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Analytica: Revista de Psicanálise
On-line version ISSN 2316-5197
Analytica vol.8 no.14 São João del Rei Jan./June 2019
ARTIGOS
Le corps entre le pouvoir et le vouloir : un mouvement pulsionnel face à la limitation physique
The body beween the can and the want: a pulsional movement in the presence of physical limitation
El cuerpo entre el poder y el querer: un movimiento pulsional frente a la limitación física
O corpo entre o poder e o querer: um movimento pulsional face à limitação física
Priscila Antonio
Enfermeira. Especialista em Saúde Mental. Mestre e Doutora em Psicologia Clínica e Cultura. Docente da Universidade de Brasília. E-mail: priscilantonio@gmail.com
RÉSUMÉ
Il s'agit de l'étude d'un cas clinique face à la souffrance du corps, dans le cas de stomies intestinales, qui se déroule dans l'Hôpital Universitaire de Brasilia, et, qui a débuté en août 2012 après l'autorisation (numéro 33/12) du Comité d'Éthique de la Recherche de l'Université de Brasilia. Des entretiens non directifs (enregistrés et retranscrits intégralement) ont été utilisés. Notre analyse porte sur l'utilisation des verbes modaux: vouloir, devoir et pouvoir. Deux catégories analytiques ont été prises en compte: 1. Expérience du corps matériel: vivre la stomie; 2. Le mouvement d'auto-préservation: vivre malgré la stomie, celui-ci renforce la thèse du mouvement pulsionnalisé exprimé par les verbes utilisés.
Mots-clés: Corps. Stomie. Mouvement pulsionnel. Psychopathologie.
ABSTRACT
It is a study on clinical cases in the presence of the suffering of the body in instances of intestinal ostomy, developed at the Hospital Universitário de Brasília and initiated in August 2012 after approval by the Ethics Committee on Research of the Universidade de Brasília (number 33/12). We used unstructured interviews (recorded and extensively transcribed). Our analysis is done on the use of modal verbs: to want, should and can. Two analytic categories emerged: 1. The experience of the material body: living out the ostomy; 2. The self-care movement: to live despite the ostomy, reinforcing the thesis of a pulsionalized movement expressed by use of the verbs cited above.
Keywords: Body. Ostomy. Pulsional movement. Psichopathology.
RESUMEN
Se trata de un estudio de caso clínico delante el sufrimiento del cuerpo, en casos de ostomía intestinal, desarrollado en el Hospital Universitario de Brasília e iniciado en agosto de 2012, luego de la aprobación (número 33/12) del Comité de Ética de la Universidad de Brasília. Utilizamos entrevistas no estructuradas (grabadas y transcritas integralmente). Nuestro análisis se hace sobre el uso de verbos modales: querer, deber y poder. Dos categorías analíticas fueron llevadas en cuenta: 1. La experiencia del cuerpo material: vivir la ostomía; 2. El movimiento del autopreservación: vivir a pesar de la ostomía, reforzando la tesis de un movimiento pulsionalizado expresado por el uso de los verbos citados anteriormente.
Palabras clave: Cuerpo. Estomía. Movimiento pulsionalizad. Psicolpatología.
RESUMO
Trata-se de um estudo de caso clínico face ao sofrimento do corpo, em casos de estomias intestinais, desenvolvido no Hospital Universitário de Brasília e iniciado em agosto de 2012 após autorização do Comité de Ética em Pesquisa da Universidade de Brasília (número 33/12). Utilizamos entrevistas não estruturadas (gravadas e transcritas na íntegra). Nossa análise se fez sobre o uso dos verbos modais: querer, dever e poder. Emergiram duas categorias analíticas: 1. A experiência do corpo material: viver a estomia; 2. O movimento do autocuidado: viver apesar da estomia, reforçando a tese de um movimento pulsionalizado expresso pela utilização dos verbos mencionados.
Palavras-chave: Corpo. Estomia. Movimento pulsional. Psicopatologia.
1 INTRODUCTION
La présente recherche aborde la souffrance humaine face à la limitation physique, plus particulièrement celle des stomisés qui souffrent non seulement en raison de la limitation de leur corps malade, mais aussi à cause de la mutilation de l'image de ce corps qu'ils ne reconnaissent souvent plus comme le leur. Afin de replacer dans son contexte la question présentée ici, voici une définition de ce qu'est une stomie : le mot stomie est d'origine grecque «stomoun», qui signifie l'ouverture ou la bouche.Il est utilisé pour indiquer l'abouchement de tout viscère creux à travers le corps. Lors d'une opération de colostomie, par exemple, le gros intestin (côlon) est amené à la surface de l'abdomen pour constituer une stomie intestinale. La cause la plus fréquente de stomie permanente est le cancer colorectal et la plus commune parmi les stomies provisoires est le traumatisme abdominal avec perforation de l'intestin (Silva & Shimizu, 2012). La nécessité de soutenir ces patients a conduit les infirmiers stomathérapeutes du service ambulatoire de l'Hôpital Universitaire de Brasilia à leur ouvrir un espace d'écoute et d'accueil.
Cette recherche présente un cas clinique qui se déroule dans le Serviço Ambulatoria] de Enfermagem em Estomaterapia1(SAEE) de l'Hôpital Universitaire de Brasilia (HUB), et, a débuté en août 2012 après l'autorisation (numéro 033/12) du Comité d'Éthique de la Recherche (CEP) de l'Université de Brasilia (UnB). Les témoignages du patient ont été recueillis au moyen d'entretiens non directifs, car le but est de mieux connaître la souffrance éprouvée par le patient et de cette façon on peut comprendre que la cause de la demande, les plaintes et les souffrances soient nécessairement racontées et même répétées. Les témoignages ont été enregistrés et retranscrits intégralement.
Cet article chercher à lancer les bases de la compréhension de la souffrance de ces patients et de la disposition de ceux-ci à poursuivre leur vie, vivants malgré tout. Cette étude propose un cadre théorique nouveau qui croiseplusieurs approches, la psychanalyse, la philosophie et la linguistique, pour une écoute originale des verbes modaux. Pour cela, je vais utiliser un cas clinique modèle, en suivant une séquence didactique: L'écoute, la compréhension de la souffrance, et, l'analyse du mouvement pulsionnel (présentation du cas proprement dit).
2 L'ECOUTE
L'écoute a été identifiée comme le principal instrument de connaissance de ce qui se passe dans l'esprit des patients, et cette compréhension est une prérogative pour une clinique humaniste. Par conséquent, nous proposons une écoute dirigée vers les catégories «pathiques» (qui vient du pathos grec et qui désigne les choses humaines), qui ont été d'abord présentées par Weizsaker (1958) et qui sont représentées par les verbes modaux: le vouloir, le pouvoir et le devoir. Nous croyons que cette écoute permet une compréhension différenciée de l'être humain, de ses souffrances et de ses désirs les plus intimes, qui surgissent dans les discours spontanément, comme pour trahir leur propre auteur.
À ce stade, Weizsaker attire l'attention sur la question du patient «pourquoi cela m'est-il arrivé à moi?» et sur la réponse scientifique-technique et médicale, qui ne se consacre pas du tout à ces questions existentielles (Schotte, 1958). D'autres auteurs ont souligné ce même fait, comme Foucault (2011) à propos du désir de connaissance entre le XVIe et le XVIIe siècle en Angleterre, particulièrement sur le besoin de preuves: «voir, plutôt que de lire, vérifier au lieu de commenter» (p. 16), c'est-à-dire une connaissance de l'investissement en matériel technique et scientifique.
Il n'y a pas de doute que cette connaissance technique et scientifique a apporté des résultats importants à des fins diagnostiques et thérapeutiques. La capacité à rester en vie malgré un traumatisme abdominal ou un cancer colorectal en est un exemple. Le sujet de notre discussion n'est pas cela mais la capacité d'accueillir ces patients qui souffrent sans aucun doute. Nous pensons donc que l'écoute est le principal instrument d'acceptation des patients par les professionnels de la santé. De cette façon, nous offrons aux patients, un espace où ils peuvent dire. Voici la première phrase prononcée par notre patient, en entrant dans le cabinet: «Mon histoireest longue.» [Monsieur E]
Aussi longue que l'intestin. Une déclaration de l'hypothèse qu'il avait beaucoup à dire. Il a parlé pendant une heure et demie sans que je puisse l'interrompre.
3 À PROPOS DE LA SOUFFRANCE
Le verbe souffrir provient du latin (XIIIe siècle) suffere, moyen de supporter, de tolérer (Machado, 1987). La souffrance peut prendre plusieurs formes dans la langue comme: Admettre: également exprimé par les verbes accepter, consentir; Déclin: comme la pourriture, se détériorer; Expérimenter : qui est représenté dans ce cas par l'acte de sentir dans sa chair et d'endurer notamment (Houaiss, 2003).
La souffrance, comme les définitions du dictionnaire le suggèrent, donne l'idée de passivité, c'est-à-dire qu'elle entraîne une réduction de la capacité d'agir. Dans ce cas, le concept de souffrance s'approche «d'être à la merci de», «d'être passif face au mal». Un pouvoir diminué. La diminution du pouvoir mène à des plaintes.
Freud, dans «Le malaise de la civilisation», présente les sources de la souffrance, à savoir:
La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre propre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d'alarme que constituent la douleur et l'angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s'acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. (Freud, 1929/1996, p. 85)
Ensuite, Freud résume les origines de la souffrance : la puissance supérieure de la nature ; la fragilité de notre propre corps ; l'inadéquation aux règles qui visent à régler les relations mutuelles entre les êtres humains dans la famille, au sein de l'État et dans la société. En ce qui concerne les deux premières sources, notre jugement ne peut pas beaucoup hésiter. Il nous oblige à reconnaître ces sources de souffrance et à nous soumettre à l'inévitable. «Un jour, ils ont dit à ma mère: 'Vous amenez un prêtre pour lui donner l'extrême onction, parce qu'il ne survivra pas à cette nuit'. J'ai beaucoup souffert.» (Citation du Monsieur E)
Ricoeur (1992) distingue les notions de souffrance et de douleur. Pour lui, la douleur se restreint à la souffrance physique «des organes». Quant à la souffrance, elle peut être utilisée dans son rapport à soi-même, dans son rapport à autrui et également dans son rapport au sens et au questionnement. Ricoeur (1992) décompose encore la souffrance en quatre degrés, à savoir:
1. Le souffrant est unique: son expérience ne peut pas être partagée
2. La solitude du souffrir
3. C'est l'autre qui me fait souffrir
4. Le sentiment fantasmé d'être élu pour la souffrance, comme une élection à l'envers : c'est de là que surgit la question «pourquoi moi ?». C'est l'enfer du souffrir.
En ce qui concerne l'élection pour la souffrance, je me réfère à Weizsacker (1958) au sujet de la question que le patient pose justement au médecin sur le pourquoi de sa maladie et de sa souffrance. La question «pourquoi» du patient se distingue de la réponse médicale et des explications physiologiques. C'est un pourquoi de désespoir, selon Schotte (1985). Maintenant encore, Ricœur pose la même question, celle d'être choisi pour souffrir. Être destiné à souffrir pour un objectif plus grand, celui de l'apprentissage. Eschyle utilise le terme pathei mathos, le savoir (apprentissage) par l'épreuve, ce que Ricoeur (1992) remet en question : apprendre quoi? La relation entre la souffrance et le mal est un autre élément commun à de nombreuses cultures, de sorte que la souffrance est vue comme un châtiment. Ainsi, la question «pourquoi» refait surface: «qu'ai-je fait pour mériter ça ?».
En méditant sur ces quatre degrés soulevés par le philosophe, une pensée surgit: la souffrance est quelque chose d'intrinsèque, de personnel. C'est peut-être pour cela qu'il est impossible de la partager. Le texte de Francisco Martins (s/d b) sur les neuf significations de Sinn (sens), ramène à la question du souffrant qui dit: «Vous ressentez ce que je ressens ?». Comment répondre à cette question? Nous sommes donc d'accord avec Ricoeur, il y a de la solitude dans la souffrance, étant donné qu'il existe différentes façons de souffrir face aux mêmes situations.
Nous pouvons aller plus loin: le ressentir intrinsèque dans ce cas est pulsionnel, étant quelque chose qui vient de l'intérieur. Je renvoie au texte de Francisco Martins (s/d b) sur le tourment et la pression, où il souligne que le tourment vient de dehors, c'est-à-dire qu'il est externe à l'homme comme son rapport à autrui, les problèmes sociaux ou la maladie physique, comme dans le cas des stomisés. La pression, d'autre part, vient de ce qui est interne, intrinsèque et individuel comme la censure, la culpabilité et le remords, en plus des exigences que l'on s'impose soi-même. Nous présumons que la souffrance est une activité mentale qui s'exprime d'une manière pulsionnelle. Si nous pensons, comme Ricoeur (1992), que la souffrance n'est pas la douleur, celle-ci pouvant être une chose évidente, comme un organe lors d'un examen physique, et qui est là, présente et palpable, exprimée sur le visage et par les larmes de celui qui la sent. La souffrance est un sentiment, ressenti lors d'un acte.
4 LE MOUVEMENT PULSIONNEL: L'ANALYSE DU CAS MODELE
Je commence cette partie, l'analyse proprement dite, par une citation de Luther également évoquée par Szondi (1975) dans le livre «Introdução à análise do desti2» car il dépeint le mouvement pulsionnel de l'homme qui vient à être:
Cette vie n'est pas un état de dévotion, mais la conquête de la dévotion. Ce n'est pas avoir la santé, mais acquérir la santé. Ce n'est pas l'être, mais le devenir. Ce n'est pas le repos, mais l'activité. Nous ne sommes pas encore, nous serons. La vie n'est pas prête et finie, mais en élaboration. Ce n'est pas le dessein mais c'est le chemin.3
La théorie du destin, de Szondi, stipule que «les pulsions et les mécanismes de défense font le destin (p. 27). La capacité de prise de conscience de l'homme le différencie des animaux, la prise de conscience et le choix définissent le destin. Szondi déclare également que ce sont les fonctions du moi et les fonctions de l'esprit qui déterminent le destin du libre choix, le moi étant l'exécuteur du choix (Szondi, 1975).
À partir de la découverte remarquable de Szondi sur la mise en place d'un système pulsionnel, Schotte organise ces catégories en systèmes de circuits pulsionnels. Le circuit pulsionnel du moi s'assimile à un voyage en train au cours duquel on passe par quatre gares: Projection, Introjection, Négation et Auto-préservation (Selbsthaltung). La Projection est la plus primitive de ces gares, où a lieu une indifférenciation entre sujet et objet, à savoir l'extériorisation de la propre capacité d'être du moi sur d'autres personnes. «Elle mène à la formation d'unités doubles par la projection du pouvoir propre du moi : c'est la vie du moi dans l'autre» (Szondi, p. 106, 1975). Dans la gare Introjection, il y a un enrichissement par l'appréciation du monde extérieur et intérieur qui permet une vue différente de la même situation de vie. La Négation renvoie à l'effort fait par le moi pour bloquer, neutraliser ou réprimer son chagrin ou son désespoir. Dans la gare du Selbsthaltung, l'effort du moi consiste à élargir son pouvoir d'être, ce qui correspond donc à la résolution, le moi s'aggrandit pour agir. Nous avons précisé ces concepts, mais sous une forme simplifiée, car le circuit pulsionnel apparaît dans les discours de notre patient. Ainsi, l'analyse sera effectuée par le circuit pulsionnel, bien que nos études se soient consacrées à la lecture des déclarations du patient, en prêtant particulièrement attention à l'utilisation des verbes modaux: le vouloir, le pouvoir et le devoir. Dans le discours, les verbes modaux révèlent les croyances, les valeurs, les droits, les désirs. L'écoute attentive permet de les valoriser, de les révéler et de les interpréter, apportant du sens et de la valeur à ce qui est dit. Suit le schéma (figure 1) des verbes modaux, la compréhension que nous avons l'intention de défendre dans notre thèse:
La figure 01, en forme d'étoile, montre une première distinction des verbes modaux et leur utilisation en portugais. Le verbe vouloir possède le sens d'envie ou celui d'intention; le devoir moral que le sujet s'attribue (à lui-même) est différent du devoir naturel, qui représente quelque chose qui doit nécessairement arriver (Houaiss, 2003et Machado, 1987). Le verbe pouvoir comporte également un sens moral et un sens de capacité naturelle. Dans son acception morale, il a le sens d'autorisation et comme capacité naturelle, il a le sens de compétence, comme dans la phrase «nous pouvons travailler», par exemple. Cette présentation schématique sous la forme d'une étoile, où aucune pointe ne dépasse des autres, a également pour objectif de suggérer le mouvement de l'action des verbes et de montrer qu'ils ne sont pas statiques, mais qu'ils changent tout le temps, comme le mouvement pulsionnel.
Le verbe «vouloir» en français, comme «querer» en portugais, a plusieurs significations, selon l'usage, en plus de l'intention d'exprimer la volonté propre. Le vouloir devient central dans l'action. Weizsacker (1962) souligne que la décision est dans le verbe «vouloir». Le pouvoir est dans ce cas un «vouloir-pouvoir» et l'inverse qui précède la volonté est le pouvoir, comme dans le cas du «pouvoir-vouloir». Donc, la réalisation du désir peut être empêchée par «vouloir» et «ne pas pouvoir» que ce soit par le handicap ou par la non-permission, ou par «vouloir» mais «ne devrait pas» en raison de l'action morale ou du devoir que le sujet s'impose à lui-même. Les deux interfèrent avec le cours du destin. Les verbes apportent de l'action à la langue, et, le temps et les modes verbaux donnent le mouvement, le rythme et le temps de l'action, et sont donc liés à la trieb (mouvement pulsionnel). Martins (s/d b) propose un concept de pulsion, avec Schotte (1985), qui ne fait pas partie de l'homme, mais qui se construit peu à peu, dans le sens où il n'est pas concret ou exact, mais qu'il se modifie en mouvement, comme dans l'extrait du texte de Luther, évoqué au début de cette partie. Dans ce cas, la vie mentale et la pulsion sont interconnectées. «Vous êtes déjà guéri et moi, je dois encore continuer.» (Je cite le témoignage de Monsieur E)
Le mouvement de la vie. Ce n'est pas fini, quelque chose va encore se produire, un espoir qui fait avancer. Dans ce discours, Monsieur E se compare à un autre patient qui a subi une chirurgie d'inversion et qui participe à des réunions de l'Association des Stomisés de Brasilia. Notre patient, Monsieur E, est stomisé depuis 18 ans. Il s'est rendu à la clinique pendant cinq mois. L'analyse suit l'ordre chronologique des déclarations enregistrées. Pendant la lecture du matériel, une étude thématique de l'endroit où surgissaient les catégories analytiques a été réalisée:1. Expérience du corps matériel: vivre la stomie; 2. Le mouvement d'auto-préservation: vivre en dépit de la stomie.
4.1 L'EXPERIENCE DU CORPS MATERIEL: VIVRE LA STOMIE (GARES DE LA PROJECTION ET DE LA NEGATION)
À la fin de l'une des réunions de l'Association des Stomisés de Brasilia qui a lieu une fois par mois à l'hôpital de l'Université de Brasilia, Monsieur E (42 ans) se présenta à moi en demandant un rendez-vous à la clinique de stomathérapie de l'institution. Le jour prévu le patient arriva à l'unité de soins avec une mallette et sortit un document, le consentement libre et éclairé pour ma recherche, déjà signé et me le donna.4 J'ai été surprise et je lui ai dit: Vous souhaitez participer à l'étude? Oui, répondit-il. Ce qui l'a amené à chercher de l'aide a été le fait de se trouver face à la dure réalité: sa stomie est définitive. «Ce sera difficile d'affronter le fait que je devrai utiliser cette poche pendant toute ma vie.» [Mots de Monsieur E]
Le verbe «devrai» est au futur de l'indicatif. Il vient de «devoir», comme un empêchement naturel. Avoir besoin d'une poche, l'impossibilité de vivre sans. Le souhait du patient est de faire une chirurgie de réversion de la stomie, ce qui est impossible étant donné les conditions cliniques présentes. Monsieur E dit:
Tu peux vivre 100 ans comme ça, bien que toucher ici, ce n'est pas possible parce que ça peut être très risqué.
Le médecin a dit: «e pourrais faire votre chirurgie de réversion, mais je ne le ferai pas, pour aucune somme d'argent.
[...] parce que le savoir est difficile, accepter que tu doives vivre avec ça est difficile.
Il s'agit de la constatation de l'impossibilité de la réversion de la stomie. L'impossibilité de lachirurgie reconstructive est dûe à la perte des muscles abdominaux et non à l'impossibilité clinique du fonctionnement du côlon ou du rectum, ce qui est différent des autres cas examines ou la stomie est dûe à des maladies qui affectent les intestins. Le verbe pouvoir, ici présent, signifie la capacité naturelle de pouvoir vivre comme cela. «ça peut être très risqué» représente la possibilité d'empirer son état clinique. La négation est ici une réfutation objective, associée à un acte de justification. En réalité, il ne «peut pas» faire la chirurgie de réversion.
L'expression «devoir», comme une interdiction naturelle, est évoquée dans le schéma en étoile. Monsieur E a besoin de la poche, il est dans l'impossibilité de vivre sans elle. Il doit utiliser la poche. Alors on observe une suite de verbes: connaître, accepter et vivre avec. La négation est réaffirmée en repentant «est difficile» et le rejet de la stomie comme n'étant pas sienne. Le «ça». Encore «la négation»: ne peux pas manger (ce qu'il voudrait), ne peut passortir de la maison car il doit changer le bandage plusieurs fois. Le patient a besoin de la poche. Sans cette dernière, il vit, ou plutôt, survit bandé. La puissance physique du patient est diminuée et ressentie comme telle dans son corps effectif matériel. Elle est três presente dans les témoignages:
Je ne pouvais pas manger. Quand j'ai été bandé. J'ai vécu 18 ans bandé. Après la poche, je peux manger normalement, même des poivrons je peux. Je ne pouvais pas rester plus de 2 heures hors de chez moi car je devais déjà changer le pansement. Aucune poche ne s'ajustait (celles disponibles sur le réseau). Une infirmière de São Paulo, de Hollister, a réussi à en adapter une à mon cas. [Mots de Monsieur E]
Le vouloir est implicite. Le vouloir, dans ce cas, est compromis, dans le sens où le «non-pouvoir» représente une limitation physique. Le verbe devoir comme nécessité naturelle est présent dans l'expression «je devais déjà changer le pansement», devoir changer le pansement. La négation est présente dans les mots «ne pouvais pas» et «aucune poche». Ici, on perçoit aussi la Projection, étant donné qu'il existait des poches pouvant s'adapter au patient, mais ce n'était pas le cas de celles mises à disposition par le secrétariat d'État chargé de la santé. Le fait de vouloir faire une chirurgie de réversion a aussi un sens esthétique. Il ne s'agit pas seulement de la reprise du fonctionnement intestinal. L'image de la stomie n'est pas agréable, beaucoup de patients s'isolent à cause de cela. Il y a donc une complexité dans les soins apportés aux patients qui va au-delà de la maladie-chose du corps biologique, c'est la préoccupation de l'existence du corps érotique, selon la théorie du corps (Dejours, 2001). Maintenant, nous observons la reconnaissance de soi dans la maladie. «[... ] parce que le savoir est difficile, accepterque tu doives vivre avec çaest difficile.»
La traditionnelle collecte de données montre l'objectif du médecin en tant que chercheur-investigateur. Ce relevé de l'historique clinique diffère du terme «histoire» que nous connaissons, comme appartenant à l'existence de vie, à la société et à la culture. Les annotations des dossiers médicaux sont objectives, organisées de manière systématique (écrites à la troisième personne) et dotées d'un savoir préalable corroboré par l'utilisation du jargon. Dans cette histoire, le discours du patient n'est pas prioritaire (Martins, 2003). Selon ce point de vue, la maladie est isolable, comme le dit Laplantine (1991). Elle devient alors objective et pratique, sans sentimentalisme, et la chirurgie peut retirer ce mal (la maladie) comme si c'était un adversaire, qui ne ferait donc pas partie du moi. Regardons l'exemple antérieur «vivre avec ça est difficile», donc le stomie est un «ça» qui ne fait pas partie du soi. L'auteur (Laplantine, 1991) souligne aussi la répercussion rassurante de ce mal, ou organe, ne faisant pas partie de soi-même. Voyons les exemples sélectionnés par Laplantine (1991, p. 5354), extraits de la littérature:
- la maladie comme non-moi: «Mon cerveau et mes poumons auraient conclu un pacte à mon insu». (Confidence de Kafka à son ami Max Brod)
- la maladie comme être anonyme («elle», «ça»), écrit par L. F. Céline dans «Mort à crédit»: «Depuis la guerre ça m'a sonné. Elle a couru derrière moi, la folie... tant et plus pendant vingt-deux ans».
- la maladie comme chose:
- la chose était venue, revenue et ne me quittait plus. Elle m'absorbait si totalement que j'en étais arrivée à ne plus m'occuper que d'elle. Il y eut une période, au début, où j'ai cru pouvoir vivre avec la chose comme d'autres vivent avec un seul œil ou une seule jambe, avec une maladie de l'estomac ou des reins. (Marie Cardinal dans «Les mots pour le dire»)
Comment vivre avec une chose qui n'en est pas une ? La stomie (chose) comme une partie de soi? La manière de se référer à la maladie peut devenir révélatrice pour nous qui priorisons le discours du patient au détriment de «l'historique de la maladie». Laplantine apporte une contribution importante par ces récits sur la maladie extraits de la littérature et soulignant trois regards distincts: la maladie à la troisième personne, du point de vue médical; la maladie à la seconde personne, où il y a une confrontation avec la maladie; et la maladie racontée à la première personne, la reconnaissance. Dans notre étude, la référence à la stomie comme «ça», c'est-à-dire, la «chose» qui ne fait pas partie de moi, est commune. Nous continuons sur l'analyse.
La diminution du pouvoir conduit à des plaintes. Il s'agit d'un mouvement inverse de l'émancipationlibidinalede l'enfance selon Dejours (2001). Maintenant, à l'âge adulte, le patient revient à une survie en fonction de ses besoins biologiques plus primitifs. Il doit faire attention à son corps, aux mouvements intestinaux, aux soins du fonctionnement autonome du corps. Donc, le patient vit le ventre.
Dans ce cas spécifique, tout a commencé par un vol lors duquel le patient a pris un coup de couteau dans le ventre. Tout s'est déroulé à partir de cet épisode. Il a dit qu'il a senti un désir de vengeance (Projection). Il a subi une intervention chirurgicale (laparotomie exploratoire) pour évaluer et pour réparer les organes internes. Il a dit: «J'ai senti un désir de vengeance.»
Peu de temps après la première chirurgie, le patient a développé une appendicite qui a conduit à une nouvelle intervention chirurgicale, au ventre.
Je le cite: «Je sais qu'il a eu là-bas, un médecin plus expérimenté: il n'y a pas de problème dans son opération chirurgicale. Envoyez ce garçon en urgence à la ville parce qu'il a une appendicite et déjà beaucoup de pus. Il n'y a rien dans sa chirurgie.»
Monsieur E eu beaucoup de complications médicales graves, d'innombrables chirurgies, des infections qui l'ont conduit, pendant longtemps, aux portes de la mort à l'U.T.I. (Unité de Traitement Intensif). Nous savons que dans ce cas-là, il est difficile d'imputer le choix de l'organe à la maladie puisqu'elle a commencé lors d'une agression. Toutefois, les faits qui se sont succédés: l'appendicite et les infections récurrentes peuvent être associées à l'impuissance de réagir à la situation d'agression dont le patient a été victime. Comme cette dernière qu'il n'a pas pu maitriser, les viscères ne sont pas maitrisables. Même à l'hôpital, le patient raconte avoir été victime d'erreurs médicales qui ont compliqué encore plus son état de santé. Le ventre, le centre du corps, ce qu'il y a de plus interne a été totalement exposé (à cause de l'éviscération intestinale) et maintenant se trouve exposé de manière permanente à cause de la stomie. Concernant la passivité, je cite Laplanche (1988, p. 90): «Je dis que nous sommes passifs quand se fait en nous quelque chose, ou que se fait dans notre nature quelque chose dont nous ne sommes que seulement la cause partielle». Laplanche (1988, p. 90) détaille plus tard ce qu'est cette passivité: «La passivité, l'activité ne doit pas être définie ni par l'initiative du geste, ni par la pénétration, ni par quelque autre élément comportemental. La passivité est toute entière l'inadéquation pour symboliser ce qui se passe en nous venant de la partie de l'autre».
Pendant tout ce temps, il était à la merci du destin, sans possibilité de symbolisation face à toutes les adversités souffertes, pendant l'agression, puis plus tard lors de la maladie et face à la possibilité de la mort au cours des soins intensifs à l'hôpital. Cette situation nous donne un exemple du pouvoir diminué de l'individu et de sa souffrance face à la maladie, donc elle montre des mouvements de Projection et de Négation. C'est la fragilité corps mentionnée par Freud dans le premier thème de notre étude. Regardons les exemples (Mots de Monsieur E):
Ils avaient donné mon cas comme perdu. Ils disaient, il n'y a aucun moyen pour ce mec, non. Je me suis rendu à Dieu et je me suis évanoui pendant trois jours et trois nuits. Alors, je me suis réveillé avec les bras et les jambes attachés avec... et tout dehors. Je suis resté pendant trois mois et j'ai vu les gens mourir. Qui serait le prochain. C'est difficile de voir cela et sans pouvoir faire quelque chose. Les médecins ne croyaient pas que je survivrais. Mon tableau clinique était le pire de l'U.T.I. Le médecin m'a dit, je vais essayer de réparer ce gâchis qu'ils ont fait dans votre ventre. [En référence aux erreurs des interventions chirurgicales précédentes] J'ai échappé plusieurs fois à la mort. Un jour, l'infirmière a mis le médicament erroné, mais elle s'est aperçue de l'erreur.
Une autre question apparaît: la réalité présentée sans masque. En plus de l'image de «chose» en soi (dans ce cas, la mutilation du corps par la maladie), il y a également l'angoisse de ce qui se profile au loin, de son propre destin. Pour illustrer cette question, voilà une autre citation de notre patient: «Le plus difficile à l'hôpital a été de voir les personnes décéder.»
Dans la citation ci-dessus, «... le plus difficile à l'hôpital a été de voir...», le verbe être, au passe composé, est la «séquelle», ce qui reste de l'acte, dans ce cas sous forme d'image. Selon Paul Ricoeur dans son étude «Imagination et métaphore» (1982), l'imagination est la production d'un sens. L'image n'est pas seulement la reproduction de quelque chose d'absent, mais la production de l'irréel. Malgré le fait que, dans ce texte, Ricoeur se réfère à la production de l'image par des métaphores (quelque chose d'absent). Dans notre cas, l'imagination construit en sens contraire, c'est-à-dire qu'elle se forme à partir d'une image réelle : la réalité de la vie qui a une fin, la concrétisation de la maladie corroborée par la déformation du corps. Face à la souffrance venant de la maladie, le philosophe a aussi quelque chose à dire. Dans son dernier livre, «Vivant jusqu'à la mort», Ricoeur (maintenant dans la position de l'homme et non du philosophe) lutte contre l'image du mort de demain, car cette image mène à une agonie, à un deuil anticipé, vécu au présent. Continuons l'analyse: «Je demandais du chocolat pendant la chirurgie toute ouverte. J'ai mangé du chocolat pendant la chirurgie toute ouverte! C'était Pâques (rires).» [Mots de Monsieur E]
Entre la vie et la mort, il ose encore manger du chocolat. Dans un élan, il transgresse les règles de l'unité de soins intensifs, il prend des risques et se permet de manger du chocolat, même éviscéré. En lutte pour la vie et contre la mort, il joue et se permet un plaisir momentané. Le vouloir est présent et donne le mouvement. Le vouloir montre qu'il est encore vivant. Il lutte contre la mort, selon Ricoeur, «celui qui agonise est encore un vivant» (2011). Quant à l'expérience du corps, on peut observer la poursuite du plaisir. Un morceau del'activité dans l'apparente passivité, comme dans la citation de Laplanche (1988) à propos du sujet précédent. Nous observons un mouvement pulsionnel et de subversion libidinale dans une tentative d'autonomie face à la dictature de la nécessité (Dejours, 2001 et Laplanche, 1988).Un plaisir potentiellement dangereux, la pulsion de mort. À ce point, nous pouvons encore nous risquer à dire que Monsieur E prend plaisir à as saga héroïque dans as lutte pour la survie. Plus la souffrance a été grande, plus ila été comparé à un martyr. Ainsi, il racontait sa souffrance lors de chaque réunion à la clinique (sans s'arrêter). J'ose poser des questions sur le plaisir dans la douleur, qu'il accepte et auquel il pense. Ce plaisir est le résultat de la transformation du corps érotique commencée dans la communication de l'adulte avec l'enfant, marquée par le surmoi de l'adulte (Debray, Dejours, Fédida, 2002). En elle l'interdiction et la culpabilité sont introduites. Le conflit humain s'installe entre le désir et l'interdit. La morale et la dette, introduites pendant l'enfance, sont manifestes par le «oui» et le «non». Le «oui» est lié à l'idéal de soi et le «non» à la censure du surmoi critique. On a ici l'idée que le surmoi est formé à partir dês évènements qui sont venus de l'extérieur, depuis les relations d'objet avec les figures parentales. L'enfant a renoncé à ses désirs œdipiens marqués par l'interdiction. Il transforme son investissement en identification avec les parents qui sera ultérieurement remplacée et/ou agrégée aux exigences culturelles (de la religion, de l'éducation, etc.). Il renonce à ses désirs au nom de quelque chose de plus élevé, de plus idéalisé. Un idéalde soi que n'est pas simplement altruiste, mais plein d'intérêts occultes déjà mentionnés par Kant (1786/2007) comme « l'amour-prope occulte ». Peut-être que c'est cet argument qui m'a conduite à comprendre la possibilité du plaisir dans la souffrance. Le plaisir malgré la « punition » de la maladie apporte la possibilité de purger l'âme à travers la souffrance et le renoncement. Le point soulevé par Kant (l'amour-prope occulte) nous permet de comprendre l'homme «intéressé» depuis son existence. Il s'agit d'une ambiguïté et d'une confusion des sentiments qui nous amène à Ricoeur «la punition du désir c'est le désir lui-même» (2013, p.306). Dans l'impératif catégorique de Kant, le devoir (Sollen) est imposé de l'extérieur à l'intérieur. Les pulsions et les excitations au contraire viennent de l'intérieur, et, contre elles nous n'avons pas de défenses. Ainsi, le désir et l'interdit marchent côte à côte. Je cite Monsieur E:
Parce que ça ici... ces problèmes, avant qu'ils arrivent, j'étais déjà prêt. J'étais déjà très bien préparé.
Parce que je crois ce qui suit: tout ce que je suis en train de vivre... je ne sais pas le résultat de demain, mais ce que je suis en train de vivre aujourd'hui, je sais que c'est une épreuve et je dois...de cette façon que je suis... Je suis en train de vivre toutes ces années, je dois remercier Dieu pour être en vie aujourd'hui. Parce ça n'a pas été facile pour moi, pas facile. Parce que ma vie a été marquée par des bénédictions et des malédictions.
Ces paroles nous rappellent l'élection à la souffrance déjà soulevée par Ricoeur (1992): « être choisi pour souffrir ». Être choisi par le destin pour souffrir pour un objectif plus élevé, idéalisé. La relation entre la souffrance et le mal représente une autre question partagée par de nombreuses cultures, donc, la souffrance est vue comme une punition, une peine qui rachète la culpabilité, c'est pour cela que la souffrance est aussi liée au plaisir. Le verbe devoir est très présent dans ce cas, une fois que le patient renonce à son propre désir pour un objectif plus élevé. Ce fait l'empêche de vivre ça vie en dehors de la stomie. Continuons avec le mouvement d'auto-préservation.
4.2 LE MOUVEMENT D'AUTO-PRESERVATION: VIVRE MALGRE LA STOMIE (GARES DE L'INTROJECTION ET DE L'AUTO-PRESERVATION/SELBSTHALTUNG)
Le mot le plus fréquemment utilisé pendant ses récits était survie. Il racontait alors sa souffrance, semaine après semaine et les mots de Ricoeur me revinrent en mémoire sur vivre jusqu'à la mort et non pour la mort. Notre patient survivait chaque jour dans une souffrance, un deuil anticipé, en vie. Une question m'est venue à l'esprit, pendant son récit, et je lui ai demandé s'il était un «vivant» ou un «survivant». La question l'a fait réfléchir, et au rendezvous suivant, une prise de conscience a eu lieu: «Exactement, j'ai compris que j'étais comme vous avez dit, dans mon monde de souffrance seulement. Maintenant, j'essaie de voir l'autre côté de la vie. J'ai cherché à me sentir utile pour moi-même. Pour sortir de ma souffrance.» (Mots de Monsieur E)
Un coup d'œil supplémentaire aux détails de ces mots «dans mon monde de souffrance seulement» renforce les mots de Ricœur quand il dit qu'il y a de la solitude dans le souffrir.
Ensuite, on constate la «prise de conscience» et le mouvement de changement personnel. Le verbe utilisé à l'imparfait «étais» montre une action qui est déjà passée. On perçoit le mouvement d'Introjection «j'ai compris que j'étais comme vous avez dit» et d'Auto-préservation «Maintenant, j'essaie de voir l'autre côté de la vie». Le principe de la dure réalité de la déficience physique et toutes les préoccupations de l'auto-préservation faisaient que Monsieur E vivait en fonction de son ventre sans se permettre «d'oser» vivre la vie, ou même sans se permettre de «désirer»quelque chose. Peu à peu, à travers l'accueil et l'écoute, est apparu un mouvement pulsionnalisé.
Avant, il ne sortait pas de chez lui, il n'avait pas de vie sociale. Il vivait comme une plante enracinée.
J'étais inquiet. Même ma mère m'a dit l'autre jour. elle avait besoin de quelqu'un pour arroser la plante et m'a dit: n'oublie pas d'arroser la plante! Je lui ai dit: compte sur moi! Je vais les arroser. J'ai fini par oublier (rires). J'ai oublié! Je ne m'inquiète plus autant qu'avant pour les choses, les petites choses. J'ai pensé : c'est sûr, je peux oublier...
Dans son récit, le patient donne un exemple de changement dans sa vie: il a oublié d'arroser les plantes parce qu'il était en train de vivre. En réalité, il parle de lui-même, c'était lui qui restait littéralement «planté à la maison» et ses rires quand il constate que finalement, il a cessé d'être une plante.
Dans l'auto-préservation, le moi gagne de la force. Le verbe «pouvoir» mentionné au début relevait d'une capacité naturelle, maintenant le pouvoir est une tentative d'expérience, d'audace, de permission morale. Maintenant, le patient laisse la passivité de côté et devient un sujet actif. Le mouvement, maintenant de vivant, montre d'autres besoins qui s'offrent à lui dans ce processus. Dans une récapitulation, les besoins des survivants étaient localisés autour de la stomie, des soins constants du Kõrper: la poche, la nutrition, à savoir les fonctions instinctives vitales de la pulsion. Maintenant, d'autres nécessités (des vivants) lui apparaissent: les nécessités de vacances, d'amitiés, de loisirs, etc. Il s'agit d'un changement «fonctionnel», du corps effectif-matériel, de la nécessité physiologique vers la fonction sexuelle érotique, en passant à travers le corps biologique (Dejours, 2001). «J'ai besoin d'avoir des loisirs, parce que je n'ai pas beaucoup de loisirs. L'occupation à la maison, c'est qui ne me manque pas. (rires).»
Peu à peu, au cours de l'écoute clinique, d'autres nécessités apparaissent, à titre d'exemple: se rapprocher de sa mère, rendre visite à ses vieux amis et s'en faire de nouveaux, se réconcilier avec son fils, se soucier du destin de son neveu, etc. Enfin culminant avec la nécessité érotique (eros). Et les nécessités continuent parce qu'elles sont toujours incomplètes, toujours. «Ainsi, j'ai, par exemple, un manque de tendresse affective, de l'homme. Vous comprenez?» [Mots de Monsieur E]
La raison réelle pour Monsieur E d'aller à la clinique n'était pas, seulement, la dure réalité que sa stomie est permanente. Ce fait il le connaissait déjà depuis longtemps, car Monsieur E a été stomisé il y a 18 ans. Je crois que la vraie raison était l'isolement affectif pendant toutes ces années et l'abandon par sa famille, ses amis, son fils, sa femme. Peu à peu, pendant le temps où il a fréquenté le service ambulatoire de la clinique, ces necessities se faisaient jour dans la parole et par le transfert amoureux à mon égard, orientant ma supposition sur la véritable raison de sa plainte: la nécessite de partager sa vie. Regardons les exemples:
«J'avais une femme, j'avais un fils, mais maintenant, ma famille est partie, n'est pas?» «J'ai déjà perdu un frère, j'ai déjà perdu un frère.»
«C'estparce que parfoisje me sens trèsseul. Ensuite, je dois réfléchir, donc je pense beaucoup à toi.»
Il s'autorise à vouloir. Autrement dit il se permet de pouvoir-vouloir (le verbe pouvoir comme permission morale dans le Pentagramme schématique des catégories pathiques). C'est un mouvement qui va dans le sens de se permettre d'aimer et d'être aimé. Il s'agit du mouvement pulsionnel d'Auto-préservation, où le moi gagne en force pour réagir au destin. L'individu s'approprie de sa propre histoire. Maintenant, il autonomise son moi afin d'aider d'autres patients, il y a un changement de position.
J'ai besoin de partager, ne pas garder pour moi ce que j'ai appris, mais pouvoir être utile aux autres personnes qui en ont besoin. Qui ont besoin d'entendre mon témoignage.
J'ai besoin de parler de mon expérience de vie à ces personnes, parce qu'elles ont besoin de mots qui peuvent les réconforter [...] Alors ce serait bon que j'aille donner mon témoignage à ces personnes, pour pouvoir leur porter des mots de réconfort, de soulagement, parce que ce n'est pas facile. (Mots de Monsieur E)
Dans le mouvement d'Auto-préservation, présente dans l'augmentation de la force du moi à travers le mouvement (pulsionnel), le patient peut voir une possibilité et se permettre de faire quelque chose, parce qu'il perçoit qu'il en a la capacité (Monsieur E connaît la souffrance des patients) et qu'il se trouve dans une situation qui lui permet de dire quelque chose qui peut réconforter les autres patients. Il est qualifié pour cela. On perçoit, également, sa propre initiative (impulsion) pour faire quelque chose. Encore de l'audace: il ne risque pas sa vie, comme en mangeant du chocolat, éviscéré, dans l'unité de soins intensifs, mais il a la force d'aider l'autre. Une autonomisation du moi par laquelle il se permet «d'inverser le jeu».
L'expression verbale utilisée est avoir besoin, mais dans le sens de Müssen (devoir comme nécessité naturelle), est bien comme une dette envers les autres patients. Un devoir moral (Sollen) imposé à soi-même, par soi-même. Maintenant, la position est celle d'un patient modèle, un Idéal du moi. Une transformation progressive a eu lieu et est en cours. L'Introjection a été nécessaire, un moment de prise de conscience et d'apprentissage. «Parce que quand j'ai commencé [...] vous m'avez dit que j'avais besoin de vivre [...] sur ma paroi externe... J'ai pensé à chercher d'autres options pour ma vie. Ne pas rester seulement obnubilé par ma souffrance, par mon problème.» (Mots de Monsieur E)
Vivre la paroi externe (la paroi abdominale), pas seulement le ventre, la paroi interne. La paroi empêche le passage vers le monde. Le mouvement de l'Auto-préservation de l'intérieur vers l'extérieur: dans ce cas, c'est aider les autres. Une décision, un choix qui a le pouvoir de changer un destin. Je termine cet article par une citation de Szondi sur le destin:
La dignité et la responsabilité de l'homme résident, entre autres, dans la capacité de porter consciemment son propre destin. Et il se recouvre de dignité précisément pour être le seul être vivant qui a la capacité de prendre conscience. Cependant, obligé de surmonter des antagonismes entre liberté et compulsion, entre la propre personnalité et l'héritage familial, il porte le lourd fardeau de la vie humaine.5 (Szondi, 1975, p. 17)
Je pense que ces antagonismes se situent entre les verbes vouloir, pouvoir et devoir. Le choix conscient peut changer le destin. Monsieur E décide de vivre malgré tout, et de la manière possible de vivre, étant donné que la stomie continue à être présente. À partir de la conscience, la décision suivante se fait jour: «J'ai pensé à chercher d'autres options pour ma vie.»
Face à la réalité, les barrières, il cherche d'autres manières de vivre. On pourrait parler de cure par la création, de capacité à réinventer sa propre vie.
5 CONCLUSION
Dans cet article, nous avons présenté un cas clinique de stomie intestinale, dans lequel le mouvement accompli par le patient a été comparé au circuit pulsionnel du Moi de Szondi (1975) et de Schotte (1985), dans les gares: Projection, Introjection, Négation et Autopréservation (Selbsthaltung). Dans chaque station visitée par notre patient, les verbes modaux (vouloir, devoir et pouvoir) étaient présents, illustrant notre pensée.Deux catégories ont émergé: 1. Expérience du corps matériel: vivre la stomie; 2. Le mouvement d'auto-préservation: vivre en dépit de la stomie. Il s'agit d'un mouvement de direction. Pour cela le patient devait oser et recréer sa propre vie, face aux limitations de son corps biologique. Ce processus s'est produit par l'action de la subversion libidinale (Dejours, 2001).
L'une des difficultés principales que nous avons recontrée, lors de cette étude, est la souffrance constante des patients face à la limitation physique et à la mutilation de leur corps biologique qui les empêche même de s'autoriser à vouloir quelque chose et à changer leur propre vie.
Nous avons conclu que les verbes modaux (vouloir, devoir et pouvoir) et le mouvement pulsionnel permettent l'expression d'une triade qui marque l'expérience humaine vécue : le corps, l'esprit et la langue symbolique, ce qui renforce toujours plus de notre idée initiale que le mouvement pulsionnel peut être exprimé dans les discours, ou mieux, dans les verbes employés.
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1 Il s'agit d'un service ambulatoire de soins en stomathérapie.
2 Titre en français: Introduction à l'analyse du destin - Tome 1 : Psychologie générale du destin.
3 Traduction personnelle à partir de la traduction portugaise.
4 Il s'agit d'un formulaire d'accord pour la publication de données le concernant. Dans ce formulaire toutes les informations sur la recherche comme les enregistrements des entretiens sont expliqués au participant. C'est une exigence du Comité d'Éthique (CEP).
5 Traduction personnelle d'après Szondi (1975, p. 17).