dans leurs choix, du feuilleton au candidat politique. Ainsi, la société disciplinaire scopique s'est transformée, comme Michel Foucault l'a souligné dans Surveiller et punir1, un grand panoptique. Ceci est décrit par Jeremy Bentham (2008) comme la forme architecturale consistant en une grande tour dans une cour ouverte entourée à quelques mètres d'une construction ronde à cellules ouvertes et transparentes, de telle sorte qu'un gardien dans la tour centrale puisse tout voir (sans être vu) de ce qui se passe dans les cellules. Le panoptique était la solution en termes de technologie architectonique aux problèmes de contrôle et de surveillance de la part des pénalistes, médecins, éducateurs et industriels qui, tout en s'appuyant sur ce dispositif, ont bâti des prisons, des hôpitaux, des écoles et des usines.

Ensuite, le panoptisme s'est emparé de toute la société, plaçant des caméras dans les rues, les maisons, les bureaux, etc. Plus tard, avec la révolution numérique et l'avènement d'Internet, toutes les données, goûts, parcours dans la ville, préférences sexuelles et projets de chaque utilisateur ont commencé à être visualisés. La société scopique a gagné le panoptisme numérique comme allié et ainsi le fonctionnement de la forme architecturale du panoptique est maintenu : la transparence de l'utilisateur et l'invisibilité du gardien.

Société escopique est un nom que je propose depuis 1996, lorsque j'ai soutenu ma thèse de doctorat en philosophie à l'Université Paris VIII, sous la direction d'Alain Badiou, à partir de la psychanalyse. C'était le produit de mes recherches sur la pulsion scopique, le voir-être-vu dans la clinique et dans la société. L'expression que j'ai inventée depuis – société scopique – est la conjonction de la société du spectacle, décrite par Guy Debord (1997), avec la société disciplinaire, développée par Michel Foucault, relue à partir du regard comme objet a, l'objet plus-de-jouir, que je nomme objet plus-de-regard – objet impossible à voir mais qui cause le sujet qui voit regardé voire persécuté. Je ne pouvais pas imaginer à quel point cette thèse était une prémonition du grand processus de grande paranoïsation que le monde subirait à l'ère numérique.

C'est le regard, comme objet a, exclu de la symbolisation primordiale (S1-S2), qui retourne à la civilisation, apportant l'impératif du surmoi d'une poussée scopique pour jouir : un commandement du donner-à-voir, de se montrer, de montrer patte blanche, de se rendre visible. Dans la société scopique, pour exister il faut être vu par l'Autre. Ainsi s'établit la croyance que la vision de l'Autre est signe d'amour. Un nouveau cogito s'inaugure : je suis vu, donc je suis.

L'expansion du phénomène religieux et de son pendant fondamentaliste est aujourd'hui aussi un fait dérivé du développement de la société scopique avec son cogito du regard divin : Dieu me voit, donc je suis. La religion est un système de représentation qui, comme le délire, constitue un cadre pour le regard, le faisant ainsi consister en l'imaginaire de la croyance. Ce système trouve en Dieu son « Être-suprême-en-vue » en deux versions : le bien et le mal. Du bien, c'est le Dieu de la religion ; du mal, l'Être suprême en malignité de Sade, décrit dans Philosophie dans le boudoir, qui se personnifie dans le diable des religions chrétiennes.

Guy Debord a diagnostiqué notre société : c'est une société du spectacle, avec son impératif de se montrer dans une société où tout est spectacle. Le monde réel est transformé en images pour le plaisir du spectateur. Orgies sanglantes, bacchanales de membres cassés envahissent notre quotidien live, atrocités en direct. Ce sont des images du spectacle qui apportent la jouissance du regard qui réveille le spectateur avec une horreur excitante. La pulsion scopique se satisfait dans l'imaginaire par son visage silencieux et tragique, imprimant des images indélébiles inscrites par la pulsion de mort, collées au regard meurtrier du réel libidinal. Les youtubeurs usent de ce pouvoir d'image trash, d'eschatologies qui scandalisent pour attirer des followers.

D'autre part, chaque entreprise doit entrer dans le monde du spectacle, du marketing visuel qui utilise la fascination des images, sur Facebook, Instagram, TikTok, Reals, etc., pour vendre leurs produits. Ainsi, au service du discours capitaliste, objet à consommer, la marchandise gagne l'éclat de l'objet scopique, cause du désir, pour faire semblant d'un objet en chair et en os de désir pour le consommateur qui ne résistera point à l'acheter. Il n'y a pas de business comme le show-business.

Sur un plan subjectif, la société scopique, impulsée par le discours du capitalisme, s'approprie le narcissisme des gens pour transformer la pulsion exhibitionniste du sujet en impératif publicitaire, lui ordonnant de tout faire pour être une vedette, avoir de plus en plus de likes et d'adeptes sur les réseaux sociaux, et conquérir une place au soleil virtuel. La société scopique numérique renouvelle l'illusion que le soleil brille pour tout le monde en faisant signe à toute personne ayant la possibilité de devenir une célébrité virtuelle.

Au niveau de la psychologie des masses et de la manipulation de la population dans la société scopique, le plus-de-regard, objet de jouissance, est élevé au rang de maître/seigneur et utilisé par des dirigeants fusionnant ainsi le S1 de la loi avec le regard vigilant et exigeant du Big Other. Le regard représente le surmoi du sujet, instance de surveillance permanente, qui peut s'incarner dans le regard du meneur et de l'hypnotiseur2 qui occupe la place de l'Autre pour le sujet.

La loi symbolique comme maxime pure qui s'exprime en tant qu'une injonction pour le sujet (S1) et la loi du surmoi – comme instance de surveillance et de critique (a) qui le fait se sentir surveillé et critique par un regard et une voix – sont les deux faces de ce que le sujet souffre de son instance morale. Sa conjonction (S1-a) fait de l'Autre celui qui veille, juge et punit. Un exemple au Brésil en est le président de la République s'adressant directement à ses électeurs via les canaux numériques. Avec cela, il fait un court-circuit, contournant toutes les instances de représentation démocratique pour influencer directement son électorat.

L'objet présent dans la loi à la place de l'Autre de la persécution s'exprime dans la clinique par le délire de l'observation et dans la civilisation par la structure panoptique de la société scopique où le regard de l'Autre fait la loi, produisant une paranoïsation généralisée.

Cette structure du regard comme objet a est présente dans l'architecture du panoptique de Bentham. En fait, le gardien n'a même pas besoin d'être là, il suffit juste d'un verre foncé dans la tour centrale pour faire exister le sentiment d'être vu de la part du prisonnier. Le panoptique dissocie le couple voir-être-vu et fait du sujet non pas un être qui voit, mais un être vu qui est constamment sous le regard de l'Autre, enfermé dans la pyramide visuelle de l'Autre. Ceci se reproduit dans le monde virtuel d'Internet une fois que nos données numériques sont sous le regard de l'Autre anonyme. Avec cet artifice, le panoptisme numérique rend le regard à la fois totalisant (et totalitaire) et individualisé pour chacun. Le regard est universel et pour tout un chacun unique. Cette structure est utilisée pour les pires manipulations – allant du consumérisme débridé à la persécution politique, en passant par la manipulation des électeurs.

Ainsi, le plus-de-jouir dans la société scopique est un pousse-à-se- montrer, avec sa jouissance excessive qui provoque à la fois la satisfaction – avec la performance de la jouissance exhibitionniste et l'éclat des images pour la jouissance voyeuriste – ainsi que le malaise de l'angoisse, de la peur et de la terreur d'être observé et d'être transparent pour l'Autre omnivoyant.

 


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Le plus-de-regard, qui est l'objet a dans sa dimension scopique, a une topologie d'extimité propre à l'objet a, à la fois externe et intime, mélangeant les sphères de ce qui appartient au sujet et à l'autre, et aussi le privé et le public.

La psychanalyse révèle que c'est la structure subjective de la relation du sujet à l'objet regard qui soutient l'effet du panoptique sur les sujets observés, et non pas l'inverse comme le croyait Foucault. Pour lui, chacun qui expérimente un regard posé sur lui, « finira par l'intérioriser au point de s'observer ; chacun exercera donc cette vigilance sur et contre lui-même » (Foucault, 2004, p. 218). Cette structure, elle est propre du sujet, comme la psychanalyse l'a dévoilé à partir de Freud avec la pulsion scopique et de Lacan avec l'objet regard comme objet a.

Le panoptique concrétisée par la société scopique – avant et après la société numérique – se dévoile dans la psychose paranoïaque avec le délire de l'observation2. C'est le fondement du raisonnement paranoïaque hyperamplifié à l'ère numérique.

Si Bentham a formulé la technique de l'oeil du pouvoir, c'est Freud qui a théorisé l'instance de surveillance et de critique – le surmoi – qui existe à l'intérieur du sujet, et Lacan qui y a nommé l'objet pulsionnel regard dans la jouissance impliquée. Cette structure subjective permet l'existence et la réalisation concrète du panoptisme dans la société.

La transparence est la grande ennemie de la politique, comme dit Rancière, qui est « menacée de mort lorsqu'il est question de la soumettre à l'espace médiatique de pleine visibilité et publicité » (Rancière, 2000). On peut dire qu'il en va de même pour la justice. Selon le criminaliste italien Antonio Cristiani (Université de Pise) : « Le secret est une garantie pour la justice et pour le citoyen » (Cristiani, 2000) – garantie établie même par le code de procédure pénale italien (article 329). Ce que l'on a vu au Brésil, c'est l'empire du regard et son usage obscène avec la mise en scène d'actes de la magistrature (Lava jato) ainsi que la manipulation de l'opinion publique à travers des condamnations faites non pas par des instances judiciaires démocratiques mais par les médias.

Actuellement, l'évolution technologique se passe effectivement du béton pour faire exister le panoptisme, en instituant l'arme du virtuel dans ses formes de télésurveillance, de menottes électroniques et d'écoute environnementale. L'ensemble du système électronique et numérique que nous utilisons actuellement est utilisé pour surveiller, influencer, acheter, voter, déterminer les goûts et les aversions, et élire et destituer les politiciens. C'est le placement ob-scène du regard de la société scopique numérique favorisant l'état paranoïaque.

 

L'état paranoque

Aujourd'hui, nous avons le Dieu Internet qui voit, entend et sait tout. Depuis juin 2013, nous connaissons le système américain d'espionnage de masse révélé par Edward Snowden. Nous sommes tous surveillés 24h/24. Lorsque vous êtes sur Internet, Google, les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, etc), WhatsApp, que vous envoyez et recevez des e-mails, que vous utilisez des localisateurs d'itinéraires tels que Waze et Google Maps, bref toutes vos données personnelles, les noms de vos proches, vos amis, vos goûts sexuels, vos vêtements, votre consommation en général, votre préférence politique, l'utilisation de votre temps, tout est correctement enregistré à toutes fins possibles : politiques, religieuses, et marketing.

Cette question mérite d'être débattue et intéresse le psychanalyste, car elle fait partie des subjectivités de son temps. Comme Snowden l'a dit dans une interview à la télévision brésilienne en juin 2014 (TV Globo, programme Fantástico), « ce débat ne concerne pas seulement la vie privée, mais l'essence de la liberté. Si nous veillons sur chaque homme depuis sa naissance jusqu'à l'heure de sa mort, pouvons-nous dire qu'ils sont libres ? Et Il ajoute encore quelque chose qui met en jeu le rapport d'asservissement du moi à la tyrannie du surmoi, rapport utilisé par la société scopique de l'ère numérique : « C'est dangereux, car on change de comportement quand on sait qu'on est surveillé. »

Cette tactique utilisée dans le panoptisme de la société disciplinaire (Foucault) est déjà utilisée en Chine pour déterminer le comportement des « bons citoyens ». En 2017, il a été révélé par le New York Times que la NSA (National Security Agency) collecte des images de nul autre que TOUT LE MONDE pour constituer une base de données d'images et de visages pour une reconnaissance immédiate par les robots.

« C'est comme si les États-Unis embauchaient des détectives privés pour suivre le monde entier », a commenté Snowden à propos du programme susmentionné. Le prétexte allégué de cette collecte de données – la lutte contre le terrorisme – est démenti par Snowden dans une interview d'août 2018 : « La manipulation des élections d'autres pays, notamment des pays voisins, fait partie des travaux menés par l'agence de renseignement. Les groupes terroristes ne sont pas considérés comme une menace majeure (pour les États-Unis). Ces programmes de surveillance ne sont pas des programmes de sécurité publique, ce sont des pirates. »

C'est la société scopique dans sa fonction d'espionnage. Du haut du panoptique, qu'on ne sait même pas où il est, il y a Un espion qu'on ne sait pas qui c'est, invisible, et nous sommes tous espionnés. Cette société numérique scopique aura bientôt en Chine des fonctions non seulement de contrôle et de surveillance, mais aussi de punition et de récompense pour les 1,4 milliard de citoyens chinois. Ils vont mettre en place un système de « classement social » dans lequel chacun sera évalué (comme à l'Uber) par le gouvernement sur la base de son comportement, ses achats, ses habitudes et ses idées.

Les sources de cette surveillance sont des données collectées à partir des comportements numériques sur Internet : réseaux sociaux, données personnelles, sexuelles, bancaires, accès au sites internet, vidéos, youtubeurs, journaux, trajets quotidiens à pied, en voiture ou en transports en commun et trajets détectés par les applications.

En Chine, les données sont également collectées par 600 millions de caméras à intelligence artificielle réparties dans tout le pays. Un Argus de près d'un milliard d'yeux. La divinité de la mythologie grecque est maintenant une réalité. Votre vie est une émission de télé-réalité permanente. L'évaluation et la position dans laquelle chacun se trouve dans le classement social (établi selon les critères du gouvernement) seront publiques et chacun pourra savoir quelle est l'évaluation de son parent, voisin, ami et ennemi.

Tout comme dans un épisode de la série Black Mirror, tous les citoyens sauront tout sur tout le monde. Un consensus artificiel totalisant s'impose et dans chaque sujet se constitue le désir de recevoir toujours une meilleure évaluation de ce surmoi personnifié dans le système, qui est à la fois invisible et anonyme, mais transforme chaque citoyen en un être surveillé et vigilant de ses semblables. Car avant même de rencontrer une personne, vous aurez son évaluation sur Internet, accessible à tous.

Qui sait, à l'avenir, il pourra aussi donner un like à chacun de ses pairs. « Le score final du classement peut influencer différents aspects tels que la sélection pour un poste vacant, l'inscription dans une école particulière ou l'autorisation de signer un prêt à la banque »3. Il y aura également des récompenses pour ceux qui ont des « bonnes habitudes », comme par exemple n'acheter que des produits d'origine chinoise.

Nous sommes à l'ère de l'idéal de transparence totale sans aucun droit à la vie privée – c'était le rêve totalitaire de contrôler tout et tout le monde. Ainsi, le gouvernement prendra la place mythique du Dieu omniprésent et omnivoyeur qui voit chacun au coeur de sa vie privée. Le panoptisme entrera dans tous les coeurs et tous les esprits. L'espion surveille tout le temps – c'est le printemps de l'État paranoïaque.

L'époque actuelle n'est pas 1968. La terreur des années de plomb n'est pas la même. La paranoïa d'État n'est pas la même. La persécution n'est pas la même. Le lynchage, les fake news et la politique d'annulation qui favorisent la destruction symbolique du sujet, ont pris la place des prisons idéologiques et politiques. La haine stimulée par les fake news s'est enracinée partout : au travail, à la maison et dans les bistrots. La technique électorale (importée par Steve Bannon, le Goebbels de Trump) du terrorisme virtuel basé sur la raison paranoïaque, sans éthique ni honte, a fait advenir l'improbable : la platitude des idées rares diffusées et répétées jusqu'à l'épuisement, l'avalanche de fake news, le manque de la dialectisation et l'installation d'une raison à la fois messianique et paranoïaque qui ont fait remporter une élection à un candidat improbable et médiocre. Ce candidat d'extrême droite est devenu Big Youtuber, comme Big Brother dans le roman 1984 de George Orwell, qui pénètre au coeur des foyers grâce aux téléphones portables.

Ce qui a été annoncé dans la « campagne présidentielle » au Brésil est devenu une forme de gouvernement dans notre nouveau monde banal. Ainsi, les politiques de lynchage virtuel et d'annulation abominables déjà citées et sans précédent ont été inaugurées. La première liste de damnés du régime est sortie juste après les élections, remplies d'artistes et même de psychanalystes à boycotter. Il n'y aura pas besoin d'une censure étatique coûteuse, car nous avons une censure citoyenne et une armée virtuelle et anonyme de personnes, de robots prêts à détruire la réputation de quelqu'un et incitant les gens à sa destruction physique.

Les « hommes de bien » et les lieutenants de Dieu sont devenus les nouveaux défenseurs des bonnes moeurs. Le nouveau président youtubeur s'adresse directement à chaque citoyen, un par un. Il est présent du « bonjour » au « bonsoir », de l'extérieur dans la vie la plus intime de tout un chacun. Il occupe ainsi la place topologique de l'objet regard, l'extériorité intime, l'ex-timité.

Le téléphone portable est la cellule et la maison à l'ère d'aujourd'hui. Son utilisation en politique en fait la nouvelle cellule du sujet et la nouvelle maison du président. Dans cette nouvelle cellule virtuelle, chacun est de plus en plus emprisonné au fur et à mesure qu'il exerce sa prétendue liberté. Le stratège de campagne du candidat à la présidentielle élu, Arick Wierson, a dévoilé, avant même le dépouillement des voix, l'intention de distribuer gratuitement des téléphones portables à la population. Le projet, selon lui, baptisé Linha Digital, « s'inscrit dans la stratégie de communication d'un éventuel gouvernement ». Bref, il s'agit de criminaliser les sans-abri et les sans-terre et de favoriser les sans-téléphone. Dit et fait : le push-to-cellularisation généralisé est en cours.

Dans cet état paranoïaque, ce qui était une rhétorique de campagne s'avère être une forme de gouvernement. Celui qui a dit : « ce n'est que de la rhétorique », semble ignorer le pouvoir même de commandement du signifiant et que toute parole, selon le lieu d'où elle est énoncée, devient un impératif. Hypnose de masse. Cette arme de l'État paranoïaque permet tout, de l'élection des présidents de la République, comme aux États-Unis et au Brésil, à la relation directe du leader non pas avec la masse, mais avec chaque individu dans sa propre intimité, court-circuitant les institutions démocratiques pour parler en direct au peuple. C'est une nouvelle forme de fascisme qui maintient la façade de la démocratie.

 

La psychologie passée à l'ère numérique

À l'ère du panoptisme numérique de la société scopique, il n'est plus nécessaire d'avoir un leader qui incarne un idéal à partir duquel se constitue un groupe ou une masse de personnes. Peut-être n'est-il même pas nécessaire d'avoir un signifiant maître auquel chacun s'identifie pour constituer l'Unité, comme le décrit Freud dans son texte Psychologie des masses et analyse de soi.

 

 

Dans le schéma freudien de la psychologie de masse, les lignes montrent comment chaque sujet introjecte « l'objet extérieur », qui est le leader, et le situe à la place de son idéal du moi, l'instance paternelle intériorisée. C'est l'instance psychique du représentant symbolique de l'amour parental qui alimente le narcissisme de chacun. L'effet est tel que chacun intériorise le leader qui devient alors une partie de sa psyché en tant qu'instance idéale qui dicte au sujet comment il doit agir pour être admiré et aimé.

Le groupe ou la masse se produit lorsque plusieurs personnes subissent le même processus d'introjection du leader et le mettent à la place de l'idéal du moi. Dès lors, elles s'identifient entre elles à partir de l'identification imaginaire de leur moi, constituant ainsi un groupe.

L'idéal du moi est une instance qui fonctionne comme un lieu, occupé par certaines personnes, à partir duquel le sujet se considère comme digne d'amour. En plaçant le leader à cette place, le sujet non seulement l'aime comme un père, mais attend aussi son amour. Parfois, il suffit d'aimer le leader pour que vous vous sentiez aimé par lui, en raison de la structure réciproque intrinsèque de l'amour (aimer et être aimé). Ainsi, le leader, appelé par Freud « objet extérieur » dans son schéma, vient occuper la place de l'idéal du moi comme incarnation du signifiant maître (S1). L'idéal du moi est en fait un idéal de l'Autre (I(A)), car il est tissé de signifiants qui indiquent comment le sujet doit être et agir pour être aimé (beau, intelligent, etc.), attributs qui lui ont été dictés par des personnages de sa vie qui ont pris la place de l'Autre pour le sujet. C'est donc une instance psychique qui, en tant que lieu, peut accueillir quelqu'un l'occupe et à qui le sujet adresse ses demandes, qu'il s'agisse du leader, de l'hypnotiseur, d'un médecin, d'un partenaire amoureux, bref l'« objet extérieur » selon Freud.

Comme nous le dit Lacan dans Le Séminaire XI, il y a confusion chez le sujet entre le signifiant idéal et l'objet a. C'est là que réside le pouvoir hypnotique du leader. Car l'objet a, avec son caractère surmoïque, est aussi en jeu dans la constitution de la masse et son obéissance aveugle et automatique au leader. Il y a donc une fusion entre l'idéal du moi et le plus-de-regard qui se rend présent à travers les réseaux sociaux. Le résultat c'est que le leader est omniscient et omnivoyant, comme le Big Brother, qui en fait est la fictionnalisation de l'Autre dans le regard.

Le piège panoptique numérique rend tout le monde des softidiots – les idiots du logiciel. Nous sommes piégés dans un vaste réseau mondial virtuel et numérique de manipulation de données, d'informations et d'espionnage qui est entré de manière décisive en politique lors du vote britannique sur le Brexit (favorisant son retrait de la Communauté européenne), ainsi que lors de l'élection de Trump et de Bolsonaro. Le déferlement de fake news, les attaques contre les opposants, les calomnies, les slogans, les pubs personnalisées sont des modalités de la tactique panoptique qui atteint ses cibles pour promouvoir l'ignorance et la haine.

Avec Freud, nous avons eu la théorie de la psychologie des masses, avec Lacan la théorie des discours dans le champ de la jouissance pour rendre compte, chacun à son époque, du malaise dans la civilisation. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un nouvel ordre mondial et nous devons voir comment la psychanalyse peut nous aider à analyser et à combattre cette cyberattaque inhumaine.

D'un côté, une attaque implacable de l'ultra néolibéralisme du discours capitaliste, promouvant le concentrationnisme et une mentalité rentière et individualiste qui induit un onanisme de consommation sans barrière ni fin, produisant faillite, défaut, dette, pauvreté et suicide. Car le discours capitaliste n'a pas d'impossibilité interne, il n'a pas de barrières – sa roue tourne en permanence. De l'autre côté, l'industrie de la (dés)information numérique, l'attaque contre le langage avec ses lois et sa dialectique, le bombardement de slogans pour ne pas penser et de produits qui s'imposent comme nécessaires, bref un lavage de cerveau pour nous transformer à tous en softidiots.

Aujourd'hui, nous parlons de « l'ère de la post-vérité », dans laquelle les slogans sont plus importants que les faits réels. C'est l'époque de l'infocalipse – l'apocalypse de l'information. Nos empreintes digitales ne sont plus sur les doigts, ce sont des empreintes numériques. Tous les internautes ont leurs empreintes cartographiées via les réseaux sociaux, les données personnelles, les goûts personnels – si vous recherchez le prix d'un pantalon, les pantalons se mettent à vous suivre –, goût sexuel, position politique, croyance religieuse. Vous êtes espionné 24h/24 et Internet vous connaît mieux que vos proches. Avec toutes ces données, Internet a-t-il un inconscient ? Les algorithmes et leur combinaison virtuelle sont homologues au fonctionnement de l'inconscient dans sa combinatoire signifiante, telle que Lacan le comparait à la cybernétique depuis les années 1950.

La « psychométrie numérique », qui est étudiée dans une discipline tirée de la formation militaire, s'appelle Op-psi – opération psychologique, elle inclut le degré de névrose comme critère pour savoir quel genre de message vous envoyez. Des programmes de psychométrie numérique ont été utilisés par Cambridge Analytica, la société qui a promu la campagne numérique de Trump, dont le directeur était Steve Banon, qui a participé à la campagne présidentielle de Bolsonaro.

Le croisement des données de chacun est étudié par des robots sur la base de cinq critères dits OCEAN : ouverture, conscience, extraversion, amabilité, névrose, appliquée à chaque électeur, formant des groupes variés en combinant les autres facteurs personnels déjà mentionnés. Avec cela, ils savent exactement quel genre de message envoyer pour gagner le vote. C'est ce qu'on appelle le microciblage comportemental4. Nous sommes tous des cibles cartographiées et personnalisées prêtes à voter pour le boeuf mais en fait nous partons à l'abattoir.

À l'ère du panoptisme numérique, tout dispositif est un mécanisme pour faire exister le regard comme instance surmoïque dans l'extimité du sujet, son extériorité intime. Le monde extérieur pénètre votre intimité et, pour cela, vous n'avez même pas besoin d'emmener votre téléphone portable au lit ou aux toilettes. Cet artifice utilise la topologie même du rapport du sujet à l'objet a qui est en exclusion interne par rapport à lui (dans le trou interne de la bande de Moebius).

Cela devient encore plus évident lorsque le leader s'adresse par vidéo au citoyen qui est dans son lit et qui se réveille et regarde, comme premier geste du jour, son téléphone portable – c'est plus efficace que Big Brother parlant à la télévision dans la maison du spectateur du roman de George Orwell. Dans la nouvelle psychologie des masses, c'est l'objet a, en tant que plus-de-jouir, qui se fait présent un à un, n'étant meme plus nécessairement une pensée, une réflexion, un système de valeurs ou une philosophie pour constituer le groupe. Cela ne veut pas dire que ceux-ci ne sont pas utilisés pour imposer une seule unique.

L'opération analytique vise à soutenir la distance entre l'idéal et l'objet a, pour être en mesure de vider la jouissance de cet endroit qui est l'idéal du moi et laisser tomber l'objet a. La psychanalyse doit rendre le sujet responsable de la cause de son désir, qui est une formation du sujet en tant que tel et non pas de l'Autre. L'objet a dans sa modalité scopique, le plus-de-regard, n'a pas de de substance, il est un trou, et l'Autre non plus, l'Autre est aveugle et sa place un désert de jouissance. Pour « lutter contre la volonté du tyran » (Lacan, 1998, p. 796), que Lacan élève à la condition de la maxime de la psychanalyse, il faut savoir que l'Autre n'est pas l'Un et que, pour lui aussi, le regard est un objet perdu et, sans l'objet, l'Autre n'existe pas. Vider le regard de l'Autre, c'est le rendre inconsistant.

Une psychanalyse ne supprime pas entièrement le regard corrélé du sujet. Mais le sujet, après une analyse, se rend compte de son caractère de semblant d'être, car il le vide de sa virulence mortelle. Voilà un enseignement que le psychanalyste peut s'en servir du divan à la Cité, de la psychanalyse privée à la scène publique, du malaise du sujet au malaise dans la civilisation.

 

Referencias

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Foucault, M. (2014) Vigiar e punir. São Paulo: Vozes.         [ Links ]

Huchon, T. (2018) Driblando a Democracia: Como Trump Venceu. Paris. DVD (52 min).         [ Links ]

Lacan, J. (1989) O seminário, livro 11: os quatro conceitos da psicanálise, 1964. Rio de Janeiro: Jorge Zahar Ed.         [ Links ]

Lacan, J. (1998) Kant com Sade. Escritos. Rio de Janeiro: Jorge Zahar Ed. (Originalmente publicado em 1963)        [ Links ]

Rancière, J. (2020) O silogismo da corrupção. Folha de São Paulo, 22/10/2000.         [ Links ]

 

 

 

1 Je présente cette évolution dans mon livre Um olhar a mais (Quinet, 2002).
2 Le chapitre « Le délire d'observation » du livre Um olhar a mais (Quinet, 2002).
3 Rédaction Galileu, 19 set 2018. Disponível em https://revistagalileu.globo.com/Tecnologia/noticia/2018/09/china-afirma-que-utilizara-sistema-de-ranking-social-partir-de-2020.html
4 Documentaire de Thomas Huchon, 2DF/Arte, 2018.

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