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Revista Mal Estar e Subjetividade
versión impresa ISSN 1518-6148
Rev. Mal-Estar Subj. vol.11 no.2 Fortaleza 2011
AUTORES DE OUTROS PAÍSES
ARTIGOS
Reflexions sur les troubles dysmorphophobiques a l'adolescence
Reflections on dysmorphophobics disorders in the adolescence
Reflexões sobre os distúrbios de dismórficos na adolescência
Reflexiones sobre los trastornos dysmorphophobiques en la adolescencia
Eric Bidaud
Métre de conférences, HDR. Psychanalyste. Université Paris 13. Membre du laboratoire de psychologie de Paris 13 (UTRPP). End.: Université Paris 13. LSHS. 99. Av. Jean-Baptiste Clément. 93430. France. E-mail: eric.r.bidaud@wanadoo.fr
RÉSUMÉ
Ce que nous privilégierons dans l'événement dysmorphophobique du corps adolescent est la dimension de crise du rapport au regard. Sous cet angle les phénomènes dysmorphophobiques de l'adolescent pourraient constituer un axe particulier permettant de situer une clinique de la honte. Ces phénomènes courants à l'adolescence intéressent les deux sexes et sont classiquement définis comme dépendants des transformations pubertaires et du processus de sexuation. Nous voudrions montrer que face à ce sentiment diffus et difficilement nommable le sujet adolescent va devoir s'inventer un dispositif esthétique, un espace de création qui trouve matière sur le corps propre affin de se départir de la dimension anéantissante du regard. Nous défendons ainsi l'idée que l'épreuve phobique de l'adolescent comme ''événement du corps'' est le lieu même de la reconstruction de l'espace du fantasme qui rend possible le positionnement sexué psychique. Aussi toute une problématique du voilement situera l'adolescent vers ce que nous pouvons nommer sa ''revisagéification'' nécessaire comme réponse à son questionnement dans le champ de l'échange des regards. Cette idée de construction du visage à I'adolescence peut être comprise comme cet espace ou se joue et s'assume la revisite du stade du miroir, en particulier du côté du regard et de son appropriation, permettant de mettre en place les nouveaux montages entre le sujet et l'objet pour construire une relation génitalisée à l'autre sexe. Le corps se construit alors comme regardable dans la mesure ou il acquiert un visage pour l'Autre, un visage-homme ou un visage-femme, s'inscrivant et s'identifiant au registre de la sexuation. Nous dirons donc que phénomènes phobiques et formations esthétiques forment les deux pôles structurels du processus de sexuation.
Mots-clés: Adolescence, dysmorphophobie, visage, sexuation, honte, esthétique.
ABSTRACT
What we privilege in the dysmorphophobic event of the adolescent body is the dimension of crisis with regard of gaze (or glance).Viewed from this angle, the dysmorphophobic phenomena of the adolescent could constitute a specific axis allowing placing a clinical of the Shame. These common phenomena in the adolescence concern both sexes and are classically defined as dependent on ephebic transformations and on the process of sexuation. We would like to show that in view of this diffuse feeling and with difficulty to name it the adolescent subject is going to have to invent an aesthetic device, a space of creation which finds material on the own body to abandon the annihilation's dimension of gaze (or glance). We so defend the idea that the phobic experience of the adolescent as an "event of the body" is the place of the reconstruction of the space of the fantasy, which makes possible the psychic sexual positioning. Thus a covert problematic will place the adolescent towards what we can name his/her "revisagéification" (without translation) necessary as an answer for the questioning on the realm of the exchange of glances. This idea of construction of the face in the adolescence can be understood as this space where the stage of the mirror takes place and its revisit is assumed, in particular related to the glance and its appropriation, allowing the setting of new assemblies between the subject and the object to build a genital relation towards the other sex. The body builds itself then as glanceable as far as it acquires a face for the Other one, a face-man or a face-woman, joining and becoming identified with the realm of sexuation. We shall thus say that phobic phenomena and aesthetic formation form both structural poles of the process of sexuation.
Keywords: Adolescence, dysmorphophobia, face, shame, sexuation, aesthetic.
RESUMO
O que privilegiamos no acontecimento dismorfofóbico do corpo adolescente é a dimensão de crise da relação ao olhar. Sob este aspecto os fenómenos dismorfofóbicos do adolescente poderiam constituir um eixo particular que permite situar uma clínica da vergonha. Esses fenômenos, frequentes na adolescência, dizem respeito aos dois sexos e são classicamente definidos como dependentes das transformações pubertárias e do processo de sexuação. Gostaríamos de demonstrar que, face a esse sentimento difuso e dificilmente nominável, o sujeito adolescente vai precisar inventar um dispositivo estético, um espaço de criação que encontra matéria sobre o próprio corpo a fim de separar a dimensão arrasadora do olhar. Defendemos assim a ideia de que a experiência fóbica do adolescente como "acontecimento do corpo" é o lugar mesmo da reconstrução do espaço do fantasma que torna possível o posicionamento sexuado psíquico. Da mesma forma, toda uma problemática do velamento situará o adolescente na direção daquilo que podemos nomear de sua "re-rostificação" (revisagéification) necessária como resposta ao seu questionamento no campo da troca de olhares. Esta ideia de construção do rosto na adolesência pode ser compreendida como esse espaço onde se dá e se assume a revisita do estádio do espelho, em particular do lado do olhar e de sua apropriação, permitindo situar as novas montagens entre o sujeito e o objeto para construir uma relação genitalizada ao outro sexo. O corpo se constrói então como olhável, na medida que adquire um rosto para o Outro, um rosto-homem ou um rosto-mulher, se inscrevendo e se identificando no registro da sexuação. Diremos, portanto, que fenômenos fóbicos e formações estéticas formam os dois pólos estruturais do processo de sexuação.
Palavras-chave: Adolescência, transtorno dismórfico, face, sexuação, vergonha, estética.
RESUMEN
Privilegiaremos en el acto dismorfofóbico del cuerpo adolescente la dimensión de crisis relacionada con la mirada. Bajo ese ángulo los fenómenos dismorfofóbico del adolescente podrían constituir un eje particular para una "clínica de la vergüenza". Esos fenómenos comunes en la adolescencia interesan a los dos sexos y son definidos clásicamente como dependientes a las transformaciones de la pubertad y de los procesos de sexuación. Quisiéramos mostrar que frente a ese sentimiento difuso y difícilmente nombrable el sujeto adolescente deberá inventarse un dispositivo estético, un espacio de creación que encuentra en el propio cuerpo su materia para abandonar la dimensión aniquilante de la mirada. Defenderemos así la idea que la prueba fóbica de lo adolescente como "acontecer del cuerpo" es el lugar de la reconstrucción del espacio del fantasma haciendo posible la posición psíquica sexual. Así también toda la problemática del uso del velo situará al adolescente en lo que podemos nombrar "re-rostridad" (revisagéification) necesaria como respuesta a su pregunta en el campo del intercambio de miradas. Esta idea de construcción del rostro en la adolescencia puede ser comprendida como ese espacio donde se juega y se asume una vuelta al estadio del espejo, en particular del lado de la mirada y de su apropiación, permitiendo situar nuevos ensambles entre el sujeto y el objeto para construir una relación genitalizada al otro sexo. El cuerpo se construye como apreciable en la medida que toma un rostro para el Otro, un rostro hombre o un rostro mujer, inscribiéndose identificándose al registro en la sexuación. Diremos entonces que fenómenos fóbicos y formaciones estéticas componen los dos polos estructurales del proceso de la sexuación.
Palabras-clave: Adolescencia, trastorno dismórfico, cara, sexualidad, vergüenza, estética.
L'histoire du terme et du statut psychopathologique de la dysmorphophobie montre d'incessants déplacements en rendant difficile une unité de sens. Certains auteurs ont pu associer les dysmorphophobies à la problématique de la psychose et aux idées délirantes (Schachter, 1971; Kourpernik, 1962), d'autres ont pu en décrire le socle paranoïaque (Thoret, 2003; Mirabel, 1992 ). Ajuriaguerra (1980), Marcelli et Braconnier (2000) les ont rapprochées de la névrose obsessionnelle et de la catégorie ''floue'' des idées obsédantes. Jeammet (2004) les relie avec les états dépressifs. Birraux (1994) a développé sa recherche dans le sens d'une problématique fétichique de cette catégorie de symptômes. Par ailleurs, le terme même de dysmorphophobie qui s'est maintenu dans la littérature malgré quelques tentatives de changement1 peut poser problème dès lors qu'il ne relève pas de l'économie habituellement décrite du champ des phobies qui suppose un plan de projection à l'extérieur de l'objet d'angoisse permettant ainsi conduites de fuite et d'évitement. Ici l'objet d'angoisse se situe sur le corps propre, en un tracé du corps qui délimite un site ''étranger'' au sujet lui-même qui en quelque sorte est exilé d'une partie de lui-même. Aussi comme le formule Birraux, pour qui les dysmorphophobies rentrent dans la catégorie des phobies de la limite, phobies du corps ou d'une partie du corps:
Ici, monde interne et monde externe se confondent dans l'épaisseur du corps et témoignent d'une différenciation incertaine, souvent ponctuelle de l'espace psychique. (Birraux, 1995, p.119)
Ce que nous privilégierons dans l'événement dysmorphophique du corps adolescent est la dimension de crise du rapport au regard. Le site phobique du corps dépose le regard à sa bordure, lorsque le sujet lui-même ne se regarde plus ou se regarde trop jusqu'à être dans la haine d'une partie de son corps vécut comme honte du corps. La dysmorphophobie rend compte de cette crise du corps dans un rapport au regard qui s'mpose en un événement de mise en abîme de la honte, de la déréliction d'un partiel du corps qui prendra valeur d'un creux à recouvrir.
Adolescence et Dysmorphophobie
Les phénomènes dysmorphophobiques de l'adolescent pourraient constituer un axe particulier permettant de situer une clinique de la honte2. Ces phénomènes courants à l'adolescence, intéressent les deux sexes et sont classiquement définis comme dépendants des transformations pubertaires et du processus de sexuation3. Si ils peuvent concerner toutes parties du corps les plus intéressées par ces transformations, (pilosités, poitrine..), nous devons reconnaitre que le visage constitue le siège des preoccupations les plus importantes. Ils traduisent la hantise du sujet quant aux transformations du corps supposées tombées sous le regard de l'autre (et nous pouvons dire déchoir dans le champ du regard). Nous dirons que le corps adolescent s'éprouve en un sentiment diffus de dé-figuration. Il est l'objet insistant du regard du sujet en une ''contemplatio'' anxieuse. Ce qu'il voit sur lui-même, c'est la laideur, la difformité mais pour autant que ce regard est aussi celui de l'autre qui traduit une certaine communion des regards. La honte du corps se soutient, dans l'espace du sujet à l'autre, par un regard qui unit les deux parties, un seul regard pour deux. Ce qui conditionne une certaine chute du sujet en ce phénomène de honte du corps propre est que le regard (objet ''a'' dans l'algèbre lacanienne) vienne à occuper une place, une seule comme un point de vérité, à partir de laquelle il se sait regardé. Lacan a bien montré que le sujet ne se maintient que pour autant que l'objet a, ici le regard, ne soit pas quelque part, que l'on soit dans l'ignorance ou le doute de sa place, autrement dit que l'on ne sache pas d'où l'on est regardé. Le symptôme dysmorphophobique porte précisément témoignage d'un regard que je vois de l'autre et qui pointe une partie du corps qui se dissout dans la honte. Le Je voudrait dérober au regard de l'autre ce lieu ressenti comme honteux mais cette honte ne cesse de fasciner ce regard. C'est une partie du corps qui s'offre dans une persistante et obscène nudité. Le réel du corps c'est ce qui revient toujours à la même place. C'est ainsi ce qui ne peut rentrer dans aucune transaction, aucun échange. Le corps est dans une compacité qui n'ouvre aucun espace de déploiement du fantasme. Ce que nous poserons est que ce réel du corps fixe un point qui se résorbe au moins dans sa formulation phobique et les créations esthétiques de recouvrement.
Surgissant comme événement du corps, la phobie signe toute situation de passage comme solution à l'irruption du réel sexuel.
Cette portion du corps phobique est comme mise à découvert, obscènisée, sortie de la scène du fantasme. La crise du corps témoigne d'une chute partielle de la dimension imaginaire, vacance de la fonction spéculaire qui fait vaciller le sujet au-devant du regard de l'autre.
En opposition a la culpabilité qui est d'ordre objectal, la honte est un émoi fondamentalement narcissique, c'est-à-dire qu'il engage l'être même en un sentiment envahissant d'effondrement ou de chute subjective. De cette honte du corps, indignité de son image, le sujet n'en fait pas un discours. Il veut la taire et ne la constitue pas comme une plainte mais comme le terrain mouvant d'une dépressivité muette. Il y a honte de la honte dans une poursuite presque en abîme d'un point de fuite qui l'épingle. Il y va, en cette expérience de la honte, d'une angoisse qui isole et qui comporte un risque de néantisation. Nous voudrions montrer que face à ce sentiment diffus et difficilement nommable le sujet adolescent va devoir s'inventer un dispositif esthétique, un espace de création qui trouve matière sur le corps propre afin de se départir de la dimension anéantissante du regard. Ce dispositif esthétique comme cosmétique du corps, voile du corps4, va rendre possible une nouvelle disposition des regards en faisant ''éclater'' ce point fixe du regard. Nous partons de ce que nous avons établi dans notre travail sur le visage (Bidaud, 2009) comme processus rendu possible par le stade du miroir: la relation au visage propre et à celui de l'autre procède de ce que les regards ne peuvent faire rencontre. Le visage ne se constitue comme organisation de l'espace du visible et de la relation à l'autre que pour autant qu'il procède de la discontinuité des regards, d'un écart qui marque l'impossible de la complémentarité des regards. C'est de l'impossible rencontre des regards que procède la mise en place des visages comme un accord incertain de rencontre. Le visage règle le rapport possible à tout regard dans/de l'autre. Le regard ne peut trouver sa place que dans la capture signifiante que constitue le visage. Le rapport au visage permettant seul de soutenir le regard, nous admettrons que le visage est un espace construit par où s'arrange l'impossible rencontre des regards. Comme effet et travail pubertaire dû rejouent du stade du miroir, le symptôme dysmorphophobique porte témoignage d'une crise du visage du corps, de l'expression localisée d'un dé-visage du corps. Le site phobique du corps est un lieu ''dé- visagé'', un lieu qui échappe à l'organisation ''visagée'' de toute relation à l'Autre, dès lors qu'il est pointé, hanté par un regard qui semble surgir de l'espace de l'entre-deux sujets.
À partir du moment ou l'objet a émergé, de sujet il n'y en a plus: il est soufflé; il se produit ainsi une chute de la dimension de l'imaginaire, puisque cette dimension ne se maintient que dans la mesure où la fenêtre du fantasme reste tendue, que son cadre reste dressé. (Melman, 1989, p.107 )
C'est la dissolution du fantasme qui accompagne cette présentification du regard dans l'entre-deux sujets. Cette partie du corps non pas désignée au regard de l'autre mais possédée par le regard est soudain retirée au jeu du fantasme, il devient un réel, un creux du corps inoccupable. Toute opération de voilement et de mise en perspective esthétique du corps vise à rendre envisageable la relation sexuée à l'Autre en produisant une occultation du regard, comme condition de la relance du cadre du fantasme.
Dysmorphophobie et Processus de Sexuation
Les craintes dysmorphobiques renvoient aux appréhensions de ce qu'une position sexuée du côté féminin ou masculin peut évoquer d'un engagement impossible à tenir au-devant du regard des autres. C'est à partir d'une conviction de contenir en un creux imaginaire du corps une négativité honteuse que l'adolescent ou l'adolescente se ressent exclu du jeu social et de tout registre de la séduction et se fait un refuge de cette condition de proscrit en se mettant en vacance de l'épreuve de sexuation. Nous entendons dans le discours d'un adolescent ce: je n'ai pas ce qui fait la normalité sexuée du corps des autres. Ce que sont les signes de la sexuation, la poitrine, les hanches , les formes pour une jeune fille, ou le torse, les épaules, la voix pour le garçon, tout cela est ressenti comme ''n'étant pas'' ou insuffisamment là. C'est sur le fond de leur absence que ces objets en négatif vont occuper une place singulière, un non-lieu paradoxal d'être ce par quoi le sujet reconnaît non pas un manque, mais un creux du corps comme la place vide d'un puzzle désignant le contour de la pièce qui viendra la combler. Aussi telle pièce de vêtement, tel objet élu collé au corps prennent statut provisoire d'être un bouchon sur un vide à recouvrir. Autrement dit, ces objets ou contours phobiques du corps présentifient l'absence et la masque à la fois, manifestant la continuité souvent relevée entre objet contraphobique et objet fétiche.
Mais s'agit-il surtout d'une position en attente, d'un arrêt sur image plus que de la contemplation, relation figée au cadre d'un vide. Aussi nous souscrivons à l'hypothèse défendue par Goldsztaub et Dupont (2006) de mise en suspens de l'identité sexuée, mise en suspens du rapport sexuel à l'autre soutenue par l'événement dysmorphophobique. Cet arrêt sur image sur un site du corps constituera le plan d'une création, d'une écriture du corps en tant qu'il sera le cadre d'une disposition de traits, de griffe et de marques, d'un dispositif de re-signification du corps. Nous défendons ainsi l'idée que l'épreuve phobique de l'adolescent comme ''événement du corps'' est le lieu même de la reconstruction de l'espace du fantasme qui rend possible le positionnement sexué psychique. C'est dans un certain travail sur le corps que le sujet s'assumera comme regardant et regardé5, aimant et aimable. Nous désignons ici le passage de l'objet contraphobique en sa fonction d'étayage du moi aux objets esthétiques de voilement comme le parcours original pour chaque sujet du processus de la sexuation lié au pubertaire.
Adolescence et Processus de Visagéification
L'adolescence, en tant qu'elle marque une reprise du stade du miroir (Rassial, 1996), c'est-à-dire un ''rejoue'' de l'échange des regards, engage le sujet à se poser (à trouver sa pose) dans son rapport à son image propre et à l'image de l'Autre. L'adolescence est ce moment ou, dans l'après-coup du stade du miroir, le sujet va devoir se réapproprier une image du corps transformée et ceci sous le regard de l'Autre. Nous voulons dire que le sujet ne peut éviter dès lors la question du ''regardable'' et de l'esthétique de ce ''regardabl'': Que suis-je, peut-il penser, sous le regard de l'Autre, et qu'est-il, cet Autre, sous mon regard ? Un objet attrayant, un objet de désir, ou à l'inverse un objet sans attrait tirant du côté du risible, du honteux et plus encore de la laideur?
Aussi toute une problématique du voilement situera l'adolescent vers ce que nous pouvons nommer sa ''revisagéification'' nécessaire comme réponse à son questionnement dans le champ de l'échange des regards6. Le voilement de l'adolescent ou processus esthétique de résolution inclut aussi bien l'importance que celui-ci accorde au vêtement comme parure ou parade que le souci de l'esthétique du corps, de l'art de la coiffure au maquillage en allant jusqu'à l'inscription et l'ornementation sur le corps propre: tatouage et piercing. La mode et le style de l'adolescent jouent sur un partage entre le bon et le mauvais gout, l'ordre et le désordre, le beau et le laid. Elle court au-devant du regard pour le capter, le provoquer, le questionner. C'est enfin le corps tout entier dans son rapport à l›espace qui fait jeu du geste et du mouvement à inventer: la danse, la démarche, le rythme qui traduisent la chorégraphie du corps en quête d'une nouvelle visibilité dans le champ de l'Autre.
Ce que nous entendons sous la notion de ''visagéification'' du sujet désigne ce jeu de découvrement-recouvrement du corps propre comme nécessaire médiation dans la rencontre des regards. L'adolescence engage en effet une rencontre et une invention de l'Autre comme altérité vraie, sujet et objet du désir, rencontre que nous spécifions comme rencontre des regards. Aussi par invention de l'Autre, nous indiquons ce par quoi l'Autre est trouvé-retrouvé, ce par quoi s'opère une ''revisagéification''du corps de l'Autre, c'est-à-dire son voilement. Cette idée de construction du visage à l'adolescence peut être comprise comme cet espace ou se joue et s'assume la revisite du stade du miroir, en particulier du côté du regard et de son appropriation, permettant de mettre en place les nouveaux montages entre le sujet et l'objet pour construire une relation génitalisée à l'autre sexe. Par le voilement, dans le sens que nous avons donné à ce terme, le corps prend visage, il s'envisage dans son rapport à l'Autre, il se construit comme re gardable et s'invente comme désirable. Cette partie du corps que tel sujet regarde comme détestable et honteux va devenir dans la construction esthétique du voilement paradoxalement un lieu désigné au regard de l'autre. Il va faire appel et devenir un enjeu de la relation sexuée; ainsi le terrain même de la honte du corps va devenir un enjeu d'érotisation, une voie nouvelle d'invocation de l'Autre7. Aussi la logique phobique dans son rapport au corps est de désigner un lieu qui dans la honte même qu'il enferme va être un point de captation mais aussi d›interrogation du regard. Ce point phobi que du corps se caractérise par sa division d'être à la fois exhibé et phallicisé et dans le même temps voilé et rejeté8.
L'adolescent cache ces parties de son corps comme des horreurs, mais aussi comme des signes de richesses, comme des trésors fortement érotisés. Il arrive même que cette fonction de voile soit mise en abîme par certains adolescents qui cherchent à cacher qu'ils cachent leurs corps... Bien sur, dans ce jeu de voiles et de voilements, s›entremêlent désir de masquer au regard des autres, mais aussi de suggérer, de montrer, de titiller, de susciter... (Goldsztaub & Dupont, 2006, p.310.)
Apparaît dans ce jeu de ''vêture'' et de parade ce qui spécifie la singularité de ce que l›on doit entendre sous la notion de transaction fétichique. La stratégie fétichique analysée par de nombreux auteurs est un effet de structure qui ne doit pas dans la clinique de l›adolescent être référée à une pente pathologique et à une organisation fétichiste vraie.
La survenue d›un rapport fétichique au corps manifeste un temps transitoire de pose ou de repli transitoire face à l›étrangeté de l›événement pubertaire, ce que Gutton ( 1983) a pensé sous la notion de ''transaction fétichique». Si cependant la stratégie fétichique est un temps d'attente, un''suspens'' du processus du sexuation, elle contient une dynamique essentielle de création et d›invention qui décidera de la mise en place des nouveaux montages entre le sujet et l›objet pour construire une relation génitalisée à l'autre de l'Autre sexe.
En effet, l'objet fétiche devient un symbole qui permet à l'adolescent de véhiculer un sens qu'il propose aux au tres. Il est pour le sujet un signal envoyé à autrui. Il est un gage de ce que le sujet propose. Il est le langage qui va permettre au sujet adolescent de s'inscrire, à partir de la reconnaissance de certains signes, dans un nouveau statut sexuel. (Bourcet & Tyrode, 2004, p.57)
Ce que nous décrivons est ce lien de continuité et le travail au sein même de ce lien entre le site phobique du corps, les mécanismes fétichiques associés et ce que nous nommons les formations esthétiques de résolution.
Le corps se construit alors comme regardable dans la mesure ou il acquiert un visage pour l' Autre, un visage-homme ou un visage-femme, s'inscrivant et s'identifiant au registre de la sexuation. C'est le corps tout entier qui est ramassé comme visage dans les traits imaginaires du contours de l'appréhension phobique du jeune adulte.
Nous dirons donc que phénomènes phobiques et formations esthétiques forment les deux pôles structurels du processus de sexuation. Si la fixation phobique sur un point du corps constitue comme un ''arrêt sur image'', un ''suspens'' du processus, les formations esthétiques ouvrent un espace de création identitaire qui rend possible la rencontre des regards.
Le souci adolescent du beau dans son rapport au visage-corps marque la nécessité de faire limite à cet ''évidement'' du corps impliqué par l›événement phobique. Il renvoie à l'idée de barrière devant le surgissement du réel pubertaire. On rappellera que Lacan proposait que le fait esthétique est ce qui retient contre le flux destructeur de la jouissance:
La vraie barrière qui arrête devant le champ innommable du désir radical, pour autant qu'il est le champ de la destruction absolue, de la destruction au-delà de la putréfaction, c'est à proprement parler le phénomène esthétique pour autant qu'il est identifiable à l'expérience du beau, le beau dans son rayonnement éclatant, ce beau dont on dit qu'il est la splendeur du vrai. C'est évidemment parce que le vrai n'est pas bien joli à voir que le beau en est, sinon la splendeur, tout au moins la couverture. (Lacan, 1960/1986, p.256)
A concevoir l'idéal du beau dans son lien au visage, nous avons à le penser comme une couverture, une pudeur sur un en deçà destructeur.
L'écriture du Corps
Nous proposons ici de donner à la notion d'écriture de corps une extension particulière, endeçà, dirons-nous, des différentes formes d›inscriptions graphiques, pour privilégier le registre du ''découvrement-recouvrement'' du corps propre et les effets de traces. Nous désignons ainsi sous la notion d›écriture de corps tout mouvement de ''traçage'' par lequel le corps est délimité par le sujet lui-même qui se désigne et se représente au champ de l›Autre. Du corps, le sujet en fait par exemple le contour par les trouvailles de ses investissements vestimentaires; il peut également «pointer» un lieu du corps, l'inscrire d'un sceau privé par l›inscription du tatouage, jusqu'à le raturer dans les coupures des scarifications.
Il s'agirait de faire l'hypothèse et d'explorer la scripturalité du corps non plus comme un objet extérieur au texte mais comme un de ses constituants. Tout un ensemble de processus propre au temps pubertaire produit une véritable forme langagière, textuelle et sémiotique des corps que certains chercheurs dans le champ littéraire et de la linguistique ont désigné sous le terme de corpographèse (Paveau & Zoberman, 2008). Ce terme renvoie aussi bien aux significations posturales et gestuelles qu'à la constitution littéraire, pictural, scénique de corps signifiants.
Toute une série de situations et de procédures plus ou moins clairement institutionnalisées favorisent en effet des marquages corporels qui sont de l'ordre de la corpographèse: militarisation du corps par les entrainements et les exercices, inscription de la religion par l'ascèse qui sculpte le corps comme l'exercice spirituel forme la pensée (processus éventuellement achevé par l'adoption d'une manière spécifique de se vêtir), modifications corporelles volontaires par adoption du système de la mode (habillement, coiffure, démarche, voire amaigrissement et modifications chirurgicales). ( p.9)
Aussi il convient de faire jouer ensemble deux registres: celui du voilement et celui de l'écriture du corps. Les tatouages par exemple inscrivent sur le corps un site à recouvrir, une localité ''érogène'' si l›on peut dire qui joue du montré et du caché et provoquant du regard donc un acte de voir en même temps qu'ils suscitent un acte de lecture et partant un acte de savoir. Voilement et écriture nouent les deux dimensions du désir et de l'interdit: voir et savoir.
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Recebido em 09 de agosto de 2010
Aceito em 07 de dezembro de 2010
Revisado em 15 de dezembro de 2010
1 Ainsi les termes de dysmorphestésie (sentiment de difformité), d'angoisse de dysmorphie ou de névrose dysmorphique.
2 On rappellera que Janet définissait la dysmorphophobie comme «honte de son propre corps».
3 Nous entendons sous le terme de sexuation un processus propre au temps adolescent par lequel se nouent assomption de l'identité sexuée et sexualisation des rapports aux autres.
4 Considérons les deux sens de ces deux homophones: voile au masculin et voile au féminin. Le voile est ce qui cache, recouvre, enlève au regard, ce qui en ce procès même constituera une direction, une intention de retrouver ou de trouver. Mais aussi la voile est ce qui recevant le souffle du vent se gonflera pour faire avancer un navire, ce qui fera partir. Ainsi mettre les voiles peut aussi bien viser le recouvrement nécessaire à la mise en place d'un secret, d'un contenu à protéger, que signifier ''foutre le camp'', ''les mettre'' pour reprendre des formules triviales mais qui contiennent d'heureuses connotations sexuelles. Espace de construction interne et mouvement dans l'espace sont ici désignés comme enjeux de la disposition du fantasme.
5 L'adolescent se regarde regardé faisant jouer le corps ou «collapsent» investissement narcissique et investissement objectal.
6 Nous nous permettons de renvoyer à notre article: Bidaud et Ouvry (2007).
7 La dimension paradoxale du phénomène dysmorphophobique qui est de situer sur le corps propre un lieu à la fois rejeté et érotisé trouve un destin ultime dans le fétichisme. Cette thèse a été très largement défendue par Birraux.
8 Nous renvoyons à l'article de Goldsztaub et Dupont (2006).