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Revista Psicologia e Saúde

versão On-line ISSN 2177-093X

Rev. Psicol. Saúde vol.6 no.1 Campo Grande jun. 2014

 

SUPLEMENTO ESPECIAL: INTIMITÉS ET VIOLENCES

 

Eduquer l'oreille pour prevenir les agressions sonores

 

Educate the ears to prevent sound aggressions

 

Educar o ouvido para prevenir agressões sonoras

 

 

Dominique Habellion

E.S.P.E. de Limoges/FRED. Université de Limoges, France

 

 


RÉSUMÉ

Une des grandes révolutions du monde musical est l'apparition de l'enregistrement et des nouveaux moyens technologiques de diffusion sonore. Le monde est passé progressivement d'un environnement acoustique naturel à un environnement sonore décuplé et amplifié. L'auditeur actuel est donc soumis à des intensités sonores croissantes, il en devient même demandeur. Après avoir examiné les dangers potentiels du son, cet article s'interroge sur la nécessité de proposer une éducation à l'oreille dans les systèmes éducatifs contemporains.

Mots-clés: Education; Musique; Ecoute; Son; Agression.


ABSTRACT

One of the great revolutions of the music world is the appearance of the recording, and new technological means of sound diffusion. The world moved progressively to a natural, acoustic sound amplified tenfold environment. The current listener is under increasing sound intensities, becomes himself a user of the situation. After analyzing the potential dangers of sound, this article discusses the need to provide education to the ear in contemporary educational systems.

Key-words: Education; Music; Hear; Sound; Aggression.


RESUMO

Uma das grandes revoluções do mundo da música é o aparecimento da gravação, e os novos meios tecnológicos de difusão sonora. O mundo passou progressivamente a um ambiente acústico natural, sonoro amplificado dez. O ouvinte atual está sob crescentes intensidades de som, torna-se ele mesmo um usuário da situação. Depois de analisar os potenciais perigos de som, este artigo analisa a necessidade de proporcionar educação para o ouvido nos sistemas educativos contemporâneos.

Palavras-chave: Educação; Música; Ouvir; Som; Agressão.


 

 

Introduction

L'évolution du langage musical et de l'esthétique nous montrent que les pratiques musicales et l'écoute qu'elles présupposent ne peuvent être considérées séparément. Il semble, en effet, impossible d'envisager une expérience sonore ou musicale hors du contexte acoustique dans lequel elle évolue. L'espace est un des paramètres fondamentaux de ce contexte acoustique. « Le son crée un espace, c'est comme ça ! Il met en branle la totalité du volume dans lequel nous nous trouvons ». (Dandrel, 2012) Les pratiques musicales se sont toujours adaptées à des espaces variés, de l'intimité des salons à l'agitation des plus grandes salles de concerts. L'intensité, la puissance sonore, est souvent le principal facteur d'adaptation puisque elle permet de remplir l'espace. L'évolution de la masse orchestrale tout au long des XIXe et XXe siècles en est la plus pertinente illustration.

Les avancées technologiques du XXe siècle, enregistrement, diffusion à distance et amplification, ont fait évoluer les pratiques musicales et la facture instrumentale. La maîtrise parfaite du « facteur intensité » permet des corrections acoustiques, donc, la diffusion sonore ou musicale dans n'importe quel lieu. Le baladeur rend même possible l'écoute musicale nomade dans un environnement sonore bruyant. On peut alors légitimement se demander si, aujourd'hui, ce « facteur intensité » n'a pas évolué progressivement d'un statut acoustique originel vers un statut esthétique, puis enfin social. Ne devient-il pas maintenant urgent d'intégrer la prévention des risques auditifs liés à une trop forte intensité sonore dans un projet d'éducation de l'oreille ? (Schäfer, 2010)

Après avoir défini la notion de bruit, nous examinerons diverses raisons possibles à cette quête d'intensité, très apparente dans les pratiques musicales amplifiées, mais plus latente dans les pratiques d'écoute. Les compétences de chercheurs dans des domaines aussi différents que la médecine, l'ethnomusicologie ou la sociologie nous aiderons à mieux cerner et mieux comprendre la place et les risques du « facteur intensité » dans l'expérience d'écoute telle qu'elle est vécue en ce début du XXIe siècle.

 

1. L'écoute est une expérience sonore

Il faut admettre que l'intérêt de la musicologie pour la perception musicale est relativement récent. C'est seulement en 1958 que paraît le premier ouvrage fondamental (Francès, 1958) qui se propose d'étudier la perception musicale sous trois axes différents : la syntaxe, la rhétorique et l'expression. Dans son premier chapitre, étudiant les rapports entre le son et la musique, Robert Francès (Francès, 1958) y définit ainsi l'acte perceptif :

Le sens usuel de l'acte perceptif est d'être un moyen et non une fin, un trait d'union entre le besoin et l'action. Rien de tel lorsque cet acte s'applique à un son ou à un ensemble sonore qui ne sont le signal d'aucun bien digne d'appropriation, d'aucun danger non plus. Il y a dans ce cas une sorte de perception « pure » qui contient sa propre fin et s'accompagne d'un plaisir sui generis, une situation de « ravissement » au sens fort. (Frances, 1958, p. 22)

La perception auditive est d'abord définie comme un acte sensori-perceptif qui n'est qu'un moyen de se situer dans un environnement, d'établir une communication avec l'extérieur, voire de s'approprier des éléments présents dans cet environnement. Elle est nécessaire avant toute action et ne constitue en aucun cas un but à atteindre. Il en est tout autre dans le cas de l'écoute musicale. La perception devient alors une fin en soi, un objectif intentionnel désiré qui peut être source de plaisir. L'écoute musicale devient donc une expérience sonore positive, renouvelable et même souhaitable.

 

2. Le bruit est un perturbateur d'écoute

Le plaisir de l'écoutant est parfois gâché par des éléments sonores perturbateurs, souvent extérieurs à l'expérience même. Ces éléments hétérogènes sont souvent désignés sous le terme générique de bruit, terme flou qui revêt différentes significations selon les individus, les cultures ou les périodes historiques. Cette notion de bruit serait donc subjective car, comme l'affirme Raymond Murray Schäfer, « la musique de l'un peut être le bruit de l'autre. » (Schäfer, 2010, p. 268) Malgré la complexité du problème, Schafer parvient à dégager quatre axes de significations qui lui semblent les plus importants. (Schäfer, 2010, p. 266-267)

Le bruit peut être tout d'abord considéré comme un son non désiré. Il advient par inadvertance ou par hasard, dénué de toute intention, mais il vient souvent interrompre un milieu sonore déjà installé et stabilisé. Il apparaît donc comme un élément sonore hétérogène dans un milieu sonore homogène. Si l'on accepte cette signification, c'est reconnaître de fait que la plus belle œuvre d'un Mozart ou d'un Beethoven puisse, dans certaines circonstances, être considérée comme un bruit.

Dans une seconde acceptation, le terme de bruit est assimilé au non-musical. Cette signification tire sa justification de l'analyse acoustique. Un son musical est en effet composé de vibrations périodiques, ce qui n'est pas le cas du bruit, composé de vibrations non-périodiques. Le bruit s'oppose ainsi à la musique. L'apparition, au milieu du XXe siècle, de la musique concrète, courant musical qui tire son matériau sonore du son des objets, vient évidemment pondérer cette définition.

Dans un troisième temps, la notion de bruit intègre le paramètre intensité. En effet, un volume sonore excessif peut être perçu comme une gêne par l'écoutant, obligeant parfois ce dernier à interrompre l'expérience en cours. L'intensité atteint alors la limite de l'auditivement supportable. L'histoire musicale nous démontre que le gain d'intensité reste lié au souci d'occupation sonore de l'espace. Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner l'évolution de la polyphonie de l'Ars Nova pour s'adapter à l'espace de l'architecture gothique. Il en est de même pour le développement de l'orchestre symphonique romantique et du souci de remplir l'espace des grandes salles de concerts. L'avènement des techniques d'amplification au XXe siècle rend alors possible la diffusion sonore dans des espaces ouverts, dans les stades, par exemple, qui accueillent aussi bien des concerts de rock que des concerts de musique classique.

Enfin, l'apparition de la diffusion sonore via les nouvelles technologies, avec, parallèlement une évolution constante de la qualité de restitution, oblige l'écoutant à considérer la moindre perturbation dans le signal électrique comme un élément parasite de l'écoute assimilable à un bruit. L'extrême qualité de restitution atteint aujourd'hui par la technologie fait tout naturellement croître l'exigence qualitative de l'écoutant.

Dans le cadre limité de cette réflexion, nous retiendrons donc, comme définition du terme intensité, l'idée de volume sonore global perçu (Chion, 1983). Nous étudierons seulement les effets négatifs supposés de ce « facteur intensité » sur l'expérience d'écoute sonore ou musicale.

 

3. La perception de l'intensité

3.1 Les variables dans la perception de l'intensité

Musicalement parlant, le son est la résultante de la mise en vibration d'un corps par un geste approprié. C'est ainsi que l'instrumentiste souffle dans une embouchure, frappe une peau, frotte ou pince une corde. L'acousticien considère que :

Un son est dû à une force qui s'applique sur un environnement élastique et le fait vibrer. Mais l'intensité d'un son s'atténue très vite, dès que la force qui l'a généré ne s'applique plus, car l'élasticité des milieux ambiants, l'air notamment, est imparfaite : leur viscosité absorbe cette force, la dissipe en chaleur, et la vibration s'arrête. (Chouart, 2009, p. 106 - 107)

Claude-Henri Chouard, ancien chef du service O.R.L. de l'hôpital Saint-Antoine, actuellement membre de l'Académie Nationale de Médecine, complète le point de vue du musicologue en recontextualisant le son dans son milieu ambiant, en l'envisageant d'un point de vue plus acoustique. Le son reste en effet considéré comme une vibration qui est la résultante d'une force appliquée, le geste du musicien par exemple. Mais, cette force non entretenue, entraîne une diminution progressive de l'intensité par absorption de l'air. Il semble donc acquis, à ce stade de notre réflexion, que l'intensité du son perçue dépende de la puissance de la source sonore, de l'espace sonore environnant et de la distance existant entre cette source et l'écoutant. Cette première constatation s'applique évidemment surtout dans le cadre d'une écoute « acoustique », écoute qui ne fait aucun usage de moyens techniques artificiels de diffusion ou d'amplification. La perception sonore « naturelle » s'adapte aux inévitables fluctuations d'intensité.

3.2. Le seuil d'intensité supportable

Mesurer objectivement l'intensité reste aujourd'hui un véritable « casse-tête » scientifique car les variables possibles de mesure sont nombreuses. L'intensité émise est différente de l'intensité perçue :

Mais la mesure de cette intensité va donner des résultats très différents selon la distance entre le lieu de la mesure et l'emplacement de la source sonore. Dans l'air, on estime que l'intensité diminue de 6 dB chaque fois qu'on double cette distance. (Chouard, 2009, p. 108)

Les mesures utilisées en médecine ou en physiologie tiennent compte de la sensibilité de l'oreille humaine. Ce sont naturellement ces mesures qui nous intéressent dans le cadre de l'écoute. Les mesures des décibels perçus ou dB HL (Hearing Level) incorporent la notion de fréquence audible par un individu :

Habituellement, un son dont l'intensité dépasse 100 dB HL devient insupportable et risque surtout de provoquer des lésions de l'oreille interne. Cet inconfort imputable à des sons trop violents doit être entendu comme un signal d'alarme et entraîner une réaction de défense contre le bruit. (Chouard, 2009, p. 108)

Il devient maintenant très clair que C. H. Chouard met en relation la notion de bruit avec un son dont l'intensité dépasse le seuil d'audibilité humaine. Il évoque déjà dans ses propos les risques liés à cette trop puissante intensité. Ces mesures qui nous semblent abstraites ne peuvent prendre tout leur sens qu'avec quelques exemples concrets puisés dans l'environnement sonore quotidien.

La voix parlée se situe entre 40 et 60 dB, les bruits de la rue oscillent entre 80 et 90 dB. Les sons qui atteignent la zone critique de 100 décibels sont très souvent liés aux bruits des véhicules à moteur tels que les motos, les camions et les trains. Les avions peuvent atteindre les 130 décibels, intensité qu'il n'est pas rare de trouver dans certaines discothèques. (Tomatis, 1996, p. 155 - 156)

L'oreille humaine est donc soumise à des agressions sonores fréquentes qui, fort heureusement, ne sont pas continues. En effet, la dernière variable qui influe sur la perception de l'intensité est la durée d'exposition de l'écoutant : « Quant à la fatigue auditive, elle apparaît lorsque l'oreille est soumise à un son permanent, même peu intense. » (Chouard, 2009, p. 108)

La perception humaine de l'intensité est donc soumise à un certain nombre de variables musicales, sonores, acoustiques et physiologiques. On peut d'ores et déjà admettre que le « facteur intensité » revêt une certaine complexité d'approche, mais ne peut être évacué de l'expérience d'écoute. De plus, il peut présenter, dans certaines circonstances, un risque auditif important. Il nous faut maintenant l'examiner du point de vue de l'écoutant et définir son impact dans l'expérience d'écoute musicale actuelle.

 

4. Le corps est un récepteur acoustique

Lorsqu'il est question de son et d'écoute, il est tout à fait logique de penser d'abord à l'oreille. Cependant, les études cliniques nous apprennent que lorsqu'une trop forte intensité sonore dépasse les capacités de protection naturelle de l'oreille, tout l'organisme peut être perturbé :

Une nuisance ne limite jamais ses effets à un seul organe sensoriel. Lorsqu'une perturbation vient troubler les mécanismes intimes de l'appareil auditif, il est fréquent de constater qu'une altération focalisée sur l'oreille entraîne d'autres dommages sur l'ensemble de l'organisme. Des désordres psychiques s'y ajoutent souvent. (Tomatis, 1996 : 156)

Les vibrations sonores sont donc aussi perçues par le corps. Il devient donc impossible de réduire l'écoute à un simple phénomène auditif. Dans le cas d'une trop forte intensité, au-delà du seuil d'audibilité, le corps adapte même sa perméabilité cutanée à la réception sonore. Le corps concourt aussi à une protection naturelle face aux nuisances sonores liées à l'intensité.

Depuis le milieu du XXe siècle, certains ethnomusicologues ont étudié les rapports entre les sons et les rites liés à la religion ou la magie dans les sociétés traditionnelles (During, 1988). Il serait imprudent de vouloir attribuer une vertu magique à la seule matière sonore, mais André Schaeffner observe :

Au Tibet d'ailleurs, chez les Michmi, la danse d'exorcisme s'accompagne du tintement de grelots mêlés à des dents de tigres ; la danse du chamane allie le bruit torrentueux des grelots à celui de la peau furieusement battue ; en plus de ses instruments rituels l'aggakkok ou magicien esquimau se sert de rideaux de peau qui ferment sa hutte et produisent une quantité de sons extraordinaires et mystiques [...] (Schaeffner, 1968, p. 117)

Si Schaeffner constate la présence systématique du son et de la musique dans les rites et rituels de différentes cultures, il relie aussi la musique à la danse, voire à l'extase ou à la transe :

La danse circulaire et extatique des derviches, tourbillonnante des Afghans, a pu avoir son équivalent dans les rondes dionysiaques de l'antiquité : celles-ci étaient animées d'une furie qu'entretenaient soit une percussion frénétique, soit l'aigreur obsédante des hautbois criards et dont les anciens disaient qu'ils invitent à la folie et rendent les auditeurs pleins du dieu. (Schaeffner, 1968, p. 133)

Les études ethnomusicologiques mettent en relation, d'une manière évidente, l'écoute musicale, le corps avec de nombreux rituels religieux ou magiques. La présence sonore qui accompagne les différents rites semble toujours d'une intensité élevée : Schaeffner parle de « bruit torrentueux », de « peau furieusement battue », de « percussion frénétique » ou de « hautbois criards ». La réception corporelle du son, de par les vibrations intérieurement perçues, se traduit extérieurement par une gestuelle plus ou moins contrôlée à travers la danse.

L'observation des pratiques d'écoute musicale dans les concerts de musiques actuelles amplifiées n'est pas sans rappeler les pratiques d'écoute musicale observées par les ethnomusicologues dans certaines sociétés traditionnelles :

Lorsque l'intérêt s'est transporté des musiques « exotiques » aux musiques urbaines, on s'est alors aperçu que l'on pouvait légitimement rapprocher le concert rock et plus récemment la soirée « rave » de la transe et de la possession [...] (Molino, 2007, p. 1158)

Si l'on compare les différents rituels des concerts de musique classique, de musique jazz ou de musique rock, les comportements face à l'écoute musicale sont très différents. Tandis que l'auditeur de musique classique reste confortablement installé dans son fauteuil pendant le concert, l'auditeur de musique jazz applaudit en plein morceau et se dandine sur son siège au rythme de la musique. Quant à l'auditeur de musique rock, souvent debout, il est d'une mobilité permanente déconcertante, pouvant aller de la danse au cri le plus hystérique. Au-delà de ces simples observations, il semble important de noter que l'intensité sonore est croissante d'un genre à l'autre. Il reste tout de même rare qu'un concert de musique classique soit amplifié, et, même si le fortissimo d'un orchestre symphonique est d'une puissante intensité, il ne s'inscrit pas dans la durée.

Les musiques de jazz sont très souvent amplifiées, mais l'exigence des musiciens dans la restitution des timbres instrumentaux limite la puissance de l'amplification. La musique rock revendique pleinement la puissance sonore, allant même jusqu'à intégrer esthétiquement la distorsion. L'intensité sonore et la qualité d'écoute sont-elles toujours compatibles ?

Il faut aujourd'hui constater la révolution opérée par les nouvelles technologies sur l'écoute musicale. L'apparition dans le paysage musical des musiques amplifiées oblige le musicologue à reconsidérer son analyse de l'expérience d'écoute. Cette expérience d'écoute n'est plus seulement une affaire d'oreille. Les questionnements soulevés par le « facteur intensité » deviennent incontournables.

 

5. Les pratiques d'écoute adolescentes

a. Un besoin de puissance sonore

Une enquête a été réalisée en 2009 sur les « comportements adolescents face à la musique » (Guibert, Lambert et Parent, 2009). Cette enquête, menée sous la direction de sociologues auprès des collégiens et lycéens en Pays de la Loire, étudie les risques auditifs face aux musiques amplifiées. Les résultats montrent que près de 90% des jeunes déclarent écouter de la musique à un volume « fort » ou « moyen », que 77% des adolescents déclarent avoir déjà ressenti des effets négatifs sur leur santé suite à une exposition sonore, et que 100% des élèves âgés de plus de 18 ans ont déjà ressenti ces problèmes de santé.

Ces effets négatifs sont de natures variables : sensation de perte d'audition, sifflements et bourdonnements, maux de tête, sensations de vertige, palpitations ou points au cœur. Il est donc incontestable qu'une trop forte intensité sonore a des répercussions sur l'ensemble de l'organisme, constat corroboré par de nombreuses études médicales :

Le son étant vibration, il atteint également d'autres parties du corps. Un bruit intense peut être à l'origine de maux de tête, de nausées, d'impuissance sexuelle, d'une baisse de la vision, de dérèglements cardiovasculaires, gastro-intestinaux et respiratoires. (Schäfer, 2010, p. 270)

Le « facteur intensité » ne concerne naturellement pas seulement les musiques actuelles amplifiées, mais, plus généralement, l'apparition des techniques d'amplification dans la musique et dans le son. Leur utilisation massive et récurrente intègre l'intensité dans l'esthétique musicale contemporaine, quel que soit le genre ou le style. La musique électroacoustique, par exemple, ne peut se passer des techniques d'amplification pour sa diffusion en situation de concert. b. Une forte intensité permanente

L'intégration du « facteur intensité » dans l'esthétique musicale n'est certes pas nouvelle, comme nous l'avons dit précédemment. Elle répond d'abord à une nécessité acoustique liée à l'espace sonore. Ce qui semble aujourd'hui nouveau dans l'expérience d'écoute, c'est la présence permanente et continue d'un niveau d'intensité élevé. Depuis le XVIIe siècle, l'écriture musicale joue avec les nuances, c'est-à-dire avec des variations d'intensité contrastées, pour créer du relief et des plans sonores variés : alternances de Tutti et de solos, échos... Les productions musicales amplifiées n'utilisent que très rarement ces variations d'intensité. L'oreille est donc soumise à un niveau sonore constant.

Il est encore important de souligner les relations de plus en plus étroites entre les productions musicales actuelles et la danse. Les chansons populaires contemporaines ne sont plus seulement destinées à être chantées ou écoutées, elles sont également conçues pour être dansées. La musique renvoie donc l'auditeur à une réception sonore corporelle et aux traductions gestuelles qu'elle suscite. L'écriture musicale s'adapte nécessairement à ces nouveaux paramètres d'écoute en développant une pulsation soutenue dans les graves et des structures mélodiques et rythmiques répétitives, caractéristiques que l'on trouve dans la plupart des musiques populaires contemporaines.

Ces relations entre les pratiques musicales, l'expérience d'écoute et le corps ne sont pas nouvelles. Ce qui paraît s'être développé durant les trois ou quatre dernières décennies, c'est une posture d'écoute plus sensorielle fondée sur une réception vibratoire exacerbée, peut-être au détriment de la perception musicale. L'utilisation du « facteur intensité » comme élément dominant syntaxique et esthétique n'est sans doute pas étrangère à cette évolution.

 

6. Des questionnements à la conclusion

Cette réflexion nous conduit inévitablement à soulever certains questionnements fondamentaux sur les impacts possibles du « facteur intensité » sur l'expérience d'écoute. Si un niveau élevé d'intensité sonore est devenu une nécessité musicale pour le compositeur et un besoin sensoriel pour l'auditeur, n'est-il pas alors concevable de parler d'une possibilité d'addiction sonore à l'intensité ? L'expérience d'écoute musicale est librement consentie, elle devient même désirée car elle est source de plaisir pour l'auditeur.

Il est donc alors pertinent de s'interroger sur l'origine de ce plaisir. Le plaisir d'écoute n'a-t-il pas progressivement basculé d'un plaisir purement musical vers un plaisir sensoriel dominant ? En poursuivant notre logique réflexive, cela pourrait même nous amener à penser que l'expérience d'écoute n'a, aujourd'hui, plus rien à voir avec une expérience musicale. La dimension vibratoire du son peut suffire au plaisir sensoriel et il n'est pas rare de constater l'usage d' « adjuvants d'écoute », tels que les drogues ou l'alcool, dans une expérience d'écoute collective et festive. Ces adjuvants ont-ils un effet excitateur ou annihilateur sur la perception des vibrations sonores ?

Nous pouvons maintenant réaffirmer les dangers potentiels que présente l'excès d'intensité sonore. L'agression sonore peut être immédiate, les premiers effets traumatiques ne sont pas permanents. Ce n'est que le renouvellement régulier d'une telle exposition qui accentue dans le temps les effets négatifs jusqu'à les rendre irréversibles. L'agression sonore, sournoise, peut, selon Tomatis (1996), aboutir à « une déprivation sensorielle qui conduit facilement à l'adynamie, et souvent au suicide. »

L'écoutant peut prévenir ces risques en agissant de lui-même sur le « facteur intensité ». Il peut d'un simple geste diminuer le volume sonore de la source, il peut aisément s'éloigner de cette source (éviter, par exemple, l'écoute au casque) et il peut aussi protéger son appareil auditif avec les mains ou avec des objets faisant office de sourdine. Dans la plupart des cas, il possède aussi la maîtrise du temps d'exposition sonore. L'écoutant doit être capable d'appréhender les relations qu'entretient l'intensité avec la source sonore, l'espace et le temps. Cette compétence doit pouvoir être un objet d'éducation qui dépasse très largement la seule éducation musicale. Ecouter est une « expérience individuelle » (la connaissance) qui permet de capter une « information extérieure au sujet » (les indices sonores) pour conduire à une « problématisation du réel » (le savoir). (Astolfi, 1992)

Si l'on peut aisément adhérer à un principe d' « écoutabilité », tous les sons et toutes les musiques peuvent être écoutés, ce n'est pas sans oublier la réalité d'une agression sonore possible par overdose de décibels. Jean Piaget définit l'éducation comme « une adaptation de l'individu au milieu social ambiant » (Piaget, 1969). L' « éducation à l'écoute », préconisée par Murray Schafer (1977), pourrait être définie comme une adaptation de l'individu au milieu sonore ambiant. L'agression sonore n'étant pas une fatalité, il reste encore aujourd'hui indispensable d'introduire une sensibilisation aux risques auditifs dans un projet plus global d'éducation.

 

BIBLIOGRAPHIE

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Recebido: 28/06/2013
Última revisão: 30/05/2014
Aceite final: 07/06/2014