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Revista Psicologia e Saúde

versão On-line ISSN 2177-093X

Rev. Psicol. Saúde vol.6 no.1 Campo Grande jun. 2014

 

SUPLEMENTO ESPECIAL: INTIMITÉS ET VIOLENCES

 

Du patriarcat à la feminitude: violence sexuelle et conflits de genre dans la prose romanesque de Calixthe Beyala

 

From the patriarchyto to femininity: sexual violence and conflict of gender in romantic prose Calixthe Beyala

 

Patriarcado a feminilidade: a violência sexual e os conflitos de gênero na prosa romântica Calixthe Beyala

 

 

Cécile Dolisane-Ebosse

Université de Yaoundé, Cameroun

 

 


RÉSUMÉ

Cette étude tend à expliciter les rapports antagoniques et antinomiques entre les genres. Calixthe Beyala, par le biais de ces personnages à poigne, à la verve truculente,démontre que, pour annihiler le patriarcat prédateur et avilissant, il faut user d'une violence salvatrice. En effet, la féminitude: cette sororité universelle,doit opérer, de manière radicale et outrancière, une césure révolutionnaire en dévoilant l'hypocrisie des institutions sociales phallocentriques. Finalement, c'est grâce à la femme iconoclaste, revancharde et subversive que la femme africaine sortira de l'invisibilité pour devenir sujet historique.

Mots-clés: Genre; Calixthe Beyala; Féminitude; Femme africaine.


ABSTRACT

This study aims to explain gender relations conflicting and contradictory between genders. Calixthe Beyala through these personages holds truculent verve, shows that to defeat the predator and degrading patriarchy, should use a redemptive violence. Indeed, femininity: this universal brotherhood should operate, in the way outrageously radical, a revolutionary censorship revealing the hypocrisy of phallocentric social institutions. Finally, due to the iconoclastic, subversive and revengeful African women emerges from invisibility to become historical subject.

Key-words: Gender; Calixthe Beyala; Femininity; African women.


RESUMO

Este estudo tem como objetivo explicar as relações de gênero conflitantes e contraditórias entre gêneros. Calixthe Beyala através destes personagens segura a verve truculenta, mostra que, para aniquilar o patriarcado predador e degradante, deve-se usar uma violência redentora. De fato, a feminilidade: esta irmandade universal deve operar, de forma radical e ultrajante, uma censura revolucionária revelando a hipocrisia das instituições sociais falocêntricas. Finalmente, graças à mulher iconoclasta, vingativa e subversiva que a mulher Africana emergirá da invisibilidade para se tornar sujeito histórico.

Palavras-chave: Gênero; Calixthe Beyala; Feminilidade; Mulher africana.


 

 

Introduction

Plusieurs anthropologues, historiens et sociologues se sont penchés sur la question Patriarcat/Matriarcat non seulement pour définir ses origines mais aussi pour dénouer le débat autour de l'antériorité des sociétés matriarcales encore appelées matristiques ainsi que les causes de l'ampleur prise par le patriarcat. Les chercheurs tels Henry Morgan (1871), Evelyn Reed (1979), Y J Bachofen (1996) se sont intéressés à cette question sans obtenir de résultats probants puisque les résultats, très controversés, ont poussé d'autres chercheurs tels Christine Delphy (2009) et Françoise Héritier( 2002) plus tard à émettre des réserves sur l'existence antérieure d'une civilisation des femmes et de noter que l'ennemi de la femme c'est le patriarcat. Selon l'illustration appréhendée dans l'encyclopédia universelis (2000), ces remarques laissent deviner les antagonismes dans les rapports sociaux de sexe et la violence qui en découle comme moyen de domination et d'intimidation.

Ces conflits de genre liés au patriarcat hégémonique se décèlent en filigrane et même parfois massivement dans nos ouvrages de référence. Cette organisation sociale qui fait prévaloir l'autorité masculine sur la femme, le sexe dit « faible » existe depuis les temps anciens couronné par les mythes, les religions et les traditions de plusieurs cultures. Nous n'allons pas entrer en détails dans les travaux de Maurice Godelier (1978) sur les Baruya de la Nouvelle Guinée. Mais nous allons rapidement souligner que, dans ces recherches, l'incapacité féminine à utiliser l'arc qu'elle a elle-même découvert est à l'origine de sa décadence, tandis que la maternité avait été interprétée comme la cause de la vulnérabilité féminine, en opposition à la force physique brute masculine reconvertie et perçue comme un atout, au mieux, une marque de supériorité - stratagème largement suffisant pour créer une hiérarchisation des sexes et les conflits de genre qui s'en sont suivis. La culture patriarcale, par le biais de la violence comme stratégie, s'est arrogé la maîtrise et le contrôle du corps ainsi que le mutisme féminin - la femme devenant, peu à peu, l'ombre d'elle-même, en exil dans son propre corps, ne vivant que par procuration.

C'est cette exploitation sexuelle que récusèrent farouchement Simone de Beauvoir (1949) et son groupe de pression ainsi que les écrivaines telles Hélène Cixous (1975) qui demandaient aux femmes de s'écrire. Cette détermination amena l'auteur du deuxième sexe à identifier la lutte des femmes à celle des Noirs en forgeant le concept de la « Féminitude », calqué sur le modèle de la Négritude, pour exprimer la réalité douloureuse des femmes au- delà des frontières et des cultures d'origine.

En effet, cette théorie met en lumière l'identité sexuelle de la femme sous le modèle de l'affranchissement de leur esclavage. C'est alors un lien symbolique fort entre les femmes qu'elle émet. Car ces dernières proclament la valeur de leurs particularités biologique, libidinale et expressive. C'est dans le même ordre d'idées que les personnages de Calixthe Beyala dans C'est le soleil qui m'a brulée (1987), Tu t'appelleras Tanga (1988) et Seul le Diablele Savait (1990) se montrent volontairement provocateurs, subversifs, lascifs, triviaux, arrogants, revanchards et primesautiers. Ils se montrent aussi particulièrement bavards, impulsifs et volubiles. Dans ce cas précis, la parole féminine vole en éclats, de manière anarchique et incontrôlée.

Ce qui peut traduire une sorte de défoulement né d'un mutisme et bâillonnement séculaires. Il s'agit pour C. Beyala, dans une posture révolutionnaire, de produire une parole Autre, en dissidence avec la parole classique visant à instiller un contre- discours, une contre-mythologie, battant en brèche les idées reçues. L'auteure tente, par une verve caustique, insolente et audacieuse, de se réécrire en dehors de la convention phallocentrique et androcentrée. C'est la raison pour laquelle ces personnages centraux sont des prostituées ou des folles, bref des marginaux. En cela, elle veut échapper aux normes patriarcales rigides imposées et édictées par la gent masculine. Ce changement radical s'opère tant au niveau de la forme que du fond.

Mais comment s'observe la violence textuelle dans l'œuvre de Calixthe Beyala? Comment tisse-t-elle l'insolence dans une trame narrative ? Cette mise en exergue des conflits entre hommes-femmes en appelle-t-elle à un véritable changement ou l'auteure se livre-t-elle, tout simplement, à une utopie littéraire ?

Pour mieux exploiter notre esthétique multiculturelle, nous emprunterons au critique camerounais Gervais Mendo Zé (1982), son approche socio-culturelle afin de recentrer cette narration dans son réfèrent historique. Ensuite, nous nous situerons dans un prisme idéologico-féministe en jouxtant, tour à tour, J. Derrida (1967) avec la théorie de la déconstruction et Michel Foucault (1975) dans son herméneutique sur la violence, illustrée dans Surveiller et punir. Ces approches permettent de mieux éclairer cette écriture dissidente mais aussi de la circonscrire autour des revendications féministes sous un prisme de rupture avec le statu quo.

De plus, un meilleur ordonnancement de cette recherche exige que nous adoptions un triptyque. Dans un premier temps, nous montrerons une inscription romanesque dénonciatrice de la condition précaire des femmes. Ensuite, les revendications de la libération de leur corps. Enfin, l'annonciation d'une ère nouvelle pour l'équité des genres.

 

I- Les pesanteurs socio-culturelles face à une prose rebelle

1. Un environnement asphyxiant

Le cadre spatio-temporel des habitants du QG et Iningué, toutes des prostituées, est insalubre ; elles vivent dans la promiscuité, la débauche, la misère et paupérisation. Elles n'ont aucune perspective d'avenir puisqu'elles n'ont aucune formation. Par conséquent, elles n'ont d'autre issue que le commerce des charmes et fabriquent des flopées d'enfants avec des manœuvres issus de ces ghettos et qui n'ont de cesse de les abuser. Elles constituent, à n'en pas douter, la proie facile d'une société impitoyable. Livrées à elles- mêmes dans cette jungle, elles forment des générations de prostituées, de mère en fille. Il ne s'agit donc plus uniquement d'une exploitation de la femme par l'homme mais de l'homme par l'homme, car ces femmes sont rapaces, roublardes, espiègles et intransigeantes.

2. Contrôle de la sexualité féminine ou la violence faite à la petite fille

L'excision de la petite Tanga est vécue comme une atrocité pour elle, tandis que sa mère appelée encore métaphoriquement «l'arracheuse de clitoris» n'y voit aucun inconvénient. Non seulement, on lui impose une identité et un corps moulé sous le patriarcat, mais on exige également qu'elle ait une attitude passive et silencieuse. C. Beyala montre, à travers la mère de Tanga, l'image d'une femme tenue par la tradition, ignorante, inéduquée qui demande à sa fille de supporter la douleur laquelle la permettra d'avoir beaucoup d'hommes.

On note également la survivance de la perspective occidentale du jacobinisme de la perpétuation et l'accentuation des inégalités hommes-femmes. Il s'agit là, d'une imagerie quasi mécanique de la femme africaine, laquelle est assujettie aux règles de la phallocratie, de l'oppression masculine. La mère traditionnelle de Tanga, «fesses coutumières» ne parvient pas à briser ou plutôt, consolide le stéréotype de la femme soumise, possession de l'homme, muette et tyrannisée. En fin de compte, il ne faut guère remettre en question les actes masculins, l'autorité paternelle. Elle réprime alors la révolte et oblige sa fille à se résigner en l'encourageant à supporter sa situation d'opprimée qui est, en fait, l'ordre naturel des choses.

Toutefois, cette représentation de la femme silencieuse et muette est remise en question par les romancières qui mettent en valeur les droits de l'Homme, la dignité humaine et les atouts féminins. Celles-ci tendent, par le biais d'une rupture, de transformer la vision du monde phallique: le cri de Tanga se mue alors en un cri de révolte.

 

II- Une écriture subversive : La dénonciation de la douloureuse condition des femmes

1. Relation entre prostituées et amants : liaisons éphémères et antagoniques

Par le biais d'une écriture audacieuse et osée, véritable arme de guerre, les personnages de Beyala - en l'occurrence Ekassi et Nga Ateba- transgressent les tabous en affichant leur liberté sexuelle. Elles essaient de franchir le Rubicon en se montrant logocentriques, exubérantes, bouillantes et insultantes ; elles adoptent des attitudes abominables pour la société bien-pensante - un vrai sacrilège. Aussi leur sexualité échappe-t-elle à tout contrôle masculin et même si elles sont sexuellement abusées, elles le font de manière délibérée. L'esthétique scripturaire devient alors une thérapie, une catharsis, une sorte d'exorcisme pour dévoiler, à partir des mots, les maux d'une société plus que sordide.

Beyala, en décrivant ces femmes frustrées, déçues par un monde ingrat et égoïsme, devient le porte-parole des bas-fonds, des va-nu-pieds et des laissées-pour-compte. Finalement, elle combat le patriarcat prédateur et brutal par des personnages violents et autoritaires. Betty, en l'occurrence, est considérée comme une sorcière ; on l'accuse d'avoir tué trois amants et on la soupçonne d'être prête à en découdre avec un quatrième. Mais la narratrice Ateba affirme qu'elle est une traînée, certes, mais pas une sorcière (Beyala, 1987, p.68). C'est dire que ce sont des personnages hors du commun qui savourent les meurtres de leurs amants. En d'autres termes, c'est une femme iconoclaste et spectaculaire qui peut changer le cours de l'histoire et non une femme passive et léthargique.

En outre, la prostitution prend alors une autre tournure, elle devient un signe de vengeance, une métaphore de la liberté. L'attitude de ses personnages dénote leur courage à affronter leurs bourreaux. C'est la raison pour laquelle ils se montrent volubiles, grossiers, agités. La société leur est tellement hostile ces femmes exclues sont toujours sur la défensive, extrêmement nerveuses et presqu'enragées au point qu'Ekassi, l'une d'entre elles, trouve leur sexe «imbécile», et leur sève ″inutile». La narratrice affirme qu'elle a cherché l'homme, elle n'a vu qu'une ruine tandis que la femme est construction (Beyala, 1987, p.122). Partant de ce constat, elle n'hésite pas à se montrer impitoyable, roublarde et à détrousser ce sexe ennemi.

Ekassi, de manière sadique doublée d'un cynisme à nulle autre pareille, décrit froidement les menus détails de la relation sexuelle et comment elle a supprimé cet homme par un tour de main d'experte. En déversant leurs florilèges d'insultes sur la société dont elle tient pour responsable de leur déchéance, elles pensent avec une frange des féministes, qu'il y a des connivences entre le capitalisme et le patriarcat et que conjugalité rime avec patriarcat. L'ennemi de la femme étant alors cet autoritarisme masculin, il faut impérativement sortir de la conjugalité et Ekassi persiste dans cette voie unilatérale en ces termes: « je ne veux plus me voir consacrée reine des fourneaux en train de préparer des petits plats idiots à un idiot qui a une idiotie entre les jambes...sans oublier Betty, les cernes du petit matin. » (Beyala,1987, p.48).

Finalement, l'espace privé étant livré au public, la parole aussi, l'intimité jalousement gardée et investie par la femme est battue en retrait par la rebelle.

2. Une textualité nauséabonde : d'une esthétique de la nudité à la révolution par le corps

Selon ces pauvres femmes, 1'homme est ingrat, intéressé, égoïste et calculateur. Il considère la femme comme un objet sexuel. Il symbolise le chaos et la destruction pour la femme parce qu'obnubilé par son excessive copulation. Pour cela, cette relation est faussée, dès la base, et ne saurait donc être ni bénéfique ni prometteuse pour la femme. Car, elle y serait plus victime que profiteuse. Partant de là, C. Beyala distancie l'homme de la femme et le démet de son pouvoir en démontrant qu'il n'est guère son protecteur mais son exploiteur. Elle n'entend pas uniquement, aux dires de Judith Butler, perturber le genre mais le défaire complètement, démanteler ses subterfuges, et le dépouiller de sa virilité qui, selon elle, le rend tout-puissant. En effet, cette puissance masculine se situe dans le « diktat des couilles » ; d'où la ligature du sexe du prisonnier violeur dans Tu t'appelleras Tanga et le fait de l'affubler de toutes les métaphores et comparaisons dégradantes en le tournant en ridicule pour mieux l'humilier. Dans les amours sauvages(1999) et femme nue femme noire (2003), en l'occurrence, le sexe masculin est nommé ignominieusement, «igname», «plantain», «pilon».

Dans un jargon insolite, lascif et, somme toute, novateur pour la littérature africaine, elle invente des thématiques originales mais aussi noue des rapports progressistes en vue d'un rééquilibrage des rapports sociaux de sexe. Pendant qu'elle s'éloigne des « fesses coutumières », qu'elle déstructure un édifice patriarcal qu'elle effiloche peu à peu, elle se rapproche de la FEMME intégrale et partant, de toutes femmes du monde, d'où l'invitation à la féminitude (Beyala, 1987, p.52). Cette dernière est également l'expression de la solidarité féminine, au principe de la sororité, d'où cette lettre ouverte d'une Africaine à ses sœurs occidentales (1995).

 

III- La féminitude de Calixthe Beyala ou la quête d'une utopie féminine

Particulièrement éprise par l'union des femmes, C. Beyala emprunte à Simone de Beauvoir- sans jamais la citer- le terme féminitude, pour exprimer sa conception du féminisme. Elle se solidarise avec d'autres femmes du monde tout en contextualisant sa démarche. Selon elle, il y a un couplage entre machisme et racisme - le sexisme étant une forme de racisme.

En tant que femme du tiers-monde et de la post-colonie, elle essaie d'insérer des nuances même si elle reconnaît que le fond reste le même, à savoir : l'exploitation de la femme. Elle reste très distante des féministes postcoloniales qui distinguent la triple exploitation de la femme noire à partir du sexe, de la classe et de la race, avec comme chef de file Angela Y. Davis (1983).

1. L'obsession du matriarcat originel : La nostalgie d'une matriarchie

Pour Beyala la femme doit chercher sa voie par l'intermédiaire des femmes. Elle, la femme du passé qui savait lire dans les étoiles déplore le fait que la femme actuelle soit une femme plume dont les pagnes sont faciles à détrousser. Il y a, ici, une lecture en filigrane d'une nostalgie du matriarcat originel qu'elle tente de reconstruire : une civilisation des femmes ou encore un royaume des femmes où elles auraient le pouvoir. C'est à juste titre qu'elle définit la féminitude comme le mélange du féminisme et de la négritude. Avec ce nouveau concept, je cherche à démontrer que la femme noire est supérieure à l'homme noir. Je veux affirmer la supériorité de la femme noire sur l'homme noir1.

D'après elle, il n'existe que deux races mâles et femelles. Elle s'inscrit ipso facto dans un féminisme radical, dans une espèce de fémocratie ou gynocratie. Pour Beyala, les investigations féminines doivent être axées sur trois règles :

Règle nº 1 : chercher la femme,

Règle nº2 : chercher la femme,

Règle nº 3 : trouver la femme et anéantir le chaos (Beyala, 1987, p.24)

La présence masculine étant un obstacle majeur, l'élimination du mal est la seule voie salvatrice pour l'épanouissement et même l'édification de la souveraineté féminine. De la sorte, la fusion d'Anna-Claude, la juive française et Tanga, l'Africaine (après avoir ligoté le sexe de leur amant, emprisonné, qui tentait de les violer) participe de cet état de choses. Le châtiment envers la gent masculine est la mort. Pour que la femme puisse survivre, il faut une disparition ou une dissolution complète du sexe dominant et prédateur : anéantir le chaos (Beyala, 1988, p.71).

Cette démarche unilatérale, voire extrémiste d'une révolutionnaire anarchiste et unidimensionnelle qui pense que la libération de la femme passe par l'élimination du mâle a été largement contestée par les hommes naturellement mais aussi par les mêmes femmes qu'elle prétend défendre. Or, l'émancipation féminine implique les deux sexes.

En effet, cette perspective rigide, exacerbe les tensions dans les rapports sociaux de sexe, lesquels, d'ores et déjà, sont entachés de suspicion et d'antagonisme - on installe l'anarchie sans rien régler au fond. La loi du talion, une autre forme de sexisme à l'envers, peut consolider, dans la durée, une guerre des sexes qui pourrait plutôt renforcer le pouvoir des dominants, qui pour l'heure, est écrasant - surtout en politique et dans tous les sphères décisionnelles. Cette agitation incontrôlée d'un pouvoir verrouillé peut aussi compliquer la tâche des féministes modérées qui entendent avec douceur, ruse et espièglerie négocier les espaces de pouvoir sans s'exhiber - étant entendu que l'idéologie phallocentrique se situe dans une relation centre-périphérie où la condition féminine est des plus alarmantes, connaît la sous scolarisation, le sous-emploi, la précarité et le chômage. Et à cela, il faut ajouter l'invisibilité politique. C'est ce qu'Obiema Nnameka (2004) appelle le négo-féminisme, c'est-à-dire, un féminisme africain qui procède par négociation, arrangement et compromis. Autrement dit, la survie de la femme et des libertés qui en découlent repose sur la stratégie à adopter : le principe de la douceur et jonglerie semble donc être le plus approprié pour les Africaines. L'arme la plus efficace et la plus la sûre étant l'instruction ; au mieux, l'écriture.Conclusion

Que ce soit dans la réalité ou dans l'imaginaire, la force scripturaire et idéologique de Calixthe Beyala, au-delà de ses frasques volontairement provocatrices et anticonformistes, se trouve dans ses velléités d'éclabousser le patriarcat et toutes les lois avilissantes pour la femme, imposées par des structures sociales obsolètes. Elle use alors de la même arme, la violence sexuelle à partir du texte, une répression aveugle, pour dire son désarroi d'une situation qui n'a que trop longtemps duré et qu'il faut en découdre rapidement ; d'où cette écriture en tension, avec des phrases courtes et une syntaxe débridée ponctuée de points d'exclamation, de suspension.

Cette violation de l'esthétique classique devient alors un moyen de défiance pour exprimer ses opinions, montrant par là même, qu'elle est en quête d'autonomie et d'indépendance en vue d'une complétude des rôles. Car aucune société ne saurait se développer en marginalisant une frange de sa population. Ce phénomène d'ampoulement est une technique littéraire qui augure l'utopie certes, mais elle donne à penser sérieusement sur la reconsidération de la situation de la femme, sa visibilité. Ce radicalisme, en structure de surface peut paraître néfaste mais, en structure profonde, peut s'avérer prométhéen car les ambitions il faut les avoir grandes pour pouvoir les réaliser. Cette révolution politique s'opère sous un fond de révolution poétique en mettant les exclus au centre d'une narration en transe ; la voix des sans voix en appelle au recentrement de la périphérie en créant progressivement une force. Mais cette libération ne saurait se faire sans la volonté des femmes elles- mêmes et leur capacité à pouvoir s'organiser, à former des lobbies puissants pour la défense de leurs intérêts. Il s'agit d'en arriver finalement à un leadership parfaitement genré.

Pour finir, le dialogue mieux que la violence est fructueux pour l'ensemble de la nation, car il vise à construire ; il apporte une certaine stabilité et Mariama Bâ nous l'a légué dans une si longue lettre où elle affirme que l'harmonie et la stabilité des familles entraîne la stabilité et la paix de la nation. Il faut préserver la paix. La femme africaine doit se réapproprier son pouvoir précolonial d'autant plus que cheikh Anta diop dans Nations nègres et culture démontre que, par le biais de l'éducation féminine, les sociétés africaines étaient des sociétés matriarcales. Pour clore notre propos nous rendons hommage à Mathai Wangira, initiatrice de la ceinture verte et Prix Nobel de la paix 2004 en ces termes :

Je pense qu'il faut toujours approcher les groupes sans créer de division, qu'il ne faut pas penser aux hommes séparément l'un et de l'autre. La vie de chaque femme est attachée à celle d'un homme ; ils travaillent ensemble, partagent la même vision de leur vie, partagent leurs peurs...alors pourquoi les séparer ? Bien sûr dans certaines situations, il est meilleur de parler des femmes seules, pour des raisons culturelles. (Wangira, 2010, p.122)

 

BIBLIOGRAPHIE

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Recebido: 28/06/2013
Última revisão: 30/05/2014
Aceite final: 07/06/2014

 

 

1 L'emprunt confus d'un terme de Simone de Beauvoir sans jamais la citer peut s'apparenter à un plagiat subtil.